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Full text of "Les entreprises modernes [microform]. Le grand commerce de détail"

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MASTER 
NEGATIVE 

NO.  94-821 77 


1 


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violation  of  the  copyright  law. 


Author: 


Normand 


5 


Gilles 


Title: 


Les  entreprise 


modernes 


Place: 

Paris 

Date: 

1920 


M  ASTER    NEGATIVE   # 


COLUMBIA  UNIVERSITY  LIBRARIES 
PRESERVATION  DIVISION 

BIBLIOGRAPHIC  MICROFORM  TARGET 


ORIGINAL  MATERIAL  AS  FILMED  -    EXISTING  BIBLIOGRAPHIC  RECORD 


'  254.6 
N78 


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Kormandf  Gilles 

•  ••  Les  entreprises  modernes»  Le  grand  cominerce 
de  détail»   Préface  de  J»  Moulens*»»  Paris t 
Perrin,  1920* 

xvf  300  p»   19  cm* 

At  head  of  title:  Gilles  Normand. 


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MAINENTRY:    Normand.  Gilles 


Les  entreprises  modernes 


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COPY  BORROWED 

FROM: 


NEW  YORK  PUBLIC 

LIBRARY 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LE  GRAND 


COMMERCE  DE  DÉTAIL 


01 


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I 


DU  MEME  AUTEUR 


La  Mort  des  Octrois.  Préface  d' Albert  Thomas,  an- 
cien Ministre  de  FArmement  et  des  Fabrications 
de  Guerre.  3^-  édition.  1  vol.  in-16.  Librairie  aca- 
démique. 

France,  au  travail!  Ouvrage  honoré  d'une  souscrip- 
tion du  ministère  de  l'Agriculture  et  du  Conseil 
municipal  de  Paris,  4^  édition.  1  vol.  in-16. 
Librairie  académique. 

La  Guerre^  le  Commerce  français  et  les  Consomma- 
teurs. Préface  de  Marc  Réville,  ancien  ministre 
du  Commerce  et  de  l'Industrie.  Ouvrage  honoré 
d'une  souscription  du  ministère  du  Commerce  et 
du  Conseil  municipal  de  Paris,  6®  édition.  1-  vol. 
in-16.  Librairie  académique. 

Les  Voix  de  la  Fournaise.  Poème  d'un  poilu.  Préface 
de  Maurice  Barres,  de  l'Académie  française. 
1  vol.  in  16.  Librairie  académique. 

Les  Barbacoles,  mœurs  scolaires.  Albin  Michel,  édi- 
teur. Paris.  1  vol.  in-16. 

Bilan  de  Salons,  critique  d'art.  Oscar  Lamberty,  édi 
teur,  Bruxelles.  1  vol.  in-16. 

Médaillons,  portraits  d'artistes.  Vromai^t,  éditeur. 
Bruxelles. 

Pour  paraître  prochainement,  à  la  Librairi. 

académique  : 

La  France  Vierge. 
Madame  la  Duchesse. 


E.   GKtVLN 


IMFKIMliRIE    DE   LAGiNÏ 


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GILLES   NORMAND 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


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LE  GRAND 


MMERCE  DE  DÉTAIL 


ri 


Préface   de  J.  NOULENS 

Ambassadeur  de  France, 
Ancien  Ministre  de  l'Agriculture  et  du  Ravitaillement. 


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PARIS 

LIBRAIRIE  AGADÉMigUE 

PERRIN   ET   C",    LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,     QtJA.I    DES    GRANDE-  AUCUf^TINS,    35 
Tous  droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés  pour  tous  pays. 


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A  Monsieur  J.  NOULENS, 

Ambassadeur  de  France^ 

Ancien  Ministre  de  T Agriculture 

et  du  Ravitaillement, 

qui  sut  concilier  les  intérêts  du  Commerce 

et  de  la  Consommation, 
en  assurant  Tharmonie  entre  les  Citoyens, 


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Copyright  by  P|2KniN  .et  C/%.1920.   . 


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PRÉFACE 


UNE  CONCEPTION,  UNE  ŒUVRE,  UN  HOMME 


\ 


Une  évolution  s'accomplit  dans  le  monde  com- 
mercial. Elle  tient  à  la  nécessité  de  plus  en  plus 
pressante  de  rapprocher  le  consommateur  du  pro- 
ducteur; ne  faut-il  pas,  en  outre,  diminuer  le 
nombre  des  intermédiaires,  tant  pour  réaliser  une 
économie  sur  le  prix  de  consommation,  que  pour 
rendre  libres  des  agents  immobilisés  jusqu'ici? 
Dans  la  pénurie  de  main-d'œuvre,  toute  récupé- 
ration devient  urgente  pour  l'augmentation  de  la 
production.  L'évolution  présente  ainsi  un  intérêt 
national,  au  sens  intrinsèque  du  mot;  elle  pré- 
sente même  un  intérêt  social. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  jalons  im 
portants  de  cette  évolution.  Telles  qu'elles  sont, 


i 


n 


VIII 


PREFACE 


PRÉFACE 


IX 


I 


elles  sont  loin  d'être  les  derniers,  sur  la  route  du 
Progrès.  Appelées  peu  à  peu,  sous  Finfluence  des 
avantages  résultant  de  leur  organisation,  à  pro- 
duire des  effets  beaucoup  plus  étendus,  elles  se- 
ront proportionnelles  à  l'intensité  de  la  lutte  éco- 
nomique dans  les  limites  d'un  même  pays,  tout 
d'abcKrd;  dans  celles  du  monde,  en  second  lieu.  Au 
reste,  la  devise  qui  fut  longtemps  celle  de  quelques 
individualités  célèbres  dans  la  fabrication  ou  les 
échanges  :  m  Faire  mieux  !  >  devient  progressive- 
ment une  devise  générale. 

Toute  entreprise,  toute  organisation  nouvelle 
dont  les  modalités  ont  pour  but  la  simplification 
des  rouages  économiques  et  l'aboutissement  à  une 
réduction  des  prix,  devrait,  si  l'on  en  croit  le  bon 
sens,  bénéficier  de  la  protection  des  Pouvoirs 
publics.  Telle  est  la  pensée,  de  portée  générale^ 
qui  se  dégage,  en  somme,  de  l'ouvrage  de 
M.  Gilles  Normand,  abstraction  faite  des  Entre- 
prises  Modernes  synthétisant  l'application  carac- 
téristique de  l'idéal  à  réaliser,  du  but  que  chaque 
commerçant  doit  s'efforcer  d'atteindre.  Ce  volume 
est  intéressant  par  ses  vues  nouvelles  et  par  sa 
documentation. 

Les  efforts  de  M.  Gilles  Normand  tendent  à 
combattre  la  routine  qui,  au  détriment  du  déve- 
loppement de  la  fortune  publique,  a  dominé  trop 
longtemps  les  pratiques  du  petit  fabricant  ou  du 
détaillant.    Une    conception   exacte    de    l'intérêt 


général  exige  que  les  Pouvoirs  publics  se  déga- 
gent de  toute  préoccupation  démagogique,  sans 
craindre  de  heurter  des  intérêts  aveuglés  par  le 
sentiment  individuel  ou  trop  individualiste  ;  ils  ne 
risquent  pas  de  se  tromper  en  s'efforçant  de  dé- 
velopper la  libre  concurrence;  c'est  elle  qui,  par 
son  ingéniosité,  par  sa  faculté  d'adaptation  h  tous 
les  besoins  sociaux,  peut  être  considérée  comme 
l'élément  essentiel  du  progrès  économique,  c'est- 
à-dire  du  «  mieux-être  ». 

Au  lendemain  de  la  guerre,  toutes  les  mé- 
thodes désuètes  devraient  être  à  jamais  écartées. 
Mais  les  gens  sont  étrangement  dominés  par  le 
désir  d'obéir  à  leurs  habitudes,  en  vue  du  moindre 
effort;  il  est  donc  à  craindre  que,  devant  toute 
nouveauté,  même  recommandée  par  la  raison  et 
l'expérience,  ne  se  dressent  des  résistances  et  un 
parti-pris  plus  fort  que  le  sentiment  des  nécessités 
ne  l'est  lui-même,  à  l'heure  présente. 

Des  ouvrages  comme  celui  de  M.  Gilles  Nor- 
mand ont  le  mérite  de  dessiller  les  yeux  de  ceux 
qui  ne  savent  pas  voir,  et  d'imposer  la  vérité  à 
ceux  qui,  ne  voulant  pas  l'apercevoir,  ressem- 
blent à  ces  aveugles  volontaires  dont  parle 
l'Evangile. 

Dans  le  passé,  au  lieu  de  favoriser  les  entre- 
prises qui,  en  réunissant  dans  les  mêmes  mains 
le  commerce  de  gros  et  celui  de  détail,  cherchaient 
la  voie  la  plus  directe  pour  faire  parvenir  la  mar- 


PREFACE 


PREFACE 


XI 


Si 


chandise  aux  consommateurs,  on  a  obéi  à  cer- 
taines impulsions  intéressées,  qui  avaient  pour  but 
de  détourner  les  lois  fiscales  de  leur  véritable 
objet  pour  en  faire  un  instrument  de  répartition 
des  bénéfices.  C'est  une  erreur  que  tous  les  gens 
éclairés  reconnaissent  aujourd'hui.  Ce  n'est  point 
à  force  de  lois  fiscales  accablantes  qu'on  entra- 
vera la  centralisation  du  commerce,  de  l'indus- 
trie, des  transports;  centralisation  qui  constitue 
une  irrésistible  évolution.  Désormais,  toute  ten- 
tative dans  ce  sens  aurait  pour  signification  la 
limitation,  par  la  loi,  de  la  somme  d'activité  qui 
peut  s'exercer  dans  un  lieu  déterminé,  soit  qu'il 
s'agisse  de  la  fabrication,  soit  qu'il  s'agisse  de  la 
répartition,  et  cela  au  moment  où  nous  avons  le 
plus  besoin  de  produire  et  de  récupérer  de  la 
main-d'œuvre,  du  «  matériel  humain  »,  comme 
on  disait  au  temps  de  la  guerre.  Les  privilèges, 
en  réalité,  n'aident  personne  dans  l'âpre  lutte 
pour  la  vie. 

Ce  dont  nous  devons  nous  garder,  dans  l'avenir, 
c'est,  par  des  mesures  d'exception,  de  risquer 
d'entraver  la  croissance  des  établissements  qui 
prospèrent;  la  masse  du  peuple  qui  travaille,  qui 
consomme,  qui  paie  son  pain  avec  le  produit  des 
sueurs  de  son  front,  en  serait,  à  coup  sûr,  la  pre- 
mière victime.  Si  nous  sommes  guettés  par  la 
catastrophe,  on  ne  ferait,  en  agissant  ainsi,  que  la 
précipiter.   Le  système  social  était    sens  dessus 


dessous  dès  avant  les  hostilités  ;  il  Test  bien  da- 
vantage encore  présentement;  il  faut  prendre 
notre  parti  des  remèdes  si  nous  voulons  remettre, 
à  brève  échéance,  de  l'ordre  dans  la  maison  bou- 
leversée. 

Evidemment,  nous  sommes  avec  le  petit  com- 
merce. Il  n'y  a  vraiment  personne  qui  soit  contre 
lui;  mais  ce  que  rêvent  ses  vrais  amis,  c'est  son 
perfectionnement,  c'est  son  initiation  aux  mé- 
thodes du  jour,  notamment  à  l'Association,  à  la 
Coopération  qui,  seules,  sont  capables  de  le  sau- 
ver, s'il  est  vrai  qu'il  soit  sérieusement  menacé. 

Le  régime  des  sociétés,  les  modes  de  groupe- 
ment du  capital,  sonjt  pour  tous  d'une  souplesse 
infinie  et  d'une  immense  variété;  libre  à  qui- 
conque d'en  appliquer  les  lois;  mais,  tant  que  la 
liberté  du  travail  ne  sera  pas  un  vain  mot  pour 
les  hommes,  la  liberté  du  travail  pour  les  capi- 
taux devra  être  admise.  C'est  un  aphorisme  sur 
lequel  il  est  à  peine  bon  de  s'appesantir. 

Non!  on  ne  brisera  pas  plus  les  grands  méca- 
nismes commerciaux  au  profit  des  petits,  qu'on 
a  brisé  les  machines  industrielles  dans  l'intérêt 
des  artisans!  Les  jours  passent;  la  vie  s'écoule. 
On  ne  fait  point  remonter  l'eau  à  sa  source. 

Toute  politique  d'entraves  étant  une  politique 
rétrograde,  doit  être  écartée,  qu'elle  tende  à  s'exer- 
cer contre  qui  que  ce  soit.  M.  Gilles  Normand  a  eu 
l'heureuse    idée   d'en   aborder  la  démonstration 


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XII 


PREFACE 


PRÉFACE 


XIII 


dans  ses  précédents  ouvrages;  il  a  pleinement 
réussi. 

Au  reste,  le  Commerce,  tout  le  Commerce  avec 
lequel,  durant  mon  passage  au  ministère  du  Ravi- 
taillement, je  fus  en  contact  continuel,  n'a  jamais 
mérité  la  part  de  critiques  et  d'injures  dont  cer- 
tains ont  cru,  de  bonne  ou  de  mauvaise  foi, 
l'abreuver.  J'ai  tenté,  dans  la  mesure  de  mes 
forces,  de  le  seconder,  et  il  a,  de  son  côté,  répondu 
à  mon  attente.  Je  me  félicite  donc  de  lui  avoir  fait 
confiance.  Les  commerçants  et  les  industriels 
étaient,  évidemment,  bien  mieux  qualifiés  que 
l'Etat  pour  acheter  et  répartir  les  produits  alimen- 
taires ou  manufacturés.  Eux,  plus  que  quiconque, 
connaissent  les  besoins  de  la  population;  eux 
seuls  savent  où  l'on  peut  prendre  les  marchan- 
dises, où  ces  marchandises  doivent  aller;  eux 
seuls  savent  choisir  les  voies  les  plus  économiques 
et  les  plus  rapides.  Du  reste,  comment  le  rôle  de 
l'État  pourrait-il  être  supérieur  à  celui  des  com- 
merçants, quelle  que  goit  la  forme  de  ses  inter- 
ventions?... Comme  tout  le  monde,  ne  se  heurte- 
t-il  pas  à  la  loi  économique  naturelle  de  l'offre  et 
de  la  demande,  contre  laquelle  personne,  —  ni  les 
individus,  ni  les  gouvernements,  — -  ne  peut 
rien?... 

C'est  dans  le  commerce,  et  notamment  dans  les 
Entreprises  Modernes,  que  j'ai  trouvé  les  meil- 
leurs concours  lorsque,  comme  ministre,  j'ai  pris 


des  mesures  pour  tempérer  la  hausse,  et  surtout 
lorsque  furent  constituées  les  Commissions  appe- 
lées à  fixer  les  prix  normaux.  Ah  !  certes,  les  cri- 
tiques ne  furent  point  épargnées  ;  elles  émanaient 
le  plus  souvent  d'une  certaine  catégorie  de  mer- 
cantis  n'ayant,  faut-il  le  dire,  absolument  rien  de 
commun  avec  le  commerce  honnête  et  loyal.  La 
collaboration  des  Entreprises  Modernes  et  celle 
des  Ligues  de  Consommateurs  me  furent  pré- 
cieuses. Je  suis  heureux  de  le  reconnaître  ici. 

M.  Gilles  Normand,  qui  a  entrepris  d'aider  à  la 
collaboration  du  Parlement  et  du  Commerce, 
attache  son  nom  à  des  méthodes  qui  permettront 
la  réalisation  de  programmes  vastes  et  pratiques  ; 
notre  prospérité  collective  s'y  lie  étroitement. 
Cette  pénétration  réciproque,  j'allais  dire  mu- 
tuelle, d'éléments  qui,  hier,  se  connaissaient  peu 
ou  point,  sera  la  base  de  notre  relèvement. 
M,  Gilles  Normand  s'est  toujours  rendu  compte 
de  la  difficulté  de  la  tâche  qu'assument  les  élus  ; 
ils  subissent,  en  effet,  plus  que  les  autres 
citoyens,  tous  les  contre-coups  des  événements  et 
le  malaise  qui  en  peut  résulter.  Leur  patriotisme 
en  éveil  leur  fait  redouter  les  mouvements  désor- 
donnés qu'ils  aperçoivent  mieux  que  les  autres  et 
qui  risquent,  si  l'on  n'y  prend  garde,  de  déchirer 
la  France,  dont  la  reconstitution  par  le  travail, 
dans  la  communauté  des  efforts^  même  pénibles, 
même  douloureux,  est  si  nécessaire*  C'est  pour- 


e  L 


XIV 


PRÉFACE 


PREFACE 


XV 


quoi  nous  sommes  nombreux  à  le  suivre  dans  son 
labeur  d'écrivain  dont  l'utilité  est  désormais  incon- 
testable. 

Gomme  M.  Gilles  Normand  le  fait  remarquer 
avec  beaucoup  d'à-propos,  les  méthodes  nouvelles 
à  employer  dans  le  commerce  ne  consistent  pas 
seulement  dans  l'amélioration  du  sort  du  consom- 
mateur, mais  aussi  dans  l'amélioration  de  celui 
des  employés.  Cette  amélioration  ne  peut  se  faire 
que  par  la  participation  aux  bénéfices  et  par  la 
prime  au  travail,  que  certaines  Entreprises  Mo- 
dernes ont  mises  en  application. 

Eh  bien  !  le  croirait-on,  cette  prime  au  travail, 
SI  opportune  au  moment  précis  où  il  faut  secouer 
avec  la  dernière  énergie  le  manteau  de  paresse 
dont  on  a  tant  parlé,  a  trouvé  d'acharnés  ennemis 
dans  les  Syndicats  de  la  C.  G.  T.,  qui  la  discutent, 
la  considèrent  comme  mauvaise,  comme  abusive, 
comme  attentatoire  au  droit  qu'a  le  citoyen  de 
produire  le  moins  possible.  Voilà,  n'est-il  pas 
vrai,  qui  dépasse  l'imagination,  au  moment  précis 
où  la  production,  déjà  si  diminuée,  menace  de 
s  éteindre? 

Peu  importe  !  L'action  sociale  du  monde  com- 
mercial ne  doit  pas  moins  être  stimulée  par  des 
exemples  tels  que  ceux  qui  figurent  dans  ce  livre. 
Cette  action  deviendra  réellement  efficace  lorsque 
tous  les  organismes  économiques  de  quelque  im- 
portance ne  s'ignoreront  plus  les  uns  les  autres, 


comme  ils  s'ignorent  généralement  encore.  Un 
jour  viendra,  il  faut  bien  le  croire,  où  la  paix 
régnera  dans  le  monde  commercial  tout  entier.  La 
paix  est  la  source  de  toutes  les  harmonies.  Alors, 
la  Confédération  générale  du  Commerce  et  de 
l'Industrie  ne  sera  plus  un  mythe,  une  hypothèse, 
mais  une  réalité,  une  réalité  bienfaisante  et  tan- 
gible. Elle  sera  le  contre-poids  nécessaire,  inéluc- 
table, à  la  force,  — j'allais  dire  à  la  tyrannie  des 
Syndicats  de  la  Bourse  du  Travail,  —  et,  s'il  est 
vrai  que  cette  Confédération  ne  puisse  sortir  que 
du  germe  puissant  de  toutes  les  entreprises  grou- 
pées, réunies,  soudées,  par  l'affinité  que  crée  la 
communauté  des  intérêts  et  l'imminence  d'un  pé- 
ril commun,  on  pourra  dire  que  M.  Gilles  Nor- 
mand a  bien  mérité  du  (^iOmmerce  de  France. 

J.  NOULENS. 

Ambassadeur  de  France, 
Ancien  ministre  de  V Agriculture 
et  du  Ravitaillement, 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LE  GRAND 


COMMERCE  DE  DÉTAIL 


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Pour  la  mort  de  la  routine 

et  des  billevesées  sociales. 


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Lorsque  la  guerre  éclata,  la  France  avait, 
d'après  les  recensements,  environ  trente-neuf 
millions  et  demi  d'habitants.  Les  champs  de  ba- 
taille, pour  s'abreuver  de  leur  sang,  nous  ont  pris 
un  million  huit  cent  mille  hommes  ;  la  mort 
fauche  depuis,  quotidiennement,  dans  le  million 
d'affaiblis,  de  malades  divers,  de  tuberculeux  en 
particulier,  revenus  des  tranchées.  Quelle  dimi- 
nution de  vitalité  pour  notre  pays!.,.  Cependant, 
ces  trente-neuf  millions,  nous  trouvions  que  c'était 
peu  ;  notre  ambition  de  Français  voulait  la  patrie 
plus  forte;  notre  clairvoyance  nous  inspirait  de 

i 


^  LES   ÊfTTREPHISES   MODERNES 

nobles  sentiments  que  les  actes,   généralement. 
ne  suivaient  pas.  ' 

Le  fléau  ne  fut-il  pas  assez  effroyable  ?  La 
catastrophe  ne  fut-elle  pas  assez  complète? 
Toujours  est-il  que  le  vent  de  grippe  duf  sou  flë 
encore  emporta,  lui  aussi,  quel'que''deuîmntn 
de  victimes  -  peut-être  davantage  -  si  bien 
qu  en  depit  du  retour,  à  nos  foyers?  de  nos  frères 
d  Al  ace-Lorraine.  la  France  n'a  plus,  vraisem- 
blablement,  que  trente-sept  milliois  d'habitanS. 

mZ'n'^T  •^""^'^"  ^'  ^^""•^^  ««t  exacte? 
Rien  n  est  moins   probable,  car,  en  pareil  sujet 

ITrl  ''ZrT"^''  -  P^"^  -  P-  dire  tit 
S  7  n  '"f"^*'  '"  '"'''''■  Chacun  s'ingé- 
d'abord    En"%  r^P'"    ^''    ^^«""""««    tout 

tion  d«  l'P^«.  *'  ^'''''"'^^  ^'^^«^'-  i  HUerven- 
tion  de  I  Etat  en  matière  financière,  elles  n'obte- 
naient cette  intervention,  ce   concours    qu'avec 

sTene?rr'"f 'i '^*^"^^-  ''  ^-^  ^^^^t'refré 
^  >.      \  "^«niaient.  A  quelcrdes  unités 

ce?'«nitX  dV''  ''"^'  ^--^  onllditH 
milliers  de  ^oT  ^'""P'"''  ^'^  ^•^^'«''^  «*  des 
donnant,   n-     :  ^'"^'  ^  ^'^  *«taux  impres- 

différents  e^  ni  '  P'"'  P""'  ^^^  ''«^«^^^  ^'ordres 
ra  IrPt  ;.  J  .  '?'''^"*  ""*  ^"^^tions  électo- 
rales et  représentatives,  le   Gouvernement    n'é- 

i^eia    pei  mettait   aux  Allemands    d'affirmer   nua 

tTrntoi^'ra-^"?  rT^'^'  -Hion^r  noYr 
Is    oas?  Nn         "^'  ^'"'  ^'  vérité?  N'y  étaient- 
Us    pas?  JNous   nous   garderons    de    discuter  et 


POtJft  LA  MORT  m  LA  ftOtJTlNE 


a 


d'approfondir.  S'ils  étaient  dans  la  vérité,  nous 
pouvons   nous   demander  sij   à  Theure  actuelle^ 
nous  sommes  plus  de  trente-trois  millions  d'âmes. 
Au  reste,  toutes    nos    communes   dépérissent 
lamentablement.  Il  n'y  a  qu'à  les  parcourir  pour 
s'en   apercevoir;    L'attirance   des   villes   s'exerce 
davantage  encore  qu'elle  ne  s'exerçait  autrefois. 
Quinze  millions  d'habitants,  au  moins,  grouillent 
dans  les  cités  --  soit  trois  millions  de  plus  qu'il 
n'en  Vivait  aux  premiers  temps  delà  mobilisation; 
—  Il  en  résulte  que,  sur  cinquante  millions  d'hec- 
tares constituant  notre  sol,   où  tant  de  jachères 
dressent   leurs   herbes    folles,    dix-huit   millions 
d'individus  des   deux  sexes   et  de  tout  âge  sont 
éparpillés.  Autant  reconnaître  et  proclamer  que 
nos    campagnes  sont   désertes,   alors   que  Paris, 
Lyon,     Marseille,     Bordeaux,      souffrent     d'une 
pléthore  qui  déterminera,  à  un  moment  plus  ou 
moins   rapproché,  la  plus  périlleuse  des  conges- 
tions. Tandis  que  les  boulevards,  avec  les  femmes 
qui  les  fréquentent,  exercent  une  attirance  de  plus 
en  plus  invincible,  la  vie  normale,  celle  que  nous 
avons   connue^    devient   une  pure  impossibilité, 
une  chimère,   une  utopie.  Tout  est  déséquilibre! 
L'énergie    s'annihile;    la    conscience    de    ce    qui 
devrait  être,  la  perception  juste  du  raisonnable  et 
du  vrai,  s'atrophient  en  nous  ;  la  notion  du  devoir 
s'évanouit;    l'action   devient  problématique;    les 
visions  de  l'avenir  ne  sont  ni  claires,  ni  étendues; 
le  manque  d'ambition  et  le  manque  de  conception 
les   limitent.    C'est  la    grande    crise!   La  patrie, 
hélas!  porte  un  masque  qui  se  détrempe  et  tombe 


À 


4 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


peu  à  peu;  la  figure  fanée,  vieillie,  apparaît,  et 
son  sourire  n'est  plus  qu'une  grimace. 

La  patrie  souffre. 

Voilà  la  réalité. 

La  patrie  souffre.  Mieux,  elle  languit.  Son 
anémie  progresse.  Si  la  situation  s'aggrave  de 
jour  en  jour,  c'est  parce  que  nous  avons  dormi 
sur  les  lauriers  de  la  victoire.  Que  faut-il  faire, 
là,  tout  de  suite?...  Chacun  d'entre  nous  joue, 
peu  ou  prou,  le  rôle  de  muet  dans  le  sérail.  Et, 
si  quelqu'un  agit,  c'est,  la  plupart  du  temps,  à 
faux.  On  ne  sait  pas.  Les  meilleures  intentions 
ne  peuvent  reposer  sur  l'ignorance,  non  plus  que 
sur  l'erreur,  que  sur  le  mensonge,  ou  Tintérêt 
particulier. 

La  production  est  insuffisante  pour  ramener 
sur  nos  marchés  les  denrées  nécessaires;  les 
transports  ne  sont  plus  à  même  d'assurer  l'arrivée 
des  matières  premières  sur  un  point  donné.  Les 
fruits  de  la  terre  pourrissent  sur  place.  Les  charges 
de  chacun  muent  en  écrasement.  Bien  plus,  la 
menace  de  l'impôt  ne  fait  qu'obscurcir  l'horizon; 
elle  paralyse.  Regardez  autour  de  vous  :  quels 
sont  ceux  qui  ont  de  l'initiative?  Quels  sont  ceux 
qui  travaillent,  qui  vont  devant  eux,  malgré 
vents  et  marées,  indéfectiblement?.,.  Vous  pouvez 
les  compter.  Ceux  qui  jouissent  de  la  fortune 
mal  acquise,  et  ceux  qui  l'attendent  tranquille- 
ment dans  leur  lit,  sont  légion. 

Ce  n'est  pas  faute,  pourtant,  d'avoir  entendu  de 
vibrants  hymnes  à  la  production;  ils  sont  familiers 
à  certains  virtuoses  ;  les  coryphées  les  ont  enton- 


A 


iN 


POUR   LA   MOUT    DK   LA    ROUTINE  O 

nés,  et  les  chœurs  les  ont  redits.  Mais,  voilà  qu'a- 
près le  chant,  c'est  la  danse  !  L'histoire  de  la  cigale 
se  réédite.  On  se  demande  si,  tout  prochainement, 
ce  ne  sera  pas,  conformément  à  la  tradition,  la 
danse  devant  le  buffet.  Il  vaudrait  mieux  travailler. 

Travailler?...  C'est  bien  le  moment  de  parler  du 
travail.  Les  fonctionnaires  somnolent  sur  les  vieux 
ronds  de  cuir  d'administrations  vétustés,  ou  sur 
les  ronds  de  cuir  frappant  neufs  d'administrations 
récentes  et  provisoires  qui,  en  s'éternisant  pour 
leurs  propres  intérêts,  éternisent  le  mal  pour 
notre  plus  grand  mal. 

La  main-d'œuvre  est  extrêmement  rare.  Des 
millieis  et  des  milliers  d'officiers  demeurent  en 
fonctions  dans  des  services  périmés,  dans  des 
organismes  surannés;  ils  sont  attachés  à  la  France 
exsangue  et  ruinée,  comme  les  sangsues  au  vieux 
cheval  qu'on  leur  a  livré  dans  la  mare,  pour  le 
faire  mourir;  quarante-cinq  mille  gabelous  as- 
surent à  grands  frais  la  perception  de  l'impôt  à 
rebours  sur  le  revenu  ;  par  dizaines  et  par  dizaines 
de  milliers,  les  jeunes  gens  sollicitent  des  emplois 
dans  les  chemins  de  fer  et  ailleurs,  convaincus 
que,  là,  ils  se  reposeront  et  pourront  continuer 
l'application  de  la  devise  militaire  :  Il  ne  faut  pas 
s'en  faire  !  Des  dizaines  de  milliers  de  paysans, 
devenus  riches,  loin  de  réprimer  le  manque 
d'ambition  de  leur  progéniture,  cultivent  de 
moins  en  moins,  de  manière  à  n'assurer  que 
leurs  besoins,  ou  guère  au  delà.  C'est  la  vie  à 
peu  près  animale,  sans  hygiène,  dans  des  maisons 
lézardées  dont  les  murailles  limitent  les  fumiers, 


r' 


— 
M 


a 


J.PS    PNTBEPaiSES   MODERNES 


et  dont  les  ruisseaux  de  purin  bordent  les  cours, 
La  rapacité  se  substitue  à  Fépargne;  les  vices, 
importés  de  la  capitale  ou  des  grands  centres, 
par  les  soldats  qui  y  séjournèrent,  de  tous  le^ 
pœurs  déracinent  ridé^l,  pauvre  plante  qui  aurait 
besoin,  pour  grandir,  d^s  feui^  de  Tenthopsiasme. 

Dans  les  pités?..,  Des  légions  de  travailleurs 
qui,  après  n'avoir  eu  d'autre  aspiration  que  I4 
journée  de  huit  heures,  songent  qne  c^tte  journée 
est  encore  trop  longue  et,  par  tous  les  moyens, 
s'ingénient  à  en  diminuer  le  rendement.  Sommes- 
nous  dans  l'impasse  au  bout  de  laquelle  on  trouve 
le  néant?.-  Les  pisifs  enpombrept  les  trottoirs  et 
les  établissements  publics.  Jamais  tant  de  per- 
sonnes n'ont  vécu  de  l'amour,  du  jeu,  des  hasards. 
Hasards  heureux,  hasards  équivoques,  raccrocs  de 
toute  espèce,  pour  beaucoup  voilà  le  programme! 
La  prostitution,  fleur  yénéneuse,  s'épanouit 
monstrueusement.  Le  plan  de  vie  qnp  phaciin 
devrait  s'être  tracé,  ne  s'ébauche  que  pour  une 
élite.  Pour  les  autres,  la  volopté  est  émoussée  ;  il 
ne  reste  que  la  fascination  des  jouissances  faciles 
et  blâmables  ;  les  scènes  de  théâtre  apothéosent  la 
dépravation  5  les  scandales  publics  font  chavirer 
la  notion  du  bien,  môme  che^  quplques-uns  d'entre 
les    meilleurs. 

û  b^lle  France  d'autrefois,  te  reverrons-nous 
jamais?,..  Y  aura-t-U?  dans  l'avenir,  une  place 
pour  chaque  chose,  et  chaque  chose,  de  nouvea^n, 
^erart-elle  à  sa  place?...  Quelle  éducation  ou 
quelig  loi  rendra  le  travail  obligatoire? 

Trayc^il  obligatoire!  Mesure  séyère.  C'est  vrai. 


t^ 


II 


,1 


POUR   lA   MORT   DP  l\  ROUTINE  I 

Mais  ce  sont  les  circonstances  qui  inspirent  les 
mesures  ;  ce  sont  elles  qui,  nous  voulons  bien  y 
croire,    feront  les   hommes.   Le  programme    de 
régénération  est  vaste.  Bien  des  réformes  s'im- 
posent. Les  premières  devraient  être  consécutives 
à  l'impôt,  car  l'impôt  est   une  chose  qui  tue  ou 
qui  vivifie.  Chez  nous,  et  depuis  fort  longtemps,  il 
tue.  Il  opprime  le  citoyen,  détruit  sa  personnalité, 
parce  qu'il  taxe  l'effort,  et  que  l'effort  taxé  em- 
pêche un  autre  effort  de  naître.  C'est  bien  dange^ 
reux    d'être    puni     par    une    augmentation    de 
redevance,  chaque  fois  qu'on  fait  preuve  d'énergie, 
qu'on  déploie  une  initiative.  L'énergie  et  l'initia- 
tive, n'étant  pas  des  crimes,  ne  devraient  pas  être 
punies;  étant  des  vertus,  elles  devraient,  au  con- 
traire, être  récompensées. 

Qu'y  a-t-il  d'étonuant,  alors,    que   le  citoyen 
devienne    un    dissimulateur?    Qu'il    s'ingénie    à 
voler  le  lise?  Ne  l'y  incite-t-on  pas?  La  malhon- 
nêteté germe  là  où  les  griffes  du  système  fiscal 
ont  fait  saigner  le  travail,  en  s'implanti^nt  d^ns 
sa  chair.  Le  contribuable  à  qui  l'on  demande  la 
bourse  et   la  vie,  n'est  plus  qu'un  esclave,  et, 
comme  l'esclave,  il  apprend  à  mentir  pour  être  le 
moins  souvent   possible  la  dupe  des  autres.  Il 
arrive  même  que,  pour  se  débarrasser  du  fardeau, 
on  agit  en  masse.  C'est  I0  comble  de  la  mala- 
dresse :  des  catégories  d'individus  se  concertent 
3ûur  exciter   les  pouvoirs   publics  h  handicaper 
:!eurs  concurrents,   en   frappant  la  concurrence, 
comme  si  elle  était  un  mal,  elle  aussi.  Le  Parle- 
ment s'oublie  jusqu'à  voter  des  lois  d'exception. 


; 
il 


8 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


La  voie  s'ouvre  pour  les  conseils  municipaux, 
qui  s'y  engagent  allègrement;  comme  le  dit 
Georges  Darien,  les  coteries  toutes-puissantes 
n'hésitent  pas  un  instant  à  soustraire,  quand  elles 
le  peuvent,  leurs  adhérents,  aux  charges  fiscales. 
Les  dégrevés  de  tout  poil  et  de  toute  espèce 
fourmillent,  et  les  répartiteurs  d'impôts  «  agissent 
dans  l'intérêt  de  groupements  politiques,  exo- 
nèrent scandaleusement  leurs  partisans,  en 
surchargeant  leurs  adversaires.  » 


Quelques-unes  des  teintes  de  ce  tableau  s'adou- 
ciront, si  notre  industrie  de  demain  possède  un 
outillage  perfectionné,  si  notre  agriculture  applique 
des  principes  modernes  et  si,  enfin,  les  méthodes 
de  notre  commerce  sont  des  méthodes  améliorées. 

En  effet,  l'outillage  perfectionné,  l'application 
des  principes  modernes,  la  mise  en  pratique  des 
méthodes  améliorées,  sont  seuls  capables  de  nous 
insuffler  à  nouveau  Famour  du  travail,  l'espoir  de 
la  réussite,  dans  la  constatation  d'un  bien-être  plus 
facile,  grâce  à  ces  trois  principes.  Qui  les 
appliquera,  sinon  nos  entreprises  modernes  de 
toutes  sortes?... 

Le  triomphe  dumachinisne  s'impose.  Elles  seules 
le  provoqueront.  C'est  lui  qui,  inaugurant  la  loi  du 
sommeil  pour  tous,  supprimera  tout  travail  de  nuit 
et  les  veilles  épuisantes,  parce  qu'elles  seront  dé- 
sormais inutiles.  L'homme-portefaix,  l'homme- 
cheval  qui  traîne  des  voitures,   deviendront  des 


V 


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é 


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i 


POUR   LA   MORT   DE   LA   ROUTINE  9 

anachronismes.  On   donnera  au  labeur  toute  sa 
dignité  et  les  justes  rétributions  auxquelles  il  aura 
droit.  Ce  sera  le  triomphe  de  la  journée  de  huit 
heures,  inapplicable  dans  notre  état  social  actuel; 
et  ces  huit  heures  de  peine  n'iront  pas  sans  répit. 
L'outillage  spécial  de  la  cordonnerie,  par  exemple, 
exécute  une  paire  de  chaussures  en  trente-sept 
minutes;  demain,  étant  plus  perfectionné,  il  réduira 
encore  le  temps,  cependant  déjà  très  court.  C'est  à 
cette  seule  condition,  généralisée  pour  tous  les  do- 
maines de  la  production,  que  nos  producteurs  va- 
lides, lesquels  ne  représentent  guère  que  6  p.  100 
de  la  population,  suffiront,  non  seulement  à  tous 
nos  besoins,  mais   aussi  à  ceux  de  l'exportation. 
Une  usine  de  panification,  avec  quelques  pétrins 
mécaniques  et  quelques  hommes,  de  neuf  heures 
du  matin  à  quatre  heures  du  soir,   disposera  du 
pain  nécessaire  à  une  ville  comme  Toulouse.  Au 
moment  où  le  relèvement  des  salaires  devient  le 
leitmotiv  de  toutes  les  conversations,  on  peut  déjà 
constater   que   l'entreprise    de   concentration   est 
susceptible  d'augmenter  singulièrement  la  valeur 
de     l'heure-travaiL     Si,     en      effet,      on     paie 
à    l'ouvrier,    présentement,    pour    huit    heures, 
2  fr.  50  X  8  =  20  francs,  lorsqu'il  ne  faudra  plus 
qu'une  heure  pour  effectuer  la  même  besogne,  cette 
heure  pourra  valoir  20  francs.  Qui,  alors,  préfé- 
rera les  hasards  et  les  raccrocs  comme  moyens 
d'existence,  au  labeur  raisonnable  et  bien  rétribué, 
la  seule  chose  peut-être  qui  moralisera  de  nouveau 
la  nation,  sans  que  des  générations  aient  besoin 
dépasser? 


r 


10 


LPS   ENTREPRISES    MODERNES 


VQUh   Ik   lîORT   DE   LA    ROUTINE 


n 


Beaucoup  de  ceux  qui  végètent  derrière  leur 
comptoir,  peuvent  s'apprêter  à  devenir,  pour  leur 
bonheur,  les  artisans  de  demain.  Ce  sont,  n'en 
doutez  pas,  des  forces  perdues  qui  seront  récupé- 
rées. Les  forces  économiques  de  la  France  ne 
peuvent  plus  être  gaspillées  comm^  elles  le  furent 
jusqu'à  présent.  Un  individu,  dans  la  société,  ne 
peut  et  ne  doit  être  qu'uD  rouage  utile  d'une  ma- 
chine bien  réglée;  la  plus  faible  parcelle  de  son 
énergie  ne  doit  pas  être  dilapidée, 

Or,  je  vous  le  demande,  qu'est-ce  que  la  n^ulti- 
plicité  des  petits  établisserueuts,  sinon  la  force 
annihilée  par  mille  côtés  à  la  fois?  Ce  sont  des 
sortes  de  puits  saqs  fond  QÙ  se  cousomme,  oti  s'é- 
gare la  productivité  humaine.  Que  de  milliers,  que 
de  millions  de  gestes  vains!  Que  de  ruisseaux  de 
sueurs  coulant  en  pure  perte,  en  raison  de  l'inor- 
ganisation dont  chacun  d'entre  nous  est  la  victime 
plus  ou  moins  caractérisée?,,.  Mille  boulangers 
pétrissent  la  pâte  nécessaire  au  pain  quotidien  et 
d'une  cité  !  Ils  ahanent  au  fond  du  fournil  sombre 
et  poussiéreux;  tous  les  pores  de  leur  peau  sont  de 
minuscules  fontaines  qui  se  déversent  dans  le  pé- 
trin; ils  geignent,  ils  toussent,  ils  crachent!...  Un 
seul  boulanger  peut  surveiller  les  bras  de  fer  mus 
électriquement,  dans  une  entreprise  de  concentra- 
tion commerciale.  Il  ne  sue  pas.  Il  ne  geint  point. 
Il  ne  tousse  ni  ne  crache,  et  c'est  cela  surtout  qui 
est  d'une  innportance,  on  peut  dire  capitale!  Que 
de  paires  de  br^^  à  récupérer  pour  d'autres  travaux 
urgents! 

Cinq   mille  fruitiers,  à  Paris,  de   grand  naatin 


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s'en  vont  aux  Halles  pour  assurer  l'approvision- 
nement d'un  nombre  égal  de  boutiques.  Potin  et 
Damoy  n'ont  que  quelques  acheteurs...  Le  travail 
des  cinq  mille  fruitiers  se  compose  d'une  série  de 
gestes  et  de  marchandages  qui  se  répètent  inutile- 
ment. Si  les  cinq  mille  boutiques  se  réduisaient  à 
une  maison  à  succursales  multiples,  on  éviterait 
plus  de  4. 990  fois  la  répétition  de  ce  geste  et  de 
ces  vaines  palabres. 

Centralisons  les  industries!  Centralisons  les  bou- 
tiques! 

Les  mille  boulangeries  et  les  cinq  mille  fruite- 
ries, en  outre,  coûtent  davantage  à  entretenir  qu'un 
seul  établissement.  C'est  le  consommateur  qui 
paie,  et  les  hommes  qu'il  nourrit  ainsi  ne  lui  rap- 
portent aucun  bénéfice.  L'émiettement  de  l'effort 
éloigne  les  résultats  heureux.  Las  artisans  des  ate- 
liers familiaux  d'autrefois,  les  petits  industriels,  les 
petits  commerçants,  représentent  l'émiettement 
de  notre  effort  national,  le  piétinement  sur  place, 
la  rouille,  la  misère  collective,  que  nous  connais- 
sons surtout  depuis  la  guerre. 

Les  mutilations  et  la  mort,  au  cours  des  années 
douloureuses  qui  viennent  de  s'écouler,  ont  érigé 
ces  considérations  en  primordiale  vérité,  à  tel 
point  qu'il  est  presque  enfantin  de  s'appesantir 
sur  un  tel  sujet.  Il  n'existe  pas  encore,  il  est  vrai, 
de  statistiques  officielles  pour  étayer  ce  raisonne^ 
ment.  Existeraient-elles,  —  on  sait  ce  qu'elles 
valent,  —  qu'on  n'aboutirait  pas  à  une  autre  dé- 
monstration. Il  faudra  nous  décider  à  ouvrir  les 
yeux. 


12 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


POUR   LA   MORT   DE   LA   ROUTINE 


13 


C'est  si  nous  ouvrons  les  yeux,  que  nous  ne 
pratiquerons  plus  cette  néfaste  démagogie  qui 
nous  ruine  peu  à  peu  et  prépare  notre  effacement 
de  la  carte  économique  du  monde. 


Certains,  un  peu  trop  exclusivement,  d'ailleurs, 
ont  considéré  les  coopératives  de  consommation 
comme  le  remède  souverain  contre  les  souffrances 
des  classes  laborieuses.  Les  coopératives  de  con- 
sommation sont  les  sœurs    cadettes    des    entre- 
prises modernes   du   grand   commerce  de  détail 
qui,  avant  elles,  s'adonna  à  la  fabrication,  donc  à 
la  production.  En  ce  qui  les  concerne,  je  me  per- 
mets   de  renvoyer  le  lecteur   à  mon    livre  :   La 
Guerre,  le  Commerce  français  et  les  Consomma- 
teurs; au  reste,  j'aurais  aujourd'hui  fort  peu  de 
chose  à  ajouter  à  ce  que j  ai  dit  hier;  elles  obéis- 
sent autant,  et  plus  que   quiconque  peut-être,  à 
la  loi  universelle  de  la  concentration   qui,  tout  à 
Theure,  fera  graviter  dans  le  même  cercle,  toute 
la  production,   toute  la   répartition  de  cette  pro- 
duction, en  même  temps  que  toute  la  consomma- 
tion. Comme  les  organismes  auxquels  ce  livre  est 
consacré,  elles  ne  sont  déjà  plus  que  des  succur- 
sales d'entreprises;  en  cette  qualité,  elles  réalisent 
des  bénéfices  tout  comme  leurs  concurrentes;  les 
entreprises  modernes  procèdent  du  même  prin- 
cipe initial,  car  la  coopération  s'affirme  de  plus  en 
plus  comme  la  pierre  angulaire  de  notre  évolution 
économique. 


\ 

i 


^ 


Si  quelque  obstacle,  un  jour,  était  susceptible 
d'entraver  cette  marche,  notre  ruine  commerciale, 
industrielle,  agricole,  en  serait  la  déplorable  con- 
séquence. Nous  assisterions  au  phénomène  re- 
grettable de  Tégrènement  persistant  de  l'activité 
nationale,  à  l'heure  où,  précisément,  il  faut  récu- 
pérer des  producteurs.  Le  Bulletin  de  Statistiques 
et  de  Législation  comparée,  du  Ministère  des 
Finances,  nous  apprenait  naguère  que  le  chiffre 
de  nos  patentes  était  de  1  pour  20  habitants  envi- 
ron; c'est  ainsi  qu'en  une  seule  année,  Pau  voyait 
s'élever  de  plus  de  200  unités  le  chiffre  de 
ses  boutiquiers;  Saint-Etienne,  dans  le  même  dé- 
lai, voyait  s'élever  le  sien  de  1.  588  unités;  Chalon- 
sur-Saône,  de  305;  le  Morbihan,  de  1578.  Ce  sont 
là,  il  faut  en  convenir,  des  résultats  plutôt  attris- 
tants, car  ils  ne  révèlent  pas  un  surcroit  d'activité 
économique,  mais,  au  contraire,  une  véritable 
mort  économique. 

Tout  le  monde,  en  effet,  se  rend  bien  compte 
qu'il  ne  s'agit  pas  seulement  de  répartir  des  den- 
rées. C'est  là  un  acte  secondaire.  Ce  qu'il  faut, 
c'est  produire,  puisque  produire,  seul,  peut  nous 
permettre  de  consommer.  La  multipHcation  in- 
vraisemblable du  nombre  des  petits  commerçants 
semble  donc  bien  n'avoir  d'autre  résultat  que 
d'arracher  des  bras  à  la  terre  et  à  l'usine,  à  un 
moment  particulièrement  critique.  Si  une  maison 
qui  réalise  un  million  d'affaires,  supprime  cin- 
quante boutiquiers,  y  a-t-il  lieu  de  s'en  montrer 
marri?...  Assurément  non,  si  l'on  considère  que 
la  France  a   besoin  de  tous  ses  enfants;  si  elle  a 


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il  n'en  fanf  nlV  j    f      ',       "^  ®^*  principalement, 
in  en  taut  pas  douter,  h  coopération  des  crtnJ 
taux  dans  les  entreprises  modernes    ««in     ?  -^ 
ce  magnifique  résaltat.      ""'''"''''''  ^"'  P''o^»'ra 

11  y  a  longtemps  déjà  qu'Henry  George  l'n  dit  • 
«Des  méthodes  améliorées  et  n^J.^\- 

Les  coopéraiives  de  co.isommalion  et  les  en 
i«te™éd,aires'  en  SaTr^  dr^Tp™? 

San".  ?a"f„tt„*  :  dear^r,::;»^  r^"?"' 

«.njen.   d£:.eirr:';^„f y-X"nnt 
parallèlement  et  dans  la  tr*^^^       ^«"ectionnés 

u<*ns  ïa  même  mesure?...  Cela 


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POUR   LA   MORT   DE   LA   ROUTINE 


15 


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importe  peu.   Il   y   a,  pour  le  consommateur,  de 
longues  années  au  cours  desquelles  il  pourra  bé- 
néficier  des  avantages  qui  lui   sont  offerts.   En 
attendant,  protégeons   de   toutes  nos  forces  les 
éléments  précieux  qui  concourent  à  notre  progrès 
social,   ils    constitueront,    pour  les    arriérés,  un 
encouragement,    et  surtout   un   exemple;    notre 
effort  doit  tendre  à  la  transformation  radicale  de 
notre   commerce,    de   notre   industrie,   de   notre 
agriculture,  par  la  coopération    progressivement 
plus  complète.  Tout  ce  qui  serait  de  nature  à  em- 
pêcher la  libre  collaboration  des  intelligences,  des 
énergies  et  des  capitaux,  doit  être  soigneusement 
écarté  des  lois  et  règlements  qui  constituent  notre 
charte  sociale.  Notre  idéal  doit  être  qu'en  France, 
tous  les  éléments  d'activité  collaborent,  coopèrent 
entre   eux,  comme  le  font   les  cinq  doigts  de  la 
main,    comme  le    font  nos   bras  et  nos  jambes, 
comme  le  font  nos  yeux  et  aussi  ^  les  rangées  de 
dents  supérieures  et  inférieures». 

Il  n'y  à  que  les  éléments  parasitaires  qui  ne 
collaboreront  point.  Ils  s'élimineront  tout  seuls. 
Nous  ne  les  pleurerons  pas,  puisqu'ils  retardent 
l'heure  de  l'harmonie  économique,  et  qu'ils  dé- 
tniiraient  même  cette  harmonie,  si  là  coopération, 
matée  d'une  façon  quelconque,  ne  s'opposait  à 
leur  déplorable  multiplication. 


II 


Les  Grands  Magasins. 


Ce  sont  les  enfants  de  multimillionnaires  par- 
tis de  rien.  Les  Boucicaut,  les  Ghauchard,  les  Go- 
gnacq,  les  Bader,  pierre  à  pierre,  ont  élevé  des 
édifices  grands  comme  tout  un  quartier,  peuplés 
comme  des  villes  de  province,  grouillants  comme 
des  fourmilières,  rutilants  et  luxueux  ainsi  que 
des  palais.  Ils  constituent  la  pléiade  scintillante 
du  firmament  commercial  ;  chacune  des  étoiles 
grandit  lustre  par  lustre,  et  même  année  par 
année.  La  plus  récente  est,  sans  conteste,  «  les 
Galeries  Lafayette  »  ;  elle  ne  tient  point  pour  cela 
la  dernière  place.  Gomme  les  autres,  elle  est  le 
produit  le  plus  jeune  de  l'évolution  économique, 
engendrée  par  la  concentration  des  capitaux,  elle- 
même  déterminée  par  Tiniiiative  privée,  la  con- 
naissance des  besoins  modernes,  Tattrait  des 
affaires. 

Le  grand  magasin,  dont  on  a  dit  tant  de  mal, 


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LKS    GRANDS   MAGASINS 


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n'a  pas  mérité  tout  le  mal  qu'on  en  a  dit  ;  il  a  tout 
de  même  eu  de  la  bienfaisance  dans  son  action  ; 
il  a  développé  le  goût  du  consommateur  ;  il  a  vul- 
garisé la  mode  française  à  l'étranger  ;  il  en  a 
imposé  l'adoption  ;  il  a  accru  le  chiffre  de  notre 
production  et,  partant,  celui  de  la  fortune  pu- 
blique. Exportations  de  plus  en  plus  nombreuses, 
de  plus  en  plus  variées  :  c'est  à  lui  que  nous  les 
devons.  Pour  qui  contemple  le  grand  magasin  et 
formule,  sans  parti  pris  imbécile,  son  jugement, 
on  conviendra  que  cette  vaste  ruche  scintillante 
et  bourdonnante  incarne,  pour  tout  boutiquier, 
l'idéal  le  plus  complet,  le  but  merveilleux  à 
atteindre,  la  chimère  qui  devrait  être  d'autant 
plus  caressée,  qu'elle  est  plus  inaccessible. 
Gela,  c'est  la  théorie.  La  réalité,  c'est  autre 
chose.  La  haine  existe;  la  jalousie,  l'envie,  avec 
tout  ce  qu'elle  a  de  mesquin  et  d'idiot,  ne  fait 
point  place  à  l'émulation  louable  au  cœur  de 
tous  les  hommes.  Il  n'en  demeure  pas  moins  avéré 
que,  si  l'ambition  légitime  de  parvenir  demeure 
en  nous,  se  confondant  avec  la  soif  ardente  de  la 
réussite,  l'exemple  de  ceux  qui  sont  <(  arrivés  », 
nous  restera  comme  la  garantie  du  succès  con- 
voité, la  source  d'énergie  où  plus  d'un,  le  soir, 
sa  journée  terminée,  viendra  retremper  sa  force 
pour  la  lutte  quotidienne  qui  ne  cesse  pas,  qui 
ne  peut  pas  cesser,  même  pour  celui  que  la  des- 
tinée a  juché,  comme  sur  un  trône,  sur  le  fauteuil 
directorial  du  grand  magasin.  Et  c'est  pourquoi  un 
honnête  commerçant,  M.  Magny,  a  pu  dire,  un 
jour,  au  Syndicat  de  l'Epicerie  française  : 

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18 


LES    ËNTt\Et>RISËS    MODERNES 


«  Je  n'ai  jamais  critiqué  les  graiides  maisons... 
Je^  les  ai  toujours  défendues...  Je  n'admets  pas 
qu'on  les  attaque,  sous  quelque  forme  que  ce  soit. 
Je  les  considère  sans  jalousie  et  plein  d'admira- 
tion, en  raison  de  l'énergie  et  dé  l'intelligence  qui 
présidèrent  à  leur  éditication.  Moi  aussi,  je  veux 
prospérer  et  grandir!  %. 

^  Voilà,  c'est  net,  c'est  sincère  !  Pourquoi  chaque 
Français  n'en  dit-il  pas  autant?  Nous  nfe  serions 
pas  longs  à  devenir  la  première  puissance  com- 
merciale du  mondé.  Evidemment,  nous  n'auriohs 
pas  autant  de  grands  magasins  que  nous  avons 
de  contribuables;  là  ri'est  ni  le  but,  ni  la  possi- 
bilité; mais  nous  aurions  un  regain  d'activité  qui 
nous  profiterait  sériéUsenitent  et  duquel  nous 
avons  bougrement  besoin  à  l'heure  actuelle  où  la 
vague  de  paresse  rious  atteint,  nous  submerge, 
occasionnaht  une  mort  rapide,  si  hous  n'y  pre- 
nons garde. 

Pour  en  revenir  à  l'èpiciér,  il  a  raisOn.  Gom- 
ment UU  homme  inlelligeuti  eri  effet,  ne  S'incli- 
nerait-il pas  (levant  rexeelléncé  des  méthodes  qui 
ont  modifié  si  rapidement  uue  organisation  com- 
merciale et  des  pratiquer  commerciales  Séculaires? 
Passons  au    fcOhsommateUr,    à  feèlui    qui    n'a 
d'autrie  ambition  que  dé  trouver  l'objet  à  sa  con- 
venance :  comment  m  pas  fcOUipréridrè  et  légitimer 
l'attrâctioU  que   lé  hall  merveilleux,  l'étincelle- 
merit  des  choses,  lé  chatoiement  des  couléUrâ,  lés 
rutilauces  du  clinquant,   exercent  sur  lui?...  La 
mise  en  scèUe  adéquate  à  la  psychologie  humaine, 
est  un  art  véritable;  c'est  Uhé  ilOuvellé  brarlbhe 


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LES   GRANDS   MAGASINS 


19 


de  l'art  ;  elle  se  rattaché  à  l'art  décoratif  par  plus 
d'urt  côté.  Elle  résulte  du  goût  cultivé,  allié  à 
1  étude  de  la  clientèle  et  de  la  marchandise. 

L'étude  de  la  clientèle  et  de  lia  marchandise  se 
pratiquait  autrefois  plus  qu'On  ne  la  pratique 
aujourd'hui.  Cela  fait  que  le  boutiquier,  notre 
contemporain,  ne  se  place  pas  autant  au  point 
de  vue  du  public  que  ne  s'y  plaçaient  ses  prédé- 
cesseurs. Et  c'est  cette  qualiléj  j'allais  dire  cette 
vertu,  dé  ses  prédécesseurs,  qui  l  permis  à  rios 
as  du  Commerce  de  grand  détail  d'aboutir,  avec 
un  très  petit  capital  souvent;  mais,  à  l'insuffisance 
des  capitaux,  suppléait  quelque  chose  :  d'abord, 
eii  tout  premier  lieu  quelquefois;  des  circonstances 
favorables;  mais,  en  premier  lieu  toujours,  la 
connaissance  de  la  clientèle  et  de  ses  goûts;  Et 
c'est  pourquoi  de  très  humbles  boutiques  sont 
devenues  promptement  des  embryons  de  grands 
ihagasifas  ou  des  grands  magasins. 

Le  commerçant  d'aujourd'hui  est  en  jiroie  â  la 
maladie  courante;  il  voudrait  Vivre  et  s'enrichir 
sans  grand  travail;  il  considère,  bien  à  tort^  d'ail- 
leurs'j  que  la  clientèle  est  faite  pour  lui  et  non 
point  lui  pour  la  clientèle.  SOn  erreur  est  là  cause 
la  plus  ordinaire  de  son  piétinement;  à  peine  est- 
il  aimable  !  Dans  ce  cas,  l'éch'ec  le  guette:  Pré- 
tentieux, ne  sachant  pas  vendre,  il  serait  incom- 
préhensible qu'il  sût  acheter.  Eh  ouvrant  sa 
Doutiqué,  il  l'a  garnie  de  marchandises  variées 
qui  finissent  par  être  avariées,  qui  ne  s'écouleront 
jamais  ;  après  avoir  voulu  «  épater  »  lé  public,  il 
s'aperçoit  que  le  souffle  lui  manque;  sa  comptabi- 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LES    GRANDS   MAGASINS 


21 


lilé  mêrre  est  en  défaut;  il  s'en  prend  à  tout,  sauf 
à  lui;  il  exècre  ses  concurrents  et,  surtout,  il 
maudit  le  grand  magasin. 

Pauvre  mentalité,  qui  donne  de  piètres  résultats  ! 
Il  est  bon  peut-être  de  mettre  sous  les  yeux  de 
ceux  qui  luttent  et  qui  espèrent,  Thistoire  succincte 
de  ces  grandes  entreprises  connues  du  monde 
entier,  enviées  ou  honnies  tour  à  tour,  selon  le 
tempérament  de  celui  qui  jette  son  regard  vers 
elles.  Et  tout  d'abord  :  les  Galeries  Lafayette, 
benjamin  de  cette  pléiade  de  grosses  affaires  ayant 
acquis,  dans  le  minimum  de  temps,  le  maximum 
de  développement. 

Leur  origine  ne  se  perd  pas  dans  la  nuit  des 
temps;   elle  remonte  à  vingt  ans  à  peine.   Elles 
naquirent  au  coin  de  la  Chaussée-d'Antin  et  de 
la  rue  Lafayette.    C'était  alors  une  toute    petite 
maison,   une    boutique    miniature,    qui    vendait 
quelques  articles  de  modes,  de  menus  objets  de 
toilette  féminine,  des  rubans  et  des  voilettes  par- 
ticulièrement;  elle  n'ambitionnait  même  pas  la 
clientèle  des  grandes  dames  du  quartier;  elle  se 
contentait  de  celle  des  midinettes  en  quête  du  mor- 
ceau de  chiffon  dont  elles  se  parent  adroitement- 
de  celle  de  la  petite  ouvrière  qui  ne  paie  pas  cher 
la  fleur,  rose  ou  bleuet,  ornant  son  chapeau.  Le 
nombre  des  acheteurs  grossissait  peu  à  peu.  La 
réussite  se  dessinait,   grâce  à  la  coquetterie  de 
l'étalage,  et  aussi,  il  faut  bien  le  dire,  à  la  qualité 
des  marchandises  vendues. 

C'est  alors  que  le   petit  commerçant  du  n^  1 
sentit  germer  Tambition  dans  son  cœur.  11  créa 


d'autres  rayons,  s'adjoignit  chemisettes  et  pei- 
gnoirs. Oh!  il  était  trop  prudent  pour  envisager 
la  grande  confection!...  Il  y  songea  plus  tard... 
quand  il  vit  que  la  clientèle  élégante  franchissait 
volontiers,  elle  aussi,  à  l'occasion,  le  seuil  de  sa 
boutique.  Nécessité  fait  loi.  L'importance  de  la 
maison  de  commerce  s'accentuait;  celle  des 
rayons  devait  croître  parallèlement;  c'est  ainsi 
qu'un  beau  matin,  on  put  voir,  à  la  devanture, 
des  articles  touchant  à  la  toilette  des  femmes. 
Surprise!  On  offrait  des  robes  toutes  faites!... 

La  petite  boutique,  il  est  vrai,  s'était  amplifiée 
déjà;  elle  avait  un  instant  compris  tout  le  rez-de- 
chaussée  de  l'immeuble;  elle  s'étendait  à  présent, 
aux  divers  étages.  Elle  avait  mué  en  magasin. 
C'est  ainsi  que  fut  acquise,  par  la  force  des  choses, 
la  maison  voisine,  len^  3.  Oh!  il  était  impossible 
encore  d'utiliser  les  locaux  tous  à  la  fois.  Qui  veut 
aller  loin,  ménage  sa  monture.  La  sagesse  des 
nations  est  également  celle  des  commerçants.  Et 
puis,  il  fallait  attendre  que  les  baux  des  locaux 
prissent  fin...  Quand  ce  fut  nécessaire,  les  départs 
s'activèrent  à  coup  d'indemnités. 

C'est  alors  que  se  dessina  une  espèce  d'hésita- 
tion. Pour  grandir  encore,  il  fallait  s'étendre  sur 
la  Chaussée-d'Antin  !  Bien  sûr.  Mais  la  concur- 
rence était  là,  qui  veillait,  apportant  bientôt  des 
entraves.  Notre  petit  commerçant,  qui  était  devenu 
moyen  commerçant,  n'hésita  pas  :  il  franchit  la 
rue  et  eut  boutique  nouvelle  de  l'autre  côté. 
Audaces  fortuna  j'uvat.  Et  il  eut  raison.  C'était  en 
1899,  lors  de  la  formation  des  Galeries  Lafayette 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


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o.nKn  '''  ^^'^'*'  anonyme,  au  capital  de 
f.mO  actions  de  lûQ  francs,  ce  qui  faisait 
2.30Û.0ÛÛ  francs.  '  ^ 

Depuis,  quel  chemin  parcouru!...  La   Société, 
aujourd  hui,  est  au  capital  formidable  de  40  mil- 

or'.n^  ^'^^^^'   ^^^^^  en  plus,  une  émission  de 
^0  millions  de  francs  d'obligations.  Le  chiffre  d'af- 
taires,  en  quinze  ans  d'exjstence  véritable  etd'ef- 
iorts  soutenus,  est  monté  de  un  à  cent  cinquanH 
millions.    L'entreprise  s'est   classée,    d'un   coup', 
au   rang  des  grandes   entreprises    commerciales. 
Leschillres  subjuguent;  ils  projettent  une  lumière 
éclatante  sur  les  années  d'espérance  et  de  lutte 
au  bout  desquelles  souriait  l'attrayante  chimère, 
la  Victoire,  pour  parler  juste! 

Il  vous  semble  que,  pour  réunir  un  capital  aussi 
formidable,  il  faille  un  nombre  d'actionnaires  si 
grand,  qu'il  était,  ce  nombre,  impossible  à  trouver'? 
Hirreur.   Mais   la  confiance  était  nécessaire.   Elle 
régnait.  C'est  ainsi  que  la  souscriptipn  s'effectua 
sans  qu  il  fût  utile  de  sortir  du  milieu  des  action- 
naires primitifs.  Et  le  magasin  d'hier  devint  toute 
une    ville.    La    maison  se   métamorphosa,  pour 
ainsi  dire,    en    l'important    îlot    immobilier    qui 
s  étend  entre  les  mes  de  Mogador,  de  Provence, 
de  la   Chaussée-d'Antin  et  du  boulevard  liauss- 
mann.  Les  dixmètrps  carrés  de  la  boutique  d'au- 
trefois s  effacent   très   humblement  dans   les  dix 
mille   mètres  carrés  actuels,  à  peine  suffisants  à 
1  exploitation.  Quel  esprit,  devant  la  grandeur  de 
1  œuvre  colossale,  n'est  pas  enclin  à  l'admiration 
la  plus  sincère? 


\m    GRANÇ^S   MAGASINS 


23 


Désormais,  le  rôle  d^^  Galeries  Lafayette  est 
définitif.  Elles  serviront  au  déyeloppem^nt  d^  la 
n:^Qde;  elles  preqçJront  une  allure  essentiellemeiit 
parisienne,  ((  un  chic  ^  i^discuts^ble  qui  rapppil^r-a 
la  joliesse,  la  grâce,  la  beauté  sous  tou^  se^ 
aspects,  soqs  toutes  s^s  forpies  et  soqs  toutes  ses 
couleurs.  P^vis  règne  ^ur  le  mQpde  p£^r'  ^es 
richesses  et  sou  bon  goût...  L.a  Nouvpç^uté  connaît 
désormais  un  essor  mondicil  en  qvioi  réside  incon- 
testablement les  causes  de  %.m,  ïnuUiples  transfor- 
mations. C'est  par  le  fait  d'efforts  s^mblc^hlcs  que 
le  chiffre  de  no^  ej^portations  s'accroît  dfe  pins  en 
plus.  L'exeniple  est  ^nivi  par  les  concurrent^,  les 
initiatives  se  multiplient,  leg  objets  ^ont  dfi  plw9 
en  plus  jolis,  de  pjlus  en  plus  enviables,  c|an3  Icnr 

ensenable  ;  ils  suivant  toujours  davantage  le  goût 

dans  ses  évolutions.  Le  magasin  qui  vendait  seu- 
lenaent  du  classique  géyère,  ton^be  dan^  If^doiflaine 
des  neiges  d'antan  et  de  l'histoire  ancienne.  Ce 
qu'il  faut,  ce  sont  les  coupoles,  élancées,  las 
immenses  baies  lunaineusps,  le^,  enluminures  de 
vitraux,  les  conlenr^  chantant  pour  les  yeux  lewF» 
réjouissantes  harnioni^s...  Ce  qn'ii  faut,  c'est  le 
confort  moderne,  ta  inmière  et  l'espace  ;  des  tapis 
pour  les  pieds,  des  ascenseurs  pour  les  jambes 
paresseuses!  Enfanter  une  oeuvre  qui  soit  comme 
un  impérissable  monument  ^.  la  gloire  du  com- 
merce intérieur  et  à  celle  de  la  renommée  fran- 
çaise, qui  s'accommode  ^i  bien  de  la  ceinture  dorée  : 
voilà  le  but!...  Cette  o?wvre,  colossale,  existe; 
elle  est  due  à  un  homme  qui  est  devenu  une  des 
personnalités  les  plus  en  Yue  du  monde  commer- 


> 


24 


LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LES  GRANDS  MAGASINS 


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cial,  parce  que  la  nature  Fa  doué  d'une  puissance 
de  travail  énorme,  d'un  esprit  d'assimilation  véri- 
tablement universel,  grâce  auquel  il  est  la  plus 
remarquable  synthèse  des  hommes  d'affaires  de 
notre  époque. 

Vous  tous  qui  peinez  et  rêvez  d'un  avenir 
souriant,  vous  avez  en  cet  homme  un  modèle  que 
le  succès  n'a  pas  grisé  et  qui  ne  s'endormira 
jamais  sur  ses  lauriers.  Comme  autrefois,  vous 
le  trouverez  le  premier  à  la  besogne  ;  vous  l'y 
trouverez  aussi  le  dernier,  ne  prenant  jamais 
de  vacances,  s'occupant  de  mille  détails,  qu'il 
s'agisse  des  catalogues  et  de  leurs  dessins,  des 
modèles  et  de  leur  choix,  ou  des  rouages  variés 
que  compose  le  personnel. 

Il  serait  injuste  de  dire  que  les  150  millions 
d'affaires  d'avant-guerre  ne  sont  pas  aujourd'hui 
multipliés,  en  raison  de  l'augmentation  du  prix 
de  tout,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  en 
raison  de  la  diminution  de  la  valeur  de  l'argent. 
Et  l'on  doit  dire  aussi  que  les  bénéfices  n'ont  pas 
forcément  subi  la  même  multiplication,  à  cause 
des  charges  dont  le  personnel  grève,  de  plus  en 
plus,  les  entreprises.  Néanmoins,,  le  résultat  est 
absolument  typique;  il  a  été  favorisé,  il  faut  bien 
l'avouer,  par  des  liens  étroits  entre  le  Directeur, 
la  Bourse  et  la  Haute  Banque;  mais  enfin,  le 
résultat  est  là,  et  c'est  bien  l'essentiel. 

Le  type  des  grands  magasins  était  connu,  puis- 
qu'ils datent  de  1850.  11  n'y  avait  qu'à  imiter;  et 
les  gérants,  ayant,  comme  rémunération,  un  pour- 
centage des  bénéfices,  parleur  dévouement,  leurs 


^ 


11 


efforts,  aidèrent  à  la  prompte  multiplication  des 
rayons  et  à  la  progression,  aussi  constante  que 
rapide,  du  chiffre  d'affaires.  On  aperçoit,  par  là, 
que  M.  Bader  n'est  pas  un  patron  dans  toute  l'ac- 
ception du  terme.  Le  véritable  patron,  c'est  le 
capital  souscrit  par  des  financiers  et  des  rentiers, 
pour  qui  les  bénéfices  des  entreprises  similaires 
étaient  les  appâts  les  plus  tentants. 

Faire  des  Galeries  Lafayette  le  palais  de  la 
femme,  dans  notre  époque  de  décomposition  mo- 
rale et  sociale,  fut,  commercialement,  une  idée 
heureuse.  Une  certaine  clientèle  avait  des  besoins, 
elle  a  trouvé  à  les  satisfaire,  rien  de  mieux;  ce 
n'est  pas  nous  qui  ferons  grief  aux  Galeries  La- 
fayette d'aider  au  gaspillage  familial,  en  répan- 
dant le  goût  insensé  du  faux  luxe  et  l'excitation 
des  désirs  malsains.  Cela  a  de  lointains  rapports 
avec  la  morale,  peut-être,  mais  cela  n'en  a  point 
du  tout  avec  le  point  de  vue  commercial. 

Au  reste,  il  faut  bien  convenir  de  ce  que,  si  les 
vices  sociaux  servent  au  développement  des  grands 
magasins,  ils  n'y  concourent  point  seuls.  Les 
qualités  commerciales  ont  une  influence  plus 
grande  encore.  Les  expositions  de  blanc  attirent 
aussi  bien  les  coquettes  que  celles  qui  ne  le  sont 
pas;  les  occasions  des  soldes  éblouissent  la  mère 
de  famille  la  plus  sérieuse,  tout  autant  que  la 
demi-mondaine  dont  le  porte-monnaie  s'efflan- 
que  tout  à  coup;  les  étalages  séduisent  l'unani- 
mité du  beau  sexe,  et  la  publicité,  abondamment 
distribuée,  sait  capter  jusqu'à  la  clientèle  des  plus 
obscures  concierges,  retirées  au  fond  des  loges. 


i 


26 


LKS   ENTRBI'RISES   MODERfJKS 


LES   OpANDS   MAGASINS 


27 


le  directeur  d'un  grand  magasin,  ^'i\  n'^  pas 
les  brUlfintps  qualités  stratégiques  qui  pourraient 
1  ériger  en  générai  sur  ^^  phamp  de  balailie,  est 
un  chef  tout  de  même.  On  pourrait  dire  un  grand 
chef;  il  commande  à  des  troupes  dont  l'elTeclif 
correspond  h  cplui  d'wne  division.   L'objectif  est 
déterminé;  il  s'agit  de  l'atteindre  dans  \e  pUis  bref 
délai,   avec  le  minimum  d^   risques  —  lisez  de 
pertes,  et  le  mot  est  exact.  G'ost  par  1^  que  s'as- 
sure le  mî^ximum  de  béqéfices.  Le  moindre  des 
efforts  ne  peut  pas  plus  être  dans  l'ombre,  que  le 
plu^  cousidérabje.  îes.  nouveaux  services  ne  doi- 
vent pas  plus  cbômer  que  les  anciens;  les  sous- 
ordres  évoluent  1^  l'iustar  du  patron;  le  travail  di- 
visé assure  la  rentrée  des  fonds,  la  manipulation 
de  ceux  nécessaires  aux  açj^ats;  une  innombrable 
correspondance    se  classe    comme   par  enchan- 
tement;  îa   plus   insigniftante  des  lettres   reçoit 
satisfaction  ;  la  clientèle  va,  vient,  circule,  inter- 
roge, suppute  ;  les  spécialités  p'ont  rien  de  caché 
pour  le  personnel,  qui  en  parle  de  façon  aussi  sa- 
vante que  de  l'article  courant.  Tout  ce  brouhaha, 
au  fond,  c'est  de  l'barmonie,  et  cette  cacophonie, 
cette  bigarrure  de  la  foule  qui  s'empresse,  c'est  de 
la  méthode  et  du  ^ucpès.  Biep  mieux,  on  reprend, 
après  une  livraisou  rapide  eu  vifle,  dans  la  ban- 
lieue et  jusqu'au  fond  des  départements,  les  ar- 
ticles dont  l'acheteur  a  pris  po^ses^ion,  mm  qui 
ne  lui  plaisent  plus! 

Quel  casse-tête  !  Combien  d'entre  non^  fieraient 
capables  de  le  supporter?...  Vraiment,  pour 
exercer  un  tel  métier,  bieu  que  la  machine  semble 


»  ♦ 


s, 


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4 


rouler  toute  seule,  il  ne  faut  pa^  être  le  premier 
yenul  «  Un^  fois  bien  montée,  dites-vous,  on 
n'a  presque  pas  besoin  de  ^'m  occuper.  »  Qui, 
mais  il  fallait  la  paoïitev. 

M.  Ernest  Cogn^i^q,  çivec  les  grands  magasins 
de  la  Sam^ritaiqe,  Çist  le  dojefl  de  c^u^  qw\  oflt 
travaillé,  mais  qui  ont  réussi  d^ns  le  genr^.  Si 
Ton  considère  sa  naissance  et  son  éducç^^tifto,  pu 
conviendra  que  rien  ne  paraissait  le  destiner  d'uue 
façon  plus  particulière  h  sa  haut^  fortune  coui- 
merciale,  qui  fut  moins  rapide  qu^  celle  de 
M.  Bader,  et  qui,  eu  tout  cas,  est  intinimeut  plus 
sûre,  puisque  la  légende  s'est  accréditée  qu'il  y  a 
quelques  années,  le  richissime  propriétaire  de  la 
rue  de  la  Monnaie  avait  tiré  une  épine  sérieuse  du 
pied  de  son  çQucurrent.  11  s'agissait,  tut-il  tlit,  de 
plus  de  200  millions.  Une  paille  \ 

Le  petit-fils  du  bijoutier  de  la  Rochelle,  qù  il 
naquit  en  184Q,  passe  à  juste  titre,  croyons-nous, 
pour  la  puissance  d'argent  la  plus  considérable, 
après  M.  Gaston  Menier.  Celui-ci,  avant  la  guerre, 
avait  large n^ent  dépassé  le  milliard  ;  celui-là  était 
tout  près  de  l'atteindre.  Si  la  prédiction  en  ayait 
été  formulée,  alors  qu'il  accomplissait  ses  études, 
grâce  à  une  bourse,  —  il  n'y  a  pas  de  hontes  à 
l'avouer,  —  au  petit  Sémin^^irc  de  Pons,  Qù  il 
resta  jus(ju'à  quatorze^  ans,  il  n'eût  pu,  certaine- 
ment, en  croire  ses  oreille^. 

Commerçant?  Certes,  il  s^  doutait  qu'il  le  serait 
un  jour,  car,  très  jeunçi,  il  se  montrait  disciple 
avisé  de  Mercure,  et  certains  de  ses  conteuiporains 
qui  Font  connu»  proçlannent  que  c'était  du  génie, 


28 


LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LES  GRANDS  MAGASINS 


29 


—  peut-être  parce  qu'il  a  réussi.  On  a  toujours  du 
génie  lorsque  Fadversité,  loin  de  frapper  à  votre 
3orte,  la  fuit,  pour  ne  point  troubler,  à  votre  seuil, 
a  fortune  qui  s'y  est  installée.  Le  jeune  Cognacq 
transformait  son  pupitre  et  l'armoire  du  vestiaire, 
en  magasin  d'appareils  photographiques  qu'il 
achetait  à  leur  prix,  naturellement,  mais  qu'il  ne 
revendait  pas  à  perte,  aux  touristes  qui,  d'aven- 
ture, s'avançaient  en  ces  parages. 

De  longues  années  s'écoulèrent  ainsi.  M.  Ernest 
Cognacq,  un  beau  jour,  comme  ses  camarades, 
atteignit  la  trentaine.  Seulement,  il  avait  pu  réa- 
liser un  rêve  :  amasser  un  petit  capital.  Il  allait 
pouvoir  en  réaliser  un  autre  :  venir  à  Paris,  que 
ne  cesse  de  régénérer  la  province. 

Il  loua,  rue  du  Pont-Neuf,  un  magasin  minus- 
cule dans  lequel  il  vendit,  non  plus  des  appareils 
photographiques,  mais  des  étoffes.  La  boutique 
était  louée  au  mois.  Les  ressources  ne  permet- 
taient pas  autre  chose,  et  notre  commerçant  con- 
naissait le  proverbe  :  On  ne  s'embarque  pas  sans 
biscuit.  En  outre,  voulant  aller  loin,  il  ménageait 
sa  monture,  comme  on  dit. 

L'année  suivante,  1870,  fut  une  année  de  mal- 
heur pour  nous,  mais  une  année  de  bonheur  pour 
lui.  Sa  bourse  lui  permettait  de  prendre  la  bou- 
tique à  bail!  Deux  ans  plus  tard,  il  possédait 
10.000  francs.  N'était-ce  point  la  possibilité  d'en- 
trer en  ménage?...  Mademoiselle  Jay,  «  première 
au  rayon  de  confection  du  Bon  Marché,  »  devint 
madame  Cognacq,  en  apportant  une  dot  de  vingt 
billets  de  mille,  approximativement. 


Il 


1871.  Année  plus  douloureuse  encore  que  la 
précédente  pour  notre  pays,  mais  année  plus  heu- 
reuse encore  que  la  précédente  pour  M.  Cognacq. 
La  boutique  de  la  rue  du  Pont-Neuf  s'est  méta- 
morphosée; ce  n'est  déjà  plus  une  boutique;  c'est 
un  magasin;  ce  n'est  même  pas  un  petit  ma- 
gasin, mais  un  moyen  magasin,  un  magasin  hono- 
rable, où  une  bonne  dizaine  d'employés  gravitent 
autour  du  comptoir.  Chaque  mois,  en  passant, 
affirme  un  peu  plus  de  vogue;  les  employés 
s'ajoutent  aux  employés  ;  les  centaines  de  milliers 
de  francs  s'additionnent  aux  centaines  de  milliers 
de  francs  et  constituent  un  chiffre  d'affaires  qui 
atteint  près  du  million,  trois  ans  plus  tard,  exac- 
tement. Les  millions  s'additionnèrent  aux  millions, 
comme  les  centaines  de  milliers  de  francs  s'étaient 
additionnées  aux  centaines  de  milliers  de  francs. 
Peu  à  peu,  la  boutique  primitive  devient  un  pâté 
de  maisons,  si  bien  qu'en  1906,  une  annexe  est 
nécessaire.  On  la  construit.  Le  chiffre  d'affaires 
dépassait  alors  100  millions.  Il  ne  cesse  de  s'ac- 
croître. Nul  ne  peut  prévoir  quelle  en  sera  la  limite. 
M.  Cognacq  en  est  revenu  à  ses  premières  amours 
commerciales;  il  vend  de  nouveau  des  appareils 
photographiques;  il  ne  vend  pas  que  cela  ;  il  vend 
de  tout;  de  tout.  En  1914,  il  ouvre  un  comptoir 
d'alimentation.  La  première  année,  ce  comptoir 
réalise  400.000  francs  d'affaires;  l'année  suivante, 
il  en  réalise  pour  quelques  millions  ;  dès  la  troi- 
sième année,  plus  de  14  millions  y  sont  dépassés. 

M.  Cognacq  dort  sur  ses  lauriers.  Il  se  repose, 
croyez-vous.  Quelle  erreur  !  Ni  monsieur,  ni  ma- 


^1 


30 


LES    ENTREt>HlSÈS    MODEÏiNES 


LES    GRANDS   MAGASINS 


dame  Cognacq  n'ôtit  cesSé  de  diriger  en  personne 
leur  entreprise;   à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  ils 
irlohtreht  ehcOfe  l'eiërWple  du  travail  fet  de  là  per- 
sevét-ahce.  Ils  n'oht  troUVë  dfe  là  joie  quë  dans  le 
labeur  qui  leui- donna  la  fëUssîte.  Ils  rie  iriUirbnt 
de  la  vie  jamais;  -jamais  autrement  qu'ils  n'en 
ont  JOUI.  Les  épicuriens  èourieut  et  les  paresâeux 
n  eh  reyienUfeni  pas    La  vaillante  cbmmei-ciale  du 
hls  du  bijoutief  de  la  Rdehellë  fest  intacte  ;  elle  lui 
fait  bi^Vfer  les  ertUniè  inévitables,  sUrtoUt  pdf  ces 
temps  de  lutte  contre  les  nie^câhtis  ;  lés  articles 
de  J^Urri^u*;  les  rapports   fcbt-së^   à  îa  Ghàtabre 
«tes  députes,  et  qui  vbulteht  déhOhbei-  d'èi  âéan- 
dales,  Ibs   sais.èâ    de  comptabilité,   n'ëtaëUvéht 
pomt  le  couple  qui,  après  tout,  y  trOuve   peut- 

?^  ""!  fPf.J'^»'^«^^c'e.  -  la  jouissante  supé- 
rieure et  definilive  qui  rie  les  éttipôbhe  poirit  de  se 
faire  appeler,  de  temps  à  auti-te,  «  Garnégies  ffan- 
çâis.  5)  M.  COgnacq,  qui  n'hésité  pas  à  inter\?ënit- 
en  personne  quand  une  athéteuse  fait  l'emplette 

hL'î'i?!  ''"'  t  ^'"^  '^^^  d'aiguiiles,  mérité 
Biéri;  apt-ès  tout,  l'honnéur  qu'on  lui  fait  et  l« 
confeidërdtion  qu'on  lui  donne. 

Son  histoire,  au  fohd,  nous  démontré  tîuë  l'ar 
^bnt  dépensé  pour  attirer  lé  publib,  ri'ësl  pas  de 
1  ai-gent  pbfdu  ;  elle  noué  démOnti-ë  aussi  ddé  si 
le  public  a  l'habitude  de  franchir  une  BOfte  il' ne 
perd  pas  aisément  cette  habitude.  Dans  Une  grande 
cité  corhme  Paris,  la  foule  prend  les  aspects  dés 
vagues  de  1  océan;  il  s'y  détermine  des  cOuraUts. 
comme  dans  les  mers  ;  le  tout,  c'est  dé  savoir 
attlfér  ces  courants  vers  la  maison  de  commerce 


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31 


que  Vôh  dîHgé,  —  Û,  au  bëâôiii,  de  les  faire 
naître.  Dans  cet  ordre  d'idées,  il  serait  irtjusle  de 
passer  sbUs  silence  TtieuVrë  dies  autres  virtuoses 
dont  l'odyssiéé  t-eââerhblte  &  dei  fcoht'es  de  fëës,  où 
des  héros  firent  la  conquête  de  V<Sv  avec  une  mise 
de  fonds  qui  se  IrésUUiait  dans  TâUdacé,  daris  Ves- 
prit  d'initiative^  dans  riutëlligence,  dahs  l'énergie, 
pour  l'application  d'iitie  idée  nôUvëllë. 

Tout  lé  rtidudé  bohhaît  le  rtorh  d'Alffted  Chau- 
chard^  lé  fohdâteùr  dés  tîiagasihâ  dU  LouVre.  Il  au- 
t-ait  cent  àU^  l'année  prôthàine.  —  Les  patriarches 
oUt  vécU  davantage  ;  ChëvréUl  auàêi.  —  La  carrière 
ëôintnércialé  lé  pHt  à  qliirlÉëanâ;  sbh  athbition, 
paraît-il,  eût  été  dé  cohtmuér  âés  étUdës,  dé  les 
terUiihél-d'tihè  façon  brillarile,  c'èst-â-dirë,  feothmè 
tout  le  monde,  par  l'obtentloil  dé  di^lôiiies  parfois 
inutiles  et  s'ôliVfeUt  Ubiâibleà.  Ils  éUâséiit  pëUt-êtrfe 
été  nùiâlbles  Au  jëuUë  Chauchard  ëU  ce  qu'ils 
eusseUl  pu  lUî  doUher,  de  lUî-Uièhie,  uhe  bpirtlon 
que,  certes,  il  U'iàVaitpas...  Là  |)rétention,  le  faux 
savoir,  risquaient  alors  d'en  faire,  èoil  UU  âvô'càt-, 
sôil  Uri  officier,  soit  un  hoUime  de  lettres,  soit... 
liU  t-ohd-dë-cuîf  de  pUisfeaHlé  fet  fainéante  àdttti- 
riiêtraliDU.  Ce  qui  fait  le  iliàlhëUt*  de  l'Un  h'obca- 
Sîôhne  |)àâ  tÔUjôùi-^  lé  iiiàlhëur  de  l'aUtre;  lia 
prëUvë  en  est  quë^  ce  qUë  beaUcOUp  eussent  cbti- 
sidérë  pour  eux-mêmeis  comrtte  Uue  catastrbphé-, 
n'ëU  était  point  Une  poUr  Chauchard.  Il  se  ptè- 
paria  au  rude  travail  ël  dêviUt  employé  aU  mà^- 
siu  du  Pauvre  diabi'éy  —  un  nom  symbbliqUe, 
pour  l'époqUé  et  pour  Chauchard,  dU  molttâ^  — 
auk  appointements  de  100  francs  par  mois. 


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i^^wg^awLi.  j... 


32 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Les  choses  prennent  de  la  relativité  lorsque  le 
temps   et  Fespace  les  séparent.   Les    100   francs 
d'alors,  —  on  était  en  1836  —  correspondaient 
allègrement  à  1.000  francs  d'aujourd'hui.   Enfin, 
bref,  dix-sept  ans  plus  tard,   Chauchard,   qui  dé- 
passait la  trentaine,  avait  mis  40.000  francs  de 
côté;  l'amour    de  la  brocante  l'avait    gagné  et, 
lui,  il  avait  gagné  son  argent  —  un  autre  amour! 
Cependant,    pour    se  rendre    indépendant,   pour 
s'installer  à  son  compte,  et,  dans  ce  cas,  bien  faire 
les  choses,    qu'était-ce  que  40.000  francs?  Bien 
peu,   assurément.   Tout  au  plus,  400.000  francs 
de  notre  époque.   Mais  Chauchard  possédait    en 
plus  un  don  précieux  :  l'éloquence.  Ce  n'est  point 
de  la  monnaie  sonnante,  mais,  à   l'occasion,  elle 
est  fort   susceptible  de  s'y   convertir.   Elle  aide 
à  convaincre  ceux  que  Ton  rencontre  ;  elle  force 
à  nous  écouter  les  gens  les  moins  attentifs  ;  elle 
délie,  finalement,  les  cordons  des  bourses  les  plus 
hermétiques,  et  provoque,  quelquefois,  des  accès 
de- générosité.  Chauchard  en  connut  les  bienfaits. 
Il  s'associa  avec  M.  Hériot,    chef  de  rayon  aux 
magasins  de  la  Ville  de  Paris,  avec  lequel  il  avait 
noué  quelques  relations  sous  Tinfluence  du  rasoir, 
de  la  tondeuse  el  du  schampoing;  ce  qui  démontre 
Futilité  du  coiffeur  pour  ceux  qui  sont  les  assidus 
de  son  salon,  ouvert  à  tout  venant.  Mais,  si  leur 
capital  espoir,  savoir-faire  et  volonté,  était  consi- 
dérable, leur  capital  réel  l'était  moins;  pour  le 
grossir,  ils  s'adjoignirent  un  M.   Faret  qui,    avec 
confiance,  leur  apporta  100.000  francs. 
Débuts  pénibles  !  Les  difficultés  de  toutes  sorte» 


LES   GRANDS   MAGASINS 


33 


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surgirent;  les  bénéfices  étaient  inappréciables,  au- 
tant dire  nuls.  M.  Faret  s'effara,  et,  en  18S4,  se 
retira  de  l'aventure.  C'était  le  coup  dur;  mais  un 
coup  dur  se  supporte  comme  un  autre,  quand  il 
le  faut.  Chauchard  prépara  son  boniment,  prit  son 
courage  à  deux  mains,  —  peut-être  celui  que 
donne  le  désespoir  —  et  s'en  alla  trouver  le  plus 
riche  banquier  de  l'époque,  M.  Péreire. 

—  Je  vous  demande,  lui  dit-il,  de  me  louer  une 
partie  des  vastes  immeubles  que  vous  venez  d'édi- 
fier en  face  du  palais  du  Louvre! 

C'était  «  du  culot.  »  Péreire,  ne  jugeant  point 
mauvaise  l'opération,  écouta  Chauchard,  qui  le 
persuada;  il  lui  céda  à  bail  vingt  mètres  de  façade 
sur  la  rue  de  Rivoli,  vingt  mètres  sur  la  rue  de 
Marengo,  dix  mètres  sur  la  rue  Saint-Honoré.  Ce 
furent  les  magasins  du  Louvre  ! 

La  fortune,  qui  sourit  habituellement  aux  auda- 
cieux, sourit  une  fois  de  plus  à  nos  compagnons 
de  déboires  et  de  veine.  Elle  leur  sourit  tellement 
que  M.  Hériot,  en  mourant,  dès  1879,  laissa 
70  millions.  Il  y  a  dix  ans,  les  actions  du  Louvre, 
émises  à  S. 000  francs,  rapportaient,  chacune, 
annuellement,  20.000  francs  I  M.  Chauchard, 
qui  vécut  jusqu'en  1909,  laissa  à  des  héritiers 
fameux,  non  par  leur  parenté  avec  Tillustre  com- 
merçant, mais  par  leurs  qualités  et  leurs  noms  po- 
litiques, une  somme  de  250  millions,  qu'ils  se 
partagèrent,  —  naturellement.  A  l'Etat,  M.  Chau- 
chard légua  sa  collection  de  tableaux,  estimée  à 
plus  de  30  millions! 

Pour  gagner  de  l'argent  quand  on  en  dépense 


I 


^ 


34  LES   ENTREPOSES   MODERNES 

beaucoup  ou  quand  les  affaires  ne  vont  pas  très 

hLnTl  faut  savoir  relever  discrètement  les  pnx 

n^^santlrS^e  au  public  que  la  -f  -  ^  est 

avantageuse  et  écoulée  au.  ^^^^^7;/^  ^^^j  ^'f^ 
C'est  là  le  grand  rôle  qu'ont  à  jouer  les  .  occasions  _> 
Elles  masquent  la  réaUté   ma.,   pas  a  te    po  nt 
cependant;  puisque  les  cUents.  f  J^;-^'  f  J^  ^^ 
rendent  un  compte  cKact  de  la  valeur  des  choses 

envahissent  les  magasins  de  ^P^«*^^^f,  'J^^J^^^^ 
diaires  entre  le  grand  magasm  de  «o'^veautés  et 
le  petit  détaillant-,   là,  la  plupart  du   temps,  ils 
trouvent   plus   de   choix,  à  des  prix   égaux   ou 
très  peu  supérieurs.  C'est  ce  qm  explique  la  pros- 
pecté des  éUissements  installés  dans  l'ambiance 
de  ces  grandes  maisons  qui  ont  les  moyens  d  ap- 
peler à  elles  la  foule,  par  l'attrait  de  leur  clinquan 
Sa  sonorité  des  échos  qu'éveille  une  savante  et 
large  publicité,  laquelle  paie,  en  outre,  les  bien- 
veillances de  la  presse.  R^.,^ip«„f 
Le  doyen  de   ces  grands  hommes.  Boucicaut. 
connut  la  même  vie  agitée  dans  ses  origmes  mo- 
destes.  Il  était  né  à  Ballème,  dans  le  département 
de  l'Orne,  en  1810.  A  dix-huit  ans,  il  était  torain. 
Il  déballait  sous  la  tente,  sur  les  marches  du  chet- 
lieu  de  canton  de  la  région,  des  marchandises  de 
toutes  sortes  :  des  occasions  !  Après  sept  ans  de 
ce  métier  plus  ou   moins  nomade,  Aristide  Bou- 
cicaut sentit  les  aspirations  naître  en  ui  ;  Pans  qui 
le  fascinait  le  prit,  le  conquit.  Une  place,  dans  un 
magasin  de  nouveautés,  lui  assura  son  assiette, 
au  propre  et  au  figuré;  comme  il  avait  des  apti- 
tudes, il  devint  rapidement  chef  de  rayon. 


LES   GRANDS   MAGASINS 


35 


—  Chef  de  rayon  ?  dit-il.  Peuh  !  qu'est-ce  que 
cela?  Rien,  puisque  je  n'ai  ni  l'indépendance,  ni 
tous  les  fruits  que  mon  travail  est  susceptible  de 
me  donner. 

Il  résolut  de  s'établir  à  son  compte,  et,  comme 
l'association,  quand  elle  est  sérieuse  et  bien  étu- 
diée, double  les  ressources  de  l'individu,  si  elle 
ne  les  multiplie,  Boucicaut  s'associa  à  un  ami  et 
fonda,  en  1852,  à  l'angle  de  la  rue  du  Bac  et  de  la 
rue  de  Sèvres,  le  Bon  Marché,  alors  tout  petit 
magasin;  magasin  moins  que  boutique.  Une 
veilleuse  qui  baigne  dans  l'huile  et  qui  fume 
attire  moins  de  papillons  qu'une  lampe  électrique. 
Clientèle  clairsemée.  Affaires  médiocres.  Les  tem- 
Dêtes  quotidiennes;  les  caps  jamais  doublés  ;  le 
abeur,  l'incertitude,  la  ruine  au  bout.  Quelles 
perspectives!  Comment  surmonter  toutes  ces  dif- 
ficultés? Comment  les  vaincre?  On  sait  le  trait  de 
génie  d'Emile  Menier,  le  père  de  Gaston  Menier  : 
il  consista  à  dire,  en  souriant,  devant  des  stocks 
de  chocolat  qui  moisissaient  : 

«  Le  chocolat  Menier,  le  nneilleur,  puisque,  le 
seul  qui  blanchisse  en  vieillissant!  » 

La  fortune,  c'est  souvent  un  mot,  une  phrase, 
une  formule,  à  condition  que  le  mot,  la  phrase 
ou  la  formule,  expriment,  sinon  une  idée,  dans  le 
sens  absolu,  mais,  du  moins,  quelque  chose  de 
neuf.  Boucicaut,  lui,  proclama,  en  face  du  néant 
de  sa  caisse  : 

«  La  marchandise,  ayant  cessé  de  plaire,  est 
remboursée!  » 

Voilà  bien  le  trait  de  hardiesse  et  de  génie  I  La 


r 


5 


II 


M 


36 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


réputation  du  vendeur  se  répandit  de  rue  en  rue, 
de  quartier  en  quartier;  cette  innovation  jeta  des 
quantités  de  femmes  dans  la  boutique;  elles  s'y 
pressaient  comme  sardines  en  boîte,  et,  plus  elles 
s'y  pressaient,  plus  il  en  venait;  du  matin  au  soir, 
c'était  la  même  cohue;  la  boutique  eût  été  ouverte 
la  nuit,  qu'on  y  fût  venu  des  quatre  points  de 
Paris.  Il  fallut  f  agrandir. 

L'associé  de  Boucicaut  frémit  jusque  dans  les 

moelles. 

—  Agrandir!...  Penses-tu,  Aristide?... 

Et  ses  nuits  se  peuplaient  de  cauchemars.  Son 
rêve,  c'était  la  petite  boutique  pleine,  toujours 
pleine.  L'architecte,  l'entrepreneur,  ne  lui  disaient 
rien  qui  vaille  ;  ils  symbolisaient  le  spectre  de  la 
misère,  de  la  ruine,  dans  la  satisfaction  d'une  am- 
bition démesurée.  Le  pauvre  homme  était  né  pour 
être  petit  commerçant  et  pas  autre  chose  :  effrayé, 
apeuré,  il  se  retira  en  1863. 

—  Puisque  je  suis  seul,  se  dit  Aristide,  c'est 
bien  le  moment  de  mettre  les  bouchées  doubles  1 

En  avant! 

De  1869  à  1872,  l'immense  bâtisse  du  Bon 
Marché  moderne  fut  édifiée.  Elle  occupa  plus  de 
6.000  employés,  brassa  des  millions.  En  1877, 
Boucicaut,  en  mourant,  laissa  une  fortune  de  plus 
de  100  millions;  sa  veuve  divisa  le  capital  repré- 
senté parle  Bon  Marché,  en  400  actions  de  50.000 
francs  chacune,  et  en  donna  «  gratuitement  » 
150  à  son  personnel,  en  lui  laissant  les  plus  grandes 
facilités  pour  acquérir  le  reste.  Elles  furent  divisées 
en  huitièmes,  et  les  huitièmes  rapportaient  plus 


LES    GRANDS    MAGASINS 


37 


> 


de  3.000  francs  par  an  avant  la  guerre.  Le  Bon 
Marché  est  devenu  une  espèce  de  coopérative  ;  la 
machine  était  bien  montée  ;  elle  marche  en  raison 
de  la  vitesse  acquise;  mais  un  peu  de  poussière 
tombe  déjà  sur  les  rouages  ;  on  verra  si  le  mé- 
canisme doit  garder  toute  son  exactitude. 

La  réputation  de  chacune  de  ces  grandes 
maisons  a  franchi  les  mers.  La  clientèle  s'étend 
jusqu'en  Amérique.  Et  pourtant,  que  sont  nos 
grands  magasins,  en  regard  des  grands  magasins 
des  importantes  cités  des  Etats-Unis!  Le  nombre 
des  employés  du  Louvre,  du  Printemps,  du  Bon 
Marché  ou  des  Galeries  Lafayette,  est,  là-bas, 
largement  dépassé,  et  même  de  quelques  milliers. 
Quant  aux  innovations  de  M.  Gognacq,  et  rela- 
tives à  l'adjonction  de  ralimentalion  à  la  nou- 
veauté, elles  semblent  pales  à  côté  de  celles  de 
ses  confrères  américains.  Ceux-ci,  en  effet, 
vendent  tout  ce  que  vendent  M.  Gognacq  et 
consorts,  mais  ils  vendent,  en  plus  des  cigarettes, 
des  côtelettes,  des  singes  ou  d'autres  pension- 
naires de  ménagerie. 

On  entrevoit  d'ici  le  succès  d'un  rayon  des 
tabacs  à  la  «  Samar  »,  par  ces  temps  de  crise! 
L'embargo  de  l'Etat  nous  a  empêchés  de  voir  ça. 
Et,  si  nous  avions  pu  le  voir,  nous  n'aurions  pas 
eu  la  crise.  On  n'a  bien  pas  connu  celle  des  petits 
pois  !  Gela  prouve  la  supériorité  des  hommes 
comme  Gognacq  sur  tous  les  ministres,  même 
ceux  de  nos  malheureuses  Finances  publiques. 

Nous  nous  américaniserons.  Mais  lentement. 
Ainsi,    en  dépit   de  la    mauvaise  réputation   des 


il 


38 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


LES    GRANDS   MAGASINS 


39 


bouchers,  parmi  les  consommateurs,  on  serait 
volontiers  tenté  de  trouver  des  rayons  de  bouche- 
rie dans  nos  grands  magasins,  comme  les  Yankees 
en  trouvent  dans  ceux  de  New- York.  Ces  rayons 
ne  seraient,  certes,  pas  les  moins  fréquentés,  par 
les  temps  qui  courent.  Oui,  mais  il  ne  faut  point 
faire  les  choses  à  demi  :  comme  à  la  Siegel  Coo- 
per  Company,  les  rayons  d'alimentation,  s'ils 
étaient  complets,  ou  si,  dans  nos  grands  magasins, 
ils  méritaient  réellement  cette  dénomination,  les 
rayons  d'alimentation,  dis-je,  devraient  s'étendre 
comme  ils  s'étendent  là-bas,  sur  une  grande 
longueur  :  plusieurs  centaines  de  mètres.  Voi- 
sinant avec  l'épicerie,  il  faudrait  des  frigorifiques 
où  s'étaleraient,  sous  vitrines,  les  denrées  les 
plus  diverses  :  fruits,  poissons,  viandes,  salai- 
sons, etc.  La  laiterie  elle-même,  installée  de  la 
façon  la  plus  moderne,  ne  pourrait  faire  défaut; 
on  y  fabriquerait,  par  les  procédés  les  plus  per- 
fectionnés, le  fromage  et  le  beurre  ;  on  vendrait 
aux  cuisines  des  plats  tout  préparés,  et  des 
maîtres-queux,  cuisiniers  habiles  ou  simples 
bonisseurs,  donneraient  des  recettes  aux  clientes 
désireuses   d'en  connaître. 

Ceux  qui  liront  ceci  ne  manqueront  pas  d'ob- 
server : 

«  Mais,  avec  tout  cela,  nos  Grands  Magasins, 
qui  sont  déjà  des  capharnaûms,  deviendront  bien 
plus  encore!  Le  diable  lui-même  n'y  reconnaîtrait 
plus  ses   enfants  1  > 

Evidemment,  si  l'on  tient  compte  de  l'agence- 
ment de  nos  Grands  Magasins.  Mais,  s'ils  étaient 


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installés  à  l'américaine,  il  n'en  serait  point  ainsi. 
Chaque  section,  là-bas,  occupe  un  étage,  parce 
que  les  magasins  sont  en  hauteur,  alors  que, 
chez  nous,  ils  sont  en  longueur  et  en  largeur. 
La  disposition  des  sections  par  étage  est,  évidem- 
ment, la  plus  pratique  :  on  superpose  la  nou- 
veauté, l'habillement,  l'ameublement,  les  anti- 
quités, les  curiosités  artistiques,  la  bijouterie, 
l'horlogerie,  l'alimentation  solide,  l'alimentation 
liquide,  laquelle  a  sa  place  tout  indiquée  dans  les 
sous-sols.  Cela  indique  plus  d'ordre,  plus  de 
méthode.  Mais,  ce  qui  est  possible  là-bas  ne  l'est 
pas  ici.  Il  nous  faudrait  des  gratte-ciels  qui 
détruiraient  les  harmonieuses  perspectives  de 
Paris,  qui  nous  sont  si  familières,  et  que  les 
étrangers  ne  dédaignent  pas.  Cette  impossibilité 
sera  peut-être  à  jamais  la  cause  d'une  espèce  de 
stagnation   économique. 

A  cause  de  l'étendue  que  nécessiteraient  de  tels 
services  ;  à  cause  du  prix  exorbitant  qu'atteint  le 
sol  parisien,  mille  services  utiles  ne  peuvent  être 
agencés  chez  nous  comme  ils  le  sont  à  la  Siegel 
Cooper  Company,  où  les  salons  d'essayage 
figurent  tout  aussi  bien  à  l'ameublement  qu'à  la 
nouveauté.  En  effet,  on  essaye  une  chambre  à 
coucher,  un  cabinet  de  toilette,  une  salle  à 
manger,  un  bureau  de  travail,  comme  on  essaye 
un  pantalon,  un  pardessus,  un  chapeau  ;  il  faut, 
en  effet,  des  pièces  ad  hoc  aux  meubles  ;  les 
murs,  leurs  tapisseries,  sont  comme  des  cadres 
dans  lesquels  on  met  des  natures  mortes.  Cela 
exige  de  l'harmonie.  Chez  nous,  on  achète  à  vue 


^ 


Il  1 1»  !■■  III  mimi 


«■■ 


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LES   ENTREPRISES  MODERNES 


LES   GRANDS   MAGASINS 


41 


I 


de  nez,  on  se  représente  tant  bien  que  mal  ce  que 
cela  donnera.  Nous  avons  cependant  la  réputation 
d'être  le  pays  du  meilleur  goût.  Il  faut  croire 
qu'elle  n'a  pas  été  difficile  à  acquérir.  Pour  s'en 
convaincre,  il  n'y  a,  d'ailleurs,  qu'à  comparer 
l'installation  d'un  intérieur  bourgeois  dans  notre 
pays,  et  l'installation  d'un  intérieur  bourgeois 
dans  la  plupart  des  grandes  villes  étrangères.  On 
'conviendra  rapidement  que  le  confort  n'est  pas 
chez  nous,  ni  le  luxe  non  plus.  Et  c'est  regret- 
table. Les  Grands  Magasins,  qui  ont  eu  sur  les 
tendances  du  public  une  action  heureuse  à  plus 
d'un  point  de  vue,  pourraient  en  avoir  une  bien 
plus  heureuse  encore  en  développant  le  goût  de  la 
foule  qui  les  fréquente. 

Ils  y  tendent,  d'ailleurs;  pour  s'en  convaincre, 
il  n'y  a  qu'à  considérer  leurs  étalages,  où  les 
couleurs  ne  crient  pas,  où  tout  s'harmonise  de 
façon  heureuse,  en  général.  Mais,  montrer  aux 
clients  un  salon  dans  un  cadre  composé  tout 
exprès,  n'équivaut  point  à  le  montrer  dans  le 
cadre  que  Ton  devra  composer,  et  que  l'on 
tapisse,  et  que  l'on  décore,  sur-le-champ,  au 
gré  de  l'acheteur,  qui  juge  de  l'effet  des  choses 
sur  lesquelles  il  fixe  son  attention. 

On  reproche  aux  classes  laborieuses  françaises 
d'avoir  pris  goût  au  poulet,  au  gigot,  aux  pâtisse- 
ries diverses  ;  on  leur  fait  un  cinglant  grief  de  s'être 
embourgeoisées  ;  voit-on,  en  effet,  une  femme  du 
peuple  se  vêtir,  non  pas  à  l'instar  des  marquises, 
mais  décemment,  mais  proprement,  ayant  l'amour 
du  linge  propre  et  des  toilettes  convenables? 


i 


—  Quel  scandale,  ma  chère!  Ces  gens,  ça  ne 
doute  de  rien  !...  Ça  prend  des  bains  trois  fois  par 
semaine!  Comment  ça  pourrait-il  avoir  quatre 
sous  devant  les  mains?  Ça  mange  tout! 

Qu'ajouterait  la  commère,  si  les  gens  du 
peuple  se  mettaient  à  essayer  des  salles  à  manger, 
des  chambres  à  coucher?...  Quel  supplément  de 
«  raffut  »  dans  Landernau  ! 

—  Ça  vit  comme  des  millionnaires  !  Et  ça 
devient  fainéant! 

Nous  avons  beaucoup  à  faire,  ne  nous  le  dissi- 
mulons pas,  pour  nous  mettre  au  niveau  des 
étrangers.  Ailleurs,  on  mesure  moins  parcimo- 
nieusement la  quantité  de  bien-être  à  donner  aux 
travailleurs,  et,  quand  ils  arrivent  à  se  procurer 
ce  bien-être,  on  ne  le  leur  reproche  pas! 

Quand  on  compare  l'armée  du  travail,  aux 
Etats-Unis,  à  l'armée  du  travail  en  France,  on 
constate  des  différences  énormes.  Là-bas,  paie- 
ment considérable,  sobriété,  laconisme,  attention, 
nerfs  calmes  et  pondérés.  L'Américain  mange 
plus  de  viande,  il  absorbe  plus  d'œufs,  plus  de 
sucre  et  de  café  que  le  Français  ;  il  a  des  besoins 
intellectuels  et  professionnels  que  nos  compa- 
triotes ignorent;  il  lit,  il  assure  sa  vie  plus  con- 
fortablement; il  s'amuse  mieux,  il  trouve  le  moyen 
de  consacrer  un  franc  pour  cent  de  son  salaire,  à 
la  charité;  trois  pour  cent  aux  livres  et  journaux; 
davantage  au  chômage,  à  l'amusement,  au 
tabac,  etc.  Et  l'on  dit  de  lui  qu'il  est  le  premier 
ouvrier  du  monde,  —  avec  raison,  d'ailleurs. 

Il  y  a  là  une  différence  d'éducation,  tout  sim- 


il 


> 


il 


42 


LES   ENÏP.EPRISES   MODKRNES 


LES    GRANDS   MAGASINS 


43 


plement.  Eh  bien  !  cette  éducation,  les  Grands 
Magasins  peuvent  contribuer  à  la  donner,  en 
propageant  le  goût  du  luxe,  car  nous  devon» 
partir  de  ce  principe  :  plus  les  ressources  de  Fin- 
dividu  seront  tournées  vers  le  confort,  qui  est 
toujours  le  luxe,  moins  ces  ressources  s'évanoui- 
ront en  alcool,  devant  les  comptoirs  de  zinc;  on 
ne  peut  servir,  avec  des  moyens  médiocres,  après 
tout,  tant  de  maîtres  à  la  fois. 

Cette  simple  parenthèse  montre  bien  le  rôle 
social  que  pourraient  jouer  les  Grands  Magasins; 
ils  le  jouent  déjà,  c'est  vrai,  mais  embryonnaire- 
ment.  Ils  pourraient  l'amplifier.  Que  sont,  auprès 
de  leurs  mérites  réels,  les  petits  reproches  qu'on 
leur  adresse?...  Assurément,  pour  des  gens 
impartiaux,  bien  peu  de  chose  ! 

Les  Grands  Magasins  bien  organisés  augmentent 
Texigence  des  individus,  au  point  de  vue  des 
commodités  qu'ils  doivent  trouver  sous  leurs 
mains,  pour  les  mille  usages  de  la  vie  :  si, 
comme  en  Amérique,  le  public  y  trouvait  le 
moyen  de  ne  point  faire  la  queue  à  la  caisse,  et 
qu'un  système  de  tubes  pneumatiques,  semblable 
à  celui  qu'emploie  la  Banque  de  France  au  visa 
des  chèques,  fonctionnât,  du  vendeur  à  la  caisse 
centrale  où  la  facture  serait  envoyée  avec  la 
monnaie,  le  public  apprendrait  que  le  temps  est 
précieux,  qu'il  n'appartient  à  personne  de  gâcher 
celui  d'autrui;  dans  ce  cas,  il  aurait  du  mal  à  se 
soumettre  à  toutes  les  formalités  des  guichets  de 
nos  administrations;  ses  protestations  s'élève- 
raient si    fort,  que  la  simplification  des  rouages 


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bureaucratiques  serait  bien  obligée  de  s'effectuer. 
Si  Ion  ajoute  à  cela  qu'en  Amérique,  tous  les 
Grands  Magasins  donnent  asile  à  des  bureaux  de 
poste,  de  télégraphe,  de  téléphone,  en  même 
temps  qu'à  un  cabinet  médical,  à  une  pharmacie, 
à  un  grill-room,  à  un  restaurant,  on  conviendra 
que  celui  qui  y  pénètre  n'a  guère  de  raison  d'en 
sortir...  à  moins  que  ce  ne  soit  pour  retourner  à 
son    labeur. 

L'évolution  économique  s'accomplit  de  telle 
façon,  que  nous  verrons  un  jour,  dans  la  capitale, 
il  n'en  faut  pas  douter,  certaines  de  ces  innova- 
tions. 

Nous  disons  dans  la  capitale,  car,  à  l'inverse 
de  ce  qui  se  passe  aux  Etats-Unis,  nos  grandes 
villes  de  province  ignorent  le  Grand  Magasin.  En 
dehors  de  ceux  de  Paris,  il  n'en  existe  qu'un 
nombre  excessivement  restreint;  il  n'y  en  a  pas 
une  dizaine  et  leur  grandeur  est  elle-même  fort 
limitée.  Il  ne  faut  pas  confondre,  en  outre,  ces 
maisons  avec  les  succursales  de  certaines 
sociétés  :  le  Louvre  possède  une  épicerie  :  les 
Comestibles  Terminus;  deux  hôtels  :  l'Hôtel  du 
Louvre  et  celui  du  Palais  d'Orsay;  comme  le 
Bon  Marché  possède  Lutetia,  à  Paris.  Les  suc- 
cursales que  des  firmes  importantes  ont  dans  les 
départements,  n'ont  rien  d'étranger  avec  le  genre 
de  commerce  de  la  maison  principale.  On  trouve 
partout,  dans  nos  centres  principaux,  des  succur- 
sales de  :  Paris-France,  des  Nouvelles  Galeries, 
des  Magasins  Modernes,  des  Magasins  Réunis.  Nous 
aurons  l'occasion  d'y  revenir  au  chapitre  suivant. 


^1 


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44 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES    GRANDS   MAGASINS 


45 


I 


I 


En  résumé,  et  sans  qu'il  soit  besoin  de  s'étendre 
davantage  sur  le  sujet,  les  Grands  Magasins  sont 
nés  de  l'application  d'une  idée  :  la  vente  à  prix 
fixe  et  connu,  ainsi  que  les  ventes-réclames.  Ces 
deux  procédés  révolutionnèrent  le  commerce  de 
détail.  La  vogue  en  naquit,  déterminant  une 
véritable  émulation  entre  les  initiateurs  qui 
surgirent  à  quelques  années  d'intervalle.  Des 
maisons  de  quartier,  elles-mêmes,  ont  suivi  le 
mouvement,  telles  la    Place  Clichy   et  quelques 

autres. 

Le  chiffre  d'affaires  des  dix  firmes  principales 
atteignait  un  milliard  de  francs,  lorsque  la  guerre 
éclata.  Etant  donné  que  le  prix  des  choses  s'est 
multiplié  et  que  leur  consommation  s'est  à  peine 
réduite,  on  pense  bien  que  le  chiffre  d'affaires 
s'est  considérablement  enflé.  Il  s'enflera  encore. 

Le  comptant,  qui  était  de  règle  dans  toutes  les 
opérations  avec  les  Grands  Magasins,  ne  sera  plus 
demain  une  règle  absolue;  il  ne  sera  plus  une 
règle  absolue,  parce  que  '  certaines  sociétés,  et 
non  des  moindres,  ont  pris  pour  base  de  leur 
système  commercial,  le  crédit.  Dufayel,  qui  inci- 
tait l'acheteur  à  se  faire  livrer  des  marchandises 
payables  plus  tard,  a  connu  un  véritable  succès  ; 
ne  faut-il  pas  l'empêcher  d'empiéter  davantage?... 
Telle  est  la  raison  qui  motive  la  nouvelle  façon 
d'être  des  Grands  Magasins  avec  la  clientèle  de 
choix.  Ils  consentent  à  ce  que  le  paiement  ne  soit 
pas  immédiat.  C'est  une  autre  évolution;  elle 
produira  des  résultats,  tandis  que  les  principales 
maisons  spécialisées  généraliseront  leur  négoce. 


V 


\ 


C'est  ainsi  que  le  Bazar,  qui  ne  fut  jamais,  à 
proprement  parler,  un  Grand  Magasin,  tend 
chaque  jour  davantage  à  ne  point  rester  un  bazar. 
Celui  de  l'Hôtel-de-Ville,  par  exemple,  se  met 
peu  à  peu  au  niveau  de  ses  devanciers. 

D'un  autre  côté,  les  Grands  Magasins  d'alimen- 
tation :  Potin,  Damoy,  Coûté,  qui  ont  commencé 
par  ne  vendre  que  de  l'épicerie,  livrée  aux  quatre 
coins  de  Paris,  se  sont  adjoint  :  la  charcuterie, 
la  boucherie,  la  pâtisserie,  en  même  temps  qu'ils 
installaient  des  dépositaires  de  leurs  marques  dans 
la  capitale,  dans  sa  banlieue,  puis  en  province. 
Demain,  cédant  au  mouvement  de  généralisation, 
ils  vendront  peut-être  des  chapeaux,  des  vête- 
ments, de  la  bijouterie  et  de  l'ameublement.  Les 
autres  n'ont-ils  pas  fait  l'inverse?...  Par  la  suite, 
il  n'y  aura  plus  qu'une  forme  commerciale  :  le 
Grand  Magasin,  dont  les  formes  sont  multiples, 
ainsi  qu'on  s'en  rendra  compte  à  la  lecture  des 
chapitres  suivants  de  cet  ouvrage. 


) 


LES  GRANDS  MAGASINS  DE  PHOVINCE 


47 


1  !ii 


III 


Les  Grands  Magasins  de  Province. 


Les  Grands  Magasins  de  province  sont  des  or- 
ganismes formant,  en  quelque  sorte,  un  faisceau 
commun;  respectivement,  et  dans  Tensemble, 
comme  les  Grands  Magasins  de  Paris,  ils  n'ont 
conquis  leur  importance  que  par  un  travail  opi- 
niâtre de  leurs  propriétaires,  sortis  de  Tornière 
commerciale  par  la  pratique  de  la  coopération 
dans  les  achats  et  leur  collaboration  mutuelle  et 
réciproque  dans  les  questions  susceptibles  de  les 
intéresser.  Ils  ont  été  aidés  dans  cette  tâche  par 
les  goûts  du  public  qui  fut,  par  sa  constance  et 
sa  fidélité,  l'ouvrier  de  la  première  heure,  à  Toeu- 
vre  entreprise. 

Les  Sociétés  des  Bazars,  en  des  villes  diver- 
ses, ne  sont  que  la  continuation  de  la  théorie  de 
Grands  Magasins  de  Paris,  florissant  sur  la  pro- 
vince; c'est  la  continuation  obligatoire  du  progrès, 


\ 


> 


^\ 


qui  exige  la  marche  en  avant  pour  assurer  plus  de 
bien-être. 

En  résumé,  un  rien  qui  croît,  qui  se  développe, 
prend  une  importance  qui  finit  par  devenir  consi- 
dérable, sous  l'impulsion  d'un  homme,  le  fonda- 
teur, et  sous  celles  résultant  des  circonstances  du 
moment;  si  bien  qu'en  somme,  les  Grands  Maga- 
sins et  les  Sociétés  de  grands  Bazars  sont  la  ré- 
sultante de  la  situation  commerciale  de  la  France, 
dont  ils  finissent  par  composer  la  plus  grande 
partie  de  puissance  commerciale,  en  ce  qui  con- 
cerne le  pouvoir  d'achat  et  les  facultés  de  la  répar- 
tition. 

Le  vrai  type  de  sociétés,  dans  cet  ordre  d'idées, 
c'est,  assurément,  la  Société  des  Nouvelles  Ga^ 
leries  Réunies,  au  capital  de  40.000.000  de  francs. 
Si  l'on  considère  ses  origines,  on  constate  qu'elles 
sont  des  plus  modestes;  elles  apportent  une  preuve 
frappante  de  ce  que  peuvent  le  travail  et  l'intelli- 
gence, dans  la  pratique,  à  jet  continu,  delà  soli* 
darité  la  plus  réelle. 

En  1861,  un  groupe  de  marchands  forains 
voyageant  en  France,  rencontrant  des  difficultés 
nombreuses  pour  l'acquisition  de  leurs  marchan- 
dises, désignèrent  l'un  deux  pour  s'installer  h 
Paris  et  les  alimenter  des  marchandises  dont  ils 
avaient  besoin,  moyennant  une  commission  en 
espèces,  à  prélever  sur  le  montant  de  ces  achats  : 
c'était  la  naissance  de  l'idée  du  groupement  d'achats 
en  commun. 

Autour  du  groupe  naissant,  se  réunirent  les  pa- 
rents et  les  amis  des  fondateurs,  ainsi  que  tous 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


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iTemS'^''  T7"",'  '"P"^'^^'  ''  ^"^q"el«  une 
première  mise  de  fonds  était  consentie,  en  vue  de 

1  ouverture  de  Maisons  en   des   cent;es  cho.'is 
G  est  ainsi  qu'en  1884.  se  créèrent  et  se  dévelopl 
pèrent  en  province  les  premiers  bazars 

La  communauté  d'aspiration  et  d'efforts  devait 
donner  des  résultats  satisfaisants.  Elle  n'y  man- 
qua pomt.  L  appétit  vient  en  mangeant,  diion  et 
1  ambition  naît  des  satisfactions.  L'ensemble  du 
groupement  nouveau  résolut  de  lui  donner  une 
P  us  grande  extension,  par  une  coalition  d'intérêts 
plus  considérable;  ces  intérêts  fusionnèrent  pa 
la  fondation  de  la  Société  des  Grands  Bazars  Re'u 
ms.  au  capital  de  1.500.000  francs,  souscrits  unl 
quement  par  les   membres  du  groupement    m  î 
devinrent  ainsi,  désormais,  direfteurs  Tn'ressé 
a  sa  prospérité.  "iieresses 

Ces  premiers  essais  de  Société  ayant  parfaite- 
ment réussi,  les  actionnaires  de  la  Société  des 
Grands   Bazars  Réunis   fondèrent  entre  eux   di 

TJZT'm^""''''''^''''  P°"^  ^"t  l'exploitation 
de  Grands  Magasins,  en  élargissant  le  cercle  de 

leurs    actionnaires,    de  façon  à  y   faire  rentre' 
ceux  de  leurs  collaborateurs  employés  dont  [es 

avances        '       ^^^  '''^^''  ^''  P^-^^^^^res 

zar^Rinnil'  ^A   ^l'v^'^-  """"y""'  ^««  G'-ands  Ba- 
zars Réunis,  dont  l'unique  objet,  jusque  là    était 

de  faire  la  commission,  ne  suffisait  plus  pour  rem 

phr  le  but  que  ses  fondateurs  s'étaientTopost 

c  est    alors   qu'elle    fut  transformée   en'  SoS 


LES    GRANDS   MAGASINS   DE   PROVINCE 


49 


des  Grands  Bazars  et  Nouvelles  Galeries  Réunis, 
au  capital  de  7.500.000  francs,  dont  les  sous- 
cripteurs furent  les  actionnaires  de  la  Société  ano- 
nyme des  Grands  Bazars  Réunis,  à  l'exclusion  de 
tous  les  étrangers. 

Les  sociétés  créées  pour  l'exploitation  de  maga- 
sins en  diverses  villes,  désireuses  de  s'unir  davan- 
tage entre  elles  et  avec  la  Société  des  Grands 
Bazars,  s'annexèrent,  par  voie  de  fusion,  à  cette 
dernière,  qui  devint  alors  la  Société  française  des 
Nouvelles  Galeries  Réunies,  telle  qu'elle  existe 
actuellement,  c'est-à-dire  un  groupement  de  petits 
commerçants  ayant  su,  par  leur  intelligence  et 
leur  travail,  s'approprier  aux  nécessités  de  la  vie 
moderne,  et  démontrer  ainsi,  une  fois  de  plus,  les 
résultats  que  l'on  peut  attendre  de  la  coopération 
intelligente  des  intérêts.  C'est  là  une  évidente  dé- 
monstration de  l'efficacité  des  alliances  pratiquées 
entre  les  commerçants,  et  qu'avant  la  guerre 
préconisait  le  Parlement,  pour  remédier  à  la  crise, 
si  tant  est  que  cette  crise  existe,  et  dite  du  petit 
commerce.  Il  y  a  lieu  de  remarquer  que  la  Société 
des  Nouvelles  Galeries  Réunies,  simple  groupe- 
ment, n'a  pour  ainsi  dire  rien  créé  par  elle-même. 

Elle  se  rattache,  actuellement,  à  la  Société  fran- 
çaise des  Magasins  Modernes,  fondée  en  octo- 
bre 1896;  à  la  Société  Paris-France,  fondée  le 
20  mai  1898,  pour  reprendre  la  suite  de  la  Société 
en  nom  collectif  Gompel  et  C'%  elle-même  exis- 
tant depuis  1872;  elle  se  rattache,  en  dernier  lieu 
aux  Magasins  Réunis.  A  côté  d'elle,  poursuivant 
des  buts  analogues  plus  ou  moins  lointains,    on 


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LKS   ENTREPRISES   MODERNES 


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LES  GRANDS  MAGASINS  DE  PROVINCE 


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trouve  Dufayel  qui,  dans  les  départements  voisins 
delà  Seine,  a  plus  d'une  vingtaine  de  succursales; 
Thiéry  et  Sigrand  ne  s'occupent  que  de  confection; 
Esders  aussi;  Raoul,  V Incroyable,  a,  comme 
champ  de  travail,  la  chaussure. 

Tels  sont,  à  des  degrés  d'importance  diverse, 
les  Grands  Magasins  de  province,  dont  certains 
ont  fait  du  crédit  la  principale  corde  de  leur  arc, 
alors  que  d'autres  ne  s'étaient  développés  que  par 
le  comptant.  C'est  qu'une  vérité  domine  toutes  les 
autres:  il  n'y  a  rien  de  fixe  ici-bas;  les  formes 
commerciales  évoluent  continuellement,  sous  la 
poussée  du  progrès.  Celles  de  l'achat  et  de  la 
vente  n'ont  jamais  été  immuables.  Le  troc,  qui 
fut  le  début  des  échanges,  redeviendra  peut-être 
leur  principe  essentiel.  Ce  procédé  reconnu,  dé- 
claré précaire,  aléatoire,  onéreux  pour  l'acheteur, 
de  toute  façon,  insuffisant,  n'est-il  pas  envisagé  do 
nouveau  comme  le  remède  à  tous  leurs  maux,  par 
les  nations  que  ruina  la  guerre,  et  dont  la  matière 
d'échange,  l'argent,  perd  peu  à  peu  sa  valeur?... 

L'exemple  des  puissances  commerciales,  basé 
sur  la  force  des  capitaux  assemblés,  montre  cepen- 
dant que  la  seule  façon  de  bien  assurer  les 
échanges,  c'était  de  faire  intervenir  la  monnaie. 

La  puissance  de  l'argent  a  contribué  à  créer  la 
puissance  des  débouchés,  et  c'est  la  puissance 
des  débouchés  qui  empêcha  la  limitation  et  la 
circonscription  des  échanges.  C'est  pourquoi 
les  Grands  Magasins  veulent  attirer  la  foule, 
toute  la  foule,  dans  leur  sein;  c'est  pourquoi  de 
Grands  Magasins   vont  la  prendre,  cette  foule, 


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jusqu'au  fond  de  nos  départements,  où  ils 
apportent  comme  un  reflet  de  Paris.  L'ampleur 
des  affaires  assure  la  liberté  et  dissipe  Tesclavage 
commercial,  qui  pèse  aussi  bien  dans  les  rapports 
avec  la  clientèle  que  dans  les  rapports  avec  les 
pouvoirs  publics,  quand  on  est  enserré  par  de 
multiples  lisières. 

Nous  ne  sommes  pas  au  bout  de  cette  évolution 
engendrée  par  celle  des  formes  de  Tachât,  car,  si 
des  forains  sont  les  pères  des  Nouvelles  Galeries 
Réunies,  il  existe,  à  côté  d'elles,  désireuse  de  se 
fortifier  et  de  grandir,  une  Union  nationale  des 
Sociétés  d'achat  en  commun,  dont  le  but  princi- 
pal est  la  suppression  des  intermédiaires  qui  sont 
une  des  causes  importantes  de  l'élévation  du  prix 
pour  le  consommateur.  Nous  reviendrons  sur  ce 
sujet,  dans  les  chapitres  suivants,  lorsque  nous  en 
serons  plus  particulièrement  à  l'Alimentation; 
nous  y  reviendrons  d'autant  plus  volontiers,  que 
nous  considérons  comme  Entreprises  Modernes, 
non  seulement  les  entreprises  qui  ont  une  façade 
étendue  et  des  capitaux  importants,  mais  aussi 
celles  oxx  l'on  professe  des  idées  modernes  que 
Ton  applique,  en  tirant  tout  le  parti  possible  de 
l'association,  de  la  coopération. 

La  coopération,  l'association,  sont  nées  dans  les 
Grands  Magasins,  qui  en  firent  leur  pierre  angu- 
laire, sous  l'empire  des  nécessités  de  la  vie. 

C'est  par  elles  que  les  conflits  économiques 
entre  commerçants  d'un  même  pays,  tendent  à 
s'apaiser,  et  les  intérêts,  à  s'harmoniser.  L'en- 
semble du  commerce,  ramené,  par  les  redoutables 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LES    GRANDS   MAGASINS   DE   PROVINCE 


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problèmes  de  Taprès-guerre,  à  une  conscience 
plus  juste  des  réalités,  comprend  de  plus  en 
plus  la  nécessité  de  s'adapter  à  des  formes  nou- 
velles, de  se  moderniser;  il  comprend  de  plus 
en  plus  que,  pour  lutter  contre  les  outillages 
perfectionnés  de  l'étranger,  il  n'est  qu'une  mé- 
thode, pour  le  commerce  comme  pour  l'industrie  : 
mieux  s'outiller,  mieux  s'organiser  soi-même. 

L'Etat  ne  peut  que  favoriser  cette  évolution 
vers  le  nouvel  ordre  de  choses,  en  stimulant  les 
grandes  initiatives,  les  énergies,  les  intelligences, 
les  bonnes  volontés,  capables  de  coopérer,  dans 
un  immense  effort,  au  relèvement  national. 

11  faut  le  reconnaître,  les  nécessités  sont  le  fac- 
teur le  plus  essentiel  du  progrès;  elles  ont  une  in- 
fluence décisive  sur  la  marche  de  l'évolution- 
elles  la  ralentissent  ou  l'accélèrent,  selon  les  cir- 
constances; elles  font  que  notre  société  tend  à 
devenir  industrielle  dans  tous  les  genres  de  pro- 
duction, même  agricole.  Une  société  industrielle 
ne  peut  se  dispenser  d'être  parallèlement  com- 
merciale. Les  grandes  entreprises  sont  l'aboutisse- 
ment normal  de  tous  les  efforts;  elles  multiplient 
les  moyens  de  servir  utilement  la  masse  des  con- 
sommateurs, et  même  celle  de  leur  main-d'œuvre. 
Les  petits  commerçants,  par  l'association,  fon- 
deront eux-mêmes  de  grandes  entreprises;  du 
moins,  ils  se  mettront  au  niveau  de  celles-ci',  par 
la  discipline  et  par  l'achat  en  commun. 

Attendons-nous  donc  à  toute  une  floraison  de 
grandes  entreprises. 

Les  grandes  entreprises  actuelles,  qui  sont  déjà, 


à  des  degrés  divers,  le  fruit  de  l'association  et  de 
la  coopération,  ont  de  l'avance  à  l'allumage, 
comme  on  dit,  parce  que  leurs  membres  sont 
d'une  mentalité  en  progrès  depuis  longtemps.  Et, 
comme  on  a  vu  l'association  entre  les  individua- 
lités pour  constituer  la  grande  entreprise,  on  verra 
la  coopération  des  sociétés  pour  constituer  une 
entreprise  plus  grande  encore.  Les  cartels  ne  sont 
pas  chose  nouvelle;  les  trusts  n'en  sont  pas  une 
davantage;  on  les  a  pratiqués  en  Allemagne  et  en 
Amérique;  on  les  pratiquera  chez  nous,  inévita- 
blement. Pour  ne  pas  être  réduit  à  néant,  il  im- 
porte de  ne  point  être  néophyte  d'occasion,  aux 
efforts  le  plus  souvent  incohérents. 

Tous  les  grands  groupements,  tour  à  tour,  de- 
viendront internationaux,  au  fur  et  à  mesure  que 
se  régularisera  la  situation  et  que  l'équilibre  se 
rétablira  ;  peu  importe  leur  point  de  départ,  sou- 
vent obscur. 

Une  concentration  d'efforts,  quelle  qu'elle  soit, 
commence  par  être  régionale;  c'est  le  stade  qui 
marque  le  degré  inférieur  de  sa  puissance;  puis 
elle  devient  nationale  ;  c'est  le  second  degré  ;  quand 
elle  atteint  au  troisième  degré,  elle  tend  la 
main,  par  delà  même  les  frontières,  aux  organisa- 
tions analogues.  11  y  a  partout,  à  ce  point  de  vue, 
dans  le  monde  économique,  des  embryons  qui 
deviendront  des  êtres  complets.  Leur  évolution 
sera  plus  rapide  que  ne  le  fut  celle  des  Confédéra- 
tions ouvrières,  parce  que  le  bénéfice  de  la  longue 
expérience  acquise  par  les  secondes,  leur  est 
assuré.   Jusqu'à   présent,  on  n'avait  vu  que    des 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES    GRANDS   MAGASINS    DE   PROVINCE 


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syndicats  de  résistance  contre  les  entreprises  de 
moindre  importance,  mais  dont  l'exclusivisme 
était  dangereux  et  les  prétentions,  exorbitantes. 
Ces  coalitions  prendront  un  caractère  plus  géné- 
ral; elles  n'avaient  qu'un  caractère  économique; 
elles  se  doubleront  d'un  caractère  social. 

Le  25  février  1903,  s'était  formé,  en  Allemagne, 
le  Syndicat  des  Directeurs  de  Grands  Bazars.  Il 
comprenait  naturellement,  et  en  tout  premier  lieu, 
tous  les  directeurs  ^allemands  des  grands  magasins, 
lesquels  ne  sont  guère  plus  d'un  demi-millier. 
Mais  il  groupait  plus  de  quatre  fois  ce  chiffre  de 
directeurs- de  grands  magasins  étrangers.  C'était 
le  Verband  Waren  und  Kaufhaûser.  Voyons  ce 
qu'était  cette  puissante  organisation,  àlaquellela 
guerre  n'aura  pas  porté  le  coup  de  grâce,  étant 
données  les  exigences  de  demain  : 

D'après  le  programme  avoué,  selon  M.  Lam- 
brechts,  il  fallait  présumer  que  les  fonds  étaient 
employés  en  sommes  inégales  :  1°  à  lutter  contre 
la  politique  des  classes  moyennes,  notamment 
là  où  elle  tendait  à  restreindre  la  liberté  du 
commerce;  2°  à  maintenir  un  contact  permanent 
avec  les  fonctionnaires  compétents  en  matière 
industrielle,  et  avec  les  parlementaires;  3°  à  dé- 
fendre les  intérêts  des  bazars  dans  la  presse; 
4**  à  soutenir  des  procès  importants;  5°  à  assurer 
le  service  du  Bureau  central. 

Un  Comité  de  seize  membres,  présidé  par 
M.  Oscar  Tietz,  dirigeait  le  syndicat. 

C'étaient  par  dizaines  de  milliers  que  les  lettres 
arrivaient  au  svndicat   et  en  sortaient  annuelle- 


ment;   c'est  par  centaines  que  se  donnaient  les 

cartels . 

L'organisation  des  achats,  toujours  selon 
M.  Lambrechts,  était  le  point  sur  lequel  s'était 
3orté  l'effort  le  plus  marquant  des  fondateurs  des 
oazars.  Malgré  la  puissance  d'achat  considérable 
de  chacun  d'eux,  les  grands  bazardiers  n'en 
avaient  pas  moins  cru  devoir  recourir  à  la  for- 
mule du  syndicat,  que  les  artisans  allemands 
avaient  pratiquée  avant  eux,  mais  avec  moins 
d'énergie.  Le  Syndicat  continental  comprenait 
264  associés,  chefs  de  402  bazars.  11  avait  conclu 
avec  les  grands  bazardiers  américains  une  «  com- 
munauté d'intérêts  »,  copiée  sur  la  clause  de  la 
nation  la  plus  favorisée,  inscrite  dans  les  traités 
de  commerce.  Les  noms  et  les  tarifs  de  tous  les 
fabricants  étaient  échangés,  et,  sitôt  un  rabais 
consenti  à    un   endroit,   tout  le   groupe  en  était 

avisé. 

Cette  forme,  plutôt  primitive,  du  groupement 
des  achats,  ne  pouvait  convenir  longtemps  à  des 
acheteurs  comme  les  grands  magasins.  On  lui 
substitua  de  plus  en  plus  la  politique  des  conven- 
tions, dont  tirent  mention  si  fréquemment  les 
publications  du  syndicat.  C'était  une  forme 
supérieure  de  l'achat  en  commun.  Lorsque  le 
syndicat  se  trouvait  en  présence  des  cartels  des 
producteurs,  il  négociait  de  puissance  à  puissance. 
Ces  négociations  n'étaient  pas  toujours  heureuses, 
ni  paisibles.  On  assistait  parfois  à  des  hostilités 
suivies,  refus  de  fournir  aux  bazars  et  boycot- 
tage réciproque  de  certains  fabricants. 


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LKS    Ex\TREPRISES    MODERNES 


LES    GRANDS    MAGASINS    DE   PROVINCE 


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La  communauté  d'intérêts  qui  englobait  à  la 
fois  les  bazars  allemands,  anglais  et  américains, 
consistait  dans  la  communication  réciproque  des 
prix  et  des  négociations  en  cours;  elle  se  faisait 
par  les  secrétariats  centraux.  Il  en  résultait  que  les 
bazars  étaient  particulièrement  armés  pour  pe- 
ser sur  le  prix  des  articles  dont  ils  étaient  ache- 
teurs, et  pour  paralyser  les  tendances  des  cartels. 
Ils  pouvaient,  le  cas  échéant,  commanditer  des 
firmes  qui  restaient  en  dehors  des  cartels,  ou  en 
provoquaient,  grâce  au  groupement  de  la  clientèle. 

On  ne  conçoit  pas  que  des  gens  capables  de 
créer  de  telles  organisations  commerciales,  ne 
soient  pas  capables  d'en  créer  de  plus  parfaites  de- 
main. Si  elles  n'existent  pas  encore,  c'est  parce 
que  les  nécessités  n'étaient  pas  impérieuses,  et 
que  la  liberté,  depuis  des  années,  n'existe  plus. 
Traiter  de  puissance  à  puissance,  tout  le  problème 
est  là.  Contre  une  fédération  si  considérable,  que 
peuvent  les  résistances  de  pauvres  adversaires, 
d'où  qu'ils  surgissent? 

«  Mais,  me  dira-t-on,  le  siège  de  ce  syndicat 
était  en  Allemagne,  avec,  comme  principaux  adhé- 
rents, des  Américains  et  des  Anglais.  Il  n'y  a 
point  là  œuvre  qui  vive  désormais  :  l'Allemagne, 
en  effet,  est  vaincue;  sa  défaite  est  une  défaite 
économique;  les  Anglo-Saxons  et  les  Yankees, 
comme  nous-mêmes,  sont  leurs  ennemis.  "» 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  démontrer  ce 
qu'un  tel  raisonnement  comporterait  d'absence 
d'observation  psychologique.  Il  reposerait  sur  la 
négation  du  sens  commercial    universel,   ce  qui 


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serait  la  pire  des  absurdités  —  et  surtout  des  im- 
prévoyances . 

Que  le  syndicat  change  de  domicile,  passe 
encore.  Qu'il  s'éteigne,  non  pas!  Nous  le  trouve- 
rons à  New-York  ou  bien  à  Londres.  On  peut  en 
être  sûr.  Pourquoi  pas  à  Paris?...  Et  les  adhérents 
de  demain  ne  tarderont  pas  à  être  les  adhérents 
d'hier.  La  paix  n'est  que  le  renouveau  de  la  soli- 
darité commerciale. 

Pour  notre  propre  compte,  nous  voyons  très 
bien  les  sociétés  viables  d'achats  en  commun, 
s'affilier  à  de  semblables  organisations,  qui  exis- 
teront, non  seulement  pour  les  bazars,  mais 
aussi,  prochainement,  pour  toute  l'alimentation. 
Déjà  les  marchands  de  gros  se  sont  émus  à  la 
perspective  de  cette  éventualité.  N'ont-ils  pas 
appris  la  constitution  d'une  société  d'achats  en 
commun  créée  au  sein  du  Syndicat  de  l'Epicerie 
française?...  N'ont-ils  pas  appris,  au  surplus,  la 
création  d'une  Fédération  des  Sociétés  d'achats  en 
commun,  sous  les  mêmes  auspices,  avec  un  siège 
à  Paris,  et  qui  serait,  pour  les  sociétés  d'achats  en 
commun,  ce  qu'est  le  Magasin  de  gros  pour  les 
coopératives,  ou  la  Maison-mère  pour  les  suceur 
sales?...  Un  autre  fait,  encore,  les  a  frappés  : 
c'est  que  le  Syndicat  de  l'Epicerie  française,  qui  a 
tant  lutté  contre  les  Maisons  à  succursales,  à  pré- 
sent, leur  ouvre  ses  portes.  Encore  une  manifes- 
tation de  la  solidarité  commerciale! 

Les  résistances  ne  changeront  point  les  issues 
certaines  de  la  lutte.  Des  marchands  de  gros  et 
des  fabricants  mal  outillés,  incapables  de  concé- 


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LES   ENTREPRISES    MODERNES 


LES   GRANDS    MAGASINS   DE   PROVINCE 


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der  les  avantages  commerciaux  qu'on  leur  de- 
mande, se  sont  émus.  Certains  en  sont  arrivés  à 
refuser  la  livraison  de  commandes  auxquelles, 
jusqu'à  ce  jour,  ils  avaient  été  habitués.  Une  Mai- 
son à  succursales  qui  fait  la  mercerie,  comme 
toutes  les  maisons  similaires,  achetait  directement 
ses  bretelles  chez  le  fabricant.  Les  marchands  de 
gros,  qui  s'approvisionnent  chez  le  même  fabricant, 
se  sont  ligués  et  ont  exigé  que  toutes  les  com 
mandes  de  bretelles  passassent,  dorénavant,  par 
leur  intermédiaire.  Pareille  prétention  ne  pouvait 
prévaloir.  Le  marchand  de  gros  doit,  fatalement, 
être  l'organisme  sacrifié.  La  Maison  à  succursales 
en  question,  pour  soutenir  sa  cause,  trouvait  aus- 
sitôt, cela  va  de  soi,  l'appui  de  toutes  les  autres 
Maisons  à  succursales,  lesquelles  représentent 
environ  vingt  mille  boutiques.  A  ces  vingt  mille 
boutiques,  se  seraient  joints  tous  les  bazars  de 
France.  Les  fabricants  devaient  s'incliner,  car, 
s'ils  ne  l'eussent  pas  fait,  les  intéressés,  s'estimant 
lésés,  eussent  pu  commanditer  eux-mêmes  un 
autre  fabricant  ou,  au  besoin,  selon  les  circons- 
tances, monter  leur  usine  commune  de  fabrication. 
Les  préoccupations  commerciales  existant  les 
premières,  et  presque  uniquement  pour  l'instant, 
ont  incité  certaines  firmes  à  s'unir,  tant  pour 
l'achat  que  pour  la  fabrication.  C'est  ainsi  qu'à 
Nantes,  vont  voir  le  jour  les  Manufactures  de 
l'Alimentation,  rattachées  directement  aux  Docks 
de  rOuest,  à  l'Aquitaine,  de  Bordeaux  ;  aux  Éta- 
blissements Brisset,  d'Angers;  aux  Grands  Éco- 
nomats   Parisiens,   etc.  ;   c'est  ainsi   qu'à   Paris, 


s'est  constituée  une  Société  d'achats  en  com- 
mun pour  l'Union -Approvisionnement,  de  Cler- 
mont-Ferrand  ;  les  Docks  de  l'Union  fran- 
çaise, de  Troyes;  les  Maisons  Bleues,  les  Docks 
du  Centre,  de  Tours;  l'Épargne  de  l'Ouest,  les 
Comptoirs  de  Bourgogne,  de  Dijon;  c'est  ainsi 
qu'à  Paris  est  en  voie  de  formation,  une  autre 
société  visant  au  même  but  pour  approvisionner 
ces  autres  firmes  :  la  Société  Nancéienne  d'Ali- 
mentation, les  Docks  Lyonnais,  l'Alimentation 
Moderne  du  Midi,  etc.  Un  jour  viendra,  qui  n'est 
pas  loin,  où  toutes  ces  sociétés  n'en  constitue- 
ront plus  qu'une  seule.  Le  mouvement  commence 
dans  des  groupes  plus  ou  moins  étendus,  ou 
plutôt,  plus  ou  moins  restreints  ;  l'action  régionale 
devient  une  action  nationale,  en  attendant  qu'elle 
devienne  une  action  internationale,  comme  celle 
de  laquelle  nous  avons  parlé  plus  haut . 

Ce  sont  les  groupements  de  cette  nature  qui 
sont  la  base  même  de  cette  évolution  économique. 
C'est  en  étudiant  ce  qui  se  passe  sur  un  point, 
que  nous  pouvons  arriver  à  déduire  ce  qui  se  pas- 
sera, demain,  logiquement,  sur  tous  les  points. 
Voyons  donc  la  région  du  Havre  : 

Il  y  a  trente  ans,  une  importante  firme  de  détail 
existait  sur  la  place  :  c'était  le  Grand  Bazar,  ma- 
gasin populaire,  comme  son  nom  1  indique  —  et 
comme  tous  les  bazars,  d'ailleurs.  En  1911,  s'édi- 
fièrent les  Galeries  du  Havre,  à  l'usage  de  la 
chentèle  bourgeoise  et  mondaine;  elles  réa- 
fisèrent  le  maximum  de  confort  et  de  luxe,  et, 
dans  ce  coin  de  la  France,  elles  furent  une  vé- 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LES  GRANDS  MAGASINS  DE  PROVINCE 


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ritable  révolution.  Les  deux  magasins  auraient 
pu  parfaitement  n'en  constituer  qu'un  seul; 
n'étant  guère  éloignés  l'un  de  l'autre,  ils  eussent 
pu  être  fondus,  mais  les  promoteurs  se  rendirent 
compte  qu'il  valait  mieux  doubler  les  frais,  que 
mélanger  la  clientèle.  Les  connaissances  psycho- 
logiques sont  nécessaires  à  ceux  qui  conduisent 
de  grandes  affaires. 

La  paix  étant  signée,  des  modifications  s'an- 
noncent; et,  à  mon  sens,  elles  auront  une  in- 
fluence qui  court  le  risque  d'être  décisive;  elle 
imprimera  en  d'autres  régions  une  impulsion  ana- 
logue, sous  la  poussée  de  la  concurrence.  Ce  sont 
les  autres  entreprises  qui  s'implantent  dans  le 
pays,  ainsi  que  la  force  croissante  des  coopéra- 
tives, qui  nécessitent  des  innovations,  voire,  les 
rendent  impérieuses.  Toutefois,  elles  apparaissent 
moins  redoutables,  que  les  entreprises  plus  ou 
moins  similaires.  Il  fut  question,  un  moment,  de 
conclure  avec  elles  une  sorte  de  pacte,  une 
alliance  commerciale,  en  les  métamorphosant  en 
clientes,  sur  des  modes  à  envisager,  à  découvrir; 
et  qu'on  aurait  pu  découvrir  aisément  avec  un 
peu  de  persévérance  dans  la  recherche.  Mais  était- 
ce  bien  là  lutter  efficacement?... 

Le  système  qui  consisterait  à  vendre  les  articles 
d'alimentation  des  coopératives,  au  strict  prix  de 
revient,  emballages,  transports,  commissions, 
frais  généraux  compris,  en  partant  du  principe 
que  la  chose  est  possible  pour  des  établissements 
auxquels  Talimentation  n'apparaît  pas  comme  une 
nécessité  de  l'existence,  mais    un    complément, 


une  adjonction,  est  susceptible  de  présenter,  à 
un  point  de  vue  principal,  une  évidente  utilité. 

Cette  manière  de  faire,  qui  semble  onéreuse,  et 
qui  l'est  dans  une  certaine  mesure,  n'est  pas  sans 
comporter  quelques  avantages  matériels.  Si,  par 
exemple,  on  vend  du  café  au  prix  de  revient,  il 
sera  moins  cher  que  dans  les  maisons  qui  le 
vendent  avec  primes.  L'acheteur,  attiré  par  la 
différence,  sera  privé  de  sa  prime,  mais  il  achètera 
peut-être,  dans  le  Grand  Magasin,  les  marchandises 
quela  prime  lui  aurait  values,  au  bout  d'un  temps 
indéterminé,  et  dont  il  a  peut-être  un  besoin  immé- 
diat. Il  résultera  donc,  d'une  opération  sans  profit, 
une  autre  opération,  mais  avec  profit,  celle-ci. 

De  plus,  un  surcroît  de  vente  possible  dimi- 
nuera les  frais  généraux  de  l'entreprise  :  si  ces 
frais  généraux  sont  évalués,  au  début,  à  10  p.  100, 
et  si  le  chiffre  d'affaires,  du  fait  de  l'innovation, 
se  multiplie  par  deux,  ils  ne  seront  pas  diminués 
de  moitié,  certes,  mais  ils  subiront  quand  même 
une  réduction,  —  une  réduction  d'au  moins  du 
cinquième.  Répercussion  favorable  sur  l'amoin- 
drissement des  frais  généraux,  d'une  part;  d'autre 
part,  bénéfice  à  peu  près  certain  sur  un  autre 
article,  procureront,  sans  qu'on  l'ait  véritablement 
cherché,  un  gain  qui,  bien  que  modeste,  n'en  sera 
pas  moins  appréciable. 

De  plus,  vendant  au  prix  de  revient  toutes  les 
marchandises  des  coopératives,  il  est  certain  que 
les  acheteurs  nouveaux,  alléchés  par  l'avantage 
réel  qui  leur  sera  offert,  accourront  et  effectueront 
l'emplette  de  nombreux  autres  articles,  sur  les- 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LES  GRANDS  MAGASINS  DE  PROVINCE 


63 


quels  le  bénéfice  sera  normal.  La  clientèle  prendra 
l'habitude  de  visiter  les  nriêmes*  rayons;  loin  de 
décroître,  donc,  elle  s'étendra. 

On  peut  remplacer  le  mot  coopératives  pour 
mettre  celui  d'épiceries.  On  arrivera  à  la  même 
démonstration.  Telle  est,  au  fond,  la  pensée  qui  a 
guidé  tous  les  Grands  Magasins  dans  l'établisse- 
ment d'un  rayon  d'alimentation.  Telle  sera  la 
pensée  des  Grands  Magasins  d'Alimentation  qui, 
pour  lutter,  devront  s'ingénier  à  offrir  sans  cesse 
de  nouveaux  produits  qu'on  ne  rencontre  pas  chez 
leurs  concurrents,  ou  à  établir  des  rayons  nou- 
veaux qui  visent  l'article  de  bazar,  la  nouveauté 
ou  diverses  spécialités. 

Ceci  ne  justifîe-t-il  pas  que,  dans  l'avenir,  il  n'y 
aura  plus  qu'une  forme  de  commerce  :  celle  du 
Grand  Magasin,  du  Bazar,  pour  parler  plus  exac- 
tement, le  rêve  de  toutes  les  formes  nées  ou  à 
naître,  paraissant  invariable  :  augmenter  leur 
chiffre  d'affaires.  Au  reste,  cette  préoccupation, 
SI  elle  est  nouvelle  chez  nous,  ne  l'est  pas  chez 
nos  alliés.  M.  E.  Servan,  dans  son  livre, 
«  l'Exemple  américain  >,  nous  conte  un  fait  bien 
analogue,  en  matière  de  concurrence  : 

«  Il  existe  à  New- York  une  pharmacie  du  nom 
de  Ricker  et  Hageman.  Cette  pharmacie  a  des 
succursales  dans  toutes  les  villes.  Elle  ne  vend 
pas  seulement  des  médicaments,  car,  en  Amérique, 
les  pharmacies  vendent  un  peu  de  tout  :  de  la 
teinture  d'iode  et  des  glaces  à  la  vanille,  des 
flacons  de  parfumerie  et  des  tablettes  de  chocolat, 
du  bismuth  et  des  paquets  de  cigarettes. 


c  Ce  sont  même  ces  paquets  de  cigarettes  qui 
sont  la  cause  de  la  lutte  fratricide  qui  a  éclaté 
entre  les  pharmacies  Ricker  et  Hageman  et  les 
bureaux  de  tabac  des  United  Cigar  Stores. 

«  Voici  comment  Ricker  et  Hageman,  les  phar- 
macies aux  multiples  succursales,  se  sont  fait  une 
petite  fortune  (d'aucuns  disent  une  grande),  en 
vendant  des  bonbons  et  du  chocolat. 

«  Un  jour,  ils  eurent  l'idée,  pour  attirer  la  clien- 
tèle masculine,  d'adjoindre  à  leurs  succursales 
un  rayon  d'articles  de  fumeurs. 

«  Un  paquet  de  cigarettes  de  bonnes  marques 
se  vend,  à  New-York,  16  centimes  au  détail  et 
14  centimes  en  gros.  Nous,  nous  les  vendrons 
12  centimes  au  détail,  se  dirent  Ricker  et  Hageman, 
Nous  perdrons  2  centimes  par  paquet,  mais  tous 
les  fumeurs  de  New-York  seront  obligés  de  visiter 
nos  magasins  et  nous  pourrons  nous  rattraper 
sur  la  vente  des  bonbons  et  des  chocolats. 

«  Dès  le  lendemain,  tous  les  journaux  annon- 
çaient que  Ricker  et  Hageman  vendaient  les  ciga- 
rettes à  des  prix  extraordinaires  de  bon  marché. 
Le  résultat  ne  se  lit  pas  attendre.  Les  pharmaciens 
vendirent  tant  de  cigarettes,  qu'ils  perdirent 
2.500  dollars  par  jour  sur  le  rayon  «  fumeur», 
mais,  par  contre,  ils  réalisèrent,  dit-on,  3,000  dol- 
lars de  bénéfice  en  plus  sur  le  rayon  «  confiserie  j>. 

«  Pendant  ce  temps,  les  <(  United  Cigar  Stores  )> 
voyaient  diminuer  d'autant  la  vente  de  leurs 
cigarettes  et...  leurs  bénéfices.  Ils  commencèrent 
par  faire  des  remontrances  amicales  aux  pharma- 
ciens trop  entreprenants,  en  les  priant  de  vendre 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES   GRANDS   MAGASINS   DE  PROVINCE 


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leurs  cigarettes  à  des  prix  plus  raisonnables. 
«  Le  commerce  est  libre,  répondirent  les  phar- 
maciens pleins  d'intransigeance.  Nous  avons  le 
droit  de  perdre  sur  la  vente  des  cigarettes  et 
nous  continuerons.  » 

€  Là-dessus,  les  United  Gigar  Stores  se  fâchent 
et  déclarent  aux  pharmaciens  que,  s'ils  ne  cessent 
pas  immédiatement  de  vendre  des  cigarettes,  ils 
se  mettront,  eux,  bureaux  de  tabac,  à  vendre  à 
perte  des  bonbons  et  des  chocolats.  Et  les  phar- 
maciens de  sourire. 

«  Aujourd'hui,  ils  ne  sourient  plus.  A  côté  de 
chacun  de  leurs  bureaux  de  tabac,  les  United 
Gigar  Stores  ont  ouvert  une  boutique  de  confi- 
serie. Le  public  de  New- York,  spectateur  amusé 
de  cette  guerre  commerciale,  dont  les  combattants 
paient  tous  les  frais,  s'accommode  pour  le  mieux 
de  la  situation  anormale  qui  consiste  à  acheter  des 
bonbons  dans  les  bureaux  de  tabac,  et  des  ciga- 
rettes dans  les  confiseries.  » 

Si  les  rayons  d'alimentation  de  la  Samaritaine 
et  du  Printemps  sont  nés  sur  l'application  de 
principes  analogues,  c'est  aussi  sur  des  principes 
analogues  qu'est  né  le  Grand  Bazar  d'alimentation 
du  Havre. 

Est-ce  que  nous  nous  américanisons?  On  en 
jugera  : 

Il  est  ouvert  rue  Emile  Zola.  11  est  vaste,  bien 
pourvu  de  toutes  les  denrées  possibles.  Tout  au 
fond,  s'élève  un  grand  escalier.  C'est  celui  qui  va 
au  premier  étage,  car,  du  bazar  d'alimentation, 
on  passe  dans  le  bazar  proprement  dit.  Après  les 


victuailles,  voici  les  ustensiles  de  ménage,  tous 
les  ustensiles  de  ménage.  N'est-ce  pas  bien  com- 
pris?... Ges  ustensiles,  c'est  tout  le  magasin  pri- 
mitif, la  cellule,  l'embryon.  Gomme  on  en  est 
loin!  Après  les  ustensiles  de  ménage,  c'est  Tameu- 
blement,  le  vêtement,  les  accessoires,  tout  ce  que 
l'on  rencontre  dans  les  Grands  Magasins. 

Si  une  ménagère  entre  par  la  rue  de  Paris  et 
si  elle  achète  une  casserole,  elle  sort  par  la  rue 
Emile  Zola,  pour  se  rendre  acquéreur  du  cassoulet 
et  du  htre  de  vin.  L'inverse  est  aussi  vrai.  Quand 
elle  a  le  cassoulet,  il  lui  faut  la  casserole  pour  le 
faire  chauffer. 

Bientôt,  les  Galeries  du  Havre  seront  pourvues 
du  même  agencement.  Les  maisons  similaires 
de  Honfleur,  de  Trouville,  de  Fécamp,  de  Pont- 
Audemer,  de  Bolbec,  connaîtront  la  même  trans- 
formation à  leur  tour.  Les  petits  dépôts  qui  appar- 
tiennent à  la  même  firme,  à  Montivilliers,  Yvetot, 
Gany  Saint- Valéry,  Etretat,  Dives-sur-Mer,  la 
connaîtront  aussi.  Le  Grand  Magasin  de  la  ville! 
Le  Grand  Magasin  du  chef-lieu  de  canton  ! 

Ges  petits  dépôts  ne  sont  pas  vraiment  des 
succursales  ;  ils  ne  sont  pas  autre  chose  que  ce 
que  leur  nom  indique,  ils  sont  autonomes.  Leur 
but  est  d'approvisionner  totalement  des  loca- 
lités de  moindre  importance.  Ils  prennent  leurs 
marchandises  au  siège  social,  qui  leur  fait  une 
remise  sur  le  prix.  Gette  remise  constitue  le 
bénéfice  du  tenancier,  qu'on  débite  par  voie  de 
crédit  au  comptant  ;  le  règlement  a  lieu  en  fin  de 
mois.  La  clientèle  éloignée  d'un  centre  important, 

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LES   ENTOEPRISES   MODERNES 


trouve,  dans  sa  boiirgade,  les  avantages  qu'elle 
aurait  dans  la  maison  principale.  Gela  lui  évite  des 
dérangements. 

Les  comptes  des  dépôts,  des  stiôcursales,  de  la 
clientèle,  sont  réglés  par  l'intermédiaire  du  Pro- 
grès commercial,  qui  fait  partie  du  Grand  Bazar  et 
des  Galeries,  comme  le  Bazar  d'alimentation  luî- 
méme.  Cela  dispense  la  Société  de  tous  les  bons 
services  que  ne  manqueraient  pas  de  lui  offrir 
les  établissements  financiers,  dont  la  spécialité, 
ironiquement  annoncée,  on  le  sait,  est  le  dévelop- 
pement du  Commerce  et  de  Tlndustrie. 

Les  services  en  ont  été  créés  le  !•'  décem- 
bre 1909,  pour  faciliter  les  achats  par  abonne- 
ments, au  même  prix  que  ceux  effectués  au  comp- 
tant. Sa  création  repose  sur  les  principes  les  plus 
absolus  de  loyauté  et  de  moralité.  lia  conquis  la 
faveur  an  public.  La  clientèle  liai  a  valu  un  succès 
sans  précédent.  Aucune  administration  similaire 
ne  peut  lui  être  comparable;  la  caisse  commer- 
ciale existe  en  dehors  de  toute  spéculation  finan- 
cière. 

Le  Progrès  commercial  n'est  pas  une  maison 
de  vente  à  crédit,  puisqu'il  ne  livre  pas,  par  ses 
propres  moyens,  les  marchandises  pour  lesquelles 
il  ouvre  des  comptes.  Il  n'est  pas  assimilable  aux 
maisons  créées  jusqu'à  ce  jour,  qui  sont  elles- 
mêmes  fournisseurs  des  marchandises  dont  les 
3nx  se  trouvent  forcément  majorés,  d'autant  que 
e  délai  de  paiement  accordé  est  plus  long.  Son 
principe  essentiel,  c'est  la  certitude  donnée  à  l'ache- 
teur de  bénéficier,   quel  q-u'il  soit   et  quelle  que 


LES    GRANDS    MAGASINS   DE   PROVINCE 


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soit  l'occasion  :  prix  de  réclame,  soldes  ou  prîmes, 
de  bénéficier  des  véritables  prix  du  comptant. 

Un  client  se  présente-t-il  pour  se  faire  ouvrir 
un  compte?  Il  lui  est  remis  un  carnet  de  chèques 
à  servir  dans  les  Grands  Magasins;  ces  chèques 
sont  délivrés  au  gré  des  clients,  soit  à  leur  domi- 
cile, s'ils  en  formulent  la  demande,  soit  aux 
bureaux  de  la  banque.  Muni  de  ces  chèques, 
l'acheteur  se  rend  chez  les  fournisseurs  ne  vendant 
qu'au  comptant;  c'est  la  banque  qui  les  accrédite; 
au  moment  du  paiement,  les  espèces  sonnantes 
sont  remplacées  par  un  chèque,  et  c'est  tout. 

Les  conditions  de  délivrance  des  chèques  sont 
les  suivantes  : 

Il  faut  que  le  client  présente  des  garanties  de 
solvabilité,  ou  plutôt  qu'il  ait  une  réputation 
d'honnêteté.  Dans  ce  cas,  il  consent  un  premier 
versement  à  valoir  sur  le  règlement  ultérieur;  les 
autres  versements  sont  effectués  au  gré  de  l'ache- 
teur, jusqu'au  solde  définitif,  soit  à  la  caisse,  soit 
par  mandat-poste,  soit  à  domicile,  par  traite  men- 
suelle, ou  par  perception  de  receveur. 

Nous  savons  bien  que  le  crédit,  quelle  que  soit 
sa    forme,   a   ses    détracteurs,    s'il    possède    des 
défenseurs.  Les  détracteurs  du  crédit  ont  contre 
lui  deux  arguments  principaux,  si  ce  n'est  trois  • 
il  désavantage  l'acheteur,  en  lui  faisant  payer  plus 
cher  l'objet  qu'il  pouvait  avoir,  au  comptant,  à 
meilleur  prix.  Nous  avons  vu  qu'ici,  ce  n'est  point 
le  cas.  Passons.  Le  crédit  incite  à  des  dépenses 
inutiles,    pour   satifaire  un  caprice  plutôt  qu'une 
nécessité.  Notez  que  la  nécessité  règne  autant  que 


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LES  GRANDS  MAGASINS  DE  PROVINCE 


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LES    ENTREPRISES    MODERNES 


le  caprice.  Enfin,  le  crédit  cause  souvent  d'im- 
portants préjudices  aux  commerçants  qui  le  con- 
sentent; il  existe  des  gens  malhonnêtes  qui  dupent 
les  marchands  et  se  conduisent  envers  eux  un  peu 
à  rinstar  des  «  escholiers  »  du  temps  jadis,  à 
l'égard  du  chevalier  du  guet. 

Le  crédit  se  défend  parfaitement,  quand  il  est 
organisé,  comme  chez  Dufayel,  et  mieux  encore 
qu'il  est  plus  parfaitement  organisé,  comme  au 
Progrès  commercial.  Dès  lors  que,  dans  une 
société  puissante,  il  cesse  d'être  une  autre  cause 
d'insuccès,  et  surtout  d'être  la  rançon  des  prix 
majorés,  il  est  licite,  il  est  normal,  et  c'est  à  tel 
point,  que  ceux  qui  pourraient  payer  comptant, 
sont  ceux  qui  en  usent  le  plus.  Le  crédit  consenti 
peut  donc  ne  pas  être  la  vente  à  crédit.  Les  deux 
sont  distincts;  il  importe  de  ne  point  les  con- 
fondre. Serait-il  déshonorant  d'être,  à  l'occasion, 
*  le  banquier  du  pauvre?  Serait-ce  accomplir  un 
acte  répréhensible  que  de  consentir  une  avance 
à  ceux  en  qui  l'on  a  confiance  et  pour  qui  l'on 
éprouve  un  brin  de  compassion? 

S'il  est  reconnu  que  le  petit  commerce  a  trouvé 
dans  cette  thèse  les  meilleurs  de  ses  défenseurs, 
pourquoi  les  trouverait-il  seul?  Pourquoi  oserait- 
on  blâmer  le  crédit  consenti,  de  même,  après  tout, 
que  la  vente  à  crédit,  —  puisqu'il  ne  concourt 
au  suicide  de  personne,  qu'il  permet  à  certains  de 
réaliser  leurs  rêves,  —  rêve  d'acheteur  satisfait, 
—  rêve  de  commerçant  qui  travaille  à  l'épanouis- 
sement de  ses  affaires? 

Laissons  donc  s'accomplir,  sereinement,  l'évo- 


lution des  méthodes  d'achat  et  de  vente.  Laissons 
les  Grands  Magasins  de  Paris  et  de  la  province 
parachever  leurs  métamorphoses.  C'est  pour  le 
jien-être  de  chacun.  Que  des  installations  comme 
le  Grand  Bazar  d'alimentation  du  Havre  poussent 
leur  agencement  au  perfectionnement  suprême, 
qui  pourrait  s'en  plaindre?...  Mais  les  Grands 
Magasins,  ouverts  dans  une  même  région,  pour 
3eu  qu'ils  soient  nombreux,  auront  besoin,  pour 
eur  approvisionnement  régulier,  d'un  organisme 
central  qui,  au  point  de  vue  des  denrées  alimen- 
taires, jouera  le  rôle  du  Magasin  de  gros  des 
Coopératives  et  de  la  Maison-Mère  des  Maisons  à 
succursales.  Cet  organisme,  —  l'entrepôt,  — 
devra  forcément  être  créé.  Il  est  créé  au  Havre, 
sous  la  dénomination  :  Alimentation  générale  Noga. 
Une  évolution  comme  celle  du  Grand  Bazar  du 
Havre,  on  le  conçoit  aisément,  va  entraîner  celle 
d'autres  firmes  importantes,  comme  les  Comptoirs 
Normands,  dont  le  siège  est  à  Graville-Sainte- 
Honorine.  Au  reste,  cette  évolution,  si  elle  n'était 
pas  déterminée  par  cela,  le  serait  forcément  par 
une  floraison  de  succursales  Potin,  dans  la  même 
région.  Présentement,  c'est  à  qui  louera  de  grands 
immeubles;  les  plus  grands,  les  plus  beaux,  les 
mieux  situés.  Concurrence  locative  !  Elle  est 
l'annonciatrice  de  l'autre,  et  le  consommateur  ne 
s'en  plaindra  pas.  Attendons-nous  à  des  répercus- 
sions dans  la  France  entière.  Quand  les  as  du 
commerce  s'en  mêlent,  ceux  qui  ne  sont  pas  des 
as  sont  obligés  de  suivre  s'ils  veulent  en  être  à 
leur  tour  ! 


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LES   MAISONS   A   SUCCURSALES    d'ALIMENTATION         7*. 


IV 


Les  Maisons  à  succursales  d'alimentation. 


L'extraordinaire  développement  des  Grands 
Magasins  de  Paris  et  de  la  province  est  consé- 
cutif à  celui  des  grandes  Banques  qui,  depuis 
trente  ans,  se  sont  répandues,  par  leurs  succur- 
sales, dans  tout  le  pays.  Le  grand  commerce  de 
détail  a  bénéficié  d'une  affluence  de  capitaux  con- 
sidérable, provoquée  par  la  baisse  des  valeurs 
d'Etat  ou  leur  faible  rapport,  ainsi  que  par  la 
faiblesse  d'intérêts  des  prêts  hypothécaires  ou 
autres.  Joignez  à  cela  l'affluence  des  populations 
dans  les  grandes  villes,  dans  la  capitale  notam- 
ment, et  jusque  dans  les  moindres  bourgades 
industrielles,  et  vous  aurez  une  idée  à  peu  près 
complète  des  causes  qui  déterminent  le  succès  du 
pavillon  de  Mercure  dans  la  France  entière. 

Le  succès  ne  pouvait  s'arrêter  au  Bon  Marché, 
au  Louvre,  h  Paris-France  et  à  vingt  autres.  S'il 
existait    à    Lyon  quatre    grands    magasins,   par 


exemple  :  les  Deux-Passages,  le  Grand  Bazar,  le 
Magasin  des  Corcleliers,  le  Bazar  des  Terreaux,  on 
ne  pouvait  manquer  de  voir  surgir,  dans  un  autre 
domaine,  la  Société  économique  d'alimentation  et 
les  Docks  Lyonnais.  Si  les  Galeries  lilloises, 
fondées  par  un  ancien  employé  de  commerce, 
d'abord  apprenti  dans  une  quincaillerie  des 
Vosges,  prospéraient,  il  n'y  avait  pas  de  raison 
pour  qu'à  côté,  les  Nouvelles  Epiceries  du  Nord  et 
les  Docks  du  Nord  ne  prospérassent  pas. 

Saint-Etienne  réclame  la  paternité  des  Maisons 
à  succursales  d'alimentation  ;  elles  y  ont  pris 
naissance,  dit-on,  après  1870.  A  Torigine,  elles 
n'étaient  que  de  petits  groupements  pour  l'achat 
en  commun,  puis  les  marchandises  furent  dépo- 
sées chez  l'un  des  négociants;  la  Société,  une 
fois  fondée,  s'étendit  à  toutes  les  branches  du 
commerce. 

Toutefois,  il  ne  semble  pas  que  le  succur- 
salisme eut  son  berceau  dans  la  cité  forézienne. 
Le  berceau  fut  à  Reims.  La  première  maison  y  fit 
son  apparition  en  1866.  C'étaient  les  Etablisse- 
ments économiques  des  Sociétés  de  secours 
mutuels  de  Reims.  L'entreprise  et  son  but  appa- 
raissent clairement  dans  le  titre.  C'était  l'applica- 
tion des  principes  de  mutualité  à  leur  aurore.  Je 
n'insisterai  point  sur  ce  sujet,  longuement  traité 
dans  mon  livre  :  La  Guerre,  le  Commerce 
français  et  les  Consommateurs  ;  on  ne  trouvera 
ici  que  des  détails  inédits  et  complémentaires. 

Vingt  ans  plus  tard,  surgirent  les  Docks  Rémois, 
appelés   encore   le    Familistère  ;   ils  firent   pour 


# 


72 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES    D  ALIMENTATION 


73 


Reims  ce  qu'avaient  fait  les  Nouvelles  Galeries  à 
Paris  ;  ils  franchirent  le  cercle  de  la  ville  ;  seule- 
ment, au  lieu  de  se  répandre  dans  les  cités,  ils 
gagnèrent  les  campagnes,  cherchant  la  clientèle 
jusque  dans  les  moindres  coins. 

L'extension  gagna  tout  le  département  de  la 
Marne,  puis  les  régions  de  l'Est  et  du  Nord,  et 
enfin,  bientôt,  la  banlieue  de  Paris. 

Les  Docks  Rémois,  qui  ont  leur  origine  dans 
les  anciennes  maisons  d'épicerie  :  Delabarre, 
Griffon,  Quentin,  Georget,  sont  une  Société 
anonyme  par  actions  ;  ils  avaient,  avant  la  guerre, 
800  succursales,  dont  le  rayonnement  s'étendait 
jusque  dans  le  centre  de  la  France.  Leurs  entre- 
pôts immenses,  reliés  à  la  ligne  de  Châlons, 
occupaient  une  superficie  de  100.000  mètres 
carrés.  Agencements  modernes  de  construction, 
de  roulage,  de  manutention,  de  fabrication,  y 
étaient  installés,  et  les  bâtiments  spécialisés 
étaient  séparés  par  des  quais  au  long  desquels 
abordaient  les  wagons. 

Nous  parlons  au  passé,  car  le  présent,  hélas!  ne 
lui  ressemble  pas.  La  guerre  est  venue,  et  la  dévas- 
tation!... Les  ruines  ne  sont  pas  relevées  encore. 

D'autres  maisons  eurent  le  même  sort,  —  ou 
du  moins  un  sort  approximativement  le  même,  — 
après  avoir  eu  de  la  similitude  dans  l'origine  et 
dans  la  prospérité  :  les  Comptoirs  français,  dont 
la  Maison-Mère  est  rue  Vernouillet,  et  qui  a  sa 
souche  dans  la  maison  Bonant  etMignot,  laquelle 
s'occupait  des  vins  et  spiritueux,  et  qui  se  trans- 
forma en  épicerie  de  gros.  M.  Mignot,  resté  seul 


propriétaire,  sut  assurer  à  son  œuvre  une  rapide 
prépondérance  dans  le  monde  de  l'alimentation, 
tant  par  son  savoir-faire  que  par  l'importance  : 
à  lui  seul,  en  effet,  il  assume  la  direction  de 
l'Administration  de  ses  600  succursales. 

Durant  la  guerre,  le  Familistère  et  les  Comp- 
toirs français  s'installèrent  dans  la  région  pari- 
sienne, à  Pantin,  où  se  conservera,  à  coup  sûr,  le 
centre  d'action  établi. 

^  Goulet-Turpin,  épicier  en  gros,  fonda  les  Eta- 
blissements qui  portent  son  nom,  avec  400  suc- 
cursales environ;  la  maison  Ch.  Mauroy,  épicerie 
et  vins  en  gros,  devint  les  Etablissements  Ch.  Mau- 
roy, avec  environ  200  succursales.  Le  phénomène 
inévitable  se  produisit  :  à  côté  de  ces  Maisons  à 
'succursales  puissantes,  s'établit  la  Société  rémoise 
de  l'Epicerie.  Nous  avons  vu  le  même  cas  à 
Saint-Etienne,  centre  aussi  important  de  succur- 
salisme, et  où  l'Alimentation  du  Forez  est  en  pleine 
prospérité.  Dans  les  deux  cas,  les  actionnaires 
sont  de  petits  épiciers  et  fruitiers,  qui  s'approvi- 
sionnent à  des  prix  plus  avantageux  à  la  Maison- 
Mère  qu'ils  ont  fondée,  et  qui  agit  à  l'instar  de  la 
Maison-Mère  des  succursales. 

Les  actions  de  ce  genre  d'affaires  se  plaçant 
facilement  dans  la  région,  d'autres  Sociétés  ap- 
parurent :  la  Société  anonyme  des  Etablissements 
fi.  Miellé  et  C'%  à  Châlons-sur-Marne,  qui  ont 
environ  400  succursales  ;  la  Ménagère  française, 
qui  en  a  250;  les  Etablissements  Lucien  Lépine 
et  G'%  à  Suippes;  les  Docks  de  l'Aube,  à 
Troyes,  etc.,  etc. 


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74 


5.ES   ENTREPRISES   MODERNES 


Reims  étant  un  centra,  un  second  centre  ne 
tarda  pas  à  se  créer,  dans  le  Nord,  avec  les  Eta- 
blissements Wibault,  à  Sin-le-Noble,  en  189^0. 
Puis  sont  venus  les  Nouvelles  Epiceries  du  Nord, 
les  Docks  du  Nord  et  les  Etablissements  Dreux, 
d'Arras. 

En  1897,  la  Loire  suit  le  mouvement  qui,  dès 
lors,  se  généralise  et  s'étend  au  Midi,  à  TOuest, 
au  Centre.  Le  principe  est  le  même  :  attirer  le  client 
par  le  bas  prix  des  articles,  et  surtout  dans  les 
quartiers  populeux.  Rennes  voit  éclore  6  Etablis- 
sements ;  les  fondateurs  des  Etablissements  éco- 
nomiques de  Rennes  sont  :  un  mercier,  un  épicier, 
un  marchand  de  vins,  un  directeur  de  boucherie. 
Les  administrateurs  ont  les  coudées  franches,  ce 
qui  permet  à  leurs  initiatives  de  se  manifester. 
LeDoubs  voit  éclore  les  Etablissements  Bisontins, 
les  Docks  Francs-Comtois;  la  région  dauphinoise, 
dans  tous  ses  centres  industriels,  accueille  favo- 
rablement les  succursales  qui  s'ouvrent  une  à 
une;  en  Bretagne,  c'est  également  une  véritable 
floraison. 

Les  petits  commerçants  ne  tardent  pas  à  s'in- 
quiéter. Berry,  député  de  Paris,  surgit  à  l'insti- 
gation du  Syndicat  de  l'Epicerie  française,  où  la 
Maison  Potin  mène  le  combat  contre  des  concur- 
rents qui  la  gênent;  on  vote  des  lois  d'exception, 
et  Jaurès  lui-même  pousse  le  cri  d'alarme,  dans 
un  esprit  de  justice  qu'on  ne  saurait  assez  recon- 
naître ni  louer,  il  s'agit,  à  cette  époque,  tout 
simplement  d'enrayer  Tessor  des  Maisons  à  Suc- 
cursales, et  certains,  même,  parlent  de   les   sup- 


^ 


•LES   MAISONS   A   SUCCURSALES  d'ALIMENTATION         75 

primer.  Rien  que  cela  !  Le  Français  est  sur  la 
pente  des  pires  abus  pour  entraver  le  travail  de 
ses  propres  capitaux,  sur  son  sol;  ce  qui  facilitera, 
sans  aucun  doute,  l'émigration  d'une  partie  de 
ses  capitaux  à  l'étranger,  pour  notre  plus  grand 
dam,  on  le  sait.  11  est  donc  parfaitement  inutile 
d'insister  sur  ce  point. 

Il  faut  malheureusement  reconnaître  qu'il  est 
beaucoup  plus  aisé,  pour  les  petits  commerçants, 
de  réclamer  à  cor  et  à  cri  la  protection  de  l'Etat, 
que  de  s'organiser  comme  l'ont  fait  ceux  qu'ils 
considèrent  comme  leurs  ennemis,  ou  comme  les 
épiciers  de  Reims  et  ceux  du  Forez. 

Ainsi  que  l'a  remarqué  l'Association  des  Com- 
merçants de  Toulouse  :  «  Certains  points  de  vue 
çiesquins  empêchent  cette  réahsation  que  serait 
l'achat  en  commun. 

«  Et  puis,  bien  fort  serait  celui  qui  pourrait 
rallier  tous  les  suffrages  de  ses  collègues,  pour 
acheter  au  nom  de  tous  :  chacun  voudrait  être 
celui-là. 

«  Enfin,  il  faut  reconnaître  que  ce  qui  est 
possible  pour  une  Maison  à  Succursales,  cesse  de 
lètre  pour  une  réunion  de  Maisons  indépendantes 
les  unes  des  autres.  La  Maison  à  Succursales 
peut  passer  des  marchés' importants,  parce  qu'elle 
peut  imposer  à  ses  succursalistes  la  marchandise 
qu'elle  aura  achetée.  Et  notons,  en  passant,  que, 
pour  certaines  grandes  maisons  de  province, 
succursales  de  Paris,  c'est  là  souvent  une  cause 
d'infériorité  quand  la  marchandise  n'est  pas 
appropriée  au  goût  de  la  clientèle;  les  commer- 


iifj 


\  ♦ 


76 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


i  i 


çants  pris  séparément  ont,  au  contraire,  chacun 
leur  genre  de  vente,  et,  de  leur  réunion,  ne  pourra 
pas  sortir  forcément  Tunité  d'achat,  parce  que, 
même  dans  la  même  ville,  selon  les  quartiers  ; 
même  dans  le  même  quartier,  se.lon  la  clientèle, 
les  besoins  seront  différents.  Et  puis,  il  faut 
compter  sur  la  défiance  que,  malgré  tout,  le  petit 
commerçant  éprouve  toujours  pour  son  con- 
current. Combien  se  refuseront  à  acheter  la  même 
marchandise  que  leur  voisin!  Ne  s'imaginent-ils 
pas  toujours  être  plus  forts  que  lui? 

«  Il  y  a  cependant  une  branche  de  commerce 
où  les  achats  pourraient  et  devraient  être  faits 
depuis  longtemps  en  commun.  C'est  l'alimenta- 
tion. L'alimentation  est,  de  tous  les  petits  com- 
merces, celui  qui  a  le  plus  à  souffrir  actuellement 
de  la  concurrence  des  grandes  Sociétés,  parce 
que  la  variété  des  marchandises  y  est  de  beau- 
coup plus  réduite,  par  exemple,  que  dans  le 
commerce  d'habillement;  il  y  a  d'abord  les  ali- 
ments de  première  nécessité  qui  sont,  forcément, 
les  mêmes  chez  tous,  à  qualité  égale  bien  entendu  ; 
il  y  a  ensuite  les  marques;  tout  cela  pourrait  être 
acheté  en  commun.  11  est  incontestable  que  le 
petit  épicier  de  province  végète  ;  il  végétait  même 
avant  l'apparition  des  Sociétés  à  Succursales 
multiples,  parce  qu'il  dépendait,  à  ce  moment 
déjà,  de  la  maison  de  gros,  et  c'est  ce  qui  a  fait 
dire  à  plusieurs  grosses  Sociétés  d'alimentation, 
qu'elles  n'ont  fait,  en  supprimant  les  petits  mar- 
chands, que  leur  rendre  service.  Sans  aller  aussi 
loin    dans    ce    plaidoyer  pro    domo    des  grandes 


LES    MAISONS   A    SUCCURSALES   D  ALIMENTATION 


77 


> 


\  i  I 


Sociétés,  il  faut  reconnaître  que,  depuis  long- 
temps, les  petits  marchands  d'alimentation  au- 
raient pu  secouer  le  joug  de  leurs  gros  concur- 
rents et  de  leurs  fournisseurs,  marchands  en 
gros,  en  se  syndiquant  pour  les  achats,  car  ils  ont 
un  des  rares  métiers  où  cela  est  possible.  C'est  là 
une  éducation  qui  est  entièrement  à  faire.  » 

La  guerre  survient  ;  les  petits  commerçants 
oublient  leurs  misères,  pour  ne  plus  songer  qu'à 
l'œuvre  commune  :  vaincre,  chasser  l'ennemi!... 
Puis  surgissent,  pour  le  pays,  les  difficultés  de 
ravitaillement;  difficultés  nées  des  réglementa- 
tions, et,  en  tout  premier  lieu,  des  transports. 
L'extension  de  certaines  firmes  a  lieu  à  la  faveur 
>de  ces  difficultés  ;  les  maires  des  localités  les 
plus  diverses  leur  télégraphient  assidûment  pour 
signaler,  comme  celui  de  Chambon-Feugerolles, 
dans  la  Loire,  que  «  quatre  boulangers  sur 
huit  passent  le  conseil  de  révision  et  qu'ils  ne 
pourront  plus  faire  le  pain;  qu'il  importe  d'aug- 
menter les  envois  de  pain  dans  les  succursales.  > 
D'autres,  comme  le  maire  de  Solzet-le-Froid,  dans 
le  Puy-de-Dôme,  demandent  l'ouverture  d'une 
Succursale,  en  raison  de  l'insuffisance  de  l'appro- 
visionnement et  des  boutiquiers  existants  ;  les 
habitants  d'Arcet  et  de  Lamotte,  dans  le  même 
département,  adressent  la  même  supplique  ;  ceux 
de  Coublanc,  en  Saône-et-Loire,  en  font  autant, 
parce  que  le  peu  qu'on  trouve,  on  le  paie  au 
«  prix  de  l'or  »  :  le  Secrétaire  de  mairie  de  la 
Chapelle-Laurent,  dans  le  Cantal,  devient  un  in- 
terprète  animé   de   sentiments  analogues  ;   dans 


78 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


les  grandes  villes,  à  Lyon,  même,  des  groupes 
d^habilants  sollicitent  la  même  installation  pour 
leur  quartier  ;  enfin,  un  peu  partout,  des  récrimi- 
nations d'un  autre  genre  se  font  jour  :  des  épiciers 
déclarent  que  si  les  Maisons  à  Succursales  vendent 
davantage  certains  produits,  c'est  parce  que  ces 
produits  sont  écoulés,  chez  eux,  à  meilleur  compte 
qu'ils  ne  le  sont  ailleurs,  ce  qui  n'empêche  pas 
les  municipalités,  les  comités  départementaux, 
de  sacrifier  les  intérêts  des  consommateurs  à 
ceux  de  quelques  patentés  dénués  de  scrupules, 
de  mercantis,  serait  mieux  le  mot. 

Présentement,  les  Maisons  à  Succursales  d'Ali- 
mentation vendent  de  tout  et  sont  devenues  de 
véritables  bazars  ;  les  consommateurs,  qui  y 
trouvent  des  avantages  sérieux  d'économie,  s'af- 
firment satisfaits.  Certaines  entrent  dans  la  voie 
tracée  par  Potin  et  Damoy  ;  elles  ont  créé  des 
dépôts  pour  la  vente  de  leurs  produits  ;  elles 
passent  des  contrats  avec  des  commerçants, 
s'engageant  à  réaliser  un  certain  chiffre  d'affaires, 
et  leur  laissant  le  monopole  de  leurs  produits 
dans  la  localité.  D'autres  confient  à  un  commer- 
çant déjà  établi  les  marchandises  et  les  produits 
de  leur  marque,  que  ce  dernier  s'engage  à  vendre 
au  prix  convenu.  Aucun  chiffre  d'affaires  mini- 
mum n'est  exigé,  mais  ces  dépositaires  doivent 
s'approvisionner  exclusivement  des  marchandises 
désignées,  dans  la  maison  d'alimentation  qui  leur 
a  confié  le  dépôt.  Pour  les  autres,  dont  le  mono- 
pole ne  leur  a  pas  été  concédé,  ils  gardent  leur 
entière  liberté. 


i  fe^ 


LES   MAISONS   A   StJCC0RSAlES    D^ALmENTATION         "79 

Ces  dépositaires  sont  de  véritables  petits  com- 
merçants   qui    opèrent    uniquement    pour    leur 

^  compte,  paient  leur  patente,  leur  loyer,  leurs  frais 
d'installation.  La  maison  qui  les  fournit  remplit, 
vis  à-vis  d'eux,  le  rôle  d'épiciers  de  gros,  sans 
qu'ils  aient  à  courir  aucun  risque,  chacune  des 
deux  parties  étant  libre  de  rompre  son  engage- 
ment quand  il  lui  plaît. 

Les  Magasins  du  Casino,  de  Saint-Etienne,  et 
les  Etablissements  Lépine,  de  Suippes,  semblent 
plus  particulièrement  disposés  à  adopter  ce  mode 
commercial,  qui  est  le  point  de  départ  d'une  nou- 
velle évolution  dans  les  Maisons  à  Succursales, 
d'autant  plus  qu'elles  s'acheminent  vers  la  fabri- 

,  cation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Maisons  à  Succursales, 
qui  réalisent,  à  l'heure  actuelle,  un  chiffre  d'affaires 
d'environ  cinq  miUiards,  se  répartissent  ainsi, 
avec  leurs  14.000  succursales  : 

Ardennes  : 

Docks  Ardennais,  Charleville-Mézières. 

Aube  : 

Etablissements     économiques     Troyens,      à 

Troyes ; 
Docks  de  l'Union  française,  à  Troyes- 
Ruche  Moderne,  à  Troyes. 

Aud(3  ; 

Etoile  du  Midi,  à  Carcassonne. 

r 

Basses-Pyrénées  : 

Société  Guyenne  et  Gascogne,  à  Bayonne. 


If 


80 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


Bas-Rhin  : 

Société   d'Alimentation   d'Alsace  et  de  Lor- 
raine, à  Strasbourg. 

Bouches-du-Rhône  : 

Alimentation    Moderne    du  Midi    et    Docks 
Phocéens  réunis,  à  Marseille. 

Calvados  : 

Société  Normande  d'alimentation,  à  Gaen. 


Côte-D'Or  : 

Comptoirs  de  la  Bourgogne,  à  Dijon  ; 
Société     Bourguignonne    d'Alimentation, 
Dijon. 


a 


Doubs  : 

Docks   Francs-Comtois,  à  Besançon; 
Etablissements    Economiques    Bisontins,    à 
Besançon. 

Drame  : 

Etablissements  Guérin,  Père  et  Fils,   à  Va- 
lence-sur-Rhône. 

Finistère  : 

Economie  Bretonne,  à  Brest. 

Gironde  : 

L'Aquitaine,  àBègles-Bordeaux; 
Docks  du    Sud-Ouest,  Impasse  Saint-Projet, 
Bordeaux. 


Haute- Garonne  : 

L'Epargne,  à  Toulouse. 


/ 


/ 


LES    MAISONS   A   SUCCURSALES   d'aLIMENTATION         81 

Haute-Vienne  : 

Alimentation  du  Centre,  à  Limoges. 

Hérault  : 

Ruche  du  Midi,  à  Béziers; 
Docks  Méridionaux,  à  Béziers  ; 
Semeuse  du  Sud,  à  Montpellier. 

Indre-et-Loire  : 

Docks  du  Centre,  à  Tours; 
Etablissements    de     Touraine,    à    Joué-les- 
Tours. 

Loire  : 

Magasins  du  Casino,  à  Saint-Etienne  ; 

Docks  Foréziens  de  l'Alimentation,  à  Saint- 
Etienne; 

Etablissements  Zanzibar,  à  Saint-Etienne  ; 

Alimentation  Stéphanoise,  à  Saint-Etienne  ; 

Etoile  Blanche,  à  Saint-Etienne; 

Etabhssements  Economiques  du  Printemps, 
à   Saint-Etienne  ; 

Etablissements  E.  Géry,  à  Saint-Etienne  ; 

Etablissements  Faure  et  Bonjour,  à  Saint- 
Etienne. 

Loir-et-Cher  : 

Etabhssements  Fournier,  à  Blois. 

Loire-Inférieure  : 

Docks  de  l'Ouest,  à  Nantes  ; 
Epargne   de  l'Ouest,  à  Nantes. 

Lot-et-Garonne  : 

Ruche  Méridionale,  à  Agen. 

6 


/ 


82 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


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I  -1 


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Maine-et-Loire  : 

Etablissements  Brisset,  à  Angers. 

Marne  : 

Comptoirs  Français,  à  Reims; 
Docks  Rémois,  à  Reims; 
Etablissements  Ch.  Maiiroy,  à  Reims  ; 
Etablissements  B.   Miellé   et  C'%  à  Ghâlons- 

sur-Marne  ; 
Etablissements  L.  Lépine  et  C'%  à  Suippes 
Ménagère  française,  àChâlons-snr-Marne  ; 
Etablissements    Economiques    de    Reims,    à 

Reims  ; 
Etablissements  Goulet-Turpin,  à  Reims. 

Meurthe-et-AIoselle  : 

Docks  de  TAlimentation,  à  Nancy;  '  ^ 

Docks  Saint-Georges,  à  Nancy. 

Moselle  : 

Etablissements  G.   Miellé,  Cailloux  et  C'%  à 

Metz  ; 
Ruche  Lorraine,  à  Metz, 

Nièvre  : 

Docks  de  Nevers,  à  Nevers. 

Nord  : 

Docks  du  Nord,  à  Marquette-lez-Lille; 

Nouvelles  Epiceries  du  Nord,  à  la  Madeleine- 
lez-Lille  ; 
Etablissements  Wibault,  à  Sin-le-Noble. 

Pas-de-Calais  : 

Etablissements  Dreux,  à  Arras. 


LES    MAISONS   A   SUCCURSALES    d'aLIMENTATION         83 

Puy-de-Dôme  : 

Union-Approvisionnement,  à  Clermont-Fer- 
rand; 

Economats  du  Centre,  à  Clermont-Ferrand. 

Rhône  : 

Société  économique  d'alimentation,  à  Lyon  ; 
Docks  Lyonnais,  à  Lyon-Vaise; 
Société  Moderne  d'alimentation,  à  Lyon; 
Etablissements     Modèles    d'alimentation,    à 
Lyon. 

Sarthe  : 

Grands  Docks  de  la  Sarthe,  au  Mans. 

Seine  : 

Grands    Economats    Parisiens,   à  la  Plaine- 
Saint-Denis; 

Docks  Rémois,  à  Pantin; 

Comptoirs  Français,  à  Pantin; 

Etablissements    Economiques  de  Reims,  au 
Pré-Saint-Gervais  ; 

Société  Parisienne  et  Séquanaise  d'alimenta- 
tion, 132,  Faubourg  Saint-Denis,  à  Paris; 

Entrepôt  de  Grenelle,  51,  quai  de    Grenelle, 
à  Paris  ; 

Nouvelle  Coopérative,  36-38,  rue  de  Watti- 
gnies,   à  Paris. 

Seine-et-Marne  : 

Union  Commerciale,  à  Villenoy-Meaux. 

Seine-et-Oise  : 

La    Gauloise,    à    Versailles,    105,     rue    des 
Chantiers. 


84 


LES  ENTREPRISES  MODERNES 


I 


Seine-Inférieure  : 

Comptoirs     Normands,     à    Graville-Sainte- 

Honorine;    • 
Etablissements   Rouennais  et  de  Normandie, 

à  Rouen; 
Société    d'Alimentation    <(    L'Aiglon  )>,    au 

Havre. 

Somme  : 

Ruche  Picarde,  à  Amiens. 

Vaucluse  : 

Docks  de  Provence,  à  Avignon. 


Les  Maisons  à  Succursales  de  Spécialités. 


Si  les  Maisons  à  Succursales  ont  eu  une  flo- 
raison si  brillante  en  si  peu  de  temps,  c'est  parce 
que  le  Grand  Magasin  proprement  dit  ne  repré- 
sentait pas  le  dernier  cri  de  l'évolution  commer- 
ciale. Si  les  Maisons  à  Succursales-Bazars  repré- 
sentaient ce  dernier  cri,  elles  n'auraient  point  vu, 
à  leurs  côtés,  la  création  des  Maisons  à  Succur- 
sales de  spécialités  ;  celles-ci  opèrent  avec  les  vins, 
le  lait,  la  chaussure,  la  chemiserie,  l'hôtellerie,  le 
restaurant,  la  bijouterie,  la  droguerie,  la  papeterie, 
la  librairie  et  la  banque.  Le  principe  qui  con- 
siste à  cueillir  le  client  là  où  il  se  trouve,  demeure 
partout  le  même.  La  clientèle  des  Maisons  à  Suc- 
cursales est,  de  toutes  les  clientèles,  la  plus  fidèle." 
Les  négociants  en  vins  s'en  sont  aperçus,  et  ils 
ont  édifié  des  affaires  commerciales  de  tout  premier 
ordre,  en  appliquant  les  données  connues  quej'ai 


!/■ 


86 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


mises  en  relief   dans  mon   livre  :  La   Guerre,   le 
Commerce  français  et  les  Consommateurs . 

La  maison  type  est  «  La  Vigneronne  »,  créée 
en  1894,  et  qui  s'appelait  tout  d'abord  :  «  Société 
des  Vins  naturels,  »  puis  <(  Compagnie  des  Eta- 
blissements économiques.  »  C'est  à  la  suite  de 
l'achat  de  quelques  dépôts  qui  venaient  de  s'ouvrir 
dans  Paris,  que  le  titre  a  La  Vigneronne  »  fut 
employé;  1%  p.  100  des  boutiques  le  portent 
actuellement;  les  autres  portent  le  second;  le 
premier  n'existe  plus. 

Lors  de  la  création  de  leur  affaire,  MM.  Loévi 
et  Jauriat  étaient  négociants  en  vins;  ils  pra- 
tiquaient ce  commerce  avec  les  négociants  des 
Entrepôts  de  Paris  et  de  province.  Ils  achetaient 
leurs  marchandises  directement  à  la  propriété, 
méridionale  ou  algérienne. 

A  cette  époque,  l'octroi  sévissait;  la  consom- 
mation de  vin,  dans  la  capitale,  était  moins  im- 
portante qu'elle  ne  l'est  aujourd'hui;  le  débit  d'un 
magasin  de  détail  n'était  guère  que  de  cinq  à  six 
pièces  de  vin  par  mois,  en  moyenne.  De  plus,  les 
tenanciers  avaient  des  frais  généraux  très  élevés  ; 
ils  payaient  leurs  fonds  des  prix  exorbitants  et 
d'un  rapport  généralement  éloigné  de  leur  chiffre 
d'affaires.  La  conséquence  toute  naturelle  était  ce 
qu'on  a  appelé  la  mévente  des  vins  à  la  propriété, 
par  conséquent  Favilissement  des  cours. 

Les  fondateurs  de  la  Société  des  Vins  naturels 
comprirent  qu'il  fallait  vendre,  non  pas  cinq  ou 
six  pièces  de  vin  par  mois,  mais  cette  quantité 
journellement.  Persuadés    de   l'inutilité   du  luxe 


LES    MAISONS   A    SUCCURSALES    DE    SPECIALITES 


87 


dans  les  installations  nécessaires,  ils  ouvrirent 
leurs  premières  maisons  dans  le  X*  arrondissement, 
et,  en  dépit  des  critiques  qui  prenaient  racine  dans 
la  jalousie  des  négociants  en  vins,  leurs  concur- 
rents, et  dans  le  mécontentement  des  débitants, 
leurs  clients  primitifs,  la  nouvelle  firme  n'en  par- 
courut pas  moins  son  orbe  pour  occuper,  dans  le 
commerce  parisien,  la  place  prépondérante  qui  est 
la  sienne  actuellement. 

En  1908,  la  Vigneronne  s'adjoignit  la  vente 
du  pain  et  de  certaines  denrées  alimentaires.  En 
matière  d'alimentation,  soit  solide,  soit  liquide, 
on  ne  peut  guère  s'en  tenir  sur  une  spécialité. 
Au  début  de  la  guerre,  134  dépôts  existaient  dans 

Paris. 

'  Aujourd'hui,  l'ensemble  des  Maisons  à  Succur- 
sales de  vins  représente  une  trentaine  de  firmes 
disposant  d'environ  1.800  succursales.  Parmi  les 
plus  importantes,  citons  les  Etablissements  Ni- 
colas, les  Entrepôts  de  Grenelle,  la  Société  pari- 
sienne des  Vins  :  Paris-Médoc  ;  la  Société  Bour- 
guignonne et  Bordelaise  ;  Biard  et  C'%  etc.,  etc. 

Ces  maisons,  au  cours  des  six  dernières  années, 
ont  contribué  à  empêcher  la  hausse  exagérée  des 
vins  ;  elles  ont  été  une  entrave  continuelle  à  la 
hausse  qui  menaçait  sans  cesse  de  se  produire 
dans  le  détail;  leur  influence  a  été  moindre  sur 
les  prix  pratiqués  pour  les  autres  denrées  alimen- 
taires; toutefois,  cependant,  on  peut  signaler  que 
la  Vigneronne  a  toujours  vendu  son  pain  0  fr.  65 
de  moins,  au  kilogramme,  que  ne  le  vendaient  les 
boulangers  parisiens,   et  cela,  jusqu'au  mois  de 


1/ 


88 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


juin  1918,  époque  à  laquelle  FUsine  de  Panifica- 
tion a  été  réquisitionnée  par  l'Administration;  et 
ceci  prouve,  une  fois  de  plus,  que  les  Sociétés  à 
Succursales  peuvent  faire  mieux  et  à  meilleur 
compte  que  le  Commerce  individuel,  si  perfec- 
tionné soit-il. 

Le  tableau  ci-dessous  montrera  les  prix  pra- 
tiqués pour  les  vins  rouges  ordinaires,  de  10  de- 
grés, pendant  toute  la  période  de  guerre  : 

Juillet  1914 0  40 

De  >  à  mars  1915 0  40 

y>  mars  1915  à  juin  1915 0  .35 

Juillet  1915 0  50 

Septembre  1915 0  55 

Octobre  1915 0  60 

Novembre  1915 0  65 

Décembre  1915 0  70 

Janvier  et  février  1916 0  75 

De  mars  à  mai  1916 0  80 

))  juin  à  décembre  1916 0  85 

Janvier  1917 0  90 

Février      y>     0  95 

De  mars  à  juillet  1917 1  15 

Août  1917 1  ^20 

Septembre-octobre  1917 1  30 

Novembre  1917  à  janvier  1918 1  40 

Mars  à  juin  1918 1  50 

Juillet  1918 1  60 

Août  1918 1  75 

Septembre  1918  à  mars  1919 1  90 

Avril  1919 1  70 

Mai  1919 1  50 


LES    MAISONS   A   SUCCURSALES   DE    SPÉCIALITÉS         89 

Etant  donné  que  le  prix  de  l'hectolitre  nu,  à 
la  propriété,  a  subi  une  progression  aussi  énorme 
que  constante,  il  faut  reconnaître  que  Feffort  des 
Maisons  à  Succursales  de  vins  a  été  considérable 
et  bienfaisant.  On  en  jugera  mieux  en  comparant 
les  prix  ci-dessous,  de  Thectolitre  de  vin,  pris  à 
la  propriété,  et  grevé,  en  supplément,  de  tous  les 
frais  afférents  aux  transports,  au  camionnage, 
aux  prix  de  la  verrerie,  des  bouchons,  des  éti- 
quettes et  de  toute  la  main-d'œuvre,  en  général: 

Juillet  1914 23  frs. 

1915 90  16 

1916 64  85 

1917 .  71  90 

,       1918 94  45 

1919 99  12 

Janvier  1920 110  à  130  frs. 

Il  faut  considérer  qu'une  foule  de  facteurs  en- 
traient en  ligne  de  compte;  les  dépôts  ne  furent 
régulièrement  et  normalement  approvisionnés  que 
jusqu'en  1916.  Mais,  à  partir  de  1917,  par  suite 
de  manque  de  moyens  de  transports,  par  suite 
surtout  d'une  inconsidérée  réquisition  des  wagons- 
réservoirs,  les  marchandises  nécessaires  à  la  vente, 
donc  à  la  consommation,  faisaient  défaut  plusieurs 
jours  par  semaine.  Le  chiffre  d'affaires  de  chaque 
maison  s'en  est  ressenti;  pour  certaines,  il  est 
tombé  de  plus  de  45  p.  100  en  1918.  Pour  d'autres, 
il  est  tombé  davantage. 

Les  sollicitudes  de  l'Administration  et  des  Pou- 
voirs publics,  à  aucun  moment,  ne  se  sont  mani- 


/fil 


90 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Ml 


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II'' 


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festées.  On  n'aidait  à  Tapprovisionnement  qu'en 
édifiant  des  baraques  Vilgrain  —  on  sait  ce  qu'en 
vaut  Faune  de  planches  —  et  en  ouvrant  des  bou- 
tiques municipales,  trompe-l'œil  qui  creusait  le 
déficit  formidable  de  la  Ville,  sans  apporter  à  la 
population,  non  pas  le  bien-être  qu'elle  était  en 
droit  d'espérer,  mais  le  soulagement  qu'elle  aurait 
trouvé  en  présence  des  efforts  du  commerce  orga- 
nisé, si  ces  efforts  avaient  pu  se  donner  libre  cours. 
Le  public,  hélas  !  accueille  favorablement  les  me- 
sures qui  lui  nuisent,  quand  ceux  qui  les  prennent 
savent  les  entourer  d'une  adroite  et  abondante 
pubHcité,  laquelle  constitue  un  bourrage  de  crânes 
en  règle,  mais  qui  se  traduira  en  réussite  élec- 
torale. 

Les  Maisons  à  Succursales,  systématiquement, 
ont  donc  été  bannies  de  toutes  les  répartitions. 
En  ce  qui  concerne  les  transports,  l'aide  de  l'Ad- 
ministration ne  fut  guère  efficace,  parce  qu'elle  se 
bornait  —  et  qu'elle  se  borne  encore  —  au  néant. 
Bien  au  contraire,  on  a  fait  tout  ce  que  l'on  a  pu 
30ur  étrangler  les  bonnes  volontés  et  empêcher 
a  manifestation  des  initiatives.  L'inconséquence 
des  bureaux  faisait  violer  leurs  promesses  par  les 
ministres  eux-mêmes;  on  écrirait  des  milliers  de 
pages  pour  montrer  le  mauvais  vouloir,  l'esprit 
tatillon,  chicanier,  de  la  bureaucratie  en  redingote 
et  en  bleu  horizon!...  A  quoi  bon?  Pourtant,  il 
faut  bien  signaler  quelques  déclarations  ou  quel- 
ques encouragements  dans  lesquels  on  eut  foi  : 

M.   Raynaud,    ministre  du  Commerce,   dit  un 
jour,  du  haut  de  la  tribune  : 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES    DE   SPÉCIALITÉS         91 

«  Nous  favoriserons  les  achats  che2  nos  amis  et 

alliés,  les   Italiens  et  les  Portugais;  je  donnerai 

^  toutes  les   facilités  possibles  pour  l'expédition  des 

vins,  de  façon  à  empêcher  la  hausse  de  ce  produit 

de  première  nécessité  !  y> 

Mettez-vous  à  la  place  des  puissantes  Sociétés 
qui  ne  s'occupent  que  du  commerce  vinicole. 
Qu'eussiez-vous  fait?...  Ce  qu'elles  ont  fait,  par- 
bleu !  Fortes  de  cette  déclaration,  elles  achetèrent 
en  Italie  d'énormes  quantités.  On  leur  accorda 
tous  les  permis  d'importation  qu'elles  désirèrent* 
Mais,  dès  qu'il  s'agit  d'envoyer  des  futailles  vides 
ou  des  réservoirs  pour  retirer  les  vins  achetés,  le 
Ministère  des  Transports  intervint.  On  interdit 
l'expédition  des  récipients. 

Un  ministre  dit  blanc.  Un  autre  ministre  dit 
noir.  Et,  comme  leurs  services  se  chevauchent, 
tous  les  fils  s'en  entremêlent  d'une  façon  qui  serait 
burlesque,  si  elle  n'était  douloureuse,  parce 
qu'extrêmement  préjudiciable  à  l'intérêt  général. 
Oh!  l'exemple  fourni  par  le  Ministre  duGom- 
merce,  en  cette  circonstance,  n'est  point  un 
ex  mple  isolé.  M.  Loucheur,  un  jour,  fit  parvenir 
à  chacun,  au  cours  de  l'armistice,  une  circulaire 
incitant  à  l'achat  de  wagons-réservoirs  en  Alle- 
magne, en  raison  des  bénéfices  que  nous  procurait 
le  change.  On  obéit;  on  expédia  des  centaines  de 
miniers  de  francs  pour  obtenir  le  matériel  indis- 
pensable et  convoité.  Enfin,  la  crise  du  vin  allait 
être  vaincue  ! 

Erreur;  lorsque  les  wagons  arrivèrent  à  la  fron- 
lière,    on   en  refusa  l'immatriculation,   sous  des 


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94 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


i 


prétextes,  d'ailleurs,  aussi  bureaucratique  que 
futiles  et  divers.  Il  n'y  eut  guère  que  quelques 
privilégiés,  des  commerçants  improvisés,  des  mer- 
cantis,  pour  mieux  dire,  qui  en  profitèrent!  Pour 
arriver  à  l'ombre  d'un  résultat,  que  de  tracas,  que 
de  démarches,  que  d'ordres,  que  de  contre-ordres, 

que  de  désordre  I 

Pendant  ce  temps,  on  jetait  la  poudre  aux  yeux 
du  public,  du  bon  public  qui  attendait  son  pinard  : 
—  Prenez  patience!  lui  disait-on.  Les  Coopé- 
ratives vont  être  approvisionnées.  Allez  dans  les 
Coopératives;  elles  seules  sont  honnêtes,  les  com- 
merçants sont  des  voleurs. 

Il  fallait  bien  trouver  un  bouc  émissaire  pour 
que  la  masse  sût,  le  cas  échéant,  à  qui  s'en  prendre. 
Toutes  les   formules  qui  tendaient  à  représenterai 
une  catégorie  de  citoyens  comme  des  exploiteurs  I 
d'une  situation  malheureuse  engendrant  la  misère 
publique,    n'avaient   pas    d'autre   but  que   celui 
d'abuser  les  naïfs  et  de  voiler  les  véritables  res- 
ponsables. Les  maîtres  de  l'heure  ne  se  rendaient 
nullement  compte  du  danger  sérieux  que   com- 
portait l'excitation   de  citoyens  éprouvés,  contre 
une  autre   catégorie  de   citoyens    qui,    éprouves 
aussi,  n'en  pouvaient  mais. 

Oui,  les  Coopératives  ont  été  plus  favorisées 
que  le  commerce  ordinaire  ;  on  leur  cédait  des 
vins  au  prix  de  réquisition,  ce  qui  leur  permettait 
de  vendre  à  meilleur  compte  que  les  commer- 
çants, qui  n'acquéraient  pas  leurs  vins  à  un  prix 
de  réquisition,  mais  bien  à  un  prix  commercial. 
Cependant,    nous    croyons    sincèrement,  et   des 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES   DE   SPÉCIALITÉS         93 

commerçants  autorisés  le  croient  aussi,  qu'on  a 
beaucoup  plus  écrit  à  ce  sujet  qu'on  a  fait  de 
besogne;  là  comme  ailleurs,  on  a  promis  plus  de 
beurre  que  de  pain.  La  réalité,  c'est  que  les  Coo- 
pératives ont  été  aussi  mal  desservies  que  les  né- 
gociants professionnels. 

La  signature  de  l'armistice  permit  de  penser  à 
de  prochaines  améliorations.  L'Etat  dit  aux  com- 
merçants : 

((  Achetez  !  Et  nous  vous  donnerons  des  plates- 
formes,  car  80.000  wagons  allemands  nous  re- 
viennent! » 

On  acheta.  De  nouveau,  il  se  produisit  ce  qui 
s'était  produit  avec  les  promesses  de  M.  Raynaud. 
Quand  il  s'agit  d'enlever  les  vins  acquis,  les  vul- 
gaires plates-formes  furent  refusées.  Les  demandes 
d'autorisation  d'importation  cheminaient  lentement 
de  bureau  en  bureau  ;  quelquefois,  elles  s'égaraient 
avant  de  parvenir  au  bureau  compétent;  d'autres 
fois,  c'était  le  bureau  compétent  qui  s'était  égaré  : 
il  avait  changé  de  domicile,  sans  prévenir  qui  que 
ce  soit.  Et,  le  plus  souvent,  ce  laps  de  temps 
écoulé,  les  demandes  étaient  retournées  à  leurs 
expéditeurs,  parce  que  la  couleur  du  papier  em- 
ployé devait  être  rose,  au  lieu  d'être  jaune.  Ces 
messieurs,  vexés,  se  prenaient  sans  doute  pour 
des  chefs  de  gare  ! 

Ah!  les  tracasseries,  les  sottises  de  TAdminis- 
tration,  qui  les  dénombrera  jamais?...  Ce  ne  sont 
pas  des  économistes  qu'il  faudrait  pour  les  narrer, 
mais  une  armée  de  Courtelinesl...  J'ai  raconté 
jadis  l'histoire  d'un  sac  d'escargots  parti  d'Auteuil, 


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94 


Les  entreprises  modernes 


pour  n'arriver  à  Paris  qu'au  bout  de  48  heures; 
c'était  avant  la  guerre!...  J'ai  relaté  aussi  l'aven- 
ture de  ces   cochons  —  de  vrais   cochons,    biep 
entendu,  —  des  cochons  pour  la  Villette  —  ex- 
pédiés du  Mans  un  beau  matin,    et  mettant  neuf 
jours  pour  parcourir,  —  en  chemin  de  fer,  —  les 
120  kilomètres  qui  les  séparaient  des  abattoirs; 
ils  y  seraient  venus  à  piedl...   Mais  que  dire  des 
transports    actuels,    sinon    qu'ils    en    occasion- 
neraient, au  cerveau  des  gens  les  plus  placides, 
les  moins  impressionnables  !  Au  lieu  de  mettre 
quinze  jours,  au  maximum,   pour  faire  le  voyage 
du  Midi  à  Paris,  un  wagon  emploie  six  semaines, 
puis   deux    mois,  puis   trois,    puis    quatre,   puis 
cinq,  puis  six.  On  ne  sait  où  cela  doit  s'arrêter. 
C'est  ainsi  qu'une  expédition  partie  de  Rouen  le 
6  février  1919,  parvint  seulement  à  Paris  le  27  mai. 
Le  wagon  avait  mis  110  jours  pour  effectuer  un 
trajet  de  136  kilomètres.  11  contenait  du  vin.  Et,  à 
cette  époque-là,  c'était  encore  le  bon  temps! 

Ah!  qu'il  eût  fallu  en  réquisitionner,  des 
wagons,  pour  assurer,  dans  de  telles  conditions, 
l'approvisionnement  normal  du  pays!...  Rien 
d'étonnant,  alors,  à  ce  que  les  réquisitions  préle- 
vées aient  été  aussi  préjudiciables  au  commerce 
des  vins  qu'à  la  consommation  elle-même!  On 
prenait  les  réservoirs  en  cours  de  remplissage, 
pendant  que  le  parc  de  Montpellier  était  plein  dé 
wagons-réservoirs  inutilisés.  Le  travail  de  Péné- 
lope est  une  des  spécialités  de  l'Administration  ; 
elle  l'impose  même  aux  autres,  dès  qu'il  lui  est 
possible  de  le  faire. 


T/ 


LES    MAISONS   A   SUCCURSALES   DE   SPÉCIALITÉS         95 

Quant  aux  réquisitions  militaires  de  marchan- 
dises, la  déloyauté  y  accompagna  souventesfois  la 
malhonnêteté.  En  voulez-vous  deux  exemples, 
pris  entre  cent  mille  ? 

Le  1^'  octohre  1915,  une  Maison  à  Succursales 
de  vins  achetait  une  cave  composée  de  1.145  hec- 
tolitres de  vin  blanc,  à  37  francs  Thecto,  plus 
0  fr.  50  de  commission  ;  ce  qui  faisait  37  fr.  50. 
Cette  cave  était  la  cave  Malleval,  à  Mahelma, 
Alger.  Au  moment  de  l'expédition  des  vins  achetés, 
l'administration  militaire  fit  savoir  qu'elle  les 
réquisitionnait.  L'Algérie,  à  ce  moment-là,  pos- 
sédait beaucoup  de  vins  blancs  non  vendus.  La 
réquisition  n'était  donc  point  motivée  par  la  pé- 
nurie de  marchandises;  dans  ce  cas,  elle  l'était 
par  une  hausse  de  8  francs  par  heclo.  Elle  venait 
de  se  produire.  Et  c'était  pour  payer  le  vin 
au  prix  qu'une  Société  commerciale  l'avait  payé, 
que  l'Iutendance  le  lui  prenait,  sans  se  préoc- 
cuper si  la  Société  devait  se  couvrir  à  nouveau, 
pour  ses  besoins  et  ceux  de  sa  clientèle,  à  des 
conditions  plus  onéreuses  que  celles  dont  elle 
avait  joui. 

L'Administration  condescendit  jusqu'à  s'in- 
former du  prix  que  demandait  la  Société  à  Succur- 
sales pour  les  vins  Malleval.  La  Société  répondit: 
le  prix  coûtant,  soit  37  frs  50.  Ce  qui  prouve  que 
tout  le  monde  n'apportait  pas  le  même  engoue- 
ment à  réaliser  des  bénéfices  sur  le  dos  de  l'Etat. 
Mais,  quand  vint  le  règlement,  l'Intendance  ré- 
duisit 5  fr.  50  par  hectolitre.  Elle  n'en  payait  plus 
que  32.  Et  le  règlement  est  toujours  en  instance. 


il 


96 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


Cela  peut  durer  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles.' Ainsi  ne  soit  pas! 

Consommateur,  si  tu  lis  ceci,  réfléchis  :  la 
Société  commerciale  à  Succursales  chez  laquelle, 
peut-être,  tu  t'approvisionnes  pour  que  tu  aies, 
toi  aussi,  ton  verre  de  pinard,  a  dû  effectuer  en 
Algérie  d'autres  achats,  au  prix  de  45  francs, 
d'où  perte  de  7  fr.  50  sur  le  prix  antérieur,  et  à 
laquelle,  forcément,  il  convient  d'ajouter  les 
5  fr.  50  réduits  par  l'Administration  ;  ce  qui  porte 
la  différence  totale  à  13  francs,  —  soit  près  de 
trois  sous  par  litre  —  et  que,  bien  entendu,  tu  as 
payée.  Comprends-tu,  maintenant,  une  des  raisons 
de  la  hausse  dont  tu  souffres  encore? 

Cette  hausse  a  eu  ses  racines  les  plus  profondes 
dans  les  entraves  délibérément  apportées  au  com- 
merce, et  dans  les  injustices  commises  à  son 
égard,  mais  grâce  auxquelles  fleurirent  les  com- 
binaisons des  mercantis  qui  ont  réalisé  de  grosses 
fortunes,  avec  le  concours  des  employés  de  l'Etat. 

Trêve  de  récriminations.  Nous  n'avons  pas  la 
3rétention  de  réunir  ici  des  documents  pour  les 
humoristes  de  l'avenir.  Ceux  qui  analysent,  dédui- 
sent, savent  comprendre,  par  un  simple  fait  précis, 
ont  des  horizons  largement  ouverts  sur  des 
milliers  d'autres  et  leurs  conséquences. 

Ah!  si  l'Etat,  qui  causait  tant  de  préjudices  aux 
vrais  commerçants,  aux  commerçants  profession- 
nels, avait  écouté  leurs  sages  avis,  nous  n'en  se- 
rions pas,  sans  doute,  où  nous  en  sommes.  Les 
intermédiaires  marrons,  les  trafiquants  de  tout 
poil  et   de  tout  acabit  n'eussent  pas  tiré,  de  la 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES   DE   SPÉCIALITÉS  97 

situation,  les  scandaleux  avantages  qui  les  firent 
se  multipier  plus  rapidement  que  des  lapins.  Car 
les  vrais  commerçants  ont  su  voir  et  prévoir!  Seu- 
lement, voilà,  quand  ils  ont  voulu  parler,  on  s'est 
bouché  les  oreilles  pour  ne  point  les  entendre. 
Les  intérêts  cachés  n'en  existaient  pas  moins.  Ils 
agissaient. 

Convoqué  aux  réunions  constitutives  de  la  sec- 
tion des  vins,  à  l'Office  technique  du  Ravitaille- 
ment, le  vice-président  du  Syndicat  des  Négociants 
en  vins,  à  succursales,  M.  Loévi,  s'y  rendit,  et, 
dans  une  lettre  du  8  août  1917,  il  crut  bon  de 
préciser  sa  pensée,  à  différents  points  de  vue  : 

«  Le  principe  qui  doit  nous  guider  tous,  dit-il, 
syndicats  et  négociants,  est  de  subordonner,  à 
l'heure  présente,  l'intérêt  corporatif  à  l'intérêt  du 
consommateur,  à  celui  du  plus  grand  nombre,  à 
celui  du  pays,  par  conséquent.  Avec  vous,  je  crois, 
et  avec  vous,  j'ai  dit,  au  cours  de  nos  deux  Assem- 
blées, qu'en  présence  des  malheurs  qui  frappent 
notre  Patrie,  soit  dans  la  vie  des  meilleurs  de  ses 
enfants,  soit  dans  la  fortune  de  tant  de  familles 
françaises,  le  droit  d'enrichissement  n'est  pas  ou- 
vert sans  limites  à  une  catégorie  de  citoyens. 
Quand  le  sang  des  poilus  coule  à  flots  sur  les 
champs  de  bataille  et  que  les  bas  de  laine  se 
vident  chez  les  vieux  de  l'arrière,  certains  coffres- 
forts  ne  sauraient  se  remplir,  même  sous  le  couvert 
de  la  loi  des  bénéfices  de  guerre.  Ce  sentiment,,  j'en 
suis  d'ailleurs  convaincu,  est  communément  par- 
tagé; il  n'est  pas  de  bons  citoyens  qui  voudraient 
mériter  le  stigmate  de  c  profiteurs  de  guerre  >. 

7 


N  ' 


98 


LES    ENTREPRISES   MODERNE>S 


«  Mais»  si  nous  sommes  tous  animés  de  Tesprit 
patriotique,  de  solidarité  sociale;  si,  au  point  de 
vue  particulier  qui  nous  occupe,,  nous  voulons 
concourir  utilement,  avec  les  Pouvoirs  publics,  à 
Tœuvre  à  laquelle  vous  nous  aviez  conviés,  je 
pense  et  j  affirme  nettement  que  nos  désirs  se- 
raient platoniques  et  nos  efforts  stériles,  si  nous 
nous  laissions  entraîner  à  d'incessantes  palabres 
entrecoupées   par   de  longues  intersessions.    Le 
moment  de  délibérer  à  perte  d'haleine  n'est  pas 
celui  que  nous  vivons.  Il  faut  parler  peu  et  agir 
beaucoup;  j'ajoute  qu'il  faut  agir  vite,  en  face 
dune  spéculation  énorme^  aussi  démunie  de  frein 
que  dénuée  de  vergogne.  Le  péril  est  à  nos  portes; 
il  sollicite  des  décisions  promptes  et  des  mesures 
radicales. 

«  Quelle  est  donc  la  nature  de  celte  spéculation 
éhontée  que  nous  nous  proposons  de  mettre  en 
échec?  Vous  n'ignorez  pas  que  le  nombre  de  gens, 
qui,  depuis  trois  ans,  se  sont  sentis  pris  de  la  vo- 
cation du  négoce  des  vins,  défie  toute  statistique 
vraisembable.  On  s'est  beaucoup  moqué  autrefois 
de  la  passion  qu'apportèrent  les  Français  à.  deve- 
nir fonctionnaires;    exercer    une  part  d'autorité 
constituait,  pour  une  foule  de  nos  compatriotes, 
un    idéal    transcendant.    Aujourd'hui,    le    rêve 
semble  d'être  «   marchands  de  pinard    >.    De  ce 
changement  dans  les  aspirations  des  masses,  il 
n'y  aurait  sans  doute  qu'à  se  féliciter,  ne  fût-ce 
que  dans   l'intérêt  de   notre  grande    production 
nationale,  et,  d'autre  part,  notre  corporation  en 
tirerait  trop  d'orgueil  pour  ne  pas   l'inscrire  à 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES    DE   SPÉCIALITÉS  99 

l'actif  de  son  prestige,  si  ces  légions  de  néo-com- 
merçants ou  d'œqo-commerçants,  n'étaient  pas 
destinées  à  disparaître  avec  les  causes  qui  les  ont 
fait  éclore. 

«  J'ai  employé  le  mot  de  commerçants  bien  à 
tort,  en  vérité;  tous  ces  individus,  en  effet,  n'ont 
rien  ^Ic  commun  avec  les  choses  du  commerce;  ce 
sont  de  purs  spéculateurs,  des  joueurs,  des  «  gam- 
blers  »,  diraient  nos  alliés  d'outre-mer,  qui  cher- 
chent à  rafler,  à  n'importe  quel  prix,  la  plus 
grande  quantité  de  marchandise  possible  ;  et  ils 
réussissent  d^ns  leur  entreprise.  Les  marchés^ 
une  fois  conclus,  ne  tardent  pas  à  refiler,  avec  un 
gros  profit,  aux  7nains  d'un  deuxième  acheteur, 
lequel  les  cède  dans  les  mêmes  conditions  fruc- 
tueuses  à  un  troisième,  qui  trouve  un  quatrième 
acquéreur,  et  ainsi  de  suite;  de  sorte  quon  a  vu 
des  contrats  passés,  comme  des  seaux  d'incendie, 
le  long  d'une  chaîne  d intermédiaires,  laissant  à 
chaque  tenant  temporaire  des  bénéfices  considé- 
rables. * 

«  Effrayés  des  conséquences  de  ce  jeu  de  furet, 
les  véritables  commerçants,  ceux  qui  sont  établis 
depuis  de  longues  années  et  qui  réalisent  leurs 
achats  en  fûts  et  non  en  bordereaux,  se  sont  de- 
mandé, en  ce  cas,  si  la  marchandise  n'allait  pas 
leur  manquer.  Comment,  dans  l'affirmative,  ali- 
menterait-on la  clientèle?  La  crainte  de  n'être  pas 
à  même  d'y  pourvoir  finit  par  amener  les  maisons 
sérieuses  à  exagérer,  elles  aussi,  leurs  achats. 
Sans  souci  du  maintien  des  cours  légitimes,  basés 
sur  l'importance  de  la  récolte  et  sur  les  facilités 


s 

\ 


IV' 


100 


LKS    ENTREPRISES   MODERNES 


iMii 


de  son  écoulement,  elles  ont  acheté  à  tour  de  bras 
et  imprimé  ainsi,  à  des  prix  déjà  élevés,  un  nou- 
veau mouvement  ascensionnel. 

«  Mais  ce  spectacle  ne  se  déroula  point  sous  les 
yeux  indifférents  de  la  propriété.  A  force  de  voir 
les  demandes  se  multiplier;  à  force  de  constater 
Tenrichissement   progressif  et  ininterrompu   des 
acquéreurs,  la  propriété  se  résolut  à  «  fermer  le 
robinet  »,  Les  offres  devinrent  plus  rares,  d'où 
un  nouveau  facteur  de  hausse.  De  quoi  il  est  ré- 
sulté que,  malgré  Tabondance  des  récoltes  et  les 
facilités  relatives  de  transport,  les  prix  de  vente 
ont    subi    une    majoration    qui    s'est   accentuée 
d'année   en   année.    Actuellement,    des    contrats 
sur  la  récolte  prochaine  (récolte  1917)  se  sont 
établis  à  80  francs  l'hectolitre  ;  on  raconte  même 
que,  la  semaine  dernière,  une  cave  importante,  à 
Lézignan,  a  été  achetée  sur  le  pied  de  83  francs. 
Or,  je   vous  prie  d'observer  que  cette  cave  est 
encore  vide,  que  le  vin  destiné  à  la  meubler  mûrit 
dans  les  grappes,*  que  nul  ne  sait  s'il  sera  bon  ou 
mauvais,  s'il  pèsera  6  ou  12%  s'il  sera  mildiousé 
ou  marchand,  et  même  s'il  pourra  être  récolté. 
Et  alors  y  on  songe,  quand  même,  quil  y  a  quelque 
part,  dans  le  Code  civil,  une  disposition  relative 
à  la  responsabilité  pécuniaire  de  celui  qui  vend 
une  chose  inexistante. 

«  Tout  le  monde  s'accorde  à  penser  que  ces  pra- 
tiques doivent  prendre  fin;  et,  où  l'unanimité 
cesse  de  se  manifester,  c'est  lorsqu'on  envisage 
les  moyens  propres  à  les  enrayer.  Et  j'en  arrive 
ici  à  l'un  des  objets  de  nos  réunions. 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES    DE   SPÉCIALITÉS       101 

«  Partisan  très  averti  de  la  liberté  des  conven- 
tions, je  m'étais  mis  la  cervelle  à  l'envers  pour 
trouver  une  solution  capable  d'abattre  la  spécula- 
tion, sans  porter  atteinte  au  libre  jeu  de  l'offre  et 
de  la  demande.  Aucun  moyen  ne  m'apparut 
comme  satisfaisant;  les  uns  me  semblèrent  abso- 
lument inopérants,  les  autres  faciles  à  éluder,  et, 
en  fin  de  compte,  je  n'arrive  à  annihiler  le  gâchis 
que  par  une  double  mesure  qui  heurte,  je  le  sais, 
l'esprit  de  la  grande  majorité  d'entre  nous;  de 
plus,  son  application  en  d'autres  matières  a  fourni, 
mais  pour  des  raisons  indépendantes  de  sa  vertu 
propre,  des  résultats  contraires  au  but  recherché; 
malgré  tout,  ces  mesures  sont  inéluctables.  Je 
veux  parler  de  la  taxation  et  de  la  réquisition. 

«  La  réquisition  devra  s  étendre  à  la  production 
totale  des  vins,  dans  sept  départements  du  Midi,  à 
savoir  :  l'Aude,  les  Bouches-du-Rhône,  le  Gard, 
r Hérault,  les  Pyrénées-Orientales,  le  Var  et  la 
Vaucluse;  exception  faite  pour  les  vins  de  crus 
classés  ou  provenant  de  régions  délimitées,  s'il  en 
existe,  ou  à  délimiter,  s'il  v  a  lieu. 

«  Par  taxation,  je  n'entends  ni  spoliation  du 
producteur,  ni  ruine  du  commerçant;  loin  de  moi 
la  pensée  imbécile  établissant  une  taxe  qui  per- 
mette de  prendre  au  cultivateur  son  vin  à  prix 
coûtant,  ou  de  rendre  impossibles  les  affaires  à 
toute  une  classe  de  professionnels  dignes  d'intérêt, 
qui  se  verraient  privés  d'émoluments  inhérents  à 
rexercice  de  tout  métier  honorable.  Pour  les  uns 
et  pour  les  autres,  la  marge  doit  être  telle  que  le 
récoltant  obtienne  une  juste  et  équitable  rémuné- 


'^1 


-•'il 


102 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


ration  de  son  travail  et  de  ses  risques,  et  que  : 
courtiers,  commissionnaires,  marchands  en  gros 
et  détaillants,  puissent  y  trouver  une  source  de 
bénéfices  leur  permettant  de  vivre  et  de  pros- 
pérer, et,  en  même  temps,  d'acquitter  les  charges 
que  leur  imposent  les  besoins  du  Trésor. 

«  Oui,  «  iaxation  et  réquisition  y>  entravent  la 
liberté  des  transactions  commerciales;  c'est  un 
fait;  mais,  en  voici  un  autre  :  la  taxe  empêchera 
qu'un  litre  de  vin,  acheté  au  producteur  0  fr.  35, 
revienne  au  consommateur  au  prix  de  1  fr.  20, 
bien  que  les  frais  généraux  et  de  transport  ne  dé- 
passent pas  0,2S  à  0,30  le  litre.  Il  y  a  tout  de 
même,  par  ces  temps  de  vie  chère,  des  raisons 
d' ordre  public  pour  qu  entre  le  prix  initial  d  achat 
et  le  dernier  prix  de  vente,  il  n  existe  pas  une  dif- 
férence de  cent  pour  cent.  Qu'en  pensez-vous?  1> 

Ce  que  Ton  a  pensé?  Oh!  parbleu,  c'est  bien 
simple  de  le  savoir  :  on  a  pensé  que  les  néo-com- 
merçants devaient  continuer  leurs  pratiques 
éhontées;  on  a  pensé  que  l'enrichissement  sans 
limite  de  certains,  ne  devait  point  être  entravé;  on 
a  pensé  qu'il  ne  fallait  jamais  contrarier  le  pro- 
ducteur, parce  qu'il  devait  s'enrichir  sans  mesure, 
lui  aussi,  au  nom  de  l'égahté.  Et  l'on  n'a  pas  ré- 
quisitionné, et  l'on  n'a  pas  empêché  la  réalisation 
des  différences  de  100  p.  100  qui  faisaient  le  bon- 
heur d'aucuns. 

Et,  pour  que  la  paix  règne  parmi  les  hommes 
de  proie,  l'Office  technique  du  Ravitaillement 
s'est  privé  du  concours  des  Négociants  en  vins  à 
Succursales,   qui,  non  contents  de  lui  souhgner 


LES   MAISONS   A   SUCCURSALES   DE   SPÉCIALITÉS        103 

plus  d'un  danger,  avaient,  au  mal  naissant,  préco- 
nisé les  remèdes. 

Ceux  qui  disent  que  tous  les  commerçants  sont 
des  mercantis,  sauront  désormais  à  qui  jeter  la 
pierre. 


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1% 


Ci 


% 


LES   ROULOTTIERS 


105 


VI 


Les  Roulottiers. 


Les  Maisons  à  Succursales  de  spécialités  s'ins- 
tallent et  se  développent  volontiers  à  Paris;  on  en 
trouve  de  toutes  sortes  dans  la  capitale  et  dans  sa 
banlieue.  Le  terrain  semble-t-il  moins  favorable 
aux  Sociétés  d'alimentation  à  Succursales  mul- 
tiples? Toujours  est-il  que  les  firmes  n'y  sont  pas 
nombreuses;  nous  n'y  voyons  que  les  Grands 
Economats  parisiens,  dont  la  Maison-Mère  est  à  la 
Plaine-Saint-Denis.  Une  petite  société,  toutefois, 
s'y  est  établie  pendant  la  guerre  :  la  Société  pari- 
sienne et  séquanaise,  avec  une  dizaine  de  bou- 
tiques. Elle  est  une  filiale  des  Docks  ardennais,  et 
son  but  était  de  s'adresser  plus  particulièrement 
aux  réfugiés  des  Ardennes;  elle  n'a  pas  failli  à  sa 
tâche,  et  elle  leur  a  rendu  des  services. 

Les  Maisons  à  Succursales  de  Paris  ont  eu  une 
grande  influence  sur  la  propreté  des  boutiques  de 
petits  commerçants;  dans  les  villes  de  province  et 


jusque  dans  les  chefs-lieux  de  canton,  cette  même 
influence  s'est  répandue.  Le  petit  commerçant  ne 
tenait  pas  beaucoup  mieux  le  carreau  de  son  ma- 
gasin et  le  plateau  de  son  comptoir,  qu'il  ne  tenait 
sa  comptabilité.  Chez  les  crémiers,  on  vit  voi- 
siner, le  matin,  avant  le  départ  pour  l'école,  à 
côté  de  la  motte  de  beurre,  le  peigne  dont  la  mère 
s'était  servi  pour  la  toilette  de  ses  enfants;  Maggi 
vint,  avec  ses  boutiques  toutes  bleues  au  dehors, 
immaculées  à  l'intérieur;  avec  la  gérante  accorte, 
dont  le  tablier  blanc  n'avait  pas  une  tache.  Et  cela 
correspondit  à  une  révolution  dans  la  crémerie, 
mais  pour  le  plus  grand  bien  du  consommateur. 
Que  les  succursales  d'une  firme  alimentaire 
s'installent,  et,  bientôt,  l'on  ne  verra  plus,  chez 
maints  épiciers,  les  denrées  mélangées  sans  ordre 
sur  les  rayons  :  le  pétrole  à  côté  du  café,  par 
exemple.  Si  ce  n'est  le  pétrole,  ce  peut  être  le 
fromage,  et  cela  ne  vaut  guère  mieux.  Le  petit 
commerçant,  pour  secouer  ses  négligences,  a 
besoin  du  coup  de  fouet  de  la  concurrence;  comme, 
souvent,  il  n'a  point  été  préparé  à  l'exercice  de  la 
carrière  qu'il  a  embrassée,  s'il  se  perfectionne, 
c'est  davantage  par  imitation,  quand  sa  prospé- 
rité est  menacée,  que  par  intuition.  Elle  est 
menacée,  la  prospérité  des  boutiquiers  routiniers, 
jusqu'au  fond  des  plus  lointains  hameaux.  Si  le 
Grand  Magasin  lui  a  ravi  de  sa  clientèle  en  livrant 
à  domicile;  si  la  Maison  à  Succursales  lui  en  a  ravi 
également  en  s'établissant,  en  tout  lieu,  à  la  portée 
des  consommateurs  des  cités  ou  des  bourgs,  le 
roulottier  a  visité  ce  qu'il  en  restait,  faisant  ses 


,*1 


^il 


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-■1 


106 


LES  ENTREPRISES  MODERNES 


LES  ROCLOTTIERS 


107 


II» 

I 

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: 


offres  de  service  et  prenant  les  commandes  jus- 
qu'au sein  des  chaumières  les  plus  isolées.  Ainsi 
s'étend  partout  la  main  du  grand  commerce  de 
détail. 

Le  roulottier  livrant  à  domicile  fît  ce  que  ne  pou- 
vait, ni  ne  voulait  faire,  la  Maison  à  Succursales; 
il  y  avait  donc  une  place  pour  lui,  et  c'est  fort 
justement  qu'il  Pa  prise.  Mais  laconservera-t-il?... 

La  plus  ancienne  Maison  à  Succursales  avec 
roulottiers,  c'est  le  Planteur  de  Gaïffa.  Les  Eta- 
blissements  Debray  ne  lui  cèdent  guère  en  impor- 
tance ;  ils  ont  des  usines  modèles,  pour  la  torré- 
faction des  cafés,  à  Glichy,  à  Lille,  au  Mans,  à 
Anvers,  à  Gènes  et  à  Barcelone,  alin  d'alimenter 
les  450  succursales  de  France,  les  50  succursales 
de  Belgique,  les  oO  succursales  d'Espagne,  les 
20  succursales  dltalie. 

Nous  trouvons,  dans  l'exemple  des  Etablisse- 
ments Debray,  la  preuve  que  les  Maisons  à  Succur- 
sales, régionales  à  leur  naissance,  sont  capables 
de  devenir,  non  seulement  des  entreprises  natio- 
nales, mais  des  entreprises  nationales  rayonnant 
sur  l'étranger.  Au  moment  diffîcile  que  nous  tra- 
versons, alors  que  nos  rêves  d'expansion  sont 
entravés  si  sérieusement  par  cette  grave  question 
des  changes,  nous  regrettons  que  nos  grandes 
affaires  n'aient  pas  davantage,  en  général,  de  rami- 
fications à  l'étranger. 

Il  n'y  a  pas  d'entreprises,  en  France,  qui  soient 
mieux  à  même  que  les  Maisons  à  Succursales,  de 
retenir  notre  argent  chez  nous,  en  empêchant  son 
exportation,  dont  nous  avons  toujours  eu  si  peu 


à  nous  louer.  Elles  présentent,  en  effet,  au  point 
de  vue  du  capitalisme,  d'indéniables  avantages. 

Quand  elles  sont  régionales,  les  bénéfices  réa- 
lisés vont  au  siège  et  se  répartissent  sur  les  vil- 
lages de  tout  un  département  et  de  toute  une  pro- 
vince; quand  elles  sont  interrégionales,  elles 
peuvent  attirer  des  capitaux  sur  une  région  qui 
en  est  démunie;  quand  elles  sont  nationales,  les 
capitaux  sont  centralisés  à  Paris,  et,  Paris,  c'est 
le  cœur  et  le  cerveau  de  la  Franco,  le  centre  d'irra- 
diement,  de  distribution,  pour  employer  un  mot 
plus  précis. 

Les  Maisons  à  Succursales  sont  nées  parce 
qu'elles  répondaient  à  des  besoins  nouveaux  ; 
elles  se  développeront  parce  que,  à  la  faveur  du 
cataclysme  mondial,  les  besoins  se  sont  accentués. 
La  hausse  des  salaires  accroissait  le  pouvoir  de 
consommation  ;  le  désir  de  bien-être  et  de  faux 
luxe  a  envahi  les  couches  profondes  de  la  société. 
De  plus  en  plus,  les  rouages  sociaux  inutiles 
tendent  à  disparaître,  à  s'éliminer,  et  c'est  pour 
cela  que  les  grandes  firmes  commerciales,  qui 
remplacent  tant  de  petits  commerces  à  l'heure  où 
la  France  a  besoin  de  bras  pour  produire,  rendent 
service  au  pays  et  sont  loin  d'avoir  accompli  leur 
destinée. 

Cela  est  si  vrai,  que  la  plupart  des  Maisons  à 
Succursales,  depuis  Tépoque  de  la  mobilisation, 
ont  augmenté  considérablement  le  nombre  de 
leurs  dépôts  ou  succursales,  ainsi  que  leur  capi- 
tal social.  G'est  ainsi  que,  dans  le  laps  de  temps 
que  nous  avons  indiqué,  les  Magasins  du  Gasino, 


SI 


f 


108 


LES  ENTREPRISES  MODERNES 


II 


à  Saint-Etienne,  sont  pourvus  de  près  de  500  ins- 
tallations supplémentaires  qui  rayonnent  sur  dix 
départements.  D'autres  Maisons,  comme  les  Docks 
Rémois,  les  Comptoirs  Français,  atteints  en  pleine 
vitalité  par  la  guerre,  frappés  en  quelque  sorte 
en  plein  cœur,  réédifient  fébrilement  leurs  150  suc- 
cursales respectives  qui  ont  été  dévastées. 

Pour  réaliser  le  développement  qu'elles  sont  en 
droit  d'atteindre,  les  Maisons  à  Succursales  ont 
augmenté  ou  augmentent  toutes,  sans  exception^ 
leur  capital  social.  Le  Familistère  qui,  en  1914* 
était  au  capital  de  2.500.000  fr.,  si  l'on  tient  compte 
de  son  fonds  de  réserve,  est,  à  l'heure  actuelle, 
au  capital  de  10.000.000;  la  Société  Bourgui- 
gnonne d'approvisionnement  est  passée  de 
700.000  francs  à  1.200.000  francs  de  capital;  la 
Ruche  d'Agen  est  passée  de  1.750.000  à  2.000.000 
de  capital  ;  les  Etablissements  économiques 
troyens,  de  800.000  à  2.400.000;  les  Docks  de 
rOuest,  de  i. 500.000  à  3.000.000;  les  Docks  du 
Centre,  de  1.000.000  à  2.000.000;  les  Etablisse- 
ments Brisset,  de  900.000  à  2.000.000,  etc.,  etc. 

Cette  liste  pourrait  être  indéfiniment  allongée. 
Elle  est  toutefois  suffisante  pour  montrer  que 
l'intérêt  que  présentent  les  Maison  à  Succursales 
pour  leurs  actionnaires,  est  indéniable;  nous 
redisons  que  cet  intérêt  repose  exclusivement  sur 
la  possibilité  que  possèdent  ces  entreprises  de 
vendre,  à  des  prix  plus  modiques  que  ceux  de 
quiconque,  des  denrées  de  premier  choix,  fré- 
quemment renouvelées. 
Les  Etablissements  à  Succursales  avec  roulot- 


LES   ROULOTTIERS 


109 


tiers  n'échappent  pas  aux  règles  communes.  Ces 
Etablissements  ont  expédié  d'abord,  de  leur  Maison- 
mère,  à  leurs  succursales  de  Paris  et  de  province, 
un  seul  article  :  le  café.  Des  agents  spéciaux,  dit 
Roulottiers,  nom  tiré  de  leurs  petites  roulottes  à 
bras,  —  ou  à  chiens  —  chargeaient  leurs  voitu- 
rettes  de  paquets  de  café,  qu'ils  allaient  vendre 
de  porte  en  porte  dans  tous  les  environs,  aussi 
bien  que  dans  la  localité  où  était  installé  le  dépôt. 
C'est  ainsi  que  les  trois  succursales  de  Digne  ont 
à  leur  service  60  vendeurs.  Ils  ont  peu  à  peu,  eux 
aussi,  évolué  pour  adjoindre  d'autres  spécialités  à 
la  spécialité  primitive  :  thés,  chocolats,  pâtes  ali- 
mentaires. Le  grand  art  commercial  consiste,  en 
effet,  à  attirer  une  clientèle  toujours  de  plus  en 
'plus  nombreuse,  pour  augmenter  sans  cesse  le 
chiffre  d'affaires,  —  pour  l'augmenter  d'autant 
qu'on  opère  à  plus  petits  bénéfices,  —afin  de  faire 
rendre  à  l'argent,  en  dépit  d'un  pourcentage  de 
gain  minime,  tout  ce  qu'il  peut  donner. 

Le  café  était  généralement  vendu  en  offrant  des 
timbres-primes.  Ce  genre  d'aff'aires  a  pu  prendre, 
à  un  certain  moment,  une  extension  considérable, 
grâce  aux  bas  prix  des  cafés,  il  y  a  une  douzaine 
d'années.  Un  coup  sensible  à  leur  prospérité  leur 
a  été  porté,  quinze  mois  environ  avant  la  guerre. 
C'est  la  diminution  dans  la  vente  des  cafés,  qui  a 
nécessité  l'adjonction  d'autres  spécialités  dans  les 
roulottes. 

Les  Etabhssements  à  Succursales  avec  roulot- 
tiers, de  par  la  structure  même  de  leur  genre 
d  affaires,  forcés  de  ne  consentir  aucun  crédit,  afin 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


d'inciter  la  clientèle  à  s'adresser  à  eux,  on^  ins- 
tauré le  cadeau  en  nature,  pour  le  remercier 
d'avoir  acheté  et  d'avoir  payé  comptant.  -^ 

Ce  cadeau,  c'est  la  primequel'on  obtient  à  l'aide 
des  timbres  qui  représentent  un  escompte  et  que, 
sur  un  petit  carnet,  la  ménagère  aligne  côte  à 
côte,  jusqu'à  ce  que  le  total  lui  permette  d'obtenir 
l'objet  convoité,  lequel  n'a  aucun  rapport  avec 
l'objet  acheté.  La  prime,  c'était  —  et  c'est  —  un 
objet  de  ménage,  des  tasses  à  café,  des  serviettes, 
des  assiettes,  des  casseroles,  etc.,  etc. 

Ce  système  a  obtenu  dans  le  public  une  vogue 
énorme.  Les  petits  commerçants,  partout,  crurent 
devoir  s'y  associer.  Les  uns  le  firent  chez  eux, 
avec  leurs  propres  moyens  d'action  et  leurs 
propres  marchandises.  Les  autres  s'unirent  pour  ' 
augmenter  ces  moyens  d'action  et  créer  des  dé- 
pôts de  primes.  Ils  s'installa  aussi  des  Sociétés 
dites  de  «  timbres  >,  qui  se  rendirent  intermé- 
diaires entre  les  commerçants  à  qui  étaient  vendus 
les  timbres  constatant  le  paiement  comptant,  et  le 
public  à  qui  les  timbres  étaient  repris,  contre  re- 
mise d'un  objet  plus  ou  moins  pratique  ou  plus 
ou  moins  luxueux,  et  équivalant  au  nombre  de 
timbres  fixé  pour  l'acquérir. 

Le  timbre-prime,  pratiqué  par  les  rouloltiers 
pour  représenter  un  escompte  payé  en  marchan- 
dise, était  parfaitement  légitime,  et  logique  même. 
Tout  procédé  strictement  d'allure  commerciale, 
ne  peut  être  blâmé,  surtout  s'il  favorise  l'habitude 
du  paiement  comptant,  en  déracinant  l'habitude 
fâcheuse  du  crédit,  Comme  l'a  dit  la  Fédération 


LES  roulottiç:rs 


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commerciale  et  industrielle  du  Nord  :  «  Dans  tout 
homme  et  toute  femme  sommeille  encore  un  peu 
de  l'enfant  qu'il  ou  qu'elle  a  été.  L'inventeur  de 
"^  ce  moyen  d'action  commerciale  s'en  est  souvenu 
fort  à  propos.  Il  s'est  dit  que  beaucoup  aimeraient  à 
posséder,  de  cette  manière,  des  fantaisies  qu'ils  ne 
sauraient  raisonnablement  s'acheter  eux-mêmes.  > 
Mais,  ce  qui  était  logique  pour  des  commer- 
çants, cessait  de  l'être  pour  les  Sociétés  de  timbres- 
primes  éminemment  parasitaires.  Leur  suppression 
fut  demandée  au  Parlement,  parce  que  Ton  a  dit 
qu'elles  bénéficiaient,  sans  aucun  mal,  du  travail 
du  commerçant,  dont  elles  touchaient,  par  la  vente 
de  timbres  qu'elles  lui  faisaient,  l'escompte  réel 
de  valeur  d'argent,  tandis  qu'elles  ne  donnaient 
.au  public  que   des   objets  nominativement  portés 
pour  cette  valeur,  alors  qu'elles  avaient  pu  se  les 
procurer  pour  un  prix  moindre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  prime  est  restée  en  faveur 
auprès  du  public  et  son  établissement  n'a  peut- 
être  pas  peu  concouru  au  développement  de  l'esprit 
d'association,  chez  les  petits  commerçants  à  qui  il 
est  si  nécessaire.  C'est  ainsi  qu'à  Lorient,  il  y  a 
dix  ans,  s'était  fondée,  sous  le  patronage  de 
Talliance  du  commerce  et  de  l'industrie  de  cette 
ville,  une  mutuelle  de  timbres,  placée  sous  le  ré- 
gime de  la  loi  de  1867, 

Dans   cette    mutuelle,   tous   les    commerçants 
pouvaient  entrer.  Elle  comptait  405  membres  re- 
cevant une  ristourne,  en  fin  d'année,  proportion- 
nelle au  chiffre  d'affaires  effectué  avec  l'association. 
Chose  curieuse,  cette  association  mutuelle  a  tué 


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112 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


les  sociétés  financières  puissantes  qui  visaient  le 

même  objet. 

Si  Tusage  de  la  prime  utile,  d'allure  ménagère, 
a  été  inauguré  par  les  roulottiers,  ils  n'ont  cepen- 
dant pas  à  leur  actif  l'invention  de  la  prime  pro- 
prement dite.  Elle  demeure  à  l'actif  des  Grands 
Magasins.  En  janvier  1840,  le  Petit-Saint-Thomas, 
rue  du  Bac,  avait  eu  l'idée  de  donner  aux  enfants  de 
sa  clientèle  de  petites  médailles-réclame  en  cuivre, 
de  forme  hexagonale,  portant,  d'un  côté  :  Toiles, 
soieries  et  nouveautés  ;  de  l'autre  :  Rue  du  Bac,  23, 
Maison  «  Au  Petit-Saint-Thomas  y>,  Paris.  Pré- 
sent modeste  et  naïf  et  dont  le  principal  mérite 
était  d'être  ultra-moderne  pour  l'époque;'  une 
belle  médaille,  brillante  comme  l'or,  chacun  vou- 
lait l'obtenir. 

Puis,  ce  furent  des  ballons  en  baudruche  que  le 
Louvre,  le  Bon-Marché  et  le  Printemps  donnèrent 
aux  bébés,  qui  les  laissaient  voleter  sur  les  trot- 
toirs, au-dessus  de  la  tête  des  passants,  qui  rom- 
pirent plus  d'un  fil,  transformant  ainsi  le  minus- 
cule ballon  captif  en  ballon  vagabond  qui,  parfois, 
allait  s'échouer  jusque  dans  les  villages  de  la 
Beauce;  l'ère  des  chromolithographies  vint  en- 
suite, constituant  à  leur  tour  une  dépense  dont 
l'utilité  était  savamment  calculée. 

Ce  sont  là  les  documents  d'une  histoire  com- 
merciale rétrospective,  laquelle  n'est  pas  dépour- 
vue d'intérêt. 

L'effort  des  Entreprises  de  concentration  est  plein 
d'enseignements  sous  tous  rapports,  et  c'est  en 
méditant  sur  lui  que  le  petit  commerce  dégagera 


'ff 


LES   ROULOTTIERS 


113 


les  moyens  qu'il  doit  employer,   non  seulement 
pour  vivre,  mais  pour  prospérer.  Certains  remar- 
quent qu'elles  n'ont  pas   la  même  origine   et  en 
concluent    qu'elles    ne    peuvent   avoir   la    même 
unité  de  vues  et  de  méthodes.  En  effet,  il  importe 
d'observer  que  les  firmes  sont  de  deux  espèces  : 
celles  qui   se  sont   engendrées  par  un  commerce 
existant,  et  celles  qui  ont  une  origine  entièrement 
capitaliste.  On   peut  constater  que  les  plus  pros- 
pères sont  les  premières,  du  fait  de  l'expérience 
que  possédaient,  sans  aucun  doute,  leurs  fonda- 
teurs. Si  elles  sont  rivales,  elles  ne  sont  pas  enne- 
mies ;   elles  savent  que  la  cohésion   fait  la  force, 
elles   considèrent   qu'elles   sont  susceptibles,    en 
raison  de  leur  puissance  d'achats,  d'obtenir  auprès 
dès  fabricants  en  concurrence,  des  prix  avantageux, 
et  suffisamment  avantageux  pour  les  dispenser  de 
fabriquer.   La  puissance   d'achats  individuelle,   à 
l'heure  actuelle,   doit  se  doubler  d'une  puissance 
d'achats  collective,  puisque,  à  l'intérieur  des  orga- 
nisations syndicales,  sont  en  train  de  se  former  des 
syndicats  d'achats,  qui  permettront  d'obtenir  les 
denrées  à  des  prix  toujours  plus  avantageux,  ce 
dont  le  public  bénéficiera  ;  et  c'est  précisément  de  ce 
bénéfice  que  retirera  le  public,  qu'il  faut  attendre 
l'essor  considérable  que  nous  verrons  demain  aux 
entreprises  commerciales  à  succursales. 


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VII 

Les  Sociétés  d'acliats  en  commun 
Maisons  contrôlées. 


Ce  qui  fait  la  force  des  Grands  Magasins  et  des 
Maisons  à  Succursales  de  tout  genre,  c'est  qu'ils 
achètent  directement  au  producteur,  et  qu'àTocca- 
sion,  ils  fabriquent  eux-mêmes.  Ce  qui  fait  la 
faiblesse  du  petit  commerçant,  c'est  qu'il  est  tou- 
jours forcé  de  passer  par  Fintermédiaire  d'un 
grossiste,  qui  doit  prélever,  sur  le  prix  de  revente 
de  ses  marchandises,  un  pourcentage  pour  les 
frais  généraux  et  un  autre  pour  le  bénéfice  net. 
Dès  que  les  petits  commerçants  sont  capables  de 
se  passer  du  grossiste,  ils  s'acheminent  vers  une 
forme  commerciale  modernisée  qui  leur  permet, 
peu  à  peu,  de  mieux  soutenir  la  concurrence  et 
d'acquérir  plus  de  bien-être. 

On  est  moderne  en  commerce,  non  pas  quand 
on  a  une  grande  façade  et  beaucoup  de  capitaux 
à  utiliser,  on    est  moderne  quand  on   n'est   pas 


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1    I 


LES    SOCIÉTÉS    d'achats   EN   COMMUN 


115 


routinier  et  qu'on  applique,  en  affaires,  des  prin- 
cipes que  ne  connaissaient  pas  nos  arrière-grands- 
pères.   La  base    de    tout,    c'est   la   coopération. 
Quiconque    coopère,    est   moderne.   On  coopère 
quand  on  met  son  argent  en  commun;  on  coopère 
aussi  quand  on  met  ses  idées  en  commun  et  qu'on 
les   applique  solidairement.    Les  marchands    de 
nouveautés,  réunis  en  groupements  qui  fonction- 
nent avec  un   délégué-commissionnaire  pour  les 
achats,  à  frais  communs,  sous  forme  de  coopé- 
ration, en  payant  une  commission  Hxée  d'avance, 
en  répartissant  les  frais  au  prorata  des  achats,  ont 
des  maisons  de  commerce  qui,  même  si  elles  sont 
d'importance    secondaire,    n'en  sont    pas    moires 
^  entreprises  commerciales  modernes;  chaque  fois 
que  des  individus  qui  organisent,    sont   aptes  à 
s'entendre,  ils  peuvent  créer  de  la  viLahté  dans  le 
moderne.  C'est  dans  l'alimentation  que  l'effort  en 
commun  est  le  plus  facile  à  réaliser  dans  la  pra- 
tique de  la  solidarité,  à  la  condition,  toutefois,  que 
toute  rivalité  imbécile  reposant  sur  des  mesqui- 
neries, soit  éteinte.  C'est  ainsi  que  la  Rémoise,  si 
connue,    a   pu    se   développer;  que  les   épiciers 
réunis  de  INancy  s'assurent  la  prospérité;  que  les 
épiciers  du  Forez  sont  groupés  sous  la  bannière 
de   l'Ahmentation   du  Forez,   qui   représente  un 
perfectionnement  technique,  un  progrès  réel,  une 
organisation    économique   presque  parfaite,  pour 
une  meilleure  répartition  des  richesses,  et  prenant 
en  cela,  tous  les  caractères  des  Maisons  à  {Succur- 
sales. 

j'ai  parlé  longuement  de  i'Alimentationdu  Forez 


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116 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


dans  la  Guerre,  le  Commerce  français  et  les  Con- 
sommateurs; c  est  une  union  commerciale  dont  il 
importe  de  redire  quelques  mots,  parce  qu'à  mon 
point  de  vue,  elle  est  un  exemple-type  du  petit 
commerçant  qui  devient  entreprise  moderne. 

Elle  a  été  fondée  par  M.  Devun  Théophile, 
épicier,  demeurant  à  Saint-Etienne,  rue  de  la 
Répubhque,  n^  27,  et  M.  Eyraud  Rémy,  épicier, 
demeurant  à  Saint-Etienne,  rue  Benoît,  n"  5.  Ceux 
qui  exercent  la  profession  d'épiciers  ou  marchands 
de  comestibles  peuvent  en  faire  partie,  s'ils  dis- 
posent d'un  capital  de  500  francs. 

La  Société  est  anonyme,  à  capital  variable  ;  elle 
a  pour  objet  l'achat  direct  et  au  comptant,  la 
fabrication  et  la  vente  de  toutes  denrées  et  mar- 
chandises se  rattachant  au  commerce  d'épicerie, 
de  mercerie,  de  quincaillerie,  et,  d'une  manière 
plus  générale,  de  tout  article  de  vente  courante 
pour  Talimentation  et  le  ménage. 

La  vente  de  ces  marchandises  est  effectuée  aux 
actionnaires,  au  comptant.  Mais  ce  n'est  qu'un 
principe  ;  car,  pour  faciliter  les  transactions,  la 
direction  peut,  sous  sa  responsabilité,  accorder 
un  délai  au  paiement,  de  quinze  jours. 

D'après  les  statuts,  une  pemture  uniforme  doit 
désigner  au  public  les  magasins  des  actionnaires 
de  la  Société.  Une  plaque  émaillée,  de  dimension 
suffisante  pour  être  remarquée,  et  portant  l'indi- 
cation de  la  Société,  doit  être  placée  en  évidence 
sur  chaque  devanture,  au  cas  où  les  dits  action- 
naires, pour  des  raisons  particuHères,  ne  se  ré- 
soudraient pas  à  l'emploi  d'une  peinture,  j 


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LES   SOCIETES   D  ACHATS    EN   COMMUN 


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La  durée  de  la  Société  est  fixée  à  cinquante 
années,  sauf  les  cas  de  prorogation,  de  fusion,  de 
dissolution,  prévus  aux  statuts. 

MM.  Devun  et  Eyraud  ont  apporté,  à  la 
Société,  le  fonds  de  commerce  d'épicerie  en 
gros  qu'ils  exploitaient  à  Saint-Etienne,  rue  de  la 
Bourse,  n^  24.  Ce  fonds  comprenait  la  clientèle  et 
Tachalandage,  le  matériel  qui  en  dépendait,  le  droit 
au  bail  des  locaux,  d'un  loyer  annuel  de  1.250  fr. 
les  marchandises  estimées  35.000  francs.  Cet 
apport  était  fait  moyennant  l'attribution,  à  chacun, 
de  50  actions  entièrement  libérées  à  la  nouvelle 
Société,  dont  15  actions  en  représentation  du 
fonds  de  commerce  proprement  dit,  et  35  actions 
en  représentation  de  la  valeur  des  marchan- 
dises. 

Le  capital  social  est  fixé  à  la  somme  de 
75.000  francs,  divisé  en  150  actions  de  500  francs 
chacune  ;  il  peut  être  augmenté,  soit  par  l'admis- 
sion de  nouveaux  associés,  soit  par  décision  de 
l'assemblée  générale,  sans  que  le  capital  puisse 
toutefois  dépasser  200.000  francs,  conformément 
à  la  loi. 

Le  capital  social  peut  être  réduit,  par  suite  de 
reprises  d'apports  résultant  d'exclusions,  de  décès 
d'associés,  dans  des  conditions  déterminées,  et 
sans  être  réduit  à  plus  des  9/10  du  capital  initial. 

Les  actionnaires  conservent  la  faculté  de  se  re- 
tirer de  la  Société,  après  délibération  de  l'assemblée 
générale,  en  réclamant  le  remboursement  de  leurs 
actions,  dont  l'importance  toute  seule  iixe  le  niveau 
de  leurs  engagements,  sans  que  les  fonds  de  com- 


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118 


LBS    ENTREPRISES   MODERNES 


LES   SOCIETES    D  ACHATS    EN   COMMUN 


119 


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merce  garantissent  jamais  les  engagements  de  la 
Société. 

Les  actions,  étant  nominatives,  ne  se  conver- 
tissent pas  en  actions  au  porteur,  car  il  s'agit 
d'empêcher  Timmixtion^  dans  la  Société^  d'élé- 
ments étrangers  Susceptibles  de  nuire  à  feon  fonc- 
tionnement; elles  ne  sont  cédées  qu'aux  personnes 
agréées  par  le  conseil  d'administration,  et  demeu- 
rent indivisibles. 

Les  oonditiotis  d'admission  comportent  ceci  dé 
partictilier  :  «  Tout  candidat  doit  être  présenté  par 
les  deux  associés  qlii  sont  le  plus  rapprochés  du 
lieu  de  son  commerce*  Son  magasin  ne  peut  se 
trouver  à  moin^  de  80  mètres  de  distance  de  l'un 
ou  de  l'autre  de  ses  parrains,  à  moins  que  ceux-ci 
ne  le  permettent.  Pour  quelque  cause  de  départ 
que  ce  soit,  les  actions  d'url  associé  sont  rem- 
boursées. 

Le  conseil  d'administration,  nommé  par  l'as- 
semblée générale,  aies  pouvoirs  les  plus  étendus 
pour  gérer  et  administrer,  tant  activement  que 
passivement,  tous  les  biens  et  affaires  de  la  So- 
ciété, sans  exception.  Il  effectue  toute  opération 
se  rattachant)  directement  ou  indirectement,  à 
l'objet  de  la  Société  ;  les  pouvoirs  suivants  dont  il 
dispose  sont  énonciatifs  et  non  limitatifs  :  il  paie 
les  dépenses  gériérales  de  l'administration  sur  la 
proposition  de  la  direction  ;  il  passe  et  autorise  les 
marchés  de  toute  natilre,  les  achats^  tant  en  mar- 
ehandises  qu'en  matériel  d'exploitation,  et,  en  gé- 
néral, de  tous  les  objets  nécessaires  à  l'exploita- 
tion ;  il  décide  des  baux,  il  les  conclut,  les  signe, 


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les  résilie,  avec  ou  sans  indemnité;  il  crée  toutes 
maisons  de  vente  de  la  Société,  tous  entrepôts  et 
représentations,  les  transforme  ou  les  supprime  ; 
il  détermine  le  mode  de  placement  des  capitaux 
disponibles,  les  fonds  de  réserve;  il  opère  la  réali- 
sation ou  le  retrait  de  ces  mêmes  fonds,  vend  et 
transfère  toutes  rentes  ou  valeurs  quelconques 
appartenant  à  la  Société;  il  traite,  transige,  com- 
promet, sur  toutes  les  affaires  de  la  Société  ;  fait 
toutes  remises  de  dettes,  consent  au  désistement 
de  tous  droits  de  privilèges,  hypothèques,  actions 
résolutoires,  et  autres  droits  de  toute  nature,  ainsi 
qu'à  toutes  mainlevées  d'inscriptions,  saisies,  oppo- 
sitions et  autres  empêchements  quelconques,  le 
tout  avec  ou  sans  garanties,  et  toutes  cessions 
d'antériorité,  comme  tous  transferts  de  créances  ; 
il  donne  et  retire  toutes  quittances  et  décharges 
de  sommes  reçues  ou  payées  ;  il  a  plein  pouvoir 
pour  ester  en  justice,  tant  en  demandant  qu'en 
défendant,  au  nom  de  la  Société  ;  il  nomme  et  ré- 
voque tous  les  agents  de  la  Société,  détermine  leurs 
attributions,  leurs  traitements,  remises  ou  gratifi- 
cations iixes  ou  proportionnelles,  et,  s'il  y  a  lieu, 
leur  cautionnement  sur  la  proposition  de  la  direc- 
tion ;  il  arrête  les  comptes  annuels  et  les  soumet 
à  l'assemblée  générale  •  il  propose  les  fixations  des 
dividendes  à  répartir;  il  délibère  et  statue  sur 
toutes  propositions  à  faire  à  l'assemblée  générale, 
notamment  sur  les  emprunts  à  contracter,  etc.,  etc. 
Les  fonctions  d'administrateur  sont  gratuites. 
Deux  commissions  de  comptes  sont  rééligibles  et 
sont  rémunérées  par  une  part  déterminée  dans 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES   SOCIÉTÉS   d'achats    EN  COMMUN 


1-21 


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les  bénéfices  annuels.  Enfin,  les  directeurs,  nom- 
més pour  un  temps  illimité,  fournissent  un 
cautionnement  de  23.000  francs  chacun;  ils  ne 
peuvent,  naturellement,  s'employer  dans  une 
entreprise  concurrente. 

Sur  les  bénéfices,  il  est  prélevé  : 
l"*  La  somme  nécessaire  à  la  constitution  d'un 
fonds  de  réserve  légale,  soit  5  p.  100  au  moins  ;  la 
somme  nécessaire  pour  servir  d'intérêts,  au  taux 
de  5  p.  100  Tan,  au  capital  nominal  des  actions 
entièrement  libérées  et  des  autres  actions  Devun 
et  Eyraud. 

2""  5  p.  100  pour  chacun  des  directeurs; 

3^  5  p.  100  pour  les  commissaires  des  comptes. 

Le  surplus  des  bénéfices  est  réparti  entre  les 

actionnaires,  au  prorata  de  leur  chiffre  d'affaires  ; 

en  en  excluant  le  produit  du  pétrole,  du  sel  et  du 

sucre.  > 

Telles  sont  les  grandes  lignes  des  statuts  de  la 
Société  à  laquelle  nous  avons  rendu  visite,  sur  les 
indications  du  président  de  la  Chambre  de  Com- 
merce, qui  nous  avait  dit:  «  Allez  la  voir  ;  elle 
accomplit  des  miracles  ;  c'est  une  véritable  Maison 
à  Succursales.  Condamné,  moi,  en  ma  qualité 
d'épicier  en  gros,  à  rester  le  banquier  de  l'insol- 
vable, j'en  créerais  une  pareille  si  j'avais  vingt  ans 
de  moms.  Il  n'y  a  qu'un  malheur  :  c'est  que  celui 
qui  ne  dispose  pas  de  500  francs,  ne  puisse  y 
entrer.  » 

Nous  sommes  donc  allé  aux  entrepôts  de  la 
Société  commerciale  d'alimentation  du  Forez,  au 
Marais,  dans  la  périphérie  de  Saint-Etienne.  Nous 


y  avons  rencontré  M.  Devun,  qui  a  évolué  en 
quittant  le  stade  primitif  de  l'épicerie  où  d'autres, 
par  inertie,  inaptitude,  vieillesse  encore,  restent 
enchaînés.  Nous  entrâmes  en  conversation  ;  il  dit  : 
((  Les  bons  résultats  d'une  entreprise  comme 
celle-ci  dépendent  de  la  perfection  plus  ou  moins 
grande  de  l'organisation.  Ils  dépendent  également 
de  la  discipline  dont  sont  capables  de  faire  preuve 
les  adhérents. 

—  Ne  sont-ils  donc  pas  disciplinés? 

—  Pas  toujours,  hélas  !  Quelques-uns  viennent 
à  nous  avec  des  préjugés  ;  membres  d'une  société, 
ils  ne  comprennent  pas  qu'on  ne  puisse,  en  tout  et 
partout,  leur  donner  satisfaction.  Néanmoins,  ne 
nous  plaignons  pas  trop,  car  l'Union  n'est  tout  de 
même  pas  un  vain  mot.  Isolés,  que  peuvent  faire 
les  petits  commerçants?...  Que  peuvent-ils  obte- 
nir, dans  les  heures  de  crise  que  nous  avons  con- 
nues, des  Compagnies  de  transport?...  des  Pouvoirs 
publics?...  des  fournisseurs ?...  Rien.  Les  petits 
commerçants  isolés,  pendant  toute  la  durée  de  la 
guerre,  n'auraient  pas  atténué  les  souffrances  du 
3ublic  relatives  aux  privations  répétées  et  à  la 
lausse  continuelle  des  prix.  Avec  une  association 
commerciale  puissante  comme  la  nôtre,  qui  riva- 
lise avec  les  Maisons  à  Succursales,  le  pouvoir  et 
les  moyens  sont  parfaitement  différents. 

—  Vous  rivalisez  avec  les  Maisons  à  Succur- 
sales, c'est  vrai.  Le  public,  qui  reconnaît  leur 
façade  uniforme,  reconnaît  la  vôtre  de  la  même 
façon. 

Le  directeur  nous  répond  : 


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122 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES    SOCIÉTÉS    d'achats    EN   COMMUN 


423 


—  Non  !  parce  que  toutes  les  façades  de  nos 
adhérents  ne  se  ressemblent  pas.  Ils  ne  com- 
prennent pas  le  but  à  poursuivre,  à  atteindre,  y 
Nous  avons  insisté  de  toutes  nos  forces  sur  Futi- 
lité du  numérotage,  de  la  peinture  identique  des 
des  boiseries  extérieures,  de  Tinscription  de  la 
firme  en  lettres  blanches,  etc.  ;  nous  avons  joué 
souvent  le  rôle  de  saint  Jean  dans  le  désert.  C'est 
que  le  petit  commerçant  craint  la  dépense  ;  il 
hésite  à  semer,  même  si  la  récolte  est  probable. 
Et  puis,  il  y  a  d'autres  raisons  ;  voici  la  plus 
sérieuse  : 

«  L'unification  des  façades  et  le  numérotage 
impliquent  l'Unification  des  prix.  Or^  cette  der- 
nière est  impossible  à  réaliser  chez  nos  adhé- 
rents ;  ils  vendent  à  des  prix  établis  selon  leur  fan-  ' 
taisie,  leur  caprice.  Que  la  devanture  chez  X... 
soit  identique  à  celle  de  Z...,  le  public,  songeant 
aux  Maisons  à  Succursales,  croira  payer  le  café^ 
le  sucre  et  le  reste,  un  prix  identique.  Notre  com- 
merçant, précisément,  a  peur  des  remarques  de  la 
clientèle  : 

«  Au  n^  36,  le  café  vautâ  fr.  50.  Pourquoi  vous^ 
n^  37,  le  vendez-vous  2  fr.  60?...  » 

«  Il  découlé  de  tout  cela  que  le  petit  commer- 
çant s'affilie  à  l'Union  pour  jouir  personnellement 
des  prix  plus  avantageux,  conséquence  de  Tachât 
en  commun.  Le  cadet  de  ses  soucis  est  d'en  faire 
profiter  le  consommateu^,  parallèlement.  > 

L'Union  commerciale  d'ahmentation  du  Forez 
compte  de  250  à  275  sociétaires;  Fépicier  en  gros 
qui  fournirait  100  boutiques,  achèterait  plufe  cher, 


car  la  condition  essentielle  de  l'achat  à  meilleur 
compte,  c'est,  nous  le  répétons,  le  marché  qui 
, porte  sur  des  quantités  plus  grandes...  Pour 
accomplir  ses  miracles,  tel  est  le  secret  de  la 
Société*  Le  directeur  apporte  un  exemple  à  l'appui 
de  ce  raisonnement  : 

«  Parlons  du  lard  maigre.  Nous  en  sommes 
copieusement  approvisionnés;  au  10  août  1916, 
époque  à  laquelle  nous  sommes,  il  est  vendu 
2  fr.  90...  C'est  notre  puissance  d'achat  qui  a  cons- 
titué nos  stocks,  antérieurement.  Si  nous  devions 
aujotrrd'hui,  comme  un  commerçant  quelconque, 
nous  adresser  au  Havre  pour  obtenir  ce  qui  nous 
est  nécessairej  tïous  paierions  cette  denrée  2  fr.  90 
sur  place..;  Nos  adhérents^  à  qui  nous  livrons  à 
très  bon  compte,  songent  à  tirer,  de  leurs  denrées, 
le  meilleur  parti  possible;  Un  tel  vend  au  maxi- 
mum de  ce  qu'il  peut  obtenir,  un  autre  vend 
comme  tout  le  monde,  et  comme,  en  dépit  de  notre 
désir,  l'unification  des  prix  n'existera  jamais,  cela 
fera  toujours  deux  poids,  deux  mesures  diffé- 
rentes. y> 

M.  Devun,  du  reste,  n'hésite  pas  à  reconnaître 
que,  grâce  à  l'unification  des  prix,  les  Maisons  à 
Succursales  et  les  Coopératives  ont  rendu  au  public 
de  signalés  services  en  apportant^  de  ce  simple 
fait,  des  entraves  sérieuses  à  la  haussé,  donc  à  la 
vie  chère. 


Nous  n'étudierons  pas  èh  détail  tous  les  grou- 
pements d'achats  eh  commun;  A  quoi  bon?.;.  Ne 


124 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LES   SOCIETES   D  ACHATS    EN   COMMUN 


125 


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fonctionnent-ils  pas  tous  plus  ou  moins  sur  des 
bases  analogues?... 

L'Union  économique  de  Reims  faisait,  avant  la^ 
guerre,  plus  de  7  millions  d'affaires  et  réalisait  un 
bénéfice  de  300.000  francs.  N'est-ce  pas,  pour  elle 
et  les  entreprises  similaires  bien  conduites,  la 
meilleure  des  références?.,.  Ne  sont-elles  pas  la 
preuve  que  le  détaillant  peut  et  doit  toujours  se 
rapprocher  du  producteur,  sinon  dans  l'intérêt 
de  sa  clientèle,  du  moins  dans  son  intérêt  propre? 
Eh  bien  !  la  discipline  que  rêve  M.  Devun  s'éta- 
blit peu  à  peu.  Depuis  que  j'ai  visité  l'Union 
commerciale  d'alimentation  du  Forez,  de  sérieux 
progrès  ont  été  réalisés,  sous  l'impulsion  plus 
particulière  du  Comptoir  commercial  du  Nord, 
créé  par  la  Fédération  des  Syndicats  commerciaux 
du  Nord,  sous  le  patronage  du  Comité  pour  la 
reconstitution  du  Nord.  M.  René  Lefebvre,  député 
du  Nord,  en  est  le  président,  et  M.  Georges  Collas, 
le  secrétaire  général. 

Le  Comptoir  commercial  du  Nord  a  un  maga- 
sin central,  comme  les  Coopératives  ont  un  maga- 
sin de  gros  et  comme  les  Maisons  à  Succursales 
ont  une  maison-mère.  Les  Magasins  généraux  sont 
situés  avenue  de  Paris,  à  la  Plaine  Saint-Denis, 
et  raccordés  directement  aux  Chemins  de  fer  du 
Nord  et  de  l'Est.  Des  magasins  régionaux  existent 
à  Valencierines,  à  Arras,  à  Saint-Mihiel,  à  Mar- 
chiennes,  à  Denain,  à  Saint-Amand,  à  Compiègne,  à 
Reims,  à  Maubeuge,  à  Landrecies,  à  Condé,  et  dans 
les  dix  départements  libérés.  C'est  de  ce  Comp- 
toir commercial  que  part  le  vif  mouvement  qui  se 


dessine,  à  l'heure  actuelle,  plus  qu'il  ne  s'est 
jamais  dessiné,  en  faveur  de  la  coopération  qui 
4era  de  la  boutique  des  commerçants  détaillants 
une  Entreprise  moderne,  si  les  détaillants  le 
veulent  bien,  si  leur  ardeur  ne  se  ralentit  pas,  si 
leur  feu  sacré  est  entretenu  soigneusement  par 
une  âme  combative,  qui,  tout  en  ne  se  berçant  pas 
d'illusions,  garde  les  espoirs  les  meilleurs,  parce 
qu'ils  sont  légitimes,  et  que  le  travail  dans  la  soli- 
darité ne  peut  pas  ne  point  porter  ses  fruits. 

Le  groupe  de  Reims,  le  plus  ancien,  puisque  sa 
formation  remonte  à  1885,  fut,  de  la  nouvelle  Fé- 
dération, en  quelque  sorte  la  pierre  angulaire. 
Sous  l'active  impulsion  de  M.  Doneux,  il  avait 
recruté  des  adhérents  dans  diverses  villes  fran- 
çaises :  à  Roubaix,  à  Amiens,  et  jusqu'à  Nice  ; 
même  à  Toulouse.  Il  n'en  demeurait  pas  moins 
fâcheusement  localisé,  ne  ressemblant  point  en 
cela  aux  groupements  similaires  qui  avaient  vu  le 
jour  à  l'étranger,  et  notamment  en  Allemagne, 
pays  de  la  concentration  par  excellence,  —  con- 
centration qui  composa  toute  la  force  de  résistance 
de  notre  ennemie  pendant  la  guerre,  et  qui,  sans 
doute,  contribuera  le  plus  à  son  relèvement  rapide. 

Ce  qui,  pendant  trop  longtemps,  manqua  à  la 
coopération  des  commerçants  détaillants,  c'était 
un  apôtre.  Un  jour,  il  vint  :  propagandiste  en- 
ragé, orateur  de  réunions  publiques,  sachant 
gagner  à  sa  cause  les  plus  cuirassés  d'indifférence. 
Il  s'appelait  Georges  Collas,  —  le  même  qui  est 
actuellement  secrétaire  général  du  Comptoir 
commercial  du  Nord.  En  1909,  il  fonda  l'Union 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


commerciale  des  Epiciers  de  Boulogne,  et  c'est 
un  peu  de  ce  petit  centre,  situé  dans  la  banlieue 
de    Paris,  que  partirent  les  rayons    qui  éclairent  "^ 
l'ensemble  du  mouvement  actuel. 

Sitôt  la  guerre  achevée,  Georges  Collas,  qui 
avait  vaillamment  accompli  tout  son  devoir,  après 
une  vie  tourmentée  dont  nul,  fort  intelligemment, 
ne  lui  lit  grief,  —  si  c^  n'est  le  président  du 
syndicat  de  l'Epicerie  française,  soutien  invétéré 
des  grossistes  qui  lient  sa  fortune  à  la  sienne  — 
Georges  Collas,  dis-je,  se  remit  à  la  besogne.  Il 
eut  pour  idéal  de  créer  des  lieiïs  entre  tous  les 
groupements  et  sociétés  d'achats  en  commun  de 
France  et,  de  nouveau,  il  se  fit  le  Pierre  l'Ermite 
de  cette  pacifique  croisade  n'ayant  pour  but  que 
le  bannissement  de  l'intermédiaire  inutile  et  trop 
onéreux. 

La  semence  des  idées,  jetée  au  hasard,  em- 
portée au  vent  des  réunions,  a  germé  un  peu 
partout,  car,  aujourd'hui,  de  toutes  parts,  on 
annonce  la  création  de  sociétés  nouvelles,  ce  dont 
on  ne  peut  que  se  réjouir.  Le  mouvement  semble 
même  s'être  singulièrement  élargi.  Une  quaran- 
taine de  Sociétés  d'achats  en  commun  de  détaillants 
se  sont  groupées  en  Fédération,  sous  le  titre 
d'Union  nationale  des  sociétés  d'achats  en  com- 
mun. L'important  groupement  ne  pouvait  mettre 
à  sa  tète  que  Georges  Collas  ;  il  est  évident  que 
cela  l'aidera  dans  la  réahsation  du  but  d'utilité 
publique  qu'il  se  propose,  et  que  les  services  émi- 
nents  qu'il  est  appelé  à  rendre,  ne  se  compteront 
bientôt  plus. 


LES   SOCIETES    D  ACHATS   EN   COMMUN 


127 


^  Chaque  semaine,  lesi  directeurs  se  réunissent  à 
Paris;   ils  se  communiquent  les  offres  reçues  et 

des  prix  pratiqués  dans  leur  région.  Là,  égale- 
ment, des  représentants,  des  voyageurs,  des 
chefs  de  maisons,  viennent  leur  offrir  d'impor- 
tants lots  de  marchandises,  bientôt  réparties  entre 
les  diverses  sociétés  et  selon  leur  importance 
respective. 

Le  service  administratif  de  l'Union  nationale 
des  Sociétés  d'achats  en  commun,  possède  un 
secrétariat  administratif  chargé  de  centraliser  les 
renseignements    et    de    les    communiquer    aux 

,  sociétés  adhérentes.  En  collaboration  avec  le 
Secrétariat  général,  il  étudie  en  ce  moment  la 
création  d*un  service  de  renseignements  à  l'étran- 
ger, service  qui  faciliterait  énormément  la  tâche 
des  acheteurs  à  l'importation. 

On  voit  d'ici  toute  l'importance  que,  fatalement, 
doit  acquérir  cette  moderne  organisation  qui 
pourra,  à  l'occasion  peut-être,  recevoir  l'adhésion 
des  Sociétés  similaires  de  l'étranger,  dans  le  but 
déjà  entrevu  de  l'organisation  définitive  des  achats 
et  des  ventes. 

En  effet,  malgré  la  puissance  d'achat  de  cha- 
cune des  Sociétés  d'achats  en  commun,  aiicune  ne 
peut  prétendre  à  réaliser  la  somme  de  puissance 
d'achat  de  l'Union  nationale;  et,  malgré  la  puis- 
sance d'achat  de  l'Union  nationale,  il  est  intéres- 
sant de  conclure  avec  les  groupements  hors 
frontières,  américains,  anglais,  belges,  notam- 
ment, une  communauté  d'intérêts,  en  substituant, 
autant  que  possible,  la  politique  des  conventions 


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128 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LES   SOCIÉTÉS   d'achats   EN   COMMUN 


129 


à  la  clause  de  la  nation  la  plus  favorisée  inscrite 
dans  tous  les  traités  de  commerce,  afin  d'atteindre 
la  forme  idéale,  parce  que  supérieure,  de  Tachât 
en  commun. 

L'Union  nationale  du  Commerce  de  détail,  se 
trouvant  en  présence  de  cartels  de  producteurs, 
pourrait  ainsi  négocier  de  puissance  à  puissance. 
Elle  déterminerait  une  communauté  d'intérêts 
qui  englobent  à  la  fois  les  petits  et  les  moyens 
commerçants,  et  basée  sur  la  doctrine,  appliquée 
déjà,  de  la  communication  réciproque  des  prix  et 
des  négociations  en  cours.  On  a  vu,  au  chapitre  IV, 
que  cette  idée  n'est  pas  nouvelle,  puisqu'elle  fut 
celle  des  grandes  entreprises  allemandes  d'avant- 
guerre,  qui  trouvaient  une  si  utile  collaboration 
dans  les  adhésions  anglaises  et  américaines. 

Une    organisation    moderne    comme    celle   de 
rUnion  nationale  peut  seule  sauver  les  commer- 
çants détaillants  de  la  disparition  qui  les  menace, 
s'ils  ne  s'adaptent  pas  aux  formes  élémentaires,  et 
pourtant  supérieures,  de  la  coopération.  En  effet, 
sauver   le    commerce   individuel    dans   sa  forme 
primitive,  est  une  utopie;  utopie  généreuse,  soit, 
mais  ce  n'est   qu'une    utopie.   Il    faut    marcher, 
c'est-à-dire  il  faut  progresser  et  ne  pas  croupir 
dans  la  stagnation  du  marécage  où  l'on  s'enlise, 
où  l'on  doit  mourir.  Or,  progresser  se  résume  en 
une  formule  qui  n'est  pas  compliquée  en  principe, 
si    elle    l'est    en    fait  :  Acheter  beaucoup    pour 
acheter  moins  cher  et  vendre  à  meilleur  compte 
en  multipliant  son  chiffre  d'affaires  ! 

Au   fond,   c'est  l'ambition  qui  vient  aux  petits, 


d'être  plus  grands.  Ceux  qui  ont  lu  attentivement 
le  chapitre  relatif  aux  Nouvelles  Galeries  Réunies, 
seront  frappés  de  certaines  similitudes  dans 
^l'origine.  L'Union  nationale,  un  jour  prochain, 
en  arrivera  peut-être  à  établir  des  statuts  qui 
définiront  d'une  façon  plus  précise  encore  ses 
opérations,  et  peut-être  ces  opérations  auront-elles 
une  autre  similitude  avec  celles  de  la  Société  des 
Nouvelles  Galeries  Réunies  qui,  en  tout  cas, 
auront  le  mérite  indiscuté  d'avoir  été  des  précur- 
seurs : 

y  Fabriquer,  acheter  et  vendre,  gros  ou  détail, 
soit  pour  le  compte  de  la  Société,  toutes  espèces 
de  marchandises  généralement  quelconques,  sans 
exception,  avec  ou  sans  commission  ; 

2^  Se  charger  de  tous  paiements  et  recouvre- 
ments pour  le  compte  d'autrui,  soit  au  moyen  de 
chèques,  soit  de  toute  autre  manière; 

3^  Fournir  et  recevoir  des  fonds  ou  des  avances, 
soit  en  comptes  courants,  soit  en  effets,  actions, 
warrants  ou  autres  valeurs;  faire,  tant  activement 
que  passivement,  toutes  opérations  de  banque, 
prêter  ou  emprunter,  en  conférant  ou  en  accep- 
tant, s'il  y  a  lieu,  toutes  garanties  hypothécaires 
ou  mobilières; 

4^  Acheter,  vendre,  échanger,  louer,  avec  ou 
sans  promesse  de  vente,  démolir,  construire, 
modifier,  aménager,  tous  immeubles  au  mieux  des 
intérêts  de  la  Société,  et  s'intéresser,  directement 
ou  indirectement,  à  toutes  opérations  se  ratta- 
chant à  des  immeubles  ; 

50  Favoriser  la  fusion  des  diverses  Sociétés  ou 


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LES    ENTREPRISES    MODERNES 


LES   SOCIÉTÉS   d'achats    EN  COMMUN 


131 


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Compagnies  et  Entreprises  particulières,  soit  par 
voie  d'annexion  à  la  présente  Société,  soit  par  voie 
d'alliance,  soit  par  tout  autre  moyen  ; 

6^  Liquider,  s'il  y  a  lieu,  la  portion  de  Vactif 
nécessaire  à  Tacquit  du  passif  de  la  Société  des 
Grands  Bazars  Réunis  et  des  Sociétés  qui  fu- 
sionnent avec  la  présente; 

7^  Etablir  des  agences,  comptoirs,  factoreries  et 
succursales,  tant  à  Paris  que  dans  les  autres  villes 
de  France,  des  Colonies  françaises  et  de  Té- 
tranger 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  ce  n'est  pas  sous  ces  rap- 
ports exclusivement,  que  l'Union  nationale  pourra 
se  vanter  d'être  une  Entreprise  moderne,  les  En- 
treprises modernes,  surtout  celles  de  l'alimenta- 
tion, pourront  revendiquer  une  parenté  avec  elle, 
pour  d'autres  raisons.  La  principale  de  ces  raisons 
se  résume  en  la  tendance  qui  prédomine,  à  l'heure 
actuelle,  au  sein  des  sociétés  d'achats  :  celle  de 
la  vente  contrôlée.  La  raison  d'infériorité  des 
membres  de  l'Alimentation  du  Forez  tend  donc 
sérieusement  à  disparaître.  Le  Comptoir  commer- 
cial du  Nord,  dont  le  siège  est  à  Paris,  97,  rue 
Nollet,  à  ce  point  de  vue  donne  l'impulsion  et 
semble  en  passe  de  devenir  le  modèle  du  genre. 
Les  centres  régionaux  qu'il  ravitaille  et  que  j'ai 
cités,  ne  ravitaillent  eux-mêmes  que  les  membres 
de  l'organisation,  et,  cela,  à  des  prix  que  ne  con- 
naissent pas  les  attardés  qui  ont  encore  recours 
aux  intermédiaires.  Par  contre,  les  membres  de 
l'organisation  sont  tenus  de  vendre  à  des  prix 
fixés  par  l'Association  centrale,  d'accord  avec  les 


groupes  locaux.  C'est  là  une  initiative  très  heu- 
reuse qu'il  faut  souhaiter  voir  se  généraliser  et 
,qui  rapproche  singuhèrement  l'Union  nationale 
du  commerce  de  détail,  dans  la  conception  de  ses 
principes  et  leur  application,  des  Maisons  à  Suc- 
cursales, dans  la  conception  et  l'application  des 
leurs,  et  qui  se  désignent  elles-mêmes  sous  cette 
appellation  :  Maisons  contrôlées. 

Autre  point  de  ressemblance  :  les  Sociétés 
d'achats  en  commun  sont  des  Sociétés  paradions. 
Quelques-unes  ont  émis  des  obligations  pour  des 
sommes  assez  importantes.  Toutes  semblent 
aujourd'hui  donner  de  bons  résultats. 

Somme  toute,  c'est  la  réalisation  de  la  marche 
à  l'unité  de  tout  le  commerce  français,  par  la 
coopération,  et  que  j'avais  essayé  de  définir  dans 
l'avant-propos  de  mon  livre  :  la  Guerre,  le  Com- 
merce français  et  les  Consommateurs. 


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VIII 


Résumé  de  ce  qui  précède. 


Les  Grands  Magasins,  les  Maisons  à  Succur- 
sales, les  Sociétés  d'achats  en  commun,  forment 
donc  ce  que  j'appelle  les  Entreprises  Modernes 
du  Grand  Commerce  de  Détail.  Tâchons  de  les 
définir  d'une  autre  façon,  soit  pour  mieux  établir 
leur  similitude,  soit  pour  mieux  déterminer  ce 
qu'elles  doivent  être  en  tant  qu'affaires  commer- 
ciales, objectivement  : 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
qui  pratiquent  la  coopération  ou  qui  la  pratique- 
ront pour  grandir.  Loin  de  la  redouter,  elles 
appellent  son  avènement  définitif.  Ce  sont  des 
entreprises  de  l'école  libérale,  où  l'on  considère 
comme  néfaste  l'individuahsme  outrancier  qui 
fait  reléguer  au  second  plan,  non  pas  la  solidarité 
professionnelle,  laquelle  comporte  un  sens  étroit, 
mais  la  solidarité  commerciale  et  industrielle,  qui 
a  un  sens  plus  vaste,  fait  et  fera  de  l'employé  ou 
de  l'ouvrier  un  collaborateur,  un  associé. 


V 


RÉSUMÉ  DE   CE  QUI   PRÉCÈDE 


133 


Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
qui  n'attendent  pas  que  le  public,  tout  le  public, 
Vienne  à  elles,  car  elles  vont  à  lui;  elles  pré- 
tendent opérer  sur  les  masses,  par  grandes  quan- 
tités de  marchandises  achetées  et  vendues;  elles 
les  attirent,  certaines  par  leur  luxe,  la  profusion 
des  denrées,  le  service  des  livraisons  à  domicile; 
d'autres,  par  l'installation  de  succursales  à  tous 
les  carrefours,  par  les  prix  ne  varietur,  qui  plaisent 
particulièrement  aux  clients.  Leur  marge  debéné- 
ice  à  l'unité  peut  se  réduire  selon  les  nécessités 
et  les  exigences  de  la  concurrence  ;  c'est  la  quan- 
tité des  transactions  qui  finit  par  rémunérer  le 
capital  engagé,  alors  que,  chez  le  commerçant 
,  isolé,  c'est  la  proportion  de  bénéfice,  élevée  pour 
un  chiffre  restreint  de  transactions,  qui  compose 
cette  rémunération. 

Soyons  plus  clair  et  plus  précis  : 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
qui  achètent  par  wagons,  par  trains  entiers,  par 
cargaisons  complètes,  afin  de  bénéficier  d'une  ré- 
duction de  prix  et,  la  plupart  du  temps,  d'une  ré- 
duction sur  les  prix  de  transport. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
dans  lesquelles,  à  tout  moment  de  l'année,  il  est 
possible  de  transformer  en  espèces  les  marchan- 
dises ou  les  créances,  l'avoir,  en  un  mot,  en  fai- 
sant de  cet  avoir,  toujours  considérable,  la  base 
d'un  crédit  parallèlement  considérable.  Cela  con- 
court à  ce  que  l'on  appelle  la  liquidité  de  l'actif 
assurée  par  les  soldes,  la  revente,  l'emprunt  tou- 
jours possible  quand  il  est  interdit,  au  commerce 


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134 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


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individuel  qui  en  connaît  la  parodie  par  l'escompte 
consenti  dans  les  banques  populaires,  lorsque 
celles-ci  le  veulent  bien. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
où  Ton  pratique  la  ponctualité  des  règlements, 
lesquels  règlements  sont  suivis  de  transactions 
nouvelles,  conséquentes  ou  remplaçantes,  sans 
qu'un  jour  ne  soit  perdu,  sans  quelle  capital  ne  soit 
immobilisé  dans  une  affaire,  ce  qui  lui  permet,  à 
ce  capital,  d'être  employé  dix  fois,  vingt  fois  de 
suite,  en  produisant  à  chaque  fois  un  bénéfice  mi- 
nime qui,  multiplié  par  dix  ou  par  vingt,  devient, 
en  fin  de  compte,  un  bénéfice  assez  coquet.  La 
ponctualité  est  affaire  de  bonne  foi,  de  loyauté 
commerciale  autant  que  de  finances  ;  elle  ne  doit 
jamais  être  impossible  à  pratiquer. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
dans  lesquelles  on  étudie  des  statistiques  que  Ton 
collectionne  ;  dans  lesquelles  on  trace  des  gra- 
phiques que  Fignorant  ne  peut  lire,  afin  de  formu- 
..er,  d'une  façon  aussi  exacte  que  possible,  des 
règles  sur  la  marche  des  prix,  l'intensité  de  pro- 
duction et  de  consommation,  d'articles  variés. 
C'est  cette  besogne  ardue,  digne  de  bénédictins, 
qui  projette,  comme  une  lanterne,  ses  lueurs  sur 
la  vie  pratique,  en  inspirant  l'acheteur,  qui  ne 
doit  jamais  opérer  ni  au  hasard,  ni  à  l'aveuglette. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
qui  ont  pour  but  un  agrandissement  àjet  continu, 
une  concentration  de  plus  en  plus  considérable, 
avec  des  marchandises  hétérogènes,  c'est-à-dire 
qui  ne  se  ressemblent  pas  et  créent  la  nécessité 


•V        : 


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RÉSUMÉ   DE   CE   QUI    PRÉCÈDE 


135 


I 


de  diviser  le  magasin  en  rayons,  à  cause  de  la 
complexité  qui,  sans  cela,  le  ferait  rassembler  à 
nn  capharnaum.  Ce  sont  des  entreprises  dans  les- 
quelles les  marchandises,  si  je  puis  m'exprimer 
ainsi,  s'assurent  mutuellement,  de  manière  que  la 
perte  subie  sur  les  unes,  pour  un  motif  ou  pour 
un  autre,  soit  compensée  par  le  bénéfice  réalisé 
sur  les  autres,  et  toujours  à  prix  invariable,  fixe, 
affiché  en  chiffres  connus. 

Les  petits  commerçants  qui  vendent  selon  la 
tète  du  client  et  jamais  à  perte,  ouvrent  de  grands 
yeux.  Ils  sentent  qu'ils  ne  sont  point  nés  pour  de 
telles  pratiques  et  s'interrogent,  anxieux,  pour 
savoir  quels  diables  peuvent  bien  pousser  les  gens 
qui  transforment  ainsi  des  additions  en  problèmes 
d'algèbre,  trop  forts  même  pour  des  polytechni- 
ciens. 

Les  Entreprises  Modernes  sont  des  entreprises 
qui  n'hésitent  jamais  devant  le  coût  de  la  publi- 
cité, pour  faire  connaître  leurs  articles;  devant 
les  frais  qu'occasionnent  les  expositions;  la  dé- 
térioration des  marchandises,  conséquence  des 
étalages;  le  tintouin  et  les  opérations  désavanta- 
geuses que  constituent  certaines  ventes  d'articles- 
réclame  et  certaines  opérations  saisonnières;  quel- 
ques-unes même  s'adjoignent,  dans  leur  sein,  des 
salles  de  lecture,  des  cinémas,  des  salons  de  five- 

o'clock,  etc.,  etc. 

Ce  sont  les  Grands  Magasins;  ce  sont  aussi  les 
Maisons  à  Succursales  et  des  maisons  sans  succur- 
sales qui  ne  sont  pas  de  grands  magasins,  et  dans 
lesquelles  les  vérifications  sont  fréquentes,  afin  de 


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136 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


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constater  si  le  chiffre  d'affaires  est  en  progression 
ou  en  régression,  ce  qui  permet  de  découvrir  les 
causes  du  mal,  quand  mal  il  y  a,  et  de  déterminer  ^ 
plus  exactement  les  prix  de  revient.  Ce  sont  les 
maisons  qui  travaillent  inlassablement  à  l'unifica- 
tion de  la  consommation  qui,  seule,  rend  possible 
l'unification  de  la  production,  laquelle  comporte 
plusieurs  avantages  que  je  définirai. 

Les  petits  commerçants  dont  Tidéal  est  de  rester 
petits  commerçants,  haussent  les  épaules.  Ils  ne 
veulent  rien  avoir  de  commun  avec  les  Entre- 
prises Modernes  ;  ils  ne  savent  qu'une  chose  : 
c'est  qu'ils  les  haïssent,  c'est  qu'ils  voudraient 
les  voir  la  proie  d'un  cataclysme  géant  qui  les 
détruirait  toutes  pour  jamais,  même  quand,  em- 
bryonnaires, elles  apparaissent  sous  les  espèces 
de  l'Alimentation  du  Forez  ou  du  Comptoir  com- 
mercial du  Nord,  dont  les  noms  de  baptême  leur 
rappellent  encore  trop  les  Comptoirs  de  Bour- 
gogne ou  l'Alimentation  Stéphanoise,  leurs  rivaux. 

—  Comme  cela,  disent-ils,  on  serait  tranquilles. . . 
Il  y  aurait  de  la  place  au  soleil  pour  tout  le 
monde...  le  vice  ne  serait  plus  encouragé...  Et 
Ton  aurait  des  marchandises  de  meilleure  qualité 
et  de  meilleur  goût.  L'art... 

Ceux  qui  tiennent  ce  langage  oublient  que  la 
camelote  la  plus  laide,  la  moins  solide,  la  plus 
novice,  ne  se  débite  que  chez  ceux  qui  n'ont  ja- 
mais aspiré,  pour  leur  maison,  au  qualificatif  mo- 
derne. En  tout  cas,  toute  chose  sera  remise  à  sa 
place  quand  ceux  qui  ne  veulent  pas  être  mo- 
dernes, et  qui  n'en  prétendent  pas  moins  exercer 


RÉSUMÉ   DE   CE   QUI   PRÉCÈDE 


137 


une  profession  commerciale,  seront  remis  à  la 
leur  :  dans  les  rangs  du  travail  pur  et  simple,  d'où 
ils  n'auraient  jamais  dû  sortir,  et  où  les  héca- 
tombes de  la  guerre  appellent  des  remplaçants, 
si  les  nations  veulent  vivre. 


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IX 

Les  Bv'îîiques  à  succursales, 
sœurs  des  Entreprises  Modernes, 


D'après  ce  qui  précède,  on  doit  se  rendre 
compte  que  les  Entreprises  modernes  peuvent 
embrasser  d'autres  domaines  que  le  grand  détail 
de  la  Nouveauté,  du  Bazar  ou  de  TAlimentation; 
elles  peuvent  embrasser  aussi  celles  qui  devraient 
être  les  auxiliaires  immédiats  de  ce  grand  détail, 
en  lui  facilitant  le  crédit,  c'est-à-dire  les  banques. 

En  effet,  les  banques,  à  Theure  actuelle,  sont, 
le  plus  ordinairement,  des  Maisons  à  succursales; 
elles  aussi  vont  chercher  le  client  là  où  il  se  trouve, 
en  s'installant  à  sa  proximité.  Elles  ont  établi  des 
filiales  de  leurs  firmes  dans  de  nombreux  pays 
étrangers,  principalement  en  Belgique  et  en  Suisse. 

Malheureusement,  le  grand  commerce  français 
ne  reçoit  pas  un  concours  appréciable  de  ces 
Etablissements  de  crédit.  A  plus  forte  raison,  le 
petit  commerce  en  reçoit-il  moins  encore.  Et  c'est 


LES    BANQUES   A   SUCCURSALES 


139 


parce  que  les  banques  se  désintéressent  du  négoce 
et  de  rescompte,  que  nos  Entreprises  Modernes 
n  ont  pas,  à  Finstar  de  Debray,  un  grand  nombre 
de  succursales  à  l'étranger.  Cependant,  à  Theure 
où  notre  change  est  si  déprécié,  quels  services 
nous  rendraient  ces  succursales  !  Et  si  elles  exis- 
taient, avec  quel  œil  attristé  lesmercantis  d'outre- 
frontières  ne  les  considéreraient-ils  point?... 

Des  succursales,  en  effet,  quel  que  soit  leur 
genre,  pompent,  en  quelque  sorte,  l'argent  de 
leur  clientèle,  au  profit  du  pays  où  se  trouve 
leur  maison-mère;  si  la  France,  à  l'heure  actuelle, 
avait  beaucoup  de  succursales  en  Espagne,  en 
Suisse,  en  Angleterre,  la  France  serait  créditée 
en  Espagne,  en  Suisse,  en  Angleterre;  la  Suisse, 
l'Espagne,  l'Angleterre,  se  trouveraient  débitées 
chez  nous.  Ainsi  contribuerait-on  à  rétablir  ce  que 
l'on  appelle  la  balance  des  comptes,  car  c'est  le 
pays  du  siège  social  d'où  vient  le  capital,  qui 
retirerait  les  profits  de  toutes  les  opérations.  Fon- 
tana-Russo,  dans  son  Traité  de  politique  com- 
merciale, constate,  en  effet,  que  les  Etats  où  le 
capital  se  forme,  deviennent  rapidement  crédi- 
teurs de  ceux  où  le  capital  s'emploie. 

C'est  en  s'engageant  dans  cette  voie,  connue 
seulement  des  roulottiers,  que  la  France  réussirait 
le  mieux  à  combler  les  vides  qui  pourraient  se 
produire  au  bilan  de  ses  paiements.  C'est  parce 
que  les  Allemands  comprenaient  cela  qu'ils 
avaient  multiplié,  dans  nos  villes  d'eaux  et  dans 
notre  capitale,  leurs  succursales  hôtelières.  Une 
grande    partie    de    l'argent    que   les   Allemands 


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140 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


dépensaient  en  France,  était  récupérée  par  leurs 
compatriotes  qui,  ainsi,  en  même  temps  que  tous 
les  autres  clients,  conscients  ou  non,  créditaient 
l'Allemagne  chez  nous. 

Trêve  de  jérémiades;  nous  avons  d'autres 
raisons  pour  nous  attrister;  nous  ne  les  dévelop- 
perons pas  toutes,  du  moins  aujourd'hui  ;  il  y 
aurait  matière  à  plusieurs  volumes. 

En  attendant,  c'est  pitié  de  savoir  que  nous 
fûmes  la  nation  la  plus  riche  en  capitaux  dis- 
ponibles, en  même  temps  que  la  nation  où  les 
entreprises  industrielles  et  commerciales  trou- 
vaient le  moins  de  concours  financiers.  C'est 
grâce  à  cet  état  de  choses  que  le  crédit  est  mort, 
définitivement  mort,  à  Paris  comme  en  province, 
et  que  nos  revenus,  une  fois  la  paix  signée,  sont 
descendus  au-dessous  de  vingt-cinq  milliards, 
avec  un  budget  supérieur  à  ce  chiffre. 

Les  défenseurs  des  Grands  Etabhssements  de 
Crédit  arguent  que,  si  ces  Etablissements  sont 
nés,  c'est  que  leur  création  et  leur  développe- 
ment répondaient  à  des  nécessités  spéciales  de 
toutes  les  branches  de  notre  activité.  Peut-être. 
Ils  ont,  pour  montrer  leur  utilité,  fait  bénéficier 
leur  clientèle  de  taux  d'escompte  réduits;  la 
clientèle  abandonna  les  banques  privées,  qui  se 
ruinèrent;  depuis,  la  désagrégation  du  crédit  n'a 
fait  que  se  précipiter.  La  concurrence  s'est,  dans 
une  certaine  mesure,  tournée  contre  ceux  qui 
eussent  dû  en  profiter.  Mais  les  approches  de  la 
guerre,  et  la  guerre  elle-même  surtout,  ont  fait 
subir  aux  choses  et  aux  hommes  une  telle  évolu- 


I 


1  I 


LES   BANQUES   A  SUCCURSALES 


141 


tion,    qu'il  serait  prématuré  de  tirer  des  conclu- 
sions   susceptibles    de    n'être    qu'une    nouvelle 
manifestation  de  nos  erreurs. 
^     Un  vent  de  réaction  souffle  contre  nos  Grands 
Etablissements  de  Crédit.  Est-il  légitimé?...  Tou- 
jours est-il   que,   depuis  l'armistice,  un  mouve- 
ment semble  s'être  dessiné  en  faveur  d'une  réor- 
ganisation  bancaire   qui    soit   plus   adéquate    au 
développement  de  notre   commerce  et  de  notre 
industrie.   La    manifestation  la    plus   caractéris- 
tique   de   cette  nouvelle   tendance  est  le  projet, 
fortement  soutenu  par  l'Etat,  de  créer  la  Banque 
nationale  du  Commerce  extérieur.  De  nombreux 
économistes  ont  disserté   sur  les  moyens  à  em- 
ployer. Leurs  travaux  sont  fort  intéressants,  mais 
ne  doit-on  pas  examiner  comment,  à  VintérieuVy 
on  obtiendra  une  production  intensive  permettant, 
après   avoir   assuré  nos  besoins,    d'étendre    nos 
exportations?    Il  nous  semble,   en  effet,  d'après 
notre  situation,  que  c'est  le  premier  de  tous  les 
problèmes  à  envisager,  puisque  la  production  de 
notre  pays  est  insuffisante  pour  ramener  sur  nos 
propres    marchés  les    denrées   nécessaires    à  la 
consommation,  à  plus  forte   raison  à    l'abaisse- 
ment des  prix.  Chaque  mois,  il  nous  a  été  donné 
d'entendre   l'hymne  à   la   production.   Plusieurs 
virtuoses  ont  concouru  à  ce  concert.  Cependant, 
par  dizaines  et  par  dizaines  de  milliers,  les  jeunes 
gens    de  nos    campagnes,   après   avoir   servi    à 
Tarmée,  demandent  des  emplois  dans  les  Chemins 
de  fer    ou   ailleurs,    convaincus    que,   là,  ils   se 
reposeront,  et  qu'il  n'y  aura  qu'à  poursuivre  Tap- 


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9 


142 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


plication  de  la  devise  militaire  :  Il    ne  faut    pas 
s'en   faire.  Des  dizaines  de   milliers  de   paysans, 
devenus  riches  à  la  faveur  de  la  guerre,  loin  de  ^ 
réprimer  le    manqne   d'ambition   de    leur   progé- 
niture, cultivent  de  moins  en   moins,  de  manière 
à    n'assurer,  en    tout    premier    lieu,    que    leurs 
besoins.  C'est  ainsi  que  nos  surfaces  ensemencées 
diminuent    à  mesure   que  les    prix  s'élèvent,   la 
fortune    qui    vient   étant  incitatrice   à  la  paresse 
plus  qu'au   labeur.  Des  légions    de  travailleurs, 
après  avoir  placé  leur  idéal  dans  la  journée    de 
huit  heures,  songent  que  cette  journée  est  encore 
trop  longue  et,  par  tous  les  moyens,  s'ingénient 
à  la  raccourcir  davantage.  Sommes-nous  dans  l'im- 
passe au  bout  de  laquelle  on  trouve  la  mort  par 
consomption?...  Qu'y  a-t-il  à  faire  pour  apporter 
un  remède  qui  ne  soit  point  un  cautère  sur  une 
jambe  de  bois?... 

Produire  n'a  pas  seulement  pour  facteur  la 
main-d'œuvre,  c'est-à-dire  les  bras;  il  y  a  aussi 
les  matières  premières.  Or,  nous  en  manquons. 
Nous  en  manquons,  non  point  par  pénurie  de  ce 
qui  les  compose,  nos  provinces  disposent  de  tant 
de  choses  !  Nos  usines  d'acide  sulfurique,  dans  le 
Rhône,  par  exemple,  n'attendent  que  les  phos- 
phates algériens  que  nous  possédons  en  si  for- 
midables quantités,  pour  les  transformer  en 
engrais  ;  nos  fours  à  ciment,  nos  fours  à  chaux, 
n'attendent  que  le  calcaire,  toujours  aussi  répandu 
dans  les  flancs  des  collines  parisiennes;  nos 
scieries  n'attendent  que  les  bois  d'essences  si 
variées  de  nos  colonies  ;  nos  huileries  n'attendent 


LES    6ANQUËS   A   SUCCURSALES 


143 


que  les  graines  oléagineuses  du  Sénégal  ou  de  la 
Guyane,  etc.,  etc.  La  liste  serait  interminable. 
,  Mais  on  attend  aussi  le  charbon,  direz-vous.  Et,  à 
'ces  différents  points  de  vue,  la  question  de  la 
main-d'œuvre  se  lie  étroitement  à  une  question  de 
transports.  Et  tout  cela,  naturellement,  s'enchaîne 
avec  la  situation  financière.  Les  capitaux  en 
mouvement  sont  insuffisants,  en  dépit  de  l'infla- 
tion fiduciaire,  pour  assurer  une  grande  activité 
de  production  et  d'échanges.  Et  puis,  si  l'on 
considère  que  le  Français  ne  fait  plus  crédit  au 
Français,  on  en  conclura  que  le  premier  de  tous 
les  moyens  d'expansion  à  créer,  ou  à  recréer, 
c'est  la  réorganisation  du  crédit.  L^étranger  ne 
nous  en  consentira  que  si  nous  nous  en  con- 
seiîtons   mutuellement. 

Les  grandes  banques  proclament  :  «  Nous 
sommes  commerçants  !  A  ce  titre,  nous  devons 
jouir,  comme  tout  autre  commerçant,  d'organiser 
et  de  conduire  notre  affaire  comme  nous  l'enten- 
dons. Nous  ne  sommes  que  les  dépositaires  des 
fonds  qui  nous  sont  confiés,  lesquels  ne  cons- 
tituent jamais  une  propriété,  et  notre  mission  est 
de  les  faire  fructifier;  nous  seuls  pouvons  être 
juges  de  la  manière.  Nous  n'en  revendiquons  pas 
moins  un  traitement  qui  ne  peut  être  différent  de 
celui  des  Grands  Magasins  de  la  Nouveauté  ou  des 
Sociétés  d'Alimentation  à  succursales  multiples.  » 
C'est  fort  bien.  Mais  les  revendications,  en  elles- 
mêmes,  ne  sont  rien.  C'est  la  façon  d'agir  qui  est 
tout.  La  concurrence  semble  devoir  être  à  la  base 
de  tout.  C'est  sur  elle  que  repose  la  modernisation 


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144 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


des  méthodes  dont  la  conséquence  la  plus  immé- 
diate est  la  suppression  de  l'intermédiaire.  En  sup- 
posant les  problèmes  de  la  main-d'œuvre  et  de^ 
transports  résolus,  il  s'en  dressera  immédiatement^ 
un  second  :  un  plus  large  crédit  dont  l'applica- 
tion sera  variable,  selon  l'importance  des  entre- 
prises. 

Avant  la  guerre,  les  grandes  firmes  étaient 
plutôt  favorisées  dans  la  négociation  de  leurs  effets 
commerciaux.  Les  nombreuses  agences,  succur- 
sales des  Etablissements  de  Crédit,  luttaient  entre 
elles  pour  la  recherche  du  bon  papier;  elles 
offraient  même,  sur  certaines  places,  de  l'escomp- 
ter au-dessous  du  taux  de  la  Banque  de  France. 
Ce  procédé  était  surtout  employé  par  certaines 
d'entre  elles,  se  trouvant  débitrices  en  compte  cou- 
rant sur  une  autre  place,  à  un  intérêt  élevé.  Ail- 
leurs, et  pour  le  papier  courant,  les  conditions 
supplémentaires  à  celles  de  la  Banque  de  France 
étaient  très  acceptables. 

Les  capitaux  récupérés  ainsi  par  une  négocia- 
tion avantageuse,  devraient  donc  suffire  aux  En- 
treprises Modernes,  s'il  n'y  avait  pas  à  tenir 
compte  des  éléments  de  trésorerie  disparus  depuis 
les  hostilités.  L'escompte  à  longue  échéance  pour- 
rait, dans  une  appréciable  mesure,  rétablir  une 
situation  normale. 

Comme  nous  le  disait  M.  Boya,  directeur  des 
Docks  de  l'Ouest  :  «  En  Allemagne,  la  négociation 
à  long  terme  —  180  jours  —  permettait,  avec  un 
capital  égal  à  celui  d'une  maison  française,  d'obte- 
nir une  plus   grande  production,  de  réduire  les 


1   h 


LES   BANQUES   A   SUCCURSALES 


145 


frais  généraux  fixés,  et  surtout  de  vendre  dans  de 
meilleures  conditions.  )^ 

Cet  avantage  ne  va  pas,  n'irait  pas,  sans  incon- 
vénients :  il  immobilise  les  capitaux  de  roulement 
des  banques,  et,  en  cas  de  crise,  leur  fait  courir 
de  gros  risques.  De  plus,  le  chef  de  l'entreprise 
lui-même  suit  moins  attentivement  les  opérations 
de  sa  maison  et  s'expose  à  la  compromettre  par 
des  engagements  trop  importants.  Toutefois,  il 
n'apparaît  pas  encore,  dix-huit  mois  après  les  hos- 
tilités, que  des  faillites  kolossales  et  nombreuses 
aient  péremptoirement  démontré  les  inconvé- 
nients du  procédé.  Au  contraire,  nous  en  tirerons 
argument  pour  affirmer  que  notre  pays  ne  doit  pas 
se  contenter,  en  ce  qui  le  concerne,  du  statu  quo. 
Nous  ne  doutons  pas  que  les  Maisons  à  succur- 
sales de  banques  ne  consentent  à  appliquer  un 
terme  de  120  jours,  si  la  Banque  de  France,  régu- 
latrice des  opérations  bancaires,  consentait  à  l'ap- 
phquer  elle-même.  La  forme  succursaliste,  en 
effet,  ne  peut  être,  dans  certains  genres,  facteur 
de  progrès,  et  dans  d'autres,  facteur  de  régression. 
Etant  toujours  identique  à  elle-même,  elle  ne  peut 
avoir  qu'un  identique  résultat  :  mieux-être. 

Il  n'y  a  pas  que  les  ventes  consenties  qui 
puissent  être  envisagées  :  il  y  a  la  période  d'achats 
et  de  fabrication  à  passer.  Les  industriels,  en 
effet,  font  l'avance  des  matières  premières  néces- 
saires, ainsi  que  les  frais  de  main-d'œuvre,  avant 
de  retrouver  le  produit  de  la  vente  des  objets 
manufacturés;  les  négociants  effectuent  leurs 
achats  à  la  récolte  ou  lors  de  la  fabrication,  et 

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i46 


lia  ENTB»RiaES   MODERNES 


l'écouiement  de  leur  marchandise  se  répartit  sur 
l'année  entière.  Pour  parer  à  toute  situation,  la 
crédit  est  nécessaire.  Jadis,  on  le  consentait  à  des  ^ 
conditions  gui  faisaient  presque  mentir  son  nom  : 

11  fallait  posséder  exclusivement  des  valeurs 
mobilières  cotées  à  la  Bouree  de  Paris  et  cal- 
culées à  75  p.  100  des  cours.  Les  immeubles, 
hypothèques,  signatures  solvaWes  et  excellentes 
garanties  diverses,  ne  comptaient  pas  plus  les  unes 
que  les  autres.  On  ne  voulait  accepter,  générale^ 
tt»nt,  que  des  gages  rapidement  réalisables  et, 
chose  grave,  en  cas  de  prévision  de  crise,  le  com- 
merçant ou  l'industriel  étaient  mis  en  demeure 
de  rembourser  immédiatement  l'avance  qui  leur 
avait  été  consentie.  Cet  imprévu  restait  sans  con- 
séquence si  la  trésorerie  de  l'emprunteur  permet- 
tait de  satisfaire  le  banquier  ;  autrement,  le  contrat 
d'avance  le  permettant,  les  valeurs  étaient  vendues 
d'office  ;  il  en  résultait  des  pertes  appréciables. 

Ce  qu'il  faut,  dans  l'avenir,  c'est  que  les  ins- 
tructions des  sièges  centraux  soient  moins  radi- 
cales et  qu'elles  admettent  les  cas  particuliers; 
c'est  que  les  directeurs  d'agences  connaissant  la 
moralité  de  leurs  clients,  puissent  leur  éviter, 
quand  il  Y  a  lieu,  les  mesures  extrêmes.  Ce  sont 
ces  surprises  possibles  qui,  dans  le  passé,  on» 
pendu  nos  négociants  hésitants,  alors  même  qu'ils 
trouvaient  l'occasion  favorable  pour  étendre  leurs 
affaires.  Une  bonne  valeur  étant  une  garantie  se- 
ï-ieus©,  ne  devrait  plus,  demain,  pouvoir  être  re- 
fusée. 
U»  autre  moyen  que  tes  Entreprises  Modernes 


LES   BANQUES   A  SUCCURSALES 


147 


de  Crédit  pourraient  mettre  en  pratique,  pour  ai- 
der les  Entreprises  Modernes  de  grand  détail, 
ç^siderait  dans  le  placement  des  «  Obligations  ». 
Ces  titres,  mis  en  circulation  au  taux  de  capitali- 
sation des  autres  valeurs,  et  reposant  sur  des 
garanties  de  premier  ordre,  constitueraient  un 
excellent  placement  pour  l'emploi  des  disponibi- 
lités. Une  activité  économique  considérable  en 
serait  immédiatement  la  conséquence. 

Une   loi  interdisant    le  placement  de   valeurs 
étrangères  non  autorisées  par  l'Etat,  retiendrait 
les  capitaux  disponibles,  qui  s'affecteraient  alors 
en    partie   aux   titres    industriels    français.    Les 
«  Banquistes  »  vivant  de  commissions  frôlant  l'es- 
croquerie, en  seraient  seuls  désolés  ;  mais  ils  ont 
fait  assez  de  victimes,  durant  ces  dernières  années, 
pour  que  nul  n'éprouve,  à  leur  égard,  le  moindre 
sentiment  de  pitié.  Les  Entreprises  Modernes  de 
Crédit  solutionneraient   ainsi,  pour    les  sociétés 
anonymes  et  en  commandite  par  actions,  un  cer- 
tain nombre  de  problèmes.   Enfin,  si  elles  ont, 
comme  le  nom  de  certaines  l'indique,  réellement 
pour  but  d'aider  au  développement  du  Commerce, 
de  l'Industrie  et  de  l'Agriculture,   les  marchan- 
dises en  entrepôt  pourraient  obtenir  des  avances 
au  même  titre  que  celles  en  entrepôts  agréés  par 
l'Etat,  à  l'exemple  des  Warrants.  Rien  ne  devrait 
s'y  opposer,   si  l'intéressé  pouvait  disposer  d'un 
local  spécial  où  ces  marchandises  seraient  emma- 
gasinées pendant  la  durée  de  l'avance,  —  le  grand 
commerce,  cela  s'entend. 

Car,  il  n'est  rien  de  plus  souhaitable  que  de  voir 


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1    I 


148 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


les  Entreprises  Modernes,  de  tous  genres,  marcher 
la  main  dans  la  main,  comme  on  dit,  afin  d'ap- 
pliquer les  principes  de  la  solidarité.  Malheureuse- 
ment, jusqu'à  ce  jour  les  Etablissements  de  Grédiv* 
n'ont  pas  établi  suffisamment  de  différence  entre 
elles  et  les  «  Margoulins  »  ;  certaines,  dès  long- 
temps, justement,  ont  eu  une  altitude  boudeuse  à 
l'égard  des  grandes  banques.  D'autres  usèrent  de 
représailles  vis-à-vis  du  Crédit  Lyonnais  ou  de  la 
Société  Générale,  en  n'y  maintenant  qu'un  compte 
courant,  avec,  à  leur  actif,  la  somme  de  UN  hanc. 
Telle    de    ces    entreprises,    la    Vigneronne,   par 
exemple,  est  dans  ce  cas,  quel  que  soit  le  nombre 
de   millions  qui  compose   son    chiffre    d'affaires 
annuel.   La  Vigneronne  paie  tous  ses  achats  au 
comptant;   son   compte  de  un  franc  lui  permet 
d'opérer   l'encaissement,    et  non   pas  l'escompte 
des  valeurs  —  des  chèques,  —  qui  lui  sont  re- 
mises par  ses  clients.  Sitôt  cet  encaissement  effec- 
tué, le  retrait  des  sommes  a  lieu. 

Un  notable  commerçant  de  Bercy  me  contait 
récemment  : 

«  Il  n'est  pas  rare  que  les  grandes  banques 
envoient  ici  un  de  leurs  démarcheurs  pour  me 
solliciter,  afin  que  notre  firme  fasse  partie  de  leur 
clientèle.  Dès  que  le  démarcheur  apparaît,  je  me 
débarrasse  de  lui  par  un  infaillible  procédé.  Je  lui 
confie  : 

«  Dites  à  votre  banque  que  j'ai  besoin  d'un 
demi-miUion,  et  demandez-lui  si  elle  consent  à 
m'accorder  un  découvert  de  cette  importance. 

—  Parfaitement!  répond  l'employé,  qui  ne  re- 


» 


I 


LES  BANQUES  A   SUCCURSALES 


149 


paraîtjamais,  mais  qui  est  remplacé,  un  an  après, 
par  un  autre  démarcheur,  auquel  la  même  de- 
li'ainde  est  faite.  » 

Ge  commerçant  me  disait  encore  : 

«  Vous  comprenez  que  je  n'ai  pas  besoin  du 
crédit  des  banques;  je  pourrais,  au  contraire,  leur 
prêter  de  l'argent.  Elles  l'accepteraient  volontiers, 
pour  en  trafiquer,  mais  elles  n'entendent  point 
user  de  réciprocité.  Or,  il  est  évident  que  je  n'ai 
aucun  intérêt  à  remettre  à  la  Société  Générale 
une  somme  d'un  demi-million  pour  me  voir  con- 
sentir un  découvert  d'autant,  —  peut-être  un  dé- 
couvert moindre.  Ge  serait  là  une  pratique  de 
dupe,  en  matière  commerciale.  » 

Voilà  qui  résume  la  situation.  La  désorgani- 
sation totale  du  crédit  ne  peut  être  consommée  ; 
c'est  la  solidarité  de  nos  grandes  Entreprises  com- 
merciales et  de  nos  grands  Etablissements  de 
crédit  qui,  seule,  nous  en  préservera.  Le  jour  où 
cette  solidarité  se  manifestera,  l'avenir  des  En- 
treprises Modernes  sera  magnifique,  et  notre 
patrie  connaîtra  la  riche  floraison  économique 
qu'elle  attend  —  qu'elle  ne  peut  attendre  à  perpé- 
tuité. 


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Les  Entreprises  Modernes  aux  pays  envahis. 

Le  Nord, 


Ce  sont)  sans  contredit,  les  Entreprises  Modernes 
du  commerce  de  Talimentation  qui^  durant  la 
guerre,  ont  eu  à  jouer,  dans  le  pays,  Un  rôle 
prépondérant.  Elles  le  jouent  encore,  en  raison 
des  difficultés,  et  aussi  parce  que  la  question  du 
ventre  domine  toutes  les  autres. 

Il  importe  de  classer  ces  entreprises  en  trois 
catégories  :  celles  des  pays  envahis  ;  celles  qui 
furent  voisines  de  la  ligne  de  bataille  ;  celles  de 
rintérieur  proprement  dit. 

Il  nous  a  été  donné  de  rencontrer,  en  dé- 
cembre 1915,  des  rapatriés  de  Charleville.  Nous 
les  avons  interrogés  sur  la  façon  dont  ils  vivaient 
et  sur  Tefficacité  du  rôle  que  jouaient  les  com- 
merçants à  l'égard  de  ceux  qui  demeuraient  sous 
la  botte  allemande.  Tous  nous  ont  déclaré  que, 
là-bas,  le    commerce  de   détail   avait  exploité  la 


situation  dans  la  mesure  de  ses  moyens  et  de  ses 
forces.  Le  mercantilisme,  au  contraire  s  est  de^ 
chaîné  plus  vile  de  l'autre  côté  des  tranchées,  qu  il 
^  ke  s'est  déchaîné  dans  les  départements  auxquels 
étaient  épargnées  les  horreurs  de  l'i"vasion  etran^ 
gère,   ou  simplement  de   l'occupation  milita«fe» 
Lit  française,  soit  anglaise,  soit  belge-  Au  milieu 
de  l'emportement   des    appétits,  les    Docks  ont 
mainten'u  leurs  prix  jusqu'à  la  |i-f  ^f^^X^ 
stocks,  méritant,  par  là,  la  sympathie  la  pl^^^ve. 
Les  gérants  se  sont  conduits  en  braves  gens  et  en 
gens  braves,  conservant   un  esprit    de  discipline 
dont  l'absence  de  direction  pouvait  f^j^^J^f  ^"^^^«^ 
l'évanouissement,  à  cause  de  l'improbabihte  des 

sanctions.  ^^„^ 

.Nous  avons  pu  également,  à  la  même  époque, 
obtenir  des  renseignements  fort  intéressants  sur 
les  Nouvelles  Epiceries  du  Nord,  dont  le  siège  est 
à  la  Madeleine-lez-Lille.  M.  Dumont,  ^^^^^^^'^^ 
ces  Etablissements,  eut  maille  à  partir  avee  nos 
ennemis  ;  il  ne  dut  son  salut  qu'à  la  présence 
d'esprit,  au  désintéressement,  au  dévouement  de 
Jacquet,  fusillé,  au  plus  grand.mépri^   de  la  civi- 
lisation, on  s'en  souvient.  Déjouant  a  surveillance 
extrêmement  serrée  dont  il  était  l  objet,  malgré 
ses  préoccupations,  ses  ennuis,  ne  songeant  qu  à 
l'accomplissement  de  ses  devoir  professionnels,  il 
nous  faisait  parvenir  par  la  Hollande,  dans  une 
canne  creuse  qu'un   fugitif  avait  en  mams,  une 
lettre  dont  voici  un  des  principaux  passages  . 
^  Le  siège  social  est  toujours  mlact  ;  le  sera^t-il 

encore  longtemps?  Nous  ne  poumon*  l  affirmer. 


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152 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


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Quoi  qu  ,1  en  so,t,  le  directeur  est  resté  à  son 
poste  ;  ,1  continuera  à  y  rester.  Pour  veiller  de 

^rdi!  T  '^''  ^'  concierge.  Il  a  installé  un 
gardien  dans  sa  propre  maison.  La  circulation  en 
effet,  est  très  difficile,  pour  ne  pas  dire  impos- 
sible. Le  contact  a  été  conservé  entre  la  Maison- 
Mère  et  une  trentaine  de  Succursales,  qui  Cnt 

mesure  de  leurs  demandes,  sans  raréfier  la  mar- 
chandise et  sans  exploiter  une  situation  extrême- 
ment péni  le,  comme  l'ont  fait  certains  trafiquants. 

les  entrlnAr  '  '^  "^  '  P^"^  grand'chose  dans 
es  entrepots,  comme  épicerie  surtout;  au  surplus 
toutes  les  marchandises  qui  restent'  sont  cons  : 
gnées,  depuis  trois  semaines  déjà,  pour  les  besoins 
de  1  armée  allemande.  Pour  des  gens  qui  aiment 
le  négoce,  il  y  a  de  quoi  devenir  fous 

«  Naturellement,  le  personnel  est  des  plus  res- 
treints, mais  il  faut  bien  entretenir  les  denré  ^ 
en  bon  état,  les  soigner.  Comme  il  est  logique 
d  aider  un  peu  tout  le  monde,  ce  personnel  change 

dSilit'é.^^^  ""^  ''''''  ''  -^'^-^^^  -  non 

«  La  Société  de  Secours  mutuels  est  venue  en 

aide,  de  toutes  ses  forces,  aux  femmes  des  mobT- 

et  n?«"  n^trouve  aux  entrepôts  que  deux  chevaux 
et  une  plate-forme.  Tout  le  reste  a  été  pris  ou 
réquisitionné  ;  mais  le   directeur  croit  que  toutes 
mesures  utiles  ont  été  envisagées  pourra  sauve 
garde  des  intérêts  de  la  Société,  et  nous  pensons 


AUX   PAYS    ENVAHIS 


153 


) 


pouvoir  vous  faire   la   même  affirmation   rassu- 
rante. 

-;  Les  écritures  sont  à  iour.  » 

lia  voila. 

N'y  a-t-il  pas,  dans  ces  phrases,  toute  une  ré- 
vélation d'un  héroïsme  particulier  :  l'héroïsme 
commercial  joint  à  l'accomplissement  d'une  mul- 
titude de  devoirs,  dont  le  moindre  n'est  pas 
l'objectif  de  fraternité  qu'un  Français  s'est  imposé, 
sous  le  joug  pesant  de  l'ennemi  ? 

Nous  avons  voulu  effectuer  sur  place  une  en- 
quête, afin  de  retracer,  aussi  complètement  que 
possible,  dans  cet  ouvrage,  l'historique  des 
Nouvelles  Epiceries  du  Nord,  pendant  l'occupation. 
Il  nous  a  semblé  qu'un  tel  travail  était  une  œuvre 
^extrêmement  utile,  et  qu'à  ce  point  de  vue,  comme 
à  celui,  d'ailleurs,  de  toutes  nos  autres  grandes 
firmes  commerciales,  il  y  avait  un  véritable  in- 
térêt national.  Comment  les  Français,  qui  parlent 
toujours  d'essor  économique,  ne  s'intéresseraient- 
ils  point  aux  affaires  dont  le  rôle  est  essentielle- 
ment et  éminemment  économique?...  Gomment 
aurions-nous  pu  vulgariser,  par  le  texte  et  par 
l'image,  tout  ce  qu'ont  subi  nos  monuments, 
témoins  du  passé,  sans  relever  ce  qu'ont  subi  et 
ce  qu'ont  fait  des  entreprises  qui  ont  pourvu  et 
qui  pourvoient,  contre  vents  et  marées,  à  l'appro- 
visionnement et  au  bien-être  de  toute  une  popu- 
lation?... 

Lorsque  quelques  décades  se  seront  écoulées, 
nos  fils  ou  nos  petits-fils,  et  même  quelques-uns 
d'entre  nous,  nos  derniers  survivants,  auront  un 


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LES   ENTREPRISES  MODERNES 


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plaisir  immense  à  fouiller  parmi  les  vieux  illus- 
trés, pour  y  retrouver  les  croquis  de  la  grande 
guerre,  lesquels  nous  ont  passionnés»  mais  -^ui, 
déjà,  seront  tombés  dans  l'oubli  et  ne  surviviont 
qu'à  titre  de  curiosités  d'une  valeur  plus  ou  moins 
documentaire.  Ils  n'éprouveront  pas,  en  les  exami- 
nant, les  angoisses  qui  nous  ont  été  familières, 
non  plus  que  les  chagrins  que  laissent  en  nous  les 
deuilâ  et  la  dévastation. 

Ils  flâneront  en  pantoufles,  dans  leur  cabitietde 
travail  et  devant  leur  bibliothèque.  Une  gravure, 
surgie  d'un  carton  ou  du  feuillet  d'un  ouvrage 
entr'ouvert,  remettra  en  lumière  un  événement 
qui  provoqua  le  tollé  des  peuples;  la  cathédrale 
de  Reims,  dressant  sa  haute  et  noble  silhouette 
enveloppée  de  flammes  ;  le  beffroi  d'Arras,  à  demiV 
démantelé  ;  des  rues  dévastées,  anéanties  5  des 
quartiers  entiers  de  nos  cités,  prospères  hier» 
glorieuses  toujours,  défigurés  par  les  effondre- 
ments. 

Les  amateurs  d'histoire  des  années  à  venir» 
patriotiquement,  évoqueront  les  jours  angoissants 
qui  furent  le  «  présent  »  de  leurs  pères,  et,  remuant  >> 
la  poussière  des  souvenirs  entassés  pêle-mêle, 
abandonnés,  ils  en  tireront  les  leçons  qu'ils  com- 
portent, provoquant  de  tardifs  sentiments  d'hor- 
reur et  des  résurrections  de  haine. 

Les  horizons,  avec  leurs  murs  branlants  ou  leurs 
bois  massacrés,  si  débordants  de  la  pitié  des 
choses,  les  montagnes  hérissées  de  fortins  et  de  fils 
de  fer  barbelés,  les  ruisseaux  des  vallées  infernales 
où  les  eaux  charriaient  des  cadavres,  les  aïeux  de 


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AUX  PAYS   ENVAHIS 


155 


l'époque  future  les  reconnaîtront  sans  doute. 
«Tiens,  dira  l'un,  voici  Bétheny,  la  ligne  du 
Viemin  de  fer  au  pied  de  laquelle  j'ai  pr.s  les 
tranchées,  par  un  clair  de  lune  qui  nous  a  trahis, 
et  qui  éclairait  derrière  nous  Reims,  désertée  et 
martyre,  où  surgissaient  des  clochers  et  des  tours 
aux  allures  d'invincibles  géants  !  > 

Certes,  alors,  le  champ  de  bataille,  évoqué  rapi- 
dement, réapparaîtra  dans  le  rêve,  comme  sous 
l'empire  d'une  magie  diabolique;  on   reverra  le 
carnage,  le  sang,  les  membres  épars,  les  cadavres, 
les  frères  d'armes  couchés  par  la  mitraille  et  qui, 
blessés,  gémissaient  ou  poussaient  des  cris  ;  les 
affûts  sans  canons,  les  canons  sans  affûts,  les  armes 
abandonnées,  les  havresacs  ouverts  comme  des 
ventres,  les  casques,  le  linge,  les  vêtements  jetés 
pêle-mêle,  comme  aux  abords  d'un  grand  ba«ar 
après  le  sauvetage   et  l'incendie.   Les  aïeux  de 
demain,  une  fois  de  plus,  au  seuil  de  leur  tombeau, 
à  la  limite  de  vie  que  leur  assignera  la  nature,  sen- 
tiront de  nouveau  les  larges  ailes  de  la  mort  frôler 
leurs  fronts.  La  seule  chose  dont  ils  ne  se  souvien- 
dront pas,  c'est  du  sort  réservé  par  la  guerre  a  de 
grandes  entreprises  hier  florissantes,  qui  furent 
bientôt  plongées  dans  la  ruine,  en  dépit  de  leurs 
capitaux,  des  initiatives  de  leurs  directeurs,  des 
trésors  d'énergie  dépensés  par  tous,   patrons  et 
employés,  pour  tenir  dignement  et  pour  ressus- 
citer I  11  y  a  là,   on  le  comprend,   une  lacune  a 
combler.  Certes,  la  cathédrale  et  le  beffroi  ont  une 
place    dans   notre    cœur,    puisqu'ils    furent  les 
témoins  de  la  vie  agitée  de  nos  pères,  pleine  des 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


espoirs  d'indépendance  et  d'affranchissement,  en 
même  temps  que  des  souffles  de  révoltes  ;  mais, 
si  nous  ne  conservions  que  leur  vision  devant  nos 
yeux,  nous  serions  un  peuple  artiste  sans  doute, 
peuple  dans  Tâme  duquel  se  réveillent  toutes  les 
vieilles  sentimentalités,  louables,  mais  insuffi- 
santes pour  nous  faire  conquérir,  dans  le  monde, 
le  rang  auquel  nous  avons  droit,  si  nous  nous 
plaçons  au  point  de  vue  strictement  économique, 
toujours  si  négligé.  La  maison  de  commerce  et 
Fusine  qui  ont  leur  histoire,  ne  peuvent  donc  être 
oubliées  dans  les  monographies  de  la  ruine  et  de 
l'oppression.  Et  nous  soutenons  que  nous  serons 
prêts  à  tout  l'essor  rêvé,  le  jour  où  nos  enfants 
seront  capables  de  s'y  intéresser  comme  ils  s'in- 
téressent aux  choses  déjà  citées.  Ce  jour-là  seule- 
ment, car,  alors,  c'est  que  les  c  affaires  »  les  préoc- 
cuperont, comme  il  serait  à  souhaiter  qu'elles  les 
préoccupassent. 

Nous  fermerons  cette  parenthèse,  un  peu  longue, 
mais  peut-être  pas  tout  à  fait  inutile,  «  pour  en 
revenir  à  nos  moutons  "»  : 

Dès  le  29  juillet  1914,  le  public,  surtout  celui 
des  populations  frontières,  se  rendait  compte  de 
l'inévitabilité  de  l'affreuse  guerre.  Le  premier 
symptôme  de  ses  inquiétudes,  —  en  même  temps 
que  de  ses  prévoyances,  —  fut  une  ruée  vers  les 
magasins  d'alimentation.  La  notion  du  boire  et 
du  manger  est  la  dernière  que  l'homme  oublie.  Il 
se  produisit  alors  un  phénomène  commun  de  toutes 
les  luttes  entre  peuples  et  de  toutes  les  entrées  en 
campagne  :  la  plupart  des  commerçants  augmen- 


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AUX  PAYS   ENVAHIS 


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tèrent  leurs  prix  de  vente,  surtout  quand  il  s'agis- 
sait des  denrées  les  plus  indispensables  :  sucre, 
sft\,  pâtes  alimentaires.  Les  Nouvelles  Epiceries  du 
Ivcird,  comme  presque  toutes  les  Maisons  à  Succur- 
sales de  France,  interdirent  à  leurs  gérants  de 
céder  à  la  tentation,  et  leur  recommandèrent 
d'être  de  sérieux  éléments  modérateurs  de  la  hausse 
déchaînée. 

Puis  vint  l'occupation...  Elles  écoulèrent  ce  qui 
ne  fut  pas  réquisitionné  ou  pillé  par  l'ennemi,  aux 
prix  anciens,  et,  lorsque  leurs  magasins  furent 
vides,  elles  suspendirent  tout  commerce,  car  les 
transactions  honnêtes  et  propres  devinrent  impossi- 
bles. Seuls,  quelques  individus  sans  conscience, 
s'entendant  avec  les  autorité»  allemandes,  purent 
^  importer  des  denrées  de  Hollande,  qui  ont  procuré 
des  bénéfices  scandaleux  à  ces  trafiquants. 

M.  Dumont  mit  sa  maison  à  la  disposition  des 
Comités  de  Ravitaillement,  mais  sans  aucun 
succès.  Il  est  inutile  d'en  exposer  ici  les  raisons. 

Tout  ce  qu'il  était  possible  de  faire,  fut  fait  pour 
le  personnel.  Les  femmes  d'ouvriers  et  employés 
mobilisés  reçurent  1 5  francs  par  mois  ;  les  quel- 
ques employés  et  ouvriers  encore  occupés  et  les 
femmes  des  mobilisés  obtinrent,  pendant  près  de 
trois  ans,  le  sucre,  le  sel  et  le  café,  à  peu  près 
aux  anciens  prix,  alors  que  ces  denrées  essen- 
tielles, accaparées  par  les  mercantis,  montaient  à 
des  prix  fantastiques  ;  les  employés  prisonniers 
reçurent  des  colis  envoyés  par  les  Maisons  de 
Lyon,  dont  la  parenté  avec  les  Nouvelles  Epiceries 
du  Nord  n'est  un  mystère  pour  personne. 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Vîs-à-vis  delà  population,  les  Nouvelles  Epice- 
ries du  Nord  ont  aussi  rempli  leurs  devoirs  de 
solidarité.  Au  mois  de  novembre  1914,  Lille  él;rit 
menacée  de  famine.  Il  n'y  avait  plus  de  farine 
(celle-ci  s'est  vendue,  pendant  l'occupation, 
jusqu'à  20  francs  le  kilo),  et  les  Allemands  ne 
consentaient  à  livrer  cette  denrée  de  première 
nécessité,  qu'à  la  condition  que  le  paiement  en 
fût  effectué  en  monnaie  d'État.  —  La  Mairie  de  la 
Madeleine  ayant  fait  appel  au  public  pour  obtenir 
les  fonds  nécessaires,  les  Epiceries  du  Nord  lui 
remirent,  immédiatement,  la  totalité  de  leur  en- 
caisse. 

Pendant  toute  la  durée  de  l'occupation,  la 
Société  ne  cessa  d'être  en  relation  constante  avec 
les  gérants  de  ses  Succursales  et  de  leur  prodiguer 
ses  conseils.  Témoin  cette  circulaire  du  15  no- 
vembre 1913,  que  je  cite  au  hasard,  et  qui  n'a 
pas  été  écrite,  on  en  conviendra,  pour  les  besoins 
de  la  cause  : 


NOUVELLES  EPICERIES  DU  NORD 


M.„ 


iS  novembre  1915. 


Vous  avez  dû  voir,  dans  le  Bulletin  de  Lille, 
du  M  novembre,  que  la  ville  de  Lille  allait  mettre 
à  la  disposition  des  détaillants,  certaines  mar- 
chandises, pour  que  celles-ci  soient  distribuées  à 
la  population,  à  des  prix  déterminés. 

Vous  remarquerez  que  le  prix  de  vente  que 
nous  vous  demandons  de  pratiquer,  est  de  beau- 


AOX   PAYS   ENVAHIS 


159 


coup  inférieur  à  celui  qui  est   indiqué  dans  k 
Bulletin  de  Lille,  précité.  Nous  comptons  abso- 
la^nient    que    vous    pratiquerez    rigoureusement 
les  prix  que  nous  vous  indiquons,  et  que  vous 
vendrez    toutes    les     marchandises,    par    petites 
quantités,  directement  à  la  population  lilloise,  — 
autant  que  possible,  aux  gens  que  vous  connaîtrez 
pour  habiter  votre  quartier,  -  de  façon  à  éviter 
que  ces  marchandises  ne  soient  rachetées  par  des 
grossistes,  et  que,  par  ce  moyen,  l'initiative  qu  a 
prise  la  Ville  de  Lille,  ne  soit  pas  détournée  de 
son  but,  qui  est  de  venir  en  aide  à  la  population. 
Nous  ne  voulons,  dans  cette  opération,   taire 
aucun  bénéfice.  Depuis  le  commencement  de  la 
guerre,  nous  avons  toujours  pratiqué  les  prix  es 
'  plus  bas  possibles,  et,  si  quelques  gérants  mala- 
droits ont  surfait  les  prix  que  nous  leur  avions 
donnés,  il  faut  absolument  qu'aujourd  hui,  ils  se 
rendent  compte   de  leur    maladresse  et  qu  ils  re~ 
viennent  à  un  sentiment  plus  exact  des  besoins  de 

la    situation.  , 

Il  est  probable  que  nous  ferons  beaucoup  de 
mécontents  parmi  les  petits  commerçants,  mais 
cela  ne  nous  inquiète  nullement.  Il  est  possible, 
bien  que  nous  ne  croyions  pas  à  cette  éventualité, 
qu'à  la  suite  de  réclamations  du  petit  commerce, 
les  autorités  de  la  Ville  de  Lille  refusent  de  con- 
tinuer à  nous  donner  des  marchandises.  Dans  ce 
cas,  nous  verrons  ce  qu'il  nous  reste  à  fau-e. 

Nous  avons  pris  des  engagements  et  nous  nous 
sommes  tracé  une  ligne  de  conduite;  il  ne  faut 
pas    que,    par  la  maladresse   de   gérants,   nous 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


soyons  mêlés  à  des  affaires  malpropres,  alors 
que  la  règle  de  conduite  de  la  Société  des  Nou- 
velles Epiceries  du  Nord  a  toujours  été  d'xiutô 
correction  absolue,  et  qu'elle  peut  supporter 
Texamen  de  n'importe  qui. 

L'Administrateur-délégué  : 
Signé   :  R.  Dumont. 

Et  cette  autre  circulaire,   où  nous  retrouvons 
le  même  soin  de  venir  en  aide  à  la  population  : 


4  janvier  191G. 


Vous  voudi 


z  bien  vous  conformer  rigou- 
reusement aux  prix  que  nous  vous  donnons,  et 
vous  vous  conformerez  également  à  la  circulaire 
de  M.  le  Maire  de  Lille,  en  exigeant  de  vos  ache- 
teurs une  fiche  pour  les  quantités  de  marchan- 
dises que  vous  aurez  livrées,  car  nous  ne  pour- 
rons plus  recevoir  de  marchandises,  à  nouveau, 
sans  que  nous  représentions  les  fiches  corres- 
pondantes aux  quantités  qui  nous  auront  été 
cédées. 

Ainsi  que  nous  vous  Tavons  dit  dans  une  pré- 
cédente lettre,  nous  ne  voulons  réaliser  aucun 
bénéfice;  nous  voulons  simplement  mettre  à  la 
disposition  du  public,  notre  organisation,  et  lui 
montrer  que  nous  sommes  complètement  en 
dehors  de  tout  laccaparement  et  de  toute  la  spé- 
culation qui  sévissent  en  ce  moment  sur  la  ville 
de  Lille,  au  plus  grand  détriment  delà  popu 
lation. 


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AUX   PAYS    ENVAHIS 


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Veuillez  ne  pas  oublier,  en  détaillant  le  fromage 
de  Gruyère,  que,  par  quart,  nous  entendons  le 
poids  de  125  grammes  et  non  celui  de  120,  qui 
e^\  habituellement  pratiqué  par  les  épiciers. 
Gomme  vous  aurez  une  marge  de  0,40  au  kilo, 
vous   devrez  être  raisonnable  et  donner  le  poids. 

L'Administrateur-délégué  : 
Signé  :  R.  Dumont. 

Et  encore  cette  autre  lettre,  du  9  mars  1916  : 

M... 

Veuillez  vous  procurer  le  Bulletin  de  Lille 
de  ce  jour.  Vous  y  verrez  la  liste  des  prix  aux- 
quels certaines  denrées  doivent  être  livrées  au 

public. 

Vous  maintiendrez  nos  prix,  lorsqu'ils  seront 
inférieurs  aux  prix  imposés,  mais  vous  baisserez 
immédiatement  les  prix  qui  seraient  supérieurs. 

Vous  nous  demanderez  crédit  pour  les  mar- 
chandises en  magasin  que  vous  aurez  dti  baisser. 

L'Administrateur-délégué  : 
Signé  :  R.  DuxMOnt. 

Gomment  ne  pas  admirer  le  rôle  important  joué 
par  cette  Maison  pendant  l'occupation  de  Lille, 
en  présence  d'une  foule  de  difficultés  que  l'en- 
vahisseur se  complaisait  à  élever  ! 

«  Dès  le  14  octobre  1914,  nous  dit  M.  Dumont, 
nous  étions  enserrés  dans  un  cercle  de  fer  et  de 

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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


feu!...  Nos  entrepôts  furent  occupés  presque 
constamment,  jusqu'au  l**"  octobre  1918,  et  nous 
avons  eu  à  subir  réquisitions  et  pillages,  tant  qu'il 
y  eut  des  marchandises,  mais  nôtre  présence  ftt 
que  notre  matériel,  nos  rayonnages,  nos  foudres 
et  nos  archives,  furent  préservés. 

«  Depuis  la  libération,  notre  région,  si  éprouvée, 
est  soumise,  sous  le  rapport  alimentaire,  à  un 
régime  spécial,  celui  du  Ravitaillement  des 
régions  libérées.  C'est  l'ancien  service  qui  a  fonc- 
tionné pendant  l'occupation,  sous  le  nom  de 
Comité  américain.  Pendant  les  trois  premiers  mois 
de  la  libération,  il  a  été  seul  à  pouvoir  obtenir 
des  autorisations  de  transports,  ce  qui  fait  que  le 
coût  de  la  vie  est  resté  très  élevé. 

(L  A  l'heure  actuelle,  le  sucre  ne  peut  être 
acheté  que  dans  les  locaux  du  Comité  ;  le  café 
brûlé  est  vendu  à  raison  de  5  francs  le  kilo, 
parce  qu'il  est  exonéré  des  droits  de  douane,  et  il 
n'est  pas  possible  d'obtenir  ces  denrées  sans 
acheter  en  même  temps  d'autres  denrées,  qu'il 
serait  possible  de  se  procurer  dans  le  commerce  à 
des  conditions  au  moins  égales. 

(L  Voilà  comment  l'Etat  solutionne  la  question 
de  la  vie  chère  !  y> 

Hélas  !  oui.  Il  y  aurait  encore  la  matière  d'un 
gros  volume  sur  les  souffrances  que  nos  popula- 
tions du  Nord  ont  dû  subir,  l'armistice  signé, 
comme  si  l'épreuve  de  l'envahissement  n'avait  pas 
été  suffisante  !  Mais  n'ouvrons  pas,  dans  ce  cha- 
pitre, la  liste  des  griefs  que  nous  pourrions  faire 
à  ce   malheureux  Etat...  Mieux  vaut  mettre   en 


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AUX  PAYS   ENVAHIS 


163 


regard  des  cent  mille  imprévoyances  administra- 
tives, les  initiatives  bienfaisantes  de  ceux  qui  en 
eurent  et  qui  en  sont  si  mal  récompensés. 
*^ ^L'histoire  des  Docks  du  Nord  ne  pourrait  que 
rééditer  la  précédente.  Les  mêmes  causes  en- 
gendrent, dit-on,  les  mêmes  effets.  Il  s'agit, 
pensent-ils,  en  ne  livrant  pas  de  grandes  quan- 
tités de  marchandises  aux  mêmes  clients,  d'en 
réserver  aux  nécessiteux,  le  plus  longtemps  pos- 
sible, car  les  pauvres,  qui  ne  thésaurisent  pas, 
sont  dépourvus  de  moyens  d'approvisionnement. 
Ce  souci  d'adoucir  la  vraie  misère  se  manifeste 
dans  la  fourniture  des  produits  indispensables  aux 
soupes  populaires,  au  strict  prix  de  revient,  et 
cela,  jusqu'à  la  disparition  totale  de  ces  produits 
sur  le  marché. 

Pendant  l'occupation  allemande,  cinq  Maisons 
seulement  demeurèrent  ouvertes.  La  Maison- 
Mère  leur  répartit  ses  denrées  et  se  tint  à  la  dis- 
)osition  des  mairies  de  Marquette  et  de  la  Made- 
eine,  conseillant  les  municipalités  dans  leurs 
achats,  mettant  à  leur  disposition  le  personnel 
compétent  et  le  matériel  nécessaire  aux  distribu- 
tions, procurant,  dans  d'exceptionnelles  condi-- 
lions,  les  denrées  indispensables  à  l'approvision- 
nement de  nos  prisonniers  de  guerre. 

Le  ravitaillement  des  Docks,  pendant  les 
années  douloureuses,  fut  à  peu  près  nul.  Il  n'était 
possible  que  d'acheter  des  denrées,  et  en  faible 
quantité,  à  des  revendeurs  ou  à  des  négociants  en 
mal  de  liquider  leurs  stocks,  ou  en  faisant  venir 
de  Belgique,  avec  les  plus  grandes  difficultés  et 


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LES   ENTREPRISES  MODERNES 


les  pires  des  risques,  ce  qu'on  pouvait  encore  y 
trouver.  A  plusieurs  reprises,  une  fois  Tarmistice 
signé,  ils  tentèrent  d'obtenir  des  autorisatioii;5« 
d'importation,  s'engageant  à  ne  prélever  aucun 
bénéfice  sur  la  vente  de  ces  produits,  sans  autre 
but  que  celui  de  venir  en  aide  au  public.  Mais 
que  de  démarches  pour  de  médiocres  résultats  ! 

Le  personnel  demeura,  malgré  les  circonstances 
les  plus  pénibles,  malgré  surtout  l'inutilité  de  ses 
services,  en  contact  avec  l'Administration  qui, 
généreusement,  subvenait  à  ses  besoins,  à  tous 
ses  besoins.  Cela  ne  va  pas  sans  mérite,  puisque 
le  chiffre  d'affaires  était  nul,  et  qu'au  surplus,  les 
Maisons  brûlaient...  Quand  elles  ne  brûlaient  pas, 
elles  s'écroulaient  sous  les  bombardements;  le 
pillage  les  vidait;  les  réquisitions  de  mobilier,  de 
matériel,  de  denrées,  les  nettoyaient  de  la  cave  au 
grenier.  De  la  Maison-Mère,  il  ne  restait  plus  que 
les  murs. 

On  peut  proclamer  sans  crainte  que,  là  aussi, 
le  devoir  patriotique,  en  toutes  circonstances,  fut 
irréprochablement  accompli.  Les  Docks,  ne 
tenant  aucun  compte  des  arrêtés  de  l'occupant, 
refusaient  de  formuler  les  déclarations  imposées, 
de  livrer  les  articles  exigés,  notamment  les  objets 
de  cuivre  et  de  caoutchouc.  Gela  leur  valut  force 
amendes  et  menaces  de  prison.  Puis,  un  jour,  les 
menaces  se  réalisèrent  et  TAdministrateur-délé- 
gué  fut  enfermé,  comme  un  malfaiteur,  entre 
quatre  murs...  Mais  c'est  à  son  honneur,  comme 
ce  fut  à  l'honneur  de  tous  ceux  qui,  comme  lui, 
gravirent  le  douloureux  calvaire. 


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XI 


Par  la  vitalité  des  Entreprises  Modernes, 
ressuscitent  les  pays  libérés. 


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Ce  qui  étonne  le  plus,  dans  les  Entreprises  Mo- 
dernes, c'est  leur  vitalité.  Cette  vitalité  est  autre- 
ment intense  que  celle  des  entreprises  ordinaires. 
Si  l'on  donnait  un  coup  de  pied  dans  une  fourmi- 
lière minuscule,  la  fourmilière  risquerait  d'être 
anéantie;  la  même  cause  ne  déterminerait  point  le 
même  effet  dans  une  fourmilière  géante.  Dès  qu'un 
cataclysme  y  survient,  des  milliers  de  bonnes 
volontés  reprennent  le  travail;  on  met  en  sûreté  les 
provisions,  on  répare  les  brèches,  on  reconstruit. 
La  volonté  de  l'homme,  si  elle  n'est  persistante, 
n'arrive  pas  à  détruire  une  œuvre  patiemment, 
méthodiquement,  minutieusement  édifiée.  Ainsi 
en  est-il  en  ce  qui  concerne  les  Entreprises  Mo- 
dernes. 

Le  15  janvier  1916,  un  violent  incendie  fit  sa 
proie    des    Magasins    Réunis   de  Nancy    et,    en 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


quelques  heures,  occasionna  pour  une  vingtaine  de 
millions  de  dégâts.  De  l'immense  et  haute  bâtisse^ 
delà  façade  ornée,  sculptée,  des  étalages  resplendis- 
sants, des  plafonds  lumineux,  il  ne  resta  rien 
qu'un  enchevêtrement  monstrueux  de  poutres  de 
fer  tordues,  qu'on  apercevait  par  la  dentelle  des 
murailles,  où,  sur  quatre  rangées,  les  fenêtres 
tombées  creusaient  des  vides.  La  foule  badaude 
s'amassait  là,  sur  les  trottoirs,  aux  jours  qui  sui- 
virent le  sinistre  ;  son  émotion  était  d'autant  plus 
grande,  qu'elle  avait  perdu  un  centre  d'attraction  ; 
elle  ne  pouvait  plus  flâner  entre  les  comptoirs! 
Pendant  qu'elle  réfléchissait,  dissertait,  discutait, 
l'Administration  réinstallait  ses  comptoirs  et  leurs 
vendeuses,  dans  un  autre  bâtiment  respecté  par  le 
feu,  puis,  par  l'utilisation  des  Galeries  Nan- 
céiennes,  elle  donnait  à  ses  rayons  une  impor- 
tance que  les  Magasins  Réunis  n'avaient  point  eue 
encore. 

Cependant,  depuis  le  {'^janvier  1916,  des  obus 
allemands  de  380  tombaient  aux  abords  immédiats 
des  Magasins  Réunis,  dont  les  portes  s'ouvraient 
comme  aux  jours  de  la  paix.  Ni  les  projectiles  ni 
le  feu  n'étaient  capables  d'entraver  les  résolutions 
de  commerçants  tenaces,  habitués  aux  risques,  à 
peine  effrayés  par  le  désastre.  Quiconque  veut  dé- 
montrer en  marchant  que  le  mouvement  existe, 
ne  doit  se  mettre  au  repos  !  La  force  réside  dans 
la  confiance,  dans  la  foi  qu'on  a  en  son  étoile, 
dans  la  certitude  d'une  réussite,  connue  par  les 
plus  forts  seulement. 

A  l'armistice,  il  ne  restait  d'Arras  qu'un  amon- 


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DANS   LES    PAYS   LIBÉRÉS 


167 


cellement  de  murailles  démantelées.  Au  milieu 
de^  ruines,  ce  qui  se  dressa  tout  d'abord,  ce  fut  un 
gVfcmd  magasin  réédiflé  :  les  Galeries.  Partout,  des 
exemples  similaires  sjoffrent  à  nous  :  à  Saint- 
Quentin,  à  Reims,  —  notamment  à  Reims,  où  les 
Sociétés  d'alimentation  ont  réalisé  l'impossible 
pour  ramener  la  vie. 

La  conhance  du  grand  commerce,  toujours 
réorganisé  le  premier,  déteint  peu  à  peu  sur  le  pu- 
blic éparpillé  dans  la  France  entière,  et  qui  revient, 
par  unités,  vers  ce  qui  fut  son  logis  d'autrefois. 
N^'est-on  pas  certain,  grâce  à  l'initiative  de  quel- 
ques-uns, de  trouver  là  tout  ce  dont  on  aura  be- 
soin pour  la  réinstallation  du  nid  familial?  On 
est  sûr  de  trouver  le  lit  qui  remplacera  celui  que 
dévora  le  feu,  le  clou  qui  fixera  au  mur  la  photo- 
graphie d'un  être  aimé,  ou  le  vague  chromo  sauvé 
du  désastre,  dans  son  cadre  de  plâtre.  La  maison 
de  vente,  quelle  qu'elle  soit,  devient  un  centre 
d'attraits;  on  ne  rentre  que  parce  qu'elle  existe. 
Et,  comme  elle  existe,  on  pourra  se  consoler, 
quelque  temps  encore,  de  l'écrasement  de  l'Hôtel- 
de-Ville   ou    de    l'effondrement    de    la   dernière 

église. 

Ce  qu'il  faut  surtout,  c'est  la  nourriture,  la  cer- 
titude de  la  rencontrer,  la  possibilité  de  l'obtenir 
sans  de  trop  grandes  difficultés.  Avec  la  seule  vi- 
sion des  privations,  on  ne  se  déciderait  pas,  vrai- 
ment, à  s'en  aller  de  nouveau,  vers  les  régions  où 
se  penchent  chaque  jour  un  peu  plus  les  croix  de 
bois;  vers  les  régions  qui  rappellent  tant  de 
ruines,  jointes  à  tant  de  deuils  !   Car  il  faut  bien 


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LES    ENTREPRISES    MODERNES 


manger!  On  n'est  sûr  de  soi-même  que  si  la  cein- 
ture n'a  pas  de  cran  supplémentaire.  v 

Sous  la  bruine  épaisse  de  décembre,  j'ai  v/a 
ce  qui  fut  Reims.  60.000  habitants  étaient  re- 
venus dans  la  fourmilière  bouleversée;  on  se 
demande,  pris  de  compassion,  comment^  ac- 
tuellement encore,  ils  peuvent  s'y  loger.  Sans 
lumière,  —  car  le  gaz  n'existe  pas  et  le  pétrole 
fait  défaut,  —  sans  chauffage,  —  car  le  charbon 
n'est  qu'une  espérance,  —  dans  un  dénuement  si 
parfait,  qu'il  est  scandaleux —  oh!  combien!  — 
comment  pourront-ils  tenir  tout  l'hiver?  Il  y  a 
vraiment  de  quoi  rebuter  les  plus  courageux 
d'entre  ces  braves  gens.  Le  ciel,  le  jour  où  je  fus 
là,  en  a  pleuré  toute  la  journée,  et  les  maisons, 
par  les  multiples  trous  d'obus  transformant  en 
écumoires  les  ultimes  plafonds,  ont  déversé  des 
larmes,  par  torrents,  sur  les  malheureux.  Vont-ils 
s'y  habituer?... 

Ils  ne  s'y  habitueraient  certes  point  si,  pour 
aider  à  vivre  ceux  qui  furent  des  «  réfugiés  », 
quelque  chose  ou  quelqu'un  n'insufflait  l'espoir 
qui  avive  l'amour  du  sol;  ils  ne  continueraient 
plus  à  réintégrer  leurs  toits  inhospitaliers,  si  des 
initiatives  ne  se  manifestaient  dans  l'ambiance  et 
si  ne  s'accomplissaient  les  miracles  qu'enfante  la 
volonté  des  plus  forts.  Sans  ces  initiatives  et 
cette  volonté,  qui  suppléent  à  l'absence  de  l'aide 
officielle,  atténuent  les  sévices  de  l'incurie  et  les 
malfaisances  du  je  m'enfichisme  administratif, 
tout  irait  mal. 

Oui,  certes,  il  est  à  propos  de  rencontrer  le  dé- 


Vi 


DANS   LES   PAYS   LIBÉRÉS 


169 


sintéressement  de  quelques-uns,  leur  dévouement, 
lev^r  foi,  que  nous  devrions  exalter  de  toutes  nos 
itrces,  par  tous  nos  moyens.  Ceux-ci,  on  peut  bien 
les  citer,  n'est-ce  pas?  à  l'ordre  du  jour  de  l'armée 
économique,  —  un  ordre  du  jour  qu'il  faudrait 
créer,  pour  une  armée  qui  n'est  pas  un  mythe.  -- 
Les  éléments  de  la  région  sont  :  les  Docks  Rémois 
(le  Familistère),  les  Comptoirs  français,  les  Eta- 
blissements Goulet-Turpin,  les  Etablissements 
économiques,  la  Société  d'achats  en  commun  :  la 
Rémoise,  composée  de  petits  épiciers  coopéra- 
teurs,  et  aux  destinées  de  laquelle  préside  l'inlas- 
sable M.  Doneux,  je  l'ai  déjà  dit. 

Les  Docks  Rémois  (le  Familistère)  ont  réouvert, 
jusqu'à  présent,  une  vingtaine  de  maisons;  les 
Comptoirs  français,  une  trentaine;  Goulet-Turpin, 
une  vingtaine;  les  Etablissements  économiques 
et  la  Rémoise,  une  douzaine  chacun.  Cela  fait,  au 
total,  environ  90  boutiques  pour  l'approvisionne- 
ment de  la  cité  qui  sort  de  l'agonie. 

Encore  faut-il  que,  dans  ces  magasins  agencés 
en  hâte,  d'une  façon  provisoire,  le  public  trouve 
les  matières  premières  les  plus  indispensables.  Si 
l'état  de  choses  présent  continue,  comment  les 
trouverait-il?  Les  sollicitudes  du  Ravitaillement 
n'existent  pas  pour  des  organismes  envers  les- 
quels la  gratitude  serait  cependant  de  mise  ;  et, 
comme  les  Coopératives  sont  absentes,  il  s'ensuit 
que  la  consommation  est  punie,  de  ce  fait,  et  in- 
justement condamnée  à  souffrir.  Cela  frise  l'ini- 
quité. 

Réflexion  où  perce  l'amertume!...  direz-vous. 


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170 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Non,  le  dépit  que  cause  Tinjustice,  tout  simple- 
ment. Comment  pouvait-il  en  être  différemment, 
en  ce  jour  triste  dont  la  lumière  embrumée  sbxii- 
monisait  si  bien  avec  les  ruines  et  le  deuil! 

J'ai  visité  plus  particulièrement  les  Docks.  J'y 
ai  pataugé  dans  la  boue  glacée,  au  milieu  de  230  ou- 
vriers et  employés  qui  se  démènent  avec  la  cons- 
cience exacte  de  leur  tâche,  d'utilité  pratique  au- 
tant que  de  noblesse,  et  sans  autre  horizon  que 
celui  des  améliorations  trop  lentes,  des  arrêts  re- 
grettables dans  le  labeur,  des  impatiences,  résul- 
tantes des  incuries,  des  oublis,  des  négligences 
d'ordre  administratif.  Environ  S. 000  obus  sont 
tombés  sur  les  100.000  mètres  carrés  d'entrepôts, 
cadre  ordinaire  de  leur  activité. 

Quel  désastre!  On  a  paré,  là  comme  ailleurs, 
au  plus  urgent;  on  a  bouché  au  petit  bonheur  les 
trous  des  projectiles  et  de  leurs  éclats,  avec  les 
tôles  révulsées  de  toitures  pendantes;  on  a  par- 
tiellement remis  en  état  la  machinerie.  Personne 
encore  ne  songeait  à  revenir  au  pays  dévasté.  Au- 
jourd'hui, les  Docks,  la  nuit,  distribuent  la 
lumière  électrique  dans  leurs  alentours,  et  les 
travailleurs  ne  s'échouent  pas  dans  les  décombres, 
les  amas  de  détritus  et  les  ruisseaux  de  boue!... 
Mais  le  charbon  n'arrive  pas...  la  situation  incer- 
taine accentue  sa  précarité.  Hélas! 

Ah!  si  le  sujet  pouvait  passionner  les  Pouvoirs 
publics,  en  dépit  de  la  cuirasse  d'indifférence  que 
forgent,  peu  à  peu,  les  affaires  politiques,  à  ceux 
qui  s'y  consacrent!... 

J'ai  vu,  à  Reims,  les  denrées  dites  du  Ravitail- 


dàns  les  pays  libérés 


m 


lement,  celles  des  stocks  américains,  dont  les 
mipistres  consentent  parcimonieusement  la  livrai- 
s«?a,  par  quantités  ridiculement  infimes,  aux  orga- 
nismes que  j'ai  cités,  et  qui  ont  le  malheur  de 
n'être  point  des  coopératives,  selon  l'étroite  défi- 
nition, tout  en  visant  cependant,  comme  elles,  un 
but  de  secours  immédiat  et  de  bien-être,  aux  prix 
les  plus  réduits.  Ces  denrées,  les  avez-vous  vues 
aussi?...  Savez- vous  ce  qu'elles  sont  réellement?... 
Souffrez  que  je  vous  les  décrive,  ainsi  que  les 
opérations  par  lesquelles  on  les  régénère,  pour 
les  rendre  de  bon  aloi  et  pour  ne  point  nuire  à  la 
santé  dont  les  travailleurs  de  la  ville  maudite  ont 

tant  besoin. 

C'est  du  cochon.  Il  vient  de  Châlons,  ou  de  plus 
loin.  Mais,  Dieu!  quelle  cochonnerie!...  Ces  tas 
de  dos  gras,  de  dos  maigres,  d'épaules,  ne  sont  ni 
blancs,  ni  jaunes;  c'est  gris,  c'est  sale,  sans  fraî- 
cheur. La  chair  n'est  plus  rose;  àl'entour  des  os, 
les  nids  d'asticots  pullulent;  la  vermine  a  creusé 
d'innombrables  tranchées,  au  bord  desquelles 
s'écrasent  les  cadavres  des  mouches  qui  ont  péri 
là!...  Dire  qu'on  en  est  venu  à  utiliser  des  mar- 
chandises bonnes  pour  le  fondoir,  à  consommer 
l'inconsommable!  Dire  aussi  qu'on  n'en  a  pas  à 
son  appétit!...  Quelle  misère!... 

Ah!  si,  avant  la  guerre,  les  services  d'hygiène 
étaient  pasj^és  chez  des  marchands  de  comestibles  ; 
s'ils  y  avaient  découvert,  à  la  loupe,  la  centième 
partie  de  ce  que  j'y  découvre  à  l'œil  nu,  la  saisie 
eût  été  prompte,  le  procès,  rapide,  et  la  condamna- 
tion, inéluctable!...  Mais  les  temps  sont  changés. 


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172 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


Les  hommes  sont  à  Tinstar  du  héron  de  la  fable, 
lequel  méprisait  le  goujon,  pour  se  délecter,  fina- 
lement, à  l'absorption   d'une  limace.   N'empiciiC 
qu'on  frémit  en  songeant  que,  sur  tous  les  points 
du  territoire,  on  livre  de  telles  denrées  à  la  popu- 
lation dont  on  redoute  les  fringales,  mais  dont  on 
oublie  la  délicatesse  native  du  goût,  laquelle,  cha- 
cun le  comprend,  n'a  plus  sa  raison  d'être.  Qui 
se  soucie  des  effets  probables  des  ptomaïnes?  Car 
ces   viandes,    livrées   telles  quelles,    réellement, 
sont  du  poison!  Pas  un  hygiéniste  ne  pourra  dé- 
clarer le  contraire,  s'il  a  vu  ce  que,  moi,  j'ai  vu! 
Les  commerçants  qui  ont  l'amour  de  leur  mé- 
tier, ne   se  résoudront  jamais  à  débiter,  comme 
vous  pourriez  croire  qu'ils  le  font,  une  marchan- 
dise dont  ils  rougissent.  Dans  les  ateliers  de  char- 
cuterie du  Familistère,  à  Reims,  on  nettoie,  on 
désinfecte  —  le  mot  n'est  pas  trop  fort,  —  ce  qui 
provient  des  stocks,  et,  d'une  denrée  quasi  ava- 
riée, d'aspect  douteux,  piteux,  miteux,  répugnant, 
pour   tout  dire,   on   en    fait  une  denrée  propre, 
loyale,  appétissante.  On  sait,  là,  que  le  consomma- 
teur consomme   aussi  avec  ses  yeux  et  que  les 
yeux  lui   donnent  autant  de  satisfaction    que  le 
goût.  La  main-d'œuvre  coûte  cher?  Peu  importe. 
Il  y  a  30  ou  40  p.  100  de  déchets?...  C'est  égal. 
Gela  augmente  considérablement  le    prix  de   re- 
vient?... Parfaitement.  Les  prix  fixés  par  MM.  les 
ministres  n'en  seront  pas  moins    respectés;   les 
ministres  ne  connaissent  pas  leurs  auxiliaires  les 
plus  précieux  ;  ils  ignorent  tant  de  choses  ! 
Les  dos  gras    ou   maigres,    les  jambons,    les 


DANS   LES   PAYS   LIBÉRÉS 


173 


épaules  s'expurgent.  Toute  cette  cochonnerie  la- 
mentable, qui  touche  au  dernier  terme  de  la  con- 
sistance et  au  premier  terme  de  la  désagrégation 
moléculaire,  subit  les  opérations  suivantes  qui  la 
sauvent  : 

P  Ebouillantement,  pour  faire  remonter  les 
vers  à  la  surface  ; 

2^  Grattage  général; 

3^  Enlèvement  des  parties  avariées  ; 

4^  Salaison  nouvelle; 

5*^  Séjour  au  fumoir,  s'il  y  a  lieu. 

Oui,  mais,  après,  quelle  différence  d'aspect! 
Quelle  métamorphose!  C'est  bien  le  triomphe  des 
pratiques  industrieuses  et  commerciales  qui  s'af- 
firme. C'est  le  vieux  redevenu  neuf;  les  soins 
avisés,  contingents  aux  sacrifices  pécuniaires,  sont 
la  fontaine  de  Jouvence  des  lards  rancissants  et 
des  jambons  périmés. 

Si  le  Ministère  du  Ravitaillement  avait  été  bien 
inspiré,  au  lieu  de  perdre  une  notable  partie  de 
ses  stocks  alimentaires  ou  de  les  vendre  à  vil  prix, 
pour  la  fabrication  d'hypothétiques  chandelles, 
comme  à  Châlons,  il  les  eût  fait  traiter  par  des 
gens  de  métier,  dont  l'installation  permet  tant  de 
choses  profitables  au  consommateur;  en  tout  cas, 
le  Ministère  du  Ravitaillement  aurait  utilisé,  d'une 
façon  plus  rationnelle,  plus  empressée,  nos  Entre- 
prises Modernes  de  grand  détail.  C'est  l'ignorance 
qui  les  fit  entourer  de  défaveur,  et  c'est  aussi 
l'esprit  démagogique. 

La  démagogie  est  fort  à  la  mode.  Elle  permet 
au  pasteur  de  faire  croire  au  troupeau  que  le  trou- 


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174 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


peau  est  aimé,  et  seulement  pour  lui-même  ;  elle 
permet,  sur  tous  les  points  du  territoire  français, 
de  faire  manger  au  peuple  des  denrées  d'aloi  àr>ai- 
teux,  mais  réparties  par  les  petits  commerçf.mts 
et  les  vagues  Coopératives,  qui  n'en  peuvent 
mais,  parce  qu'ils  ne  disposent  pas  d'un  outillage 
permettant  de  faire  mieux.  Au  reste,  ce  ne  sont 
point  des  vertus  spéciales  de  grandes  Maisons 
comme  les  Maisons  à  Succursales,  que  je  tiens  à 
mettre  en  relief  ;  l'amour-propre,  le  désir  d'atteindre 
à  la  perfection  existent  généralement,  sinon  à  des 
degrés  égaux,  du  moins  à  un  degré  appréciable. 
Seulement  tout  se  résume  dans  une  question  de 
moyens,  lesquels  créent  les  possibilités. 

En  tout  cas,  pour  conclure,  il  nous  plaît  de 
constater  qu'à  Reims,  qui  fut  le  berceau  du  grand 
commerce  de  détail,  par  l'application  des  prin- 
cipes de  la  Mutualité  dans  les  Etablissements  éco- 
nomiques, le  grand  commerce  de  détail  s'est  im- 
posé la  plus  lourde  des  tâches,  qu'il  mènera  à 
bien.  La  philanthropie,  qui  fut  sa  marraine,  le 
guide  encore.  Les  fourmis  égarées  par  le  cata- 
clysme sont  déjà  revenues,  parce  qu'il  s'est  chargé 
de  pourvoira  leur  subsistance.  Au  fur  et  à  mesure 
que  s'affirmera  pour  tous  la  certitude  de  trouver 
le  nécessaire,  les  dernières  fourmis  éparses  accour- 
ront à  leur  tour,  et  leur  cité  refleurira. 

Bénie  soit  donc  la  coopération  commerciale, 
grâce  à  laquelle  peut  vivre  une  population  éprou- 
vée, et  qui  crée  des  liens  toujours  plus  étroits 
entre  ses  employés,  en  mettant  les  germes  de  la 
prospérité  dans  le  chaos  des  effondrements  ! 


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XII 


Les  Entreprises  Modernes  de  la  zone  des  armées. 


Le  fonctionnement  des  Entreprises  Modernes 
du  grand  commerce  de  détail  de  l'alimentation  fut 
souvent  pénible,  en  raison  des  achats  difficiles, 
des  transports  défectueux,  de  la  sûreté  problé- 
matique des  magasinages  ;  en  raison  aussi  :  soit 
de  la  proximité  des  canons  allemands,  ou  de  celle 
des  alternatives  d'avance  et  de  recul  que  nous 
avons  connues.  Cependant,  les  dangers  de  la 
situation  ne  ralentirent  point  les  ardeurs  com- 
merciales de  ceux  qui  président  aux  destinées  de 
nos  firmes  importantes;  bien  au  contraire,  ils  y 
trouvèrent  je  ne  sais  quel  âpre  stimulant;  le  sti- 
mulant qui  les  tint  journellement  sur  la  brèche 
et  leur  inspira  les  meilleures  initiatives,  pour  le 
plus  grand  bénéfice,  non  seulement  des  consom- 
mateurs, mais  aussi  des  armées. 

C'est    ainsi    que    les    EtabHssements     Dreux, 
d'Arras,  qui  comprenaient  cent  comptoirs,  indé- 


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176 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


pendamment  de  la  plus  forte  maison  de  détail  en 
épicerie  fine  de  Lille,  ont  contribué,  dans  une 
large  mesure,  à  l'installation  des  fameuses  coa'^é- 
ratives  militaires,  avec  le  général  Guillaumàt. 
Pour  contrecarrer  les  agissements  d'un  certain 
commerce  de  la  région,  un  comptoir  militaire  fut,  à 
cet  effet,  créé  à  Saint-Pol  (Pas-de-Calais),  d'accord 
avec  le  commandant  de  la  D.  E.  S.  delà  10^ armée. 
M.  Philbois,  député  de  FAube,  écrivait  dans  un 
rapport,  à  ce  sujet  :  «  Il  serait  désireux  de  voir 
de  pareils  résultats  se  généraliser,  dans  l'intérêt 
des  troupes  du  front.  > 

La  10'  armée,  très  satisfaite  des  services  rendus 
par  M.  Dreux,  Finvita  à  la  suivre  dans  ses  dépla- 
cements sur  Moreuil,  puis  sur  Gompiègne. 

Entre  temps,  le  souhait  exprimé  par  M.  Phil- 
bois se  réalisait  :  la  3"  armée  décidait,  elle  aussi, 
la  création  d'un  comptoir  militaire  comme  celui 
qui  fonctionnait  au   quartier  général  du  général 
Guillaumat.  Le  magasin  central  en  fut  installé  à 
Ham,  par  M.  Dreux,  naturellement.  Les  services 
compétents  de  ce  corps  de  troupes,   ont  attesté 
la  bienfaisance    de    Finstitution  et  les    services 
rendus   par  son   approvisionneur;  ils    relatèrent 
Fattitude  de  M.  Dreux,  lors  de  Foffensive  de  mars- 
avril  1918;  ils  ont  proclamé  quelle  aide  précieuse 
furent  les  ressources  constituées  par  lui,  à  Gom- 
piègne, lors    du  passage    de   nos    troupes  dans 
cette  ville    entièrement    évacuée.   Nous   savons, 
nous,  que,  sans  ces  stocks  si  heureusement  for- 
més, le  ravitaillement  immédiat   de  nos  soldats 
eût  été  complètement  impossible. 


DANS  LA  ZONE   DES   ARMEES 


177 


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Depuis  la  signature  de  Farmistice,  la  Maison 
Dreux  a  offert  au  Ministre  du  Ravitaillement 
dTjpprovisionner  ses  cent  comptoirs,  d'en  relever 
les  ruines  à  bref  délai,  pour  assister,  le  plus 
promptement  et  le  plus  efficacement  possible,  les 
populations  dont  la  misère  n'est  que  trop  connue  ; 
cet  homme  désintéressé,  actif,  n'a  jamais  pu  s'as- 
surer la  moindre  part  dans  les  répartitions  de 
denrées  et  le  moindre  vv^agon  pour  acheminer 
celles  qu'il  trouvait  lui-même. 

—  Prenez  ce  dont  vous  avez  besoin  dans  les 
stocks  achetés  par  telle  Gommission  récemment 

constituée  ! 
M.  Dreux  s'y  est  toujours  refusé  pour  plusieurs 

raisons  : 

1®  Les  dits  stocks  avaient  été  composés  par 
des  gens  qui,  n'étant  pas  du  métier,  avaient  payé 
un  nombre  de  millions  double  de  ceux  qui  eussent 
formé  un  paiement  normal.  De  plus,  les  marchan- 
dises acquises  étaient  franchement  mauvaises. 

2^  Une  maison  qui  se  respecte,  c'est-à-dire 
qui  sait  acheter  à  bon  compte,  de  bonnes  denrées, 
pour  les  revendre  le  meilleur  marché  possible,  ne 
peut  se  soumettre  à  de  telles  exigences  qui  la  con- 
traignent à  tromper  sa  clientèle  sur  la  qualité  de 
la  marchandise  et  sur  son  prix. 

Gonnaissez-vous  beaucoup  de  commerçants 
aussi  consciencieux? 


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Assurément,  le  mérite  de  toutes  les  Entreprises 

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178 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Modernes  n'est  pas  égal.  Il  ne  peut  Fêtre.  Ce  sont 
les  circonstances  qui  permettent  aux  homijies 
d'agir  dans  un  sens  déterminé.  Mais  les  effelts, 
quand  ils  ont  été  sérieux  et  persévérants,  valent 
d'être  consignés.  Dans  un  pays  comme  le  nôtre, 
où  Ton  parle  toujours  de  relèvement  économique, 
il  importe  de  montrer  en  exemple  ceux  qui 
sont  dignes  de  l'être.  On  a  suffisamment  parlé  du 
courage  militaire;  on  nous  exhorte  au  courage 
fiscal;  nous  ne  pouvons  ignorer  le  courage  com- 
mercial. La  Société  Nancéienne  d'alimentation  en 
a  manifesté  : 

Dès  les  premiers  mois  de  la  guerre,  après  la 
retraite  de  Morhange,  une  grande  partie  des  ter- 
ritoires où  ]a  Société  étendait  son  action,  furent 
envahis.  Près  de  40  succursales  furent  pillées  ou 
réquisitionnées,  en  même  temps  que  la  mobilisa- 
tion prenait  les  employés,  les  chevaux,  les  véhi- 
cules, dans  une  considérable  proportion,  partout 
où  Fennemi  n'était  pas  encore.  La  menace  pesait 
lourdement  et  les  bombardements  de  la  capitale 
lorraine  commençaient.  L'administration  n'en 
réorganisa  pas  moins,  à  grands  frais,  naturelle- 
ment, tous  les  services.  Le  ravitaillement  de 
150  succursales  fut  enfin  assuré.  Les  municipalités 
de  Meurthe-et-Moselle  ont  témoigné  à  la  Société 
Nancéienne  toute  leur  reconnaissance,  pour  les 
efforts  prodigués  en  vue  de  l'intérêt  public;  parmi 
les  principales,  nous  citerons  celle»  de  Varangé- 
ville,  de  Laxou,  de  Saint-Nicolas-du-Port,  de 
Colombey-les-Belles,  de  Custines,  de  Frouard,  de 
Pompey.  Il  va  de  soi  que  les  secours  que  trouvait 


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DANS  LA  ZONE   DES  ARMÉES 


179 


le  militaire,  égalaient  les  secours  que  trouvait  le 

^ Certaines  localités,  notamment  Frouard  et 
Pompey,  étaient  copieusement  arrosées,  quoti- 
diennement, d'obus  et  de  torpilles,  du  fait  de  la 
proximité  des  hauts-fourneaux  et  aciéries.  Les 
civils,  comme  les  soldats,  avaient  leur  poste  de 
combat.  Ils  tenaient.  Bientôt  le  péril  apparut,  et 
les  difficultés  se  multiplièrent.  Nancy  était,  de 
nouveau,  sous  la  menace  d'une  invasion;  on 
forma  des  trains  d'évacuation  pour  les  habitants. 
L'administration  prévoyante  décongestionna  ses 
stocks  et  constitua  des  entrepôts  à  Gray,  c'est-à- 
dire  à  plus  de  150  kilomètres  de  Farrière,  de  façon 
à  pouvoir,  quelles  que  soient  les  circonstances, 
ravitailler  les  succursales  qui  ne  seraient  pas 
tombées  aux  mains  des  Allemands.  Quelle  acuité 
dans  la  difficulté  des  transports! 

Il  importe  de  souligner  ici  le  peu  d'aide  que 
les  Entreprises  Modernes  trouvent  généralement 
dans  les  Chambres  de  Commerce,  dans  les  Mairies 
et  dans  les  Préfectures.  Les  Chambres  de  Com- 
merce, en  effet,  sont  des  organes  vétustés  dans 
lesquels  n'ont  guère  place  les  éléments  modernes 
du  commerce.  Les  éléments  modernes  du  com- 
merce, qui  rénovent  les  méthodes,  sont  haïs  par 
les  gens  routiniers  dont  la  situation,  malgré  tout, 
s'est  assise.  Les  grossistes,  fournisseurs  des  petits 
commerçants,  sont  de  ceux-là;  la  question  de 
boutique  s'en  mêle,  la  démagogie  ensuite,  et 
voilà  toute  Fhistoire  de  Fimpopularité  des  Maisons 
à  Succursales  auprès  des  Préfets  ou  des  Maires. 


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DANS    LA   ZONE   DES   ARMÉES 


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180 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Elles  sont  affligées  d'un  vice  terrible  :  elles  n'ont 
pas  assez  d'électeurs  dans  leur  sein.  ^i 

Voilà  pourquoi  l'effort  inouï  de  la  Société  r  feri- 
céienne  dura  cinq  ans,  dans  l'intégralité  de  ce 
qu'il  fut  au  premier  jour. 

Malgré  les  difficultés  de  tous  ordres,  la  Société 
Nancéienne  parvint  à  vendre  ses  marchandises 
meilleur  marché  qu'on  ne  vendait  les  mêmes 
marchandises  à  Paris  ou  dans  le  Centre.  On  s'en 
rendra  compte  par  le  tableau  des  prix  pratiqués 
par  elle,  en  1918  (époque  de  la  crise  aiguë)  et  en 
1919.  Nous  le  publierons  avec  d'autres  tableaux, 
dans  un  chapitre  spécial  qu'on  lira  plus  loin. 

Ici,  nous  trouvons,  par  l'installation  des  coopé- 
ratives militaires,  le  même  appui,  pour  le  comman- 
dement, que  l'appui  donné  par  la 'Maison  Dreux 
au  général  Guillaumat.  En  effet,  s'inspirant  des 
nécessités  de  l'heure,  la  Société  Nancéienne  avait 
créé  un  dépôt  pour  l'armée,  à  Toul,  avec  de  nom- 
breuses succursales  sur  la  ligne  de  bataille.  La 
vente  des  produits  y  était  pratiquée  aux  prix 
extrêmement  bas,  imposés  par  l'Intendance.  Cette 
création  purgea  la  région  de  ses  mercantis.  L'ar- 
mée, plus  tard,  s'empara  de  l'idée  de  la  S.  N.  A. 
et  la  développa  sous  forme  de  coopératives  mili- 
taires. Mais  les  résultats  obtenus  ne  furent  pas  ceux 
de  l'entreprise  privée;  le  général  de  Castelnau, 
qui  l'observa,  crut  devoir  rendre  hommage  aux 
commerçants,  véritables  précurseurs  de  ces  coo- 
pératives. , 


*  * 


Je  l'ai  déjà  dit  : 

Pour  déterminer  exactement  le  mérite  des 
maisons  de  commerce  qui  sont  restées  approvi- 
sionnées lors  de  notre  recul  de  la  Marne,  il 
importe  de  les  classer  en  deux  catégories  :  celles 
de  l'intérieur,  à  une  distance  plus  ou  moins  grande 
des  champs  de  bataille;  celles  exposées,  d'un 
moment  à  l'autre,  à  être  dans  une  zone  envahie. 
Partout  les  stocks  étaient  épuisés  ou  en  voie 
d'épuisement.  Le  renouvellement  des  marchan- 
dises s'imposait;  bien  mieux,  pour  tous,  il  fallait 
constituer  des  stocks  plus  considérables,  afin  de 
pouvoir  suffire  à  la  consommation  et  de  n'être 
point,  d'une  façon  absolue,  à  la  merci  des  événe- 
ments du  lendemain. 

Pour  les  commerçants  éloignés,  toute  opération 
d'achat,  quelque  importante  qu'elle  eût  été,  ne 
présentait  pas  de  risques  sérieux  ;  tout  au  plus 
s'exposaient-ils  à  payer  plus  cher  des  denrées 
susceptibles  d'être  acquises  à  meilleur  compte. 

Pour  les  autres,  il  n'en  était  point  de  même. 
Que  l'avance  ennemie  persiste,  et  leur  rayon  de 
vente  allait  se  trouver  en  territoire  occupé.  Leurs 
provisions  ne  seraient-elles  point  perdues,  anéan- 
ties, volées?...  Toutes  les  hypothèses,  dans  ce 
domaine  d'idées,  étaient  permises.  Acheter  par 
grandes  quantités,  n'était-ce  point  être  impré- 
voyant, imprudent,  affronter  de  regrettables  ava- 
nies? Il  est  vrai  qu'un  bon  commerçant  ne  doit 


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182 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


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pas  s'attacher  à  son  intérêt  seulement,  mais  au 
souci  de  pourvoir  aux  besoins  de  sa  clientèle.  Il  y 
a  là  une  sorte  de  devoir  dont  Taccomplissement 
peut  tuer  tout  germe  de  panique  dans  Tœuf  ;  qùs 
considérations  plus  ou  moms  particulières  se  dé- 
truisent devant  la  nécessité  et  l'intérêt  commun. 
Ayant  examiné  de  près  la  situation,  ni  à  Meaux, 
qui  devait  se  trouver  si  promptement  dans  la  zone 
envahie,  et  où  travaille  TUnion  commerciale;  ni  à 
Goulommiers,  oii  grandissent  les  Docks  de  la 
Brie,  et  que  les  Allemands  occupèrent;  ni  à 
Troyes,  ni  à  Dijon,  ni  à  Rouen,  ni  ailleurs,  nul 
n'hésita.  On  s'approvisionna  tout  aussi  tranquille- 
ment qu'en  temps  de  paix.  Advienne  que  pourra! 

La  victoire  de  la  Marne  sauva  les  audacieux 
qu'un  revers  de  plus  eût  compromis,  sinon  perdus 
irrémédiablement.  Et,  grâce  à  la  hardiesse  des 
négociants  de  nos  Entreprises  de  grand  commerce 
de  détail,  les  populations  eurent  l'assurance  de 
demeurer  approvisionniées.  Toute  alarme  des  con- 
sommateurs devenait  complètement  vaine. 

Un  seul  exemple  fera  comprendre  ce  raisonne- 
ment mieux  encore  :  l'Union  commerciale  de 
Meaux,  pour  faire  face  à  toutes  les  nécessités,  eut, 
dans  ses  entrepôts,  pour  plus  de  14  millions  de 
marchandises.  Elle  parvint  à  ravitailler,  non  pas 
seulement  ses  boutiques,  mais  toute  la  région, 
qui  dut  à  la  prévoyance  et  à  l'initiative  de  cette 
grande  firme  commerciale,  de  ne  manquer  de 
rien,  ni  de  sucre,  ni  de  sel,  ni  de  café,  ni  de  pâtes 
alimentaires,  ni  de  vin,  choses  indispensables  à  la 
vie  quotidienne  des  plus  humbles  ménages. 


DANS  LA  ZONE   DES   ARMEES 


183 


Les  petits  ne  pouvaient  avoir  cette  pensée  ni 
cette  sorte  d'abnégation  commerciale,  qui  est  une 
forçie  de  la  générosité,  non  une  des  plus  négli- 
geables, puisqu'elle  comportait  le  sacrifice  éven- 
tuel des  intérêts,  sacrifice  parfois  très  pénible,  il 
faut  bien  le  reconnaître.  Il  est  vrai  que  la  sagesse 
des  nations  a  dit  :  «  Noblesse  oblige  >. 

Les  grandes  firmes  ont  plus  d'obligations  que 
les  autres.  Elles  sont  à  même  de  les  remplir. 
Elles  l'ont  montré. 

Or  donc,  tandis  que  les  hordes  de  réfugiés  dé- 
valaient sur  les  routes,  apportant  jusqu'aux 
moindres  bourgades  l'écho  douloureux  des  pre- 
mières défaites;  tandis  que  Troyes  voyait  arriver 
les  gens  de  Lille  ou  de  Valenciennes;  que  Lyon  en 
recevait  d'autres  ;  que  Caen  avait  les  siens  ; 
qu'Arras  et  Reims  étaient  bombardées  ;  que  des 
autos  emportaient  à  toute  vitesse  le  numéraire  des 
succursales  de  la  Banque  de  France;  qu'on  rele- 
vait les  dépôts  de  ces  succursales  jusque  dans  la 
Côte-d'Or,  les  négociants  demeuraient  à  leur 
30ste;  les  transactions  commerciales  suivaient 
eur  cours;  les  entrepôts  se  garnissaient. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ce  fait  que  la  crise 
de  l'essence  s'était  déclarée  et  que,  dans  nombre 
de  villes,  à  Dijon  par  exemple,  si  la  Banque  de 
France  a  pu  relever  ses  dépôts  par  automobiles, 
c'est  parce  que  les  grandes  Maisons  de  détail, 
comme  les  Comptoirs  économiques  de  la  Bour- 
gogne, ont  pu  lui  fournir  le  carburant  indispen- 
sable. Nous  savons  que  certains  proclament  cette 
fourniture  sans  mérite,  parce  que  les  Allemands 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


considèrent,  paraît-il,  la  Banque  de  France  comme 
une  entreprise  privée,  qu'ils  respectent.  Ils  n'ont 
point  montré  la  véracité  de  cette  assertion  ,.en 
Belgique,  où,  en  octobre  1916,  ils  se  sont  emparès 
d'un  milliard  à  la  Banque  Nationale. 

Un  bienfait,  souvent,  perd  toutes  les  apparences 
d'un  bienfait  lorsqu'il  apparaît  dans  le  recul  du 
temps  et  de  Féloignement.  Les  hommes  oublient. 

Certaines  Sociétés  d'alimentation,  bien  que 
jeunes,  avec  des  capitaux  modestes,  au  jour  de  la 
déclaration  de  guerre,  possédaient  des  stocks  im- 
portants qui  leur  permettaient  de  satisfaire  aux 
exigences  de  la  situation  ;  la  Ménagère  française, 
à  Ghâlons-sur-Marne,  fait  partie  de  cette  caté- 
gorie. Elle  eut  la  bonne  fortune  de  voir  ses 
entrepôts  respectés  par  les  Allemands,  au  lende- 
main de  leur  retraite.  Elle  mit  ce  qu'elle  possé- 
dait à  la  disposition  des  autorités  de  la  ville  et  des 
localités  suburbaines,  privées,  pendant  de  trop 
nombreux  jours,  de  tous  moyens  de  ravitaille- 
ment. 

Au  cours  des  quatre  années  qui  ont  suivi,  la 
Société  a  rendu  de  signalés  services,  en  accueil- 
lant toutes  les  demandes  de  ravitaillement  des 
services  militaires  et  sanitaires  fixés  dans  la  ré- 
gion et  des  unités  combattantes  se  rendant  au 
front,  —  toujours  à  des  prix  fixes,  justes  et 
loyaux,  dont  le  taux  n'était  pas  influencé  par  les 
considérations  spéculatives,  dépouillées  de  tout 
scrupule,  des  mercantis  de  passage  ou  d'occasion, 
—  trop  nombreux,  hélas! 

Depuis  la  libération  des  régions  envahies,  la 


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DANS  LA  ZONE  DES  ARMÉES 


185 


Société  est  appelée,  par  les  Pouvoirs  publics,  à 
collaborer  avec  eux  à  la  reprise  commerciale  ;  elle 
y  aide  de  toutes  ses  forces,  tant  en  mettant  au 
service  de  cette  tâche  patriotique  des  disponibilités 
importantes  en  fonds,  qu'en  assurant  régulière- 
ment, de  ses  propres  moyens,  le  ravitaillement 
soutenu  de  nos  infortunés  compatriotes. 

On  en  pourrait  dire  autant  des  Etablissements 
Miellé  et  C^®,  des  Etablissements  Mauroy,  des  Eta- 
blissements Lépine  qui,  détruits  à  Suippes  par  le 
bombardement,  y  furent  relevés  promptement, 
pour  être  détruits  une  nouvelle  fois,  ce  qui  mo- 
tiva leur  réinstallation  à  Ghâlons,  qu'ils  ont  quitté 
pour  retourner  à  Suippes,  une  fois  de  plus  et 
définitivement.  Nous  n'insisterons  point,  pour  ne 
pas  donner  à  cette  étude  une  monotonie  suscep- 
tible de  nuire  à  son  ensemble.  Il  nous  suffira  de 
répéter,  pour  conclure,  que  les  commerçants  ont 
un  rôle  social  à  remplir,  et  que  ceux  qui  com- 
posent l'élite  commerciale  de  la  nation  n'y  ont 
point  failli. 


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XIII 

Les  Entreprises  Modernes  et  les  Fantaisies 

administratives. 


Dans  mon  livre  :  la  Guerre,  le  Commerce  fran-- 
çais  et  les  Consommateurs,  j'ai  montré,  avec  force 
détails,  comment  nos  Entreprises  Modernes 
s'étaient  comportées  eu  face  du  consommateur, 
qui  fut  toujours  l'objet  de  leur  plus  constant  souci. 
Toutefois,  c'est  une  étude  qui  reste  à  compléter, 
parce  que,  depuis,  notre  Ravitaillement  national 
a  traversé  des  phases  aussi  douloureuses  qu'im- 
prévues. Et,  tout  d'abord,  nous  avons  subi  le  ré- 
gime de  la  répartition. 

Les  répartitions  n'ont  jamais  été  favorables  aux 
Entreprises  Modernes  qui  étaient,  au  début  du 
moins,  presque  complètement  bannies  de  la  table 
du  banquet.  L'Administration  réclamait  des  états; 
il  fallait  y  indiquer  les  quantités  de  marchandises 
fournies  à  chaque  Succursale,  avant  la  guerre; 
paperasserie  inutile,    puisque,  jamais,   les   quan- 


LE»   FANTAISIES  ADMINISTRATIVES 


187 


tités  attribuées  ne  correspondaient  au  chiffre 
d'affaires,  se  tenant  considérablement  en  dessous! 
Dan'^  certains  départements,  des  difficultés  surgis- 
-^  saieïit  parce  que  le  siège  social  était  dans  un 
département  limitrophe;  les  gérants  n'étaient  pas 
ravitaillés  ;  on  leur  disait  : 

—  Adressez-vous  à  votre  Maison-Mère. 
A  la  Maison-Mère,  on  disait  : 

—  Pour  ravitailler  vos  Succursales  d'à  côté, 
adressez-vous  aux  organismes  d'à  côté. 

Les  Préfets  et  les  Comités  de  toutes  sortes  se 
renvoyaient  la  balle  et  se  lavaient  les  mains,  après 
avoir  créé  d'inextricables  situations. 

Les  Comités  de  répartition,  souvent,  ne  com- 
prenaient dans  leur  sein  que  des  grossistes  ou 
-.des  détaillants,  ennemis  invétérés  des  Entreprises 
Modernes,  redoutables  concurrentes  dont  béné- 
ficie le  consommateur.  L'hostilité  se  déchaînait, 
soit  de  la  façon  la  plus  sourde,  soit  de  la  manière 
la  plus  ouverte;  il  fallait  recourir  au  ministre. 
Mais,  hélas!  que  peut  un  ministre?  N'est-il  pas  le 
prisonnier  de  ses  bureaux,  éternels,  alors  que  lui 
t^^  est  éphémère?... 

Certaines  Maisons,  comme  les  Etablissements 
Brisset,  d'Angers,  crurent  devoir  faire  de  l'action 
directe.  Ils  prévinrent  le  Préfet  de  Laval  que,  s'ils 
n'obtenaient  pas  des  attributions  conformes  à  leur 
vente  et  à  leur  chiffre  d'affaires  d'avant-guerre, 
dans  ce  département,  ils  auraient  recours  à  l'affi- 
chage de  leurs  revendications.  Ils  se  rendirent 
compte,  avec  infiniment  de  raison,  qu'ils  dispo- 
saient d'un  journal  merveilleux   dans  un  grand 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


nombre  de  localités,  pour  y  insérer  les  commu- 
niqués de  leur  ravitaillement  :  ce  journal,  c'étaient 
leurs  devantures  ;  le  communiqué,  c'était  TafEs^he. 
Le  Préfet  haussa  les  épaules  et  fit  la  sourde 
oreille.  Il  ne  répondit  pas.  L'affiche  fut  apposée. 
Nous  en  avons  relevé  le  texte.  Le  voici  : 

AVIS  AUX  CONSOMMATEURS 

((  De  tous  temps,  avant  et  pendant  la  guerre, 
les  Etablissements  Brisset  ont  toujours  été  réap- 
provisionnés normalement  pour  les  quantités  de 
sucre  nécessaires  aux  besoins  de  leur  nombreuse 

clientèle. 

«  Depuis  le  15  janvier  1917,  c'est-à-dire  depuis 
le  fonctionnement  des  Comités  départementaux  de 
répartition,  la  situation  s'est  modifiée  considéra- 
blement et  nous  sommes  aujourd'hui  dans  l'im- 
possibilité, malgré  tous  nos  efforts,  de  répondre 
aux  besoins  de  la  population. 

«  Nous  n'avons  pas  à  apprécier  ici  le  fonction- 
nement du  Comité  départemental  de  Répartition 
de  la  Mayenne,  mais  nous  tenons  à  aviser  notre 
clientèle  de  ce  que,  du  15  janvier  à  ce  jour, 
500  kilos  seulement  de  sucre  granulé  nous  ont 
été  attribués,  à  répartir  dans  l'ensemble  de  nos 
32  Maisons  de  vente  situées  dans  le  département 
de  la  Mayenne.  Ceci  représente  environ  15  kilos 
par  Succursale,  pour  les  besoins  de  plus  d'un 
mois,  alors  qu'en  temps  normal  notre  vente  dé- 
passait 600  kilos  par  mois  et  par  Maison,  autre- 
ment dit  49.200  kilos  mensuellement. 


LES    FANTAISIES   ADMINISTRATIVES 


189 


«  Nous  laissons  à  notre  clientèle  le  soin  de 
juger  si  nous  sommes  responsables  de  cette  situa- 
tioVJ  que,  certes,  nous  n'avons  pas  créée. 

La  Direction. 

Angers,  le  17  février  1917. 

La  solution  vint  immédiatement.  100  kilos  par 
Succursale  et  par  mois  furent  dès  lors  attribués. 
C'était  un  progrès  tout  de  même,  si  ce  n'était  pas 
tout  à  fait  l'idéal. 

Toutefois,  il  importe  de  remarquer  que  les 
Offices  départementaux  d'alimentation,  institués  à 
la  suite  des  Comités  de  répartition,  eurent  un  rôle 
un  peu  plus  équitable.  La  perfection  vient  au  fur 
^  et  à  mesure  que  le  temps  passe.  Les  Entreprises 
Modernes  ne  furent  point  bannies  de  ces  Offices, 
dans  l'application  d'un  ostracisme  aussi  échevelé. 
Dans  certains,  même,  on  eut  grand  besoin  de 
leurs  ressources  en  argent,  de  leur  puissance 
d'achat,  de  leur  savoir-faire.  La  Loire,  à  ce  point 
de  vue,  offre  un  exemple  typique  : 

Lors  de  sa  création,  TOffice  départemental  était, 
comme  la  plupart  des  organisations  aussi  nouvelles 
que  similaires,  sans  capitaux,  ni  responsabilité 
civile.  Le  Préfet  fit  appel  aux  Entreprises  Modernes 
de  grand  détail,  pour  constituer  un  groupe  finan- 
cier permettant  à  l'Office  d'effectuer  les  opérations 
commerciales  pour  lesquelles  il  était  créé.  Le 
groupe  régional  du  Syndicat  général  des  Maisons 
à  Succursales,  de  France  répondit  à  cet  appel; 
un  Syndicat  de  garantie  fut  créé,  des  dépôts  de 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


titres,  effectués  à  la  Banque  de  France,  en  vue 
d'ouvrir  un  crédit  de  1  million  à  rOffice  départe- 
mental. ^^ 

Ces  dépôts  furent  effectués,    à  Saint-Etienne, 
par  : 

M.  Guichard-Perrachon,  pour 600.000 francs; 

M.  Fayolle,  Alimentation,  pour  300.000  francs  ; 

M.  Granetias,  Docks  Foréziens,  pour  100.000  ; 

M.  Essertel,  Magasins  Zanzibar,  pour  100.000; 

M.  Guyot,  Etoile  Blanche,  pour  100.000  francs. 

Dans  l'acte  de  constitution,  il  était  stipulé  que 
les  membres  du  Groupement,  en  apportant  à  l'Of- 
fice le  concours  de  leurs  capitaux  et  de  leur  expé- 
rience, entendaient  être  utiles  à  leur  pays,  sans 
prétendre  retirer  de  leur  acte  ni  rémunération,  ni^ 
profit.  Les  marchandises  achetées  par  l'Office,  ou 
reçues  du  Ravitaillement,  étaient  réparties  par 
le  Préfet  de  la  Loire,  à  raison  de  : 

30  p.  100  pour  les  Coopératives  ; 

30  p.  100  pour  les  Maisons  à  Succursales  mul- 
tiples ; 

30  p.  100  pour  les  Municipalités  ;  « 

10  p.  100  restant  à  la  disposition  du  Préfet,  en 
réserve  pour  des  livraisons  urgentes. 

Les  30  p.  100  attribués  aux  Municipalités  étaient 
destinés  à  être  répartis,  par  ces  dernières,  entre 
les  commerçants  de  la  localité.  L'intervention  des 
Municipalités  avait  été  jugée  indispensable,  le 
commerce  de  gros  de  la  région  n'ayant  pas  voulu 
prendre  l'engagement  d'exiger  et  d'imposer  à  ses 
clients  détaillants  les  prix  de  vente  fixés  par  l'Of- 
fice. Les  Coopératives  et  Maisons  à  Succursales 


LES   FANTAISIES   ADMINISTRATIVES 


191 


multiples,  par  suite  de  leur  organisation,  ont  au 
contraire  fourni  toutes  les  garanties  à  ce  sujet. 
L'C'ffice  départemental  a  pu,  ainsi,  rendre  aux 
consommateurs  de  la  région,  le  plus  grand  ser- 
vice. 

Ceci  met  parfaitement  en  relief  l'aide  apportée, 
en  une  circonstance  particulière,  tant  aux  Coopé- 
ratives qu'au  petit  commerce.  C'est,  d'ailleurs,  un 
sujet  sur  lequel  nous  aurons  l'occasion  de  revenir. 

Mais  il  arrivait  que  les  membres  de  ces  Comités 
départementaux  n'avaient  point  d'objectif  commun 
et  ne  s'entendaient  nullement  entre  eux.  Alors, 
les  Municipalités,  en  proie  à  des  soucis  qui  n'a- 
vaient d'énorme,  pour  comparaison,  que  l'inca- 
pacité de  leurs  membres,  voulaient  se  substituer 
au  commerce  conscient,  loyal,  honnête,  organisé. 
Imbues  de  l'idée  de  leur  importance,  —  impor- 
tance exagérée  ou  déplacée,  pour  le  moins,  — 
elles  prétendaient  régler  les  questions  d'achat, 
préliminaires  de  la  répartition.  Elles  faisaient,  à 
cet  effet,  des  appels  de  fonds. 

Une  maison  de  commerce,  à  Nantes,  —  les 
Docks  de  l'Ouest,  —  a  versé,  le  30  août  1918,  la 
somme  de  46.375  francs,  représentant  des  achats 
de  denrées  de  première  nécessité,  au  Ravitail- 
lement général,  par  l'intermédiaire  de  la  Mairie. 
Tout  le  commerce  nantais  formulait  des  demandes 
diverses  dans  le  même  sens;  de  ce  fait,  il  fut  versé 
en  totalité  149.000  francs,  à  la  date  précitée. 
Depuis  ce  moment,  les  Docks  n  ont  reçu^  —  mal- 
gt^é  toutes  leurs  réclamations^  —  aucune  mar- 
chandise; en  outre,  ils  n'ont  pu  obtenir  le  rem- 


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192 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


boursement    des    fonds    versés.    Ceci    est    tout 
simplement  scandaleux. 

Une  lettre  du  28  décembre  1919,  témoignG'>que 
M.  le  sous-secrétaire  d'Etat  au  Ravitaillement 
s'est  ému  des  réclamations  multiples  nécessitées 
par  cette  affaire  ;  il  a  déclaré,  cependant,  que  la 
pièce,  à  lui  envoyée,  pour  encaissement,  a  été 
égarée;  et  il  demande  un  duplicata!  Ce  duplicata, 
adressé  le  jour  même  de  la  réception  de  sa  de- 
mande,  a  connu  le  malheureux  sort  du  papier  pré- 
cédent, et  S.  Exe.  a  fait  savoir  quil  s  est  égaré,  lui 
aussi.  Nous  parlons  du  duplicata,  naturellement, 
et  pas  du  ministre.  Le  maire  de  Nantes  en  est 
réduit  à  faire,  au  Ministère  du  Ravitaillement,  une 
démarche  personnelle.  En  attendant,  les  négo- 
ciants nantais  ne  sont  toujours  pas  remboursés 
des  sommes  importantes  versées.  Ces  sommes, 
oui  ou  non,  les  leur  doit-on?...  Ou  veut-on  les 
en  dépouiller?...  Le  vol  administratif  serait-il  de- 
venu une  opération  courante?  C'est  ce  qu'on  verra, 
car  les  affaires  n'en  resteront  point  là. 

Il  résulte  de  ceci  un  préjudice  énorme  pour 
tous  les  commettants  qui  auraient  dû,  depuis 
longtemps,  assigner  la  Mairie  en  remboursement 
et  en  dommages-intérêts! 

Voilà,  n'est-ce  pas,  ce  qu'on  peut  appeler  du 
joli  travail?...  Mais  ce  travail  n'est  peut-être  rien 
encore,  à  côté  de  celui  pratiqué  par  l'Adminis- 
tration, Intendance  et  Ministère.  Un  beau  jour, 
il  vint  à  l'idée  de  certains  individus,  titrés  et  ga- 
lonnés, de  réquisitionner  le  matériel  que  les  En- 
treprises Modernes  du  grand  commerce  de  détail 


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LES    FANTAISIES    ADMINISTRATIVES 


193 


de  l'alimentation  avaient  acheté  depuis  longtemps, 
avaient  payé,  et  qui  suffisait  à  peine  à  assurer 
leur  approvisionnement.  Il  s'agissait  de  leur 
fournir  les  wagons-réservoirs  qu'elles  n'avaient 
pas,  et  qui  leur  manquaient  pour  porter  au  maxi- 
mum les  actes  commerciaux  qui  ont  assuré  de  si 
beaux  bénéfices  au  magasin  de  gros.  On  prit  donc, 
à  leurs  propriétaires,  les  wagons-réservoirs  avec 
lesquels  ils  amenaient,  dans  leurs  succursales,  le 
vin  nécessaire  aux  populations  ouvrières,  leur 
habituelle  clientèle.  Pour  de  la  désinvolture,  c'en 
était.  Et  c'était  même  de  la  malhonnêteté.  S'ima- 
gine-t-on,  en  effet,  des  fonctionnaires  doté  d'une 
intempestive  autorité,  avisant  des  gens  pourvus 
de  sabots  et  leur  tenant  ce  langage  : 

«  Vous  êtes  chaussés.  Il  y  a  des  va-nu-pieds. 
Enlevez  vos  sabots.  Les  va-nu-pieds  les  useront. 
Et  vous  serez  va-nu-pieds  vous-mêmes,  comme 
de  juste!  » 

Somme  toute,  il  n'y  a  pas  de  différence  sensible 
entre  ce  raisonnement  et  celui  qui  fut  tenu.  L'ins- 
titution dénommée  :  Parc  national  des  wagons- 
réservoirs,  mit  donc  à  la  disposition  des  Coopé- 
ratives —  lesquelles  n'ont  jamais  vendu  moins 
cher  que  les  Maisons  à  Succursales,  —  des  wa- 
gons en  quantité  plus  que  suffisante  pour  assurer 
leur  vente.  Et  l'on  exclut  le  commerce  réqui- 
sitionné de  toute  attribution.  On  n'a  jamais 
vu  de  plus  bel  exemple  de  reprise  individuelle, 
sous  la  troisième  République.  Il  s'est  alors  pro- 
duit des  faits  absolument  anormaux  :  la  Société 
des    Magasins   du    Casino,   à  Saint-Etienne,   qui 

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possédait,  avant  la  guerre,  vingt-six  wagons-ré- 
servoirs, s'est  vu  enlever  les  4/5  de  ce  matériel, 
alors  qu'elle  était  dans  la  plus  complète  imps-ssi- 
bilité  de  recevoir  les  vins  destinés  à  l'approvi- 
sionnement de  ses  Maisons;  alors  que  les  Coopé- 
ratives, ses  voisines,  recevaient,  dans  ses  propres 
wagons-réservoirs,  tout  ce  qui  leur  élaitnécessaire. 
C'était  du  bolchevisme  naissant,  ou  je  ne  m'y 

connais  pas  ! 

Si  encore  les  Coopératives  avaient  pu  faire  une 
utilisation  rationnelle  «  des  sabots  d'aulrui!  >  Mais 
non.  Mal  outillées,  sans  embranchements  parti- 
culiers, sans  moyens  de  vidange  rapides,  sans 
correspondants  attitrés  dans  les  pays  de  produc- 
tion, leurs  wagons  mettaient,  pour  effectuer  un 
voyage  aller  et  retour,  un  temps  double  qu'ils 
n'eussent  mis  s'ils  fussent  restés  aux  mains  de 
leurs  propriétaires.  ^ 

Ce  scandale  dure  peut-être  encore.  Nul  n  a  pu 
le  faire  cesser.  Ni  les  protestations  des  intéressés, 
ni  celles  du  groupe  viticole  du  Sénat  ne  furent 
entendues.  L'histoire  dira  quelle  redoutable  coa- 
lition d'intérêts  et  quelle  abominable  exploitation 
du  public  français  était  cachée  là-dessous. 

Le  commerce  honnête,  organisé,  des  Entre- 
prises Modernes,  pendant  ce  temps  était  contraint 
à  passer  sous  les  fourches  caudines  d'un  tas  de 
courtiers  véreux,  qui  demandaientjusqu'à  50  francs 
de  location  pour  un  service  qui,  avant  la  guerre, 
coûtait  environ  0  fr.  25  par  hectolitre.  Nombre  de 
sociétés,  qui  auraient  pu  acheter  d'autres  wagons 
pour  satisfaire  aux  exigences  de  leurs  affaires,  en 


présence  du  néant  de  leurs  efforts  passés,  demeu- 
rèrent dans  une  espèce  de  coma,  au  plus  grand 
^1  >  dam  de  la  nation. 

On  vit  alors  des  choses  absolument  abracada- 
brantes : 

Les  transports  directs  d'Alger  à  Nantes  étaient 
supprimés.  Les  Docks  de  l'Ouest  firent  expédier, 
à  Port-Saint-Louis-du-Rhône,  800  barriques  de 
vm  d'Algérie  ;  mais  les  wagons  manquant,  ces 
vins  restèrent  en  souffrance  sur  les  quais  I  Cette 
situation  dura  près  de  six  mois.  La  Maison  eri 
question  fut  dansl'obligation  d'aviser.  Comment?... 
Je  vous  le  donne  en  mille!...  Un  vapeur  chargerait 
ce  vin  à  Port-Saint-Louis-du-Rhône  et  le  trans- 
^porterait  à  Cette;  puis  la  marchandise  serait  trans- 
bordée sur  une  péniche  qui  suivrait  le  canal  du 
Midi  jusqu'à  Bordeaux;  enfin,  faute  du  matériel 
réquisitionné,  on  mettrait  le  vin  en  magasin  dans 
cette  ville,  en  attendant  qu'un  voilier  ou  un  vapeur, 
faisant  le  service  de  Bordeaux  à  Nantes,  pût  s'en 
charger. 

j  Ce  détail  est  très  suffisant  pour  démontrer  que 
le  prix  du  vin  pouvait  être  très  différent  d'une 
région  à  l'autre,  suivant  les  frais  nécessités.  Le 
vin  à  bon  marché  est  la  conséquence  des  trans- 
ports par  fer  et  par  mer  assurés. 

Quelle  gymnastique!...  Elle  dépasse  les  pro- 
duits de  la  plus  folle  imagination.  Le  consom- 
mateur s'en  est  aperçu.  Il  s'en  aperçoit  encore. 

G'es.t  par  la  sotte  application  de  tels  systèmes, 
que  la  Société  Normande  d'Alimentation  eut,  pen- 
dant plus   de  quinze  mois,    des  marchandises  à 


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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Cette,  à  Marseille  et  à  Port-Saint-Louis-du-Rhône, 
alors  que  ces  marchandises  faisaient  cruellement 
défaut  chez  les  populations  ouvrières  du  Calvados. 
Tout  le  commerce  français  connut  ce  désarroi, 
cette  débâcle.  Hélas  !  il  la  connaît  encore. 

Les  gouvernants,  les  publicistes,  les  écono- 
mistes, étudiant  en  idéalistes  les  conséquences 
d'une  guerre  moderne,  en  étaient  arrivés  à  se 
bercer  de  douces  espérances.  Les  peuples  en 
marche  vers  le  progrès,  ne  pouvaient  revenir  à  la 
nuit  du  moyen  âge. 

On  s'endormit  donc  «  sur  le  mastic  »,  pour  em- 
ployer une  expression  populaire;  la  législation 
de»  Chemins  de  fer  resta  ce  qu'elle  était;  la  con- 
cession du  monopole  fut  renouvelée;  les  cahiers^ 
des  charges  furent  peu,  ou  ne  furent  point  mo- 
difiés. Les  projets  de  construction  des  voies  stra- 
tégiques, rayonnant  sur  tout  le  territoire,  restè- 
rent relégués  dans  la  nuit  des  temps  à  venir,  et  le 
cataclysme  nous  surprit  avec  un  réseau  de  voies 
ferrées  à  peine  suffisant  pour  le  commerce  et  l'in- 
dustrie du  temps  de  paix. 

Ignorant  ou  feignant  d'ignorer  le  mérite  du 
monde  commercial,  les  dirigeants  refusèrent  tout 
crédit  aux  aptitudes  de  ses  représentants  les  plus 
autorisés;  un  beau  jour,  nous  n'eûmes  plus,  pour 
parer  à  nos  besoins,  que  l'importation,  parce  que 
la  production  nationale  paraissait  à  son  apogée. 
Alors,  pourquoi  eût-on  établi  des  voies  ferrées  et 
des  voies  de  navigation  supplémentaires?  On  resta 
sourd  aux  doléances  du  commerce  :  quadruple- 
ment  des  voies,   augmentation   du  matériel  rou- 


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LES   FANTAISIES   ADMINISTRATIVES 


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lant,  réfection  des  tarifs,  amélioration  des  routes 
de  navigation. 

^  Le  décret  de  mobilisation  nous  trouva  donc 
insuffisamment  armés  pour  les  transports;  du 
premier  jour,  tout  fut  arrêté.  Les  réseaux,  en- 
combrés par  les  convois  de  troupes  et  de  matériel, 
ne  purent  continuer  concurremment  le  transport 
des  marchandises  pour  la  population  civile. 

Les  arrêtés  des  3  août  et  l^""  septembre  1914 
achevèrent  de  jeter  le  désarroi,  en  établissant  la 
non-garantie  des  délais  de  transport,  et  une  non-res- 
ponsabilité relative  des  Compagnies  de  Chemins 
de  fer,  pour  avarie  ou  perte  en  cours  de  route.  La 
prime  au  vol  était  constituée.  Les  envois  de  mar- 
chandises furent  suspendus.  Le  commerce  n'osa 

^plus  expédier  ou  demander  à  recevoir. 

La  ruine  était  commencée.  Elle  se  consomme 
)eu  à  peu.  L'initiative  individuelle  l'arrêtera-t-elle 
ongtemps  encore?  Car  elle  se  produisit  partout  à 
la  fois,  cette  initiative  :  ceux  qui  le  purent,  pas- 
sèrent des  contrats  avec  des  maîtres  bateliers, 
comme  la  Ruche  Méridionale  d'Agen;  on  acheta 
des  camions  automobiles,  ainsi  que  le  firent  les 
Docks  Lyonnais  et  tant  d'autres;  on  établit  des 
services  d'expédition  par  chevaux,  jusqu'à  40  kilo- 
mètres de  la  Maison-Mère,  pour,  de  là,  réexpédier 
les  denrées  parchemin  de  fer  à  voie  étroite,  afin 
de  les  reprendre  plus  loin  par  un  service  de  rou- 
lage, comme  les  Docks  de  l'Ouest;  on  créa  à  Mar- 
seille des  centres  d'achats  ;  on  y  établit  des  entre- 
)ôts  où  les  marchandises  se  centralisaient,  et, 
orsque  le  tonnage  reçu  s'affirmait  suffisant,  on 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LES   FANTAISIES   ADMINISTRATIVES 


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frétait  un  chaland  qui  apportait  jusqu'à  un  point 
donné  :  soit  Givors,  soit  Lyon,  les  denrées  les 
plus  indispensables,  ainsi  que  firent  les  Magasins 
du  Casino. 

Qu'on  juge  par  là  quelle  eût  été  la  situation  du 
pays  si,  pour  le  ravitailler,  il  n'eût  eu  que  les 
petits  commerçants  ou  les  Coopératives. 

C'est  aux  Entreprises  Modernes  en  particulier 
que  devraient  s'adresser  les  récentes  paroles  du 
président  du  Tribunal  de  Commerce  de  Marseille  : 

«  Qu'il  me  soit  permis  de  protester  contre  les 
attaques  dont  le  commerce  a  été  l'objet  récem- 
ment à  la  tribune  du  Parlement.  On  a  dit  qu'il 
n'y  avait  plus  de  bornes  à  la  hausse,  plus  de  mo- 
ralité commerciale.  Notre  fierté  de  marchands  se 
révolte  contre  une  telle  assertion.  Quel  rapport  y  ' 
a-t-il  entre  la  hausse  et  la  moralité  du  commerce? 
C'est  la  crise  des  transports  qui  a  la  plus  grande 
part  de  responsabilité  dans  les  hausses  actuelles. 
Avant  la  guerre,  grâce  à  la  facilité  des  communi- 
cations, il  n'y  avait  que  quelques  grands  marchés 
dont  les  cours  s^ippliquaient,  avec  une  simple  ^ 
mise  au  point,  à  toutes  les  places.  Si,  par  exemple, 
le  cuivre  valait  cent  livres  sterling  la  tonne  à 
Londres,  il  valait,  au  Havre,  la  parité  de  cent 
livres  sterling.  Son  prix  était  facilement  calculé, 
en  transformant  la  livre  en  francs,  à  un  change 
presque  invariable,  la  tonne  anglaise,  en  tonne 
métrique,  et  en  ajoutant  les  frais  de  transport, 
d'assurance  et  de  débarquement.  Mais,  dans  cette 
période  d'après-guerre,  il  n'en  est  plus  ainsi.  On 
ne  constate  plus  ce  fait,  analogue  au  phénomène 


des  vases  communicants,  qui  permettait  à  l'équi- 
libre de  s'établir  instantanément  entre  les  divers 
marchés  d'un  même  produit.  Chaque  marché  est 
aujourd'hui  isolé,  faute  de  moyens  de  transports. 
Une  marchandise,  abondante  sur  une  place,  peut 
être  rare  à  quelques  centaines  de  kilomètres  de  là 
sur  une  autre  place.  Là,  elle  bénéficiera  d'une 
)rime  très  élevée,  tout  simplement  en  vertu  de 
'inflexible  loi  de  l'offre  et  de  la  demande-  Certes, 
il  s'est  produit  des  faits  répréhensibles,  faits  qu'il 
faut,  non  seulement  réprouver,  mais  encore  ré- 
primer avec  vigueur,  et  qui  avaient  pour  but  de 
fausser  le  libre  jeu  des  lois  économiques.  Mais, 
négociants,  d'où  venaient  ces  marchandises  qui 
vous  étaient  ofl'ertes  avec  des  majorations  que  vous 
étiez  obligés  de  subir  et  que  vous  ne  réclamiez  pas 
toujours  à  votre  clientèle?  Par  quelles  mains 
étaient-elles  passées?  Ne  trouviez-vous  pas,  dans 
ces  affaires,  des  gens  n'exerçant  aucun  commerce 
défini,  et  qui  n'étaient  spécialisés  dans  aucune 
branche,  intéressés  aujourd'hui  à  tel  produit  et 
demain  à  tel  autre;  hommes  d'affaires  occasionnels 
apparus  un  jour  en  pleine  guerre,  venus  on  ne 
sait  d'où,  ne  payant  souvent  aucune  patente  et 
pas  toujours  un  loyer.  Non,  il  n'est  pas  juste 
d'assimiler  ces  gens-là  à  des  commerçants  régu- 
liers; leur  mentalité  n'a  rien  à  voir  avec  la  moralité 

commerciale.  » 

Que  la  moralité  commerciale  persiste  dans  le 
déséquilibre  économique,  voilà  bien  le  fait  le  plus 
merveilleux! 

Déséquilibre  entre  les  disponibilités  et  les  be- 


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LES  ENTREPRISES  MODERNES 


soins!  Déséquilibre  paralysant  les  production^  de 
l'industrie  !  Déséquilibre  des  échanges  interna- 
tionaux !  Non  !  le  commerce  organisé  n'y  est  pour 
rien.  Avec  beaucoup  plus  de  raisons  que  Ponce- 
Pilate,  il  peut  se  laver  les  mains. 

Du  Nord  au  Midi,  de  TEst  à  l'Ouest,  les  mécon- 
tentements s'accentuent;  la  rumeur  nous  en  arrive 
comme  un  grondement  d'orage  lointain.  Il  ne 
faut  pas  que  cet  orage  éclate  tout  à  coup  sur  nos 
têtes.  Pour  l'écarter,  il  faut  trouver  des  solutions 
rapides  et  efficaces.  Nous  qui  sommes  en  contact 
continuel  avec  le  public,  nous  vous  affirmons  que 
l'on  ne  saurait  aller  trop  vite.  Si  l'on  dort  quand 
l'éclair  se  prépare,  on  ne  dort  plus  lorsque  le  vol- 
can, en  pleine  éructation,  vomit  la  panique,  la 
destruction,  la  mort... 

Pouvoirs  publics,  écoutez-moi,  je  vous  en  con- 
jure : 

Deux  éléments  d'inégale  importance,  mais  inté- 
ressants tous  les  deux,  sont  en  présence  :  d'un 
côté,  des  millions  de  producteurs  et  de  répartiteurs 
qui  réclament  la  liberté  complète  des  transactions- 
et  le  retour  immédiat,  ou  presque,  au  régime 
d'avant-guerre;  de  l'autre  côté,  des  millions  de 
consommateurs  qui  demandent  à  se  procurer,  à 
des  prix  abordables,  les  denrées  et  produits  de 
première  nécessité  pour  l'alimentation  familiale. 
On  a  appris  —  oui,  on  a  appris  — à  ces  éléments, 
à  se  regarder  en  ennemis,  et  c'est  là  qu'est  la 
faute;  on  a  tenté  de  leur  faire  croire  à  l'opposi- 
tion de  leurs  intérêts  respectifs.  Leurs  intérêts 
respectifs  ne   sont  opposés  qu'en  apparence;  un 


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LES   FANTAISIES   ADMINISTRATIVES 


201 


peu  de  réflexion  montrerait  aisément  qu'en  vérité, 
ils  ne  le  sont  pas  du  tout.  Les  hommes  avertis  que 
vous  êtes,  sont  convaincus  de  ce  que,  tout  ce  qui 
fut  l'harmonie  dans  les  années  paisibles,  ne  peut 
devenir  le  chaos  informe,  hideux  et  redoutable,  à  la 
faveur  de  la  Victoire. 

Ce  sont,  malheureusement,  certains  organes 
des  Pouvoirs  publics,  impuissants  à  trouver  des 
solutions  adéquates  à  notre  exceptionnelle  situa- 
tion, qui  ont  commis  la  déplorable  erreur  de 
laisser  s'implanter,  dans  l'esprit  des  simples,  l'idée 
que  tout  le  mal  vient  des  producteurs  et  des 
répartiteurs.  Mais,  dit  avec  raison  le  proverbe  : 
«  Qui  sème  le  vent,  récolte  la  tempête.  »  A  aucun 
moment,  on  n'a  paru  se  rendre  compte  du  danger 
qu'il  y  avait  à  exciter,  par  des  accusations  aussi 
irréfléchies  qu'elles  sont  injustes,  une  partie  de 
la  population  contre  l'autre  partie;  à  dresser  des 
Français,  éprouvés  d'une  façon,  contre  des  Fran- 
çais, éprouvés  d'une  autre  façon.  La  généralisation 
a  jeté,  sur  le  commerce  tout  entier,  et  sans  aucune 
exception,  la  suspicion  la  plus  imméritée,  la  plus 
déloyale,  la  plus  susceptible  d'entraîner  de  mul- 
tiples et  graves  excès  à  son  égard.  Il  est  urgent 
de  réagir.  Peut-être  n'est-il  pas  trop  tard. 

Le  temps  a  permis  de  discerner  les  gens  hon- 
nêtes de  ceux  qui  ne  le  sont  pas.  Laissons  la  sé- 
lection s'opérer  toute  seule. 

Ce  sera  le  triomphe  des  Entreprises  Modernes 
du  grand  commerce  de  détail,  —  celles  de  l'ali- 
mentation tout  particulièrement. 


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LA   VÎE  CHERE  COMBATTUE 


203 


XIV 


Les  Entreprises  Modernes  ont  combattu  la  vie  chère. 


La  plus  grande  de  toutes  les  préoccupations 
des  Entreprises  Modernes  de  TAlimentation  a  tou- 
jours été  d'enrayer,  autant  qu'il  était  en  leur  pou- 
voir, la  hausse  des  prix. 

Fin  août  1914,  il  ne  restait  plus  rien  dans  les 
stocks  d'approvisionnement.  Le  public  avait  été 
affolé  ;  il  s'était  muni  ;  la  pénurie  des  denrées  s'en- 
suivait. Le  petit  commerçant,  bien  souvent,  a  pro- 
fité de  cette  pénurie  pour  vendre  plus  cher.  On 
l'a  vu. 

Mais  combien  était  tentante^  pour  le  com- 
merce, la  situation  créée  par  la  guerre!...  Gomme 
on  comprend  bien  que  certains  l'aient  exploitée! 
Pour  résister  à  la  tentation,  il  fallait  une  âme  de 
héros.  Les  âmes  de  héros  se  rencontrent  aisément 
chez  les  disciples  du  dieu  Mars;  ils  se  trouvetit 
moins  facilement  parmi  ceux  de  Mercure  ! 

La  mobilisation,  la  panique,  la  guerre,  Toccu- 


V 


>ation  des  villages  et  des  villes  du  Nord  et  de 
'  'Est  par  nos  troupes,  puis  la  fuite  éperdue  des 
populations  terrorisées,  affolées  par  le  grand 
souffle  de  l'invasion!...  Les  clients  ne  regardaient 
3as  aux  prix.  Dans  le  Centre,  dans  le  Midi,  à  l'Ouest, 
es  réfugiés  affluaient;  ils  devaient  vivre;  c'était 
un  surcroît  de  consommation  grossissant  déme- 
surément la  demande.  Gomment  ne  pas  hausser 
fantastiquement  les  prix  à  la  faveur  des  circons- 
tances?... Gomment  ne  pas  faire  payer  cent  sous 
la  mauvaise  bouteille  de  vin,  coiffée  de  rouge  de- 
puis la  veille?  Gomment  laisser  le  bifteck  abor- 
dable et  ne  point  livrer,  pour  cinquante  centimes, 
le  cornet  de  frites  qui  valait  deux  sous? 

Les  Maisons  à  Succursales  n'ont  pas  élevé  leurs 
prix  jusqu'au  moment  du  réapprovisionnement, 
époque  à  laquelle  elles  ont  dû  elles-mêmes  subir 
la  hausse  des  fournisseurs  ;  la  cause  initiale  des 
services  rendus  par  ellej?  réside  tout  entière  en 
ceci  :  l'interdiction  absolue  de  vendre,  à  des  prix 
supérieurs  à  ceux  fixés,  les  marchandises  que  les 
gérants  possédaient  en  magasin,  alors  que  le  bou- 
tiquier tirait  le  meilleur  parti  des  siennes.  L'obéis- 
sance des  gérants  aux  ordres  de  leur  adminis- 
tration, était  garantie  par  les  clauses  mêmes  du 
contrat,  qui  les  exposaient  au  renvoi  immédiat  et 
au  paiement  des  dommages-intérêts. 

Il  n'en  est  pas  une  qui  n'ait  fait  paraître,  dans 
tous  les  journaux  de  province,  des  annonces  dans 
le  genre  de  celle-ci,  tirée  du  Progrès  de  Lyon^  du 
2  août  1914  : 


%   « 


204 


LES    ENTREPRISES  MODERNES 


SOCIÉTÉ 

Économique    d'Alimentation 

ir    CHEMIN    DE    LA    MOTTE,    LYON  ZZ 


DANS  TOUTES  SES  SUCCURSALES 
ucune     Augraentation 


de 


rix 


NE  SERA    FAITE  JUSQU'A   ÉPUISEMENT    COMPLET 

DES  STOCKS 


Il  n'était  rien  de  meilleur,  il  faut  en  convenir, 
pour  empêcher  la  dépression  de  la  clientèle  ou  son 
affolement. 

Plus  tard,  d'autres  annonces  suivirent,  lorsque 
chaque  jour  voyait  une  hausse  nouvelle  ;  les  prix 
étaient  indiqués  pour  une  période  de  huit  jours 
au  moins,  pendant  laquelle,  sans  hâte,  chacun 
pouvait  s'approvisionner.  Les  articles  en  baisse 
étaient  signalés;  la  baisse,  annoncée  par  la  voie 
de  la  presse,  devait  être  appliquée  immédiatement. 
Tous  les  mois,  les  Magasins  du  Casino,  de  Saint- 
Etienne,  publiaient  le  Casino- Journal ,  tiré  à 
120.000  exemplaires,  et  donnant  la  liste  des  mar- 
chandises existantes,  ainsi  que  de  leurs  prix  cou- 
rants. En  outre,  depuis  décembre  1915,  les  jour- 
naux suivants:  La  Loire  républicaine,  la  Tribune, 
le  Mémorial  de  la  Loire,  le  Progrès  de  l'Allier, 
r  Avenir  du  Puy-de-Dôme,  le  Moniteur  du  Puy-de- 


^', 


> 


LA  VIE   CHÈRE   COMBATTUE 


205 


Dôme,  la  Haute-Loire,  l'Avenir  de  la  Haute-Loire, 
l'Union  républicaine,  le  Journal  de  Roanne,  les 
^  Annales  foréziennes,  l'Express  de  Lyon,  l'Avenir 
'  de  la  Loire,  la  Croix  de  la  Loire,  la  Dépêche, 
le  Petit  Dauphinois,  la  Dépêche  Dauphinoise, 
publient  hebdomadairement  les  prix  pratiqués,  de 
manière  à  ce  que  le  public  soit  bien  informé  du 
prix  qu'il  est  en  droit  d'exiger  dans  les  Succur- 
sales. En  consultant  l'annonce  ci-contre  repro- 
duite, il  est  aisé  de  constater  que  les  prix  indiqués 
étaient,  à  l'époque  mentionnée,  inférieurs  à  ceux 
en  usage  dans  les  localités  dépourvues  de  Succur- 
sales, c'est-à-dire  de  concurrence  sérieuse. 

Qui  donc  oserait  nier  les  avantages  que  ces  an- 
nonces présentent  pour  le  public,  dans  les  jours 
'  troubles  où  les  hausses  se  succèdent  parfois  sans 
rime  ni  raison?...  N'est-il  pas  agréable  de  savoir 
que,  jusqu'à  une  date  parfaitement  détermmée  et 
assez  lointaine,  on  ne  paiera  plus  aussi  cher  ni  le 
vin,  ni  les  légumes,  ni  les  autres  aliments?...  De 
plus,  lorsque  l'épicier  du  coin  rêve  de  vendre  son 
vin  d'eux  sous  de  plus  par  litre,  et  les  autres  choses 
dix  centimes  de  plus  au  kilogramme,  quelle  tête 
ne  fait-il  pas  en  lisant  ces  textes,  modérateurs  de 
ses  élans  mercantiles?...  N'est-ce  pas  ce  qu'on  ap- 
pelle le  bâton  dans  les  roues?  Et  voilà  comment 
les  sautes  brusques  des  cours,  momentanément, 
se  trouvent  enrayées. 

Ces  habitudes  des  Maisons  sérieuses  ont  per- 
sisté durant  toute  la  guerre  et  jusqu'à  ce  jour. 
Elles  persisteront  indéfiniment,  heureusement. 
Nous  avons  donné,  dans  la  Guerre,  le  Commerce 


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LA   VIE   CHEHE   COMBATTUE 


207 


français  et  les  Consommateurs  j  de  nombreux 
tableaux  relevés  au  cours  des  deux  premières 
années  de  guerre,  dans  les  localités  comprises  en 
plusieurs  départements,  à  des  moments  divers; 
ces  tableaux  ont  donné  une  idée  des  prix  pratiqués 
aux  époques  variées  de  notre  enquête,  dans  les 
succursales  et  chez  le  petit  commerce  de  détail. 
Nous  y  renvoyons  le  lecteur,  tout  en  ajoutant  ici 
un  complément  indispensable. 

Prix  pratiqués  à  Sainl -Julien  {Puy-de-Dôme], 
à  la  date  du  8  janvier  1916. 


Sucre le  kilog. 

Pétrole le  litre. 

Essence  minérale...  le  litre. 

Café 125  gr. 

Riz  pour  la  volaille,  le  kilog. 
Macaroni 500  gr. 


Prix  pratiqués  à  Ludesse,  par  Champeix, 
à  la  date  du  2â  janvier  4916, 


piciers. 

Succursales. 

1  40 

1  30 

0  60 

0  55 

0  80 

0  75 

0  75 

0  60 

0  45 

0  50 

0  50. 

0  40  à  0  45 

Sucre  .    . .  le  kilog. 

Pétrole le  litre. 

Essence  minérale.      le  litre. 
Chicorée    ...   le  paq.  100  gr. 

Café 125  gr. 

Riz  pour  la  volaille. .  500  gr. 
Riz  glacé ,    .  .  500  gr. 

Macaroni,  vermicelle,  500  gr. 


Épiciers.  Succursales. 

1  60  1  30 

0  70  0  55 

0  80  0  75 

0  30  0  20 

0  75  0  00 

0  45  le  k.  0  25 

0  50  le  k.  0  35 

j  le  k.  0  40 
^paq.0  55à0  60 


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208 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LA  VIE   CHERE   COMBATTUE 


209 


Prix  pratiqués  à  Le  Broc,  par  Issoire, 

à  la  date  du  2^  févner  4946. 

Épiciers.  Succursales. 

Sucre le  kilog.  i  50  1  30     ' 

^^^^o\e le  litre.  0  65  0  55 

Essence  minérale  . .   le  litre.  0  80  0  75 

Vin,  qualité  ordinaire,  le  lit.  0  90  0  85 

Chicorée le  paq.  0  30  0  20 

^^^^y'\ 125gr.  0  80  0  60 

^^z  glace 500  gr.  0  50  0  35 

Macaroni,  vermicelle.  500  gr.  0  60  à  0  70  1^'^^^  0  40  à  0  45 

Savon                            ]     1.-I  '^  (paq.  0  55  à  0  60 

f ^^^^ le  kilog.  1  60  1  30 

Lessive le  kilog.  0  50  0  35 

Bleu  Guimet la  boule.  0  05  0  05 

Chocolat  Menier 500  gr.  2     »  1  90 

Petits  beurres  LU...  500gr.  1  50  1  40 

Prix  pratiqués  à  Saint-Just,  près  Brioude, 
à  la  date  du  25  septembre  4946. 

Épiciers.  Succursales. 

Sucre le  kilog.  i  50  i  40 

Pétrole le  litre.  0  60  0  55 

^^^é 125  gr.  0  75  0  60  à  0  70 

I^iz  glacé 500  gr.  0  45  0  425 

Macaroni 500  gr.  0  50  0  40 

Vermicelle 500  gr.  0  50  0  40 

Savon le  kilog.  0  85  0  80 

Extrait  de  Javel ....  le  litre.  0  80  0  40 

Alcali le  litre.  0  45  0  40 

Lessive le  kilog.  0  45  0  25  et  0  35 

Amidon 500  gr.  0  45  0  425 

Bleu  Guimet 500  gr.  1  05  0  95 

Petits  haricots... ,.   le  kilog.  0  90  0  80 

Pois  cassés le  kilog.  1     »  .0  90 


Pois  ronds le  kilog. 

Thon la  boite  1/8 

Petits  pois la  boîte  1  kg. 

Tapioca le  paq.  250  gr. 

Chocolat  Menier 500  gr. 

Petits  beurres  LU  . .  500  gr. 
Gaufrettes  Palmers. .  500  gr. 
Bonbons  anglais. , .  le  kilog. 


Prix  pratiqués  à  Sembadel  [Haute-Loire), 
à  la  date  du  25  septembre  4949. 


piciers. 

Succursales. 

0  90 

0  80 

0  65 

0  55 

2  50 

j    0  80,  0  90 
\    i     »,  1  10 

0  80 

0  35  et  0  50 

2     » 

1  80 

1  45 

1  40 

2  80 

2  60 

1  80 

0  80 

Sucre 

Pétrole 

-►Alcool  à  brûler 

Chicorée 

Café 

Biz  glacé. 500  gr. 

Macaroni 

'  t/i  iiiiC'eiie.  «..••...••..«.•• 

Extrait  de  Javel ....  le  l'tre. 

Lessive  , le  kilog. 

L  Amidon 500  gr. 

p  Petits  haricots le  kilog. 

Thon 

Petits  pois boîte  500  gr. 

Tapioca ...   250  gr. 

Chocolat  Menier 500  gr. 

Bonbons  anglais. . .  le  kilog. 


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Epiciers. 

1  45 

0  55 

2  90 
0  60 
0  70 
0  40 
0  60 
0  60 
0  60 
0  55 

0  45 

1  10 

0  80  et  1     » 
0  75 
0  50 

2  20 
2  80 


Succursales. 

1  40 
0  55 
3  » 
0  50 
0  60  et  0  70 
0  425 
0  40 
0  40 
0  50 
0  40 

0  70 

1  10 

0  70  et  0  80 
0  85 
0  50 

2  20 
2  40 


On  peut  affirmer,  d'une  façon  générale,  que  les 
Entreprises  Modernes  du  commerce  de  Talimen- 
tation  vendaient  moins  cher  que  les  petits  com- 
merçants, pour  les  raisons  suivantes  : 

14 


II 


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210 


LES  ENTREPRISES    MODERNES 


Les  petits  commerçants,  dont  les  marchés  à 
livrer  étaient,  au  maximum,  à  90  jours,  ont  été 
vite  arrêtés,  dès  le  début,  en  raison  de  leur  peu  de 
réserve  et  du  peu  de  capitaux  engagés,  propor- 
tionnels à  leur  chiffre  d'affaires. 

La  majorité  des  marchés  des  Entreprises  Mo- 
dernes étant  conclue  ferme  au  début  de  Tan,  à 
livrer  en  cours  de  Tannée,  la  mobilisation  a  troUvé 
les  entrepôts  garnis  de  marchandises. 

Elles  ont  imposé  une  restriction  relative  à  la 
consommation,  par  une  juste  répartition  des  pro- 
duits alimentaires  dans  les  Succursales,  confor- 
mément aux  besoins  de  la  population  non  mobi- 
lisée. L'approvisionnement  en  denrées  de  première 
nécessité,    dans    toutes  les  Maisons ,   s'est   ainsi  ^ 

maintenu. 

Leurs  prix  de  vente  ont  été  inférieurs  à  ceux 
des  autres  commerçants,  dont  les  réserves,  vite 
épuisées,  les  ont  forcés  àsubirlaugmentation  im- 
posée par  les  fournisseurs  sur  les  marchés  conclus 
après  la  mobilisation. 

La  disponibilité  des  capitaux  a  permis  aux  En-  ^^ 
treprises  Modernes,   au  cours   des  hostilités,   de 
payer  d'avance  de  grandes  quantités  de  denrées, 
telles  que   huiles,    cafés,  pâtes  aUmentaires,  con- 
serves, etc.,  etc. 

Il  n'y  a  eu,  dans  les  délais  d'approvisionnement, 
que  le  retard  dû  aux  transports.  Les  hausses  sub- 
séquentes ne  pouvaient  atteindre  les  intéressés. 

La  majorité  des  commerçants,  au  contraire,  a 
dû  régler  ses  commandes  sur  la  rentrée  des  ca- 
pitaux, au  fur  et  à  mesure  de  la  vente.  Elle  restait 


LA   VIE   CHÈRE    COMBATTUE 


211 


souvent  sans  marchandises,  entre  la  commande 
et  l'arrivée  de  celles-ci.  Une  fluctuation  de  hausse 
t  venait-elle  à  se  produire,  la  répercussion  se  faisait 
immédiatement  ressentir  chez  ces  commerçants, 
dont  les  prix  montaient  d'une  semaine  à  l'autre.  ' 
Dans  la  crise  que  nous  venons  de  traverser,  lés 
Sociétés  d'alimentation  ont  été  les  pondératrices 
entre  les  prix  de  vente  d'avant-guerre  et  ceux  en- 
gendrés par  la  guerre,  et  dont  la  hausse  était  tou- 
jours croissante. 

Une  détente,  cependant,  se  produisit  eh  faveur 
des  petits  commerçants.  Elle  dura  peu.  Ceux-ci, 
en  elîet,  en  raison  d'un  moins  grand  débit,  avaient 
encore   en   magasin    des    produits    achetés    aux 
^  mêmes  cours  que  ceux  de  leurs  concurrents  qui 
avaient  épuisé  assez  promptement  les  leurs.  Ceux- 
ci,  à  un  moment  donné,  avaient  remplacé  tout  â 
des  cours  supérieurs.  Cette  situation  se  maintint 
à  peine  quelques  jours.    L'équilibre    fut  vite  ré- 
tabli. Les  marchandises  en  question  furent  bientôt 
écoulées  et  les  petits  commerçants  ne  les  renou- 
^   vêlèrent  qu'à   des  conditions  onéreuses,  qui  ne 
leur  permirent  pas  de  vendre  aux  prix  minima  des 
tarifs  des  Entreprises  Modernes. 

Oui,  mais,  dira-t-on,  la  situation,  en  ce  qui 
concerne  les  Coopératives,  du  moins,  affirma  la 
supériorité  de  celles-ci  sur  les  Entreprises  Mo- 
dernes. Quelle  erreur!  si  l'on  tient  compte  des 
avantages,  parfois  scandaleux,  dont  les  Coopé- 
ratives furent  dotées,  dans  un  esprit  démago- 
gique qu'on  ne  saurait  assez  blâmer. 
11  est  permis  d'affirmer  que  les  prix  des  Entre- 


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212 


LES   ENTKEPRISES   MODERNES 


LA  VIE   CHERE   COMBATTUE 


213 


prises  Modernes  furent,  au  contraire,  —  et  en 
dépit  de  la  défaveur  gouvernementale  ou  préfecto- 
rale dont  elles  furent  si  injustement  entourées,  — 
sensiblement  les  mêmes  que  ceux  des  Coopéra- 
tives. D'une  façon  générale,  la  hausse  n'était  que 
de  5  p  100-,  pour  de  nombreux  produits,  il  y 
avait  égalité;  pour  d'autres,  on  pouvait  relever 
une  infériorité  des  prix.  .      ,    , 

A  cela  rien  d'étonnant.  Les  frais  généraux  des 
Coopératives,  qui  auraient  dû  être  les  mêmes  que 
ceux  des  Entreprises  Modernes,  étaient  exonères 
d'impôts  et  de  taxes  diverses,  qui  frappent  cruel- 
lement leurs  concurrentes.  Cela  abaissait  d'autant 
la  valeur  des  marchandises. 

Les  Coopératives,  en  outre,  jouissaient  d  un 
régime  particulier  pour  les  approvisionnements  > 
et  les  transports.  De  préférence  au  commerce,  le 
Ministère  du  Ravitaillement  leur  livrait  toutes  les 
denrées  à  des  prix  inférieurs  aux  cours;  elles 
avaient  la  priorité  «  sur  tout  et  sur  tous  »  ;  le  mot 
d'ordre,  en  haut  lieu,  était  :  «  Tout  pour  la  Coopé  »  ;  ) 

rien  au  commerce.  , 

Les  Coopératives,  cependant,  ne  pouvaient  ré- 
pondre aux  moyens  de  lutter  contre  la  vie  chère. 
Que  les  transports  et  la  hberté  du  commerce  re- 
viennent dans  la  situation  d'avant-guerre,  et  les 
Sociétés  d'alimentation  reprendront  vite  l'avan- 
tage. Un  fait  le  démontrera. 

«  L'Intendance,  à  Agen,  possédait  un  siock  de 
pommes  de  terre.  La  Préfecture  fit  appel  aux  épi- 
ciers et  aux  Coopératives  pour  liquider  cette  mar- 
chandise. Les  besoins  de  la  clientèle  ne  permet- 


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I 


talent  pas  à  ces  auxiliaires  de  prendre  de  grandes 
quantités  à  la  fois.  L'Intendance  refusa  la  livrai- 
son paY  100  ou  200  kilos,  vu  la  perte  résultant 
de  chaque  pesée.  La  Ruche  Méridionale,  alors, 
intervint.  Elle  prit  livraison  par  o.OOO  kilos.  En 
48  heures,  20  Succursales  vendirent  ces  5. 000  kgs, 
aoprovisionnant  ainsi  la  ville  d'Agen  de  pommes 
de  terre,  à  raison  de  0,30  le  kilo.  » 

Ce  dernier  prix  se  passe  de  commentaires. 

Voici  un  tableau  comparatif  des  prix  pratiqués 
à  Nanies,  dans  les  Maisons  à  Succursales,  chez 
les  épiciers  détaillants  et  les  Coopératives.  Ils  ont 
été  relevés  en  mars  1919. 


Maisons 

Coopératives 

à 

Concurrence 

delà 

Succursales. 

épiciers. 

Loire-Inférieure 

1  80 

2     » 

» 

1  50 

1  55 

1  55 

0  40 

0  50  et  0  60 

0  60 

0  50 

0  60  et  0  70 

0  60 

0  30 

0  40  et  0  45 

0  35 

5     » 

5  80  et  5  90 

5  40 

0  40 

0  50  et  0  60 

» 

0  35 

0  40 

» 

0  65 

0  85  et  0  90 

» 

6  20 

6  50 

6  40 

1     » 

» 

1  25 

0  45 

) 

0  50 

Riz le  kilog. 

Tapioca le  paquet 

Eau  de  Javel le  litre. 

Lessive le  paquet. 

Sel  gros le  kilog. 

Morue .......   le  kilog. 

Harengs la  pièce. 

Cristaux le  kilog. 

Pétrole le  litre. 

Huile  d'olives.. .  le  kilog. 

Vinaigre le  litre. 

Pommes  de  terre,  le  kilog. 


Les  conserves  Amieux,  comprenant  plats  cui- 
sinés, conserves  de  poissons,  étaient  vendues, 
dans  les  Entreprises  Modernes,  10  p.  100  meilleur 
marché    que    dans    les   Coopératives.    Tous   les 


s 


■H 


214 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


LA   VIE   CHERE   COMBATTUE 


215 


articles  :  lingerie,  confection,  bonneterie,  chaus- 
sures, étaient  aussi  moins  chersi. 

Une  enquête  à  la  Roche-sur-Yon  donnait  les 
différences  de  prix  suivantes  : 


Maisons 

Concurrence 

à  Succursales. 

épiciers. 

4  40 

4  75  et  4  95 

0  35 

0  50 

0  40 

0  50  et  0  55 

0  65 

0  80 

i  25 

1  50 

0  40 

1     »  et  d  30 

6  20 

7  60  et  9    » 

5     » 

5  80  et  6    ^ 

1  80 

2     » 

4  05 

4  80  et  5    » 

0  30 

0  50 

1  50 

1  55  et  1  75 

0  50 

0  75  et  0  80 

0  40 

0  50 

i     » 

1  25  et  i  50 

Bougie le  paquet. 

Cristaiix le  kilog. 

Chicorée le  paq.  100  gr. 

Pétrole ....   le  litre. 

Essence.. le  litre. 

Eau  de  Javel le  litre. 

Huile  d'olives le  kilog. 

Morue le  kilog. 

Riz le  kilog. 

Savon le  kilog. 

Sel  gros .le  kilog. 

Tapioca le  paq.  250  gr. 

Lessive le  paquet. 

Harengs la  pièce. 

Vinaigre le  litre. 


Il  n'y  eut  guère  qu'une  ville  où  ceux  que  Ton 
appelle  les  Pouvoirs  publics,  fort  intelligemment, 
je  l'avoue,  associèrent  une  Entreprise  Moderne 
aux  Coopératives.  C'est  à  Limoges,  dont  la  muni- 
cipalité est  collectiviste.  Elle  sut  ainsi  rendre  \\n 
éclatant  hommage  au  capitalisme  qui  a  du  cœur. 
L'Administration  municipale —  et  M.  Betoullelui- 
lï^ême  —  témoigne  que  l'Alimentation  du  Centre 
a  servi  de  régulateur  des  prix  et  qu'elle  fut  tou- 
jours prête  à  multiplier  ses  efforts,  parallèlement  à 
elle.   D'un   autre  côté,  l'Alimentation  du  Centre 


i 


i 


constate  que  c'est  grâce  aux  efforts  de  la  munici- 
palité, qu'elle  doit  d'avoir  pu  maintenir  des  prix 
raisonnables.  Naturellement,  les  efforts  du  Préfet 
s'ajoutèrent  aux  efforts  des  deux  éléments  pré- 
cités. L'action  engendre  l'action,  si  l'union  fait 
la  force.  Voilà  pourquoi,  pour  les  vins  notamment, 
et  malgré  les  difficultés  résultant  delà  réquisition 
de  ses  wagons-réservoirs,  les  prix  de  l'Alimen- 
tation du  Centre  n'ont  jamais  dépassé  1  fr.60  le 
litre,  pour  des  vins  titrant  une  moyenne  de  9  à 
iO  degrés;  les  mêmes  vins  se  vendaient  ailleurs 
2  francs,  2fr.25  et  2  fr.SOle  litre.  Ce  sont  les  faci- 
lités de  transports,  dues  à  l'influence  du  Député- 
Maire  de  Limoges,  dont  la  sollicitude  pour  ses  ad- 
ministrés ne  s'est  pas  démentie  pendant  toute  la 
durée  de  la  guerre,  qui  eurent  pour  conséquence 
de  tels  résultats. 

Il  nous  a  paru  intéressant  de  relever  les  prix 
d'ensemble  pratiqués  au  cours  des  années  1914-, 
1918  ei  1919,  dans  une  Société  d'Alimentation  de 
l'Est,  les  Docks  Saint-Georges,  à  Nancy  : 


19!4 


1918 


19iQ 


Vin  rouge. .......     le  litre. 

Vin  blanc le  litre. 

Huile  de  table.  .  le  kilog. 
Savon  de  Marseille  72  %,  kg. 
Pâtes  {  en  vrac,  le  kg. 
alimentairesf  en  paq.,  le  kg. 
Saindoux  pur  porc,  le  kilog. 
Graisse  végétale    . .   le  kilog. 

Riz  glacé le  kilog. 

Riz  ordinaire le  kilog. 


0  50 

i  80 

1  50 

0  60 

2  10 

4  90 

1  20 

6  50 

5     » 

0  70 

3  60 

3  20 

0  80 

2     » 

1  70 

i  *o 

2  60 

2  60 

2  40 

8  20 

4  90 

1  85 

5  50 

5     » 

1     y> 

3     » 

i  30 

0  80 

2  20 

i  20 

■  m.  il 


1 


216  LES    ENTREPRISES    MODERNES 

1914  1918  1919 

Haricots  blancs....  le  kilog.  0  80  2  20  1  30 

Lentilles le  kilog.  0  80  2  80  1  20 

Chicorée le  kilog.  0  60  5  60  3  » 

Chocolat le  kilog.  3  20  5  60  6  » 

Vinaigre le  litre.  0  50  1  30  1  30 

Pétrole le  litre.  0  35  0  80  0  70 

Essence    le  litre.  0  55  4  20  i  20 

Beurre  d'Isigny  .    .  le  kilog.  4    »  16  »  10  » 

Mais,  où  le  rôle  des  Entreprises  Modernes 
mérite  particulièrement  d'être  signalé,  c'est  dans 
la  lutte  pour  la  compression  des  prix.  A  côté  des 
initiatives  individuelles,  il  y  eut  les  initiatives 
collectives;  les  unes  et  les  autres  ont  produit 
d'excellents  résultats. 

Voici  rEpargne  de  l'Ouest  qui,  dès  avant  la 
guerre,  mène  une  campagne  active  pour  qu'on  ne 
vende  plus  du  sucre  brut  pour  du  sucre  net,  sous 
prétexte  qu'on  ne  sucre  pas  son  café  avec  du 
carton.  Gela  n'alla  point  sans  inconvénients  : 

Certaines  grandes  raffineries  qui  fabriquaient, 
en  1914,  plus  de  100.000  kilos  de  sucre  raffiné, 
par  jour,  livraient,  en  moyenne,  le  1/3  de  leur 
production  en  brut  pour  net,  de  telle  sorte  que 
les  clients  bénévoles  payaient,  au  prix  du  sucre, 
30  grammes  environ  d'emballage  qui,  à  ce  mo- 
ment, coûtait  0  fr.  20  le  kilog.  L'économie  réa- 
lisée par  tous  les  consommateurs  est  facile  à 
calculer;  aussi,  ces  raffineries,  mécontentes  du 
procédé  de  l'Epargne  de  l'Ouest,  décidèrent-elles 
de  la  priver  de  sucre;  la  Société  eut  recours  à 
d'autres  raffineries.  Ces   dernières  lui  firent  les 


LA   VIE    CHÈRE   COMBATTUE 


217 


«^ 


( 


mêmes  prix  que  ceux  pratiqués  à  Nantes;  et  c'est 
tout  à  leur  honneur. 

De  plus  en  plus,  les  prix  augmentaient  ;  en  1915, 
l'Epargne  de  l'Ouest  s'entendit  avec  le  Préfet, 
M.  Hyfrard,  pour  prendre  des  mesures  propres 
à  enrayer  la  hausse.  Le  système  de  publication 
des  prix  était  adopté  et  appliqué. 

Nous  relevons  le  passage  suivant,  d'une  lettre 
adressée,  le  11  juillet  1916,  à  la  Direction  : 

€  Vous  n'avez  jamais  été  animés,  depuis  l'ou- 
verture des  hostilités,  par  le  moindre  désir  de 
lucre;  beaucoup  de  maisons,  tant  à  Nantes  que 
dans  les  départements  limitrophes,  qui  ne  rece- 
vaient plus,  dans  les  mêmes  délais  ni  aux  mêmes 
3rix,  les  marchandises  courantes,  ont  augmenté 
eurs  prix  dans  d'assez  fortes  proportions,  tandis 
que  vous  avez  usé  de  tous  les  moyens  en  votre 
pouvoir  pour  maintenir  vos  anciens  prix.  Il  en  a 
été  ainsi  notamment  pour  le  sucre,  le  sel,  le  pain, 
les  pétroles,  les  pommes  de  terre,  etc.,  etc.  » 

Hélas  !  les  Préfets  se  suivent  et  ne  se  ressemblent 
pas  ! 

Les  Docks  du  Centre,  à  Tours,  ne  négligèrent 
rien  pour  stimuler  la  production  et  contrebattre 
l'action  scandaleuse  de  certains  intermédiaires 
dénués  de  scrupules.  Persuadés  de  ce  que,  la 
hausse,  on  ne  pouvait  l'enrayer  qu'en  lui  opposant 
une  coopération  étroite  et  confiante  du  producteur 
et  de  l'acheteur,  du  commerçant  et  du  consomma- 
teur, ils  instituèrent,  dans  leurs  bureaux,  un 
€  Office  pour  la  lutte  contre  la  Vie  chère  »,  dont 
la  mission  consista  à  rechercher  les  bases  d'une 


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m 


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■*  f 


2i8 


LES    ENTBEPRISES    MODERNES 


collaboration  efficace  entre  eux-mêmes,  Docks 
du  Centre  et  leur  clientèle,  en  vue  d'une  action 
commune  contre  la  vie  chère.  L'Office  fut  chargé 
de  recevoir  et  d'étudier  toutes  les  suggestions, 
toutes  les  initiatives  qu'on  lui  adressait,  et  qui 
'étaient  de  nature  à  modifier  heureusement  les 
méthodes  commerciales  en  cours,  le  jeu  de  l'offre 
et  de  la  demande,  les  relations  entre  le  vendeur  et 
le  consommateur,  etc.. 

Les  meilleures  idées  reçues,  les  plus  pratiques, 
étaient  mises  en  application  dans  les  Succursales. 
Le  zèle  des  correspondants  bénévoles  de  l'Office 
était  suscité,  puis  entretenu  par  une  large  publi- 
cité de  tous  les  journaux  importants  de  9  dépar- 
tements. De  nombreux  prix  de  100,  50et2o  francs, 
récompensaient,  en  outre,  les  auteurs  des  réponses 
les  plus  intéressantes. 

Les  Docks  du  Centre  saisissaient,  d'autre  part, 
toutes  les  occasions  qui  s'offraient  à  eux  de  pro- 
voquer une  baisse  des  cours.  En  veut-on  un 
exemple?  Voici  la  lettre  que  leur  Directeur, 
M.  Finot,  envoyait  au  Préfet  d'Indre-et-Loire,  le 
18  novembre  1918  : 

«  Vous  avez  bieil  voulu  me  demander,  par  votre 
lettre  du  31  octobre,  si  la  Société  des  Docks  du 
Centre  consentirait  à  accorder  des  réductions  de 
prix  aux  fonctionnaires  qui  pratiqueraient  leurs 
achats  dans  ses  Succursales. 

«  Ainsi  que  vous  le  savez,  nous  nous  sommes 
toujours  montrés  prêts,  depuis  le  début  de  la 
guerre,  à  seconder  tous  vos  efforts  en  vue  de  faci- 
liter le  ravitaillement  de  la  population.  C'est  vous 


p 


f 


;.A   Vïp:   CHEBE   COMBATTUE 


219 


dire  que  nous  serons  très  heuraux,  cette  fois 
encore,  de  vous  apporter  notre  concours  désinté- 
ressé pour  lutter  contre  l'augmentation  croissante 
du  coût  de  la  vie. 

«  Mais  nous  désirerions  vous  offrir,  pour  lepublic 
de  votre  département,  des  avantages  supérieurs  à 
ceux  que  vous  nous  demandez,  et  profiter  da  cette 
occasion  pour  prendre  l'initiative  d'un  appel  à 
tous  nos  collègues,  en  vue  de  l'adoption  de  nou- 
velles méthodes  commerciales,  susceptibles  d'ap- 
porter à  la  population  ouvrière  une  amélioration 
sérieuse  de  son  sort. 

«  Au  moment  où  la  Paix  victorieuse  nous 
apporte  l'espérance  d'une  vie  moins  chère,  il  serait 
inadmissible  que  le  maintien  d'habitudes  cona- 
merciales  surannées  fût  un  obstacle  à  la  baisse 
rapide  du  prix  des  denrées  alimentaires.  Aussi, 
estimons-nous  que  le  moment  est  venu  pour  nous 
d'offrir  aux  autorités  publiques,  de  vendre  tous 
les  produits  de  première  nécessité  sans  aucun 
profit  pour  nous  et  sous  le  contrôle  absolu. 

«  Nous  ne  vous  faisons  nullement  cette  propo- 
sition dans  le  but  de  réclame  et  pour  nous  créer 
un  avantage  moral  sur  nos  concurrents,  et  nous 
serions  très  heureux  que  ceux-ci  acceptassent 
tous  notre  proposition,  afin  que  l'abaissement  du 
prix  de  la  vie,  que  nous  désirons,  devînt,  grâce  à 
notre  initiative,  une  réalité  pour  tous. 

«  Nous  vous  demandons  donc,  monsieur  la  Pré- 
fet, de  désigner  une  Commission  composée  exclu- 
sivement de  consommateurs;  celle-ci  dressera  la 
liste  de  toutes  les  denrées  alimentaires  de  pre- 


> 


t 


220 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


mière  nécessité,  et  nous  nous  engageons  à  l'avance 
à  accepter  son  contrôle  pour  la  vente  de  tous  les 
produits  qu'elle  aura  désignés. 

(C  Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajouter  que  le 
sacrifice  que  nous  nous  proposons  de  faire  ne  sera 
pas  réservé  à  une  catégorie  de  consommateurs, 
mais  qu'il  sera  étendu  à  tous  les  habitants  de  votre 
département.  Messieurs  les  fonctionnaires  auront 
ainsi  la  satisfaction  de  penser  que  leurs  efforts 
auront  produit  un  résultat  heureux  pour  la  popu- 
lation entière. 

«  Nous  nous  tenons  à  votre  disposition,  mon- 
sieur le  Préfet,  pour  étudier  avec  vous-même, 
comme  avec  les  autres  négociants  d'Indre-et-Loire, 
s'il  y  a  lieu,  les  moyens  les  plus  propres  à  réaliser 
notre  conception. 

«  Nous  formons  des  vœux  pour  que  la  population 
bénéficie  le  plus  rapidement  possible  de  l'offre  que 
nous  vous  faisons,  et  qui  nous  est  inspirée  par  un 
sentiment  de  solidarité  nationale  et  de  patriotisme 
qui  sera  certainement  partagé  par  la  majorité 
des  commerçants  français.  » 

A  la  suite  de  cette  lettre,  une  organisation  très 
importante  fut  créée  par  M.  le  Préfet  d'Indre-et 
Loire,  en  vue  du  contrôle  des  prix  de  vente  des 
denrées  de  première  nécessité.  L'initiative  des 
Docks  du  Centre  entraîna  un  certain  nombre  de 
négociants  de  la  ville,  et  les  résultats  furent  des 
plus  heureux. 

La  presse  locale,  rendant  compte  de  cette  œuvre, 
exposait,  dans  son  numéro  du  3  février  1919,  que 
les  Docks  du  Centre  et  leurs  imitateurs,  désireux 


1 


> 


LA  VIE   CHERE   COMBATTUE 


221 


M  ^ 


de  seconder  les  efforts  de  M.  le  Préfet  et  ceux  de 
M,  le  Maire  de  Tours,  en  vue  de  favoriser  le  ravi- 
taillement de  la  population  et  de  lutter  contre  la 
vie  chère  : 

«  Sont  disposés  à  consentir,  non  seulement  au 
profit  des  fonctionnaires,  mais  au  profit  de  tous 
les  consommateurs,  des  avantages  que  ceux-ci  ne 
manqueront  pas  d'apprécier.  Us  se  sont  engagés  à 
vendre  tous  les  produits  de  première  nécessité  sans 
aucun  profit  et  sous  le  contrôle  de  ï Administration. 
La  Commission  de  contrôle  des  prix  des  den- 
rées de  première  nécessité  a  déjà  tenu  plusieurs 
séances,  au  cours  desquelles  elle  a  arrêté  une  liste 
de  25  denrées  de  première  nécessité.  Elle  a  décidé 
que  tous  ces  produits  seraient  vendus  au  public 
avec  une  majoration  de  10  p.  100  du  prix  de  revient 
des  denrées  vendues  dans  les  magasins,  dont 
5  p.  100  pour  les  maisons  de  gros,  et  S  p.  100 
pour  les  maisons  de  détail.  Cette  majoration  ne 
représentant  même  pas  les  frais  généraux,  il  est 
permis  de  dire  que  les  ventes  se  feront  au  prix 
coûtant.  L'intelligente  et  patriotique  compréhen- 
sion des  nécessités  de  l'heure  présente,  dont  té- 
moigne ce  généreux  désintéressement,  fait  le  plus 
grand  honneur  à  ces  notables  commerçants...  » 

Cette  mesure,  que  la  Société  étendit  dans  toutes 
les  régions  où  elle  a  des  Succursales,  eut  pour 
effet  immédiat  de  contraindre  les  autres  commer- 
çants à  abaisser  leurs  prix,  afin  de  pouvoir  sou- 
tenir la  concurrence. 

Enfin,  M.  Noulens  vint.  Il  savait  comment  la 
Révolution,  jadis,  a  été  conduite  à  la  taxation  et 


I 


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222 


1 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


aux  lois  du  «  maxiriium  y>  ;  il  savait  la  stérilité  de 
ces  mesures  prises  par  nos  grands  ancêtres;  mais 
il  savait  surtout  qu'il  ne  suffit  pas  de  copier 
rtiistoire  pour  faire  quelque  chose  de  neuf  et 
d'heureux.  Il  a  eu  raison. 

Si  la  Convention  a  été  amenée,  occasionnelle- 
ment, à  des  mesures  de  circonstances  un  peu 
rudes,  la  cause  en  fut  aux  excès  Constatés  à  Lyon, 
le  20  février  1793,  par  Lacombe,  Salicetti  et  Del- 
cher.  En  dépit  des  sollicitations  de  la  Commune 
de  Paris,  l'ensemble  y  était  férocement  hostile. 
La  Gironde,  avec  Buzot;  la  Montagne,  avec  Saitit- 
Just  et  Robespierre,  n'en  voulaient  pas,  et  Marât 
lui-même  qualifiait  les  manifestants  de  «  pertur- 
bateurs du  repos  public  ». 

Les  démagogues,  lorsqu'on  les  écoute,  sont 
toujours  des  perturbateurs  de  repos  public.  Mais 
les  Pouvoirs  publics,  hélas  !  savent  trop  peu  se 
défendre  contre  les  suggestions  et  les  inquiétudes 
qu'ils  leur  donnent. 

En  regardant  en  arrière,  dans  le  recul  que 
présentent  aujourd'hui  certains  événements,  oti 
voit  mieux  se  dessiner  le  contour  des  choses  ;  les 
Vigilants  faillirent  devenir  les  «  perturbateurs  » 
d'aujourd'hui.  Sous  leur  impulsion,  il  y  a  quel- 
ques mois,  la  rue  fut  quelque  peu  agitée;  on  sac- 
cagea quelques  marchés  ;  on  enfonça  quelques 
devantures.  Les  prix  normaux,  tant  contestés, 
n'existaient  pas  encore.  M.  Noulens  les  instituai 
Les  troubles  cessèrent  comme  par  enchantement; 
le  consommateur  pouvait  juger  des  prix  pratiqués 
dans  le  commerce  ;  il  se  rendait  un  compte  exact 


LA   VÎE   CHERE   COMMTTOE 


223 


de  leurs  inévitables  fluctuations,  malheureilse- 
ment  plutôt  ascensionnelles;  il  sentait  la  nécessité 
de  la  modération,  en  même  temps  que  le  produc- 
teur sentait  aussi  la  nécessité  de  la  modération  de 
ses  exigences,  et  l'on  peut  dire  que,  si  la  hausse 
n'a  pas  été  enrayée,  du  moins  elle  fut  ralentie,  et 
c'est  déjà  beaucoup.  De  plus,  les  prix  normaujc 
n'ont  pas  banni  les  arrivages,  comme  eussent  fait 
les  taxes;  et  c'est  énorme.  Les  Comités  de  Vigi- 
lants s'affirmèrent  satisfaits;  cela  proiiVe  qu'ils 
étaient  composés  de  gens  raisonnables  ail  bon 
sens  desquels  un  appel  pouvait  être  adressé.  La 
compréhension  des  choses  est  un  remède  contre 
l'exaltation,  cette  sœur  du  parti-pris,  de  l'injustice 
et  de  la  brutalité. 

Quand  les  lois  de  taxation  ont  sévi  avec  inten- 
sité, l'histoire  dit  que  le  peuple  accueille,  comme 
une  libération  nationale,  les  lois  qui  les  sup- 
priment; si  ce  fut  prouvé,  chez  nous,  au  4  Nivôse 
de  l'an  III,  ce  sera  prouvé,  demain,  par  l'Angle- 
terre. On  pensera,  de  l'autre  côté  du  détroit, 
comme  jadis  on  a  pensé  chez  nous  :  les  taxations, 
qui  donnent  satisfaction  à  l'opinion  publique,  ne 
donnent  aucune  satisfaction  à  l'estomac  dû  public; 
elles  sont  profondément  contraires  à  l'équité  et  à 
l'intérêt  d'tin  pays.  Qui  peut  dire  si  le  régime  de 
taxation  tombera  de  lui-même,  ou  s'il  ne  sera  p^i 
balayé  lorsque  le  peuple  se  rendra  compte  de  ses 
méfaits  ?  Chez  nous,  c'est  un  coup  de  révolte  qui 
a  emporté  tout  le  système  dont  Taine  a  dit  qu'il 
n'était  plus  qiie  celui  «  d'une  politique  de  sau- 
vages, qui  abattent  l'arbre  pour  avoir  le  fruit  >. 


li  y 


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i' 


224 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Ce  coup  de  révolte  ne  sera  assurément  pas  unique 
dans  l'histoire.  Les  prix  normaux,  en  dépit  de 
tout  le  mal  qu'en  ont  dit  certains,  ayant,  dès  leur 
mise  en  vigueur,  provoqué  lapaisement,  s'ils 
disparaissaient,  seraient  regrettés  par  les  plus 
clairvoyants  d'entre  les  citoyens  français.  M.  Nou- 
lens  peut  être  sûr  qu'ils  constitueront  le  meilleur 
de  son  œuvre.  Bien  faire  et  laisser  dire,  doit  être 
la  devise  d'un  ministre,  plus  que  la  devise  de 
quiconque. 

Il  n'y  a  pas  que  les  démagogues  qui  soient  des 
protestataires  contre  la  libéralité  d'un  système. 
Des  opposants,  il  y  en  a  aussi  à  l'étranger.  Oh! 
ceux-ci,  évidemment,  on  les  connaît  moins. 
Mais,  de  ce  qu'on  les  connaît  moins,  parce  qu'ils 
sont  moins  tumultueux  et  parce  qu'ils  sont  plus 
lointains,  il  faut  bien  se  garder  d'en  conclure 
qu'ils  n'existent  pas.  Nous  en  avons  rencontré,  il 
faut  bien  le  dire,  chez  certains  de  nos  Alliés.  Chez 
lesquels?...  Réfléchissez,  et  vous  comprendrez. 

Il  paraît  que  l'Angleterre,  dans  la  situation 
spéciale  qui  lui  était  créée  par  ses  réglementations 
à  outrance,  et  par  ses  taxes  de  plus  en  plus  géné- 
rales et  de  plus  en  plus  sévères,  est  intervenue,  à 
maintes  reprises,  pour  nous  inciter  à  nous  en- 
gager dans  la  voie  pénible  où  elle-même  s'est 
engagée.  Elle  employa  la  persuasion,  et  ses  efforts 
demeurèrent  vains  ;  la  persuasion  dégénéra  bientôt 
en  pression  discrète;  elle  ne  fut  pas  plus  heureuse 
dans  sa  tentative;  elle  ne  put  entamer,  comme 
elle  l'eût  voulu,  le  régime  des  prix  normaux,  en 
même  temps  que  celui  de  la  liberté  commerciale, 


II 


LA   VIE   CHÈRE   COMBATTUE 


225 


auquel,  si  heureusement,  nous  revenons  peu  à 
peu.  Charbonnier,  dit  justement  le  proverbe,  est 
maître  dans  sa  maison,  et  c'est  bien  le  moins. 

Mais  l'établissement  de  ces  prix  normaux  ne 
fut  pas  toujours  chose  facile.  Nous  en  trouvons 
la  preuve  en  ceci  que,  partout  en  France,  les  En- 
treprises Modernes  en  pratiquèrent  d'inférieurs, 
toujours  pour  agir  dans  le  sens  de  la  compres- 
sion. Qu'on  en  juge  parles  exemples  suivants  : 

Établissements  Brisset  (A?îgers). 


Prix  normaux.      Nos  prix. 


Graisse  alim.  Végét.,  le  kilog. 
Huile  d'olive  pure,  le  kilog. 
Huile  d'arachide. ..  le  kilog. 
Vinaigre  d'alcool...  le  litre. 

Vinaigre  de  vin le  litre. 

Pommes  de  terre.,  le  kilog. 
Pâtes  alim.  en  vrac,  le  kilog. 


5  20 
7  50 

6  50 

1  30 

2  50 
0  50 
2  20 


4  90 
7  20 

5  80 

1  15 

2  30 
0  45 
2     » 


(Angers,  26  août  1919.) 


DEPARTEMENT   DU   MORBIHAN 

Épargne  de  VOuest. 


Pâtes  alimentaires,  le  kilog. 
Pâtes  alim.  en  vrac,  le  kilog. 

Vin  blanc .  le  litre. 

Huile  corn,  de  table,  le  kilog. 

Huile  d'olive 

Vinaigre  d'alcool...  le  litre. 
Sucre  roux  (non  taxé),  le  kg. 

Café  torréfié le  kilog. 

Chicorée  suivant  marque.. . . 


Prix  normaux. 

Nos  prix. 

2  30,  1 

70 

1  90,  2     )> 

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2     V,  2  50 

2  20 

2  10 

6     » 

5  60 

8     » 

6  80 

1  50 

1  05,  i  15 

3     » 

2  60 

9    »  à  10 

» 

dep.  8     » 

3  60  à  4 

li 

dep.  3  40 

(Le  2G  août 

1919.) 

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:  vfe  f /^  Beurre 

fy  tj  Port-Salut 

^^y;>i  Camembert  (ini^r<jne).  jiièce. 

'\ii''l>  Graisse  régétale     .    h;  lulof^. 

,,.  ;  .  Saindoux  (Havilail.).  le  kiloi'. 

'^>'i^>^  .  Lard  gras  (liavitail.)-  '♦'  Inlof^'. 

rM  Porc  frais .   le  kilog. 


DÉPARTKMr'NT    DK   LA    MAUNE 


.  -  .   .•.      -■    ■  '  t  « 
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btahlissemoUs  Miellé. 

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Prix  iiorraauj. 


1<^  kilo<^. 
U;  kilof». 
le  kilog. 


0  40 

il    f;() 

8     » 

2     » 

,';  00 

4  90 

4     » 

10  îiO 


Nos  prix. 

0  3fî 

10  80 

7  60 

i  yo 

îi  ao 

4  80 

3  70 

10  20 


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(Lo  2()  août  \W.).) 


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- .  Ealre  temps,  une  délégation  de  TUnion  des 
Entreprises  Modernes  exposait  au  Ministre  du  Ua- 
Vîtaillement  le  programme  suivant  : 

Constitution  des  Stocks  du  Uavitaillement. 


1*^ 


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-.i;^^  Que   la  liquidation   de   tous    les   stocks,   

ceux  de  l'armée  nationale  et  ceux  de  l'armée  des 
Alliés  —  soit  effectuée  par  tous  les  commerçants 
/offrant  des  garanties  sérienses  au  point  de  vue  du 
cpptrôle  des  prix  de  vente,  et  non  pas  par  les  Coo- 
pératives seules  ; 

.      2^  Que    les    aclials    soient    effectués   sur    les 
marchés  étrangers,  parles  maisons  de  commerce 
A;',  qui  Dût  rhabitude  de  ce  genre  d'affaires. 

Quels  que  soient  le  dévouement,  les  cap^icités 
d'organisation  de  la  Fédération  des  Coopératives;  - 
.quelle  que  soit  la  bonne  volonté  de  ses  membres^ 
-^ilsnepourrof^t  f^voir  ni  la  cpmpélence,  ni  les  relu- 


tîons',  ni  les  moyens  d'aclîon  des  2  ou  3.000  lirmes 
l^r  qui  s'occupent  de[)uis  de  longues  années  de  ce 

l^'f^genre  d'affaires. 

'^'  D'autre  part,  la  seule  organisation  de  VinmienSÇ 

•maison  <Ie  couhïumto  que  deviendrait  alors,  sur 
de  telles  bases,  le  Ministère  <bi  HavilaiUement, 
exigerait  des  années  de  travail. 

Or,  la  situation  est  pressante;  le  pnys  ne  peut 
plus  longtemps  attendre — 

3^  L'augmentation  des  importations  par  la 
suppression  des  droits  de  douane  a^l  surtout  par  la 
suppression  de  ces  doyennes  int(U'irures  que  sont 
les  octrois  des  villes  ouvrières, 

4"  Laisser  aux  iiulustriels  s'occnpant  à  la 
fabrication  des  huiles,  sucres,  etc.,  le  soin  de  s\)r- 
ganiser  polir  accroître,  dans  les  conditions  vou- 
lues, rim|)ortation  des  matières  premières  qui 
sont  nécessaires  à  leur  fabrication.  Les  initiatives 
couime  celle  du  Syndicat  des  Chocolatiers,  qui 
s'est  occupé  de  grouj»er  les  commandes  en  sUère 
et  en  cacao  de  ses  adhérents,  sont  autrement  pro- 
ductives de  résultats  ((ue  la  réalisation  de  ces 
achats  entre  les  mains  du  Ministère  du  Havitaille- 

>menl.  La  façon  dont  ce  dernier,  malgré  ses  bonnes 
intentions,  a  réalisé  le  ravitaillement  en  sucre,  en 

x-est  la  preuve  évidente. 

5«  Que  l'Etat  doit  exiger  la   déclaration   obli- 

'  gatoiredes  récoltes  —  nous  souunes,  sur  ce  point, 
entièrement  d'accord  avec  la  Fédération  des  Coô- 

péraliveB. 

Q^  Notre    groupement  s'élève    énergiquemeht 
CÔhUôit^oulo  réquisition  dans  le  commerce,    al- 


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228 


LES    ENTREPRISES  I MODERNES 


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tendu  "qu'aucun    commerçant    ne    s  aviserait   de 

tenter   l'importation    d'un    produit,    s'il    avait   la 

^i>,    ^.,0fl' crainte  de   voir  réquisitionner,  h  son  arrivée,  la 

:^  '    "  qu  il  aurait  achetée.  La  méthode  du 

•^^  '  droit  de  la  ré(iuisition  équivaudrait,  en  tout  état  de 

cause,  à  la  suppression  de  Tiinportation  libre. 

Organisaiioii  de  la  Uépartitiofi. 

La  répartition  des  denrées  provenant  de  la  liqui- 
dation des  stocks,  comme  aussi  des  achats  que 
l'Etat  a  pu  être  appelé  à  faire  jusqu'à  ce  jour,  de- 
vrait être  elTecluée  sous  le  contrôle  de  l'Etat.  Le 
rôle  du  Minislrro  du  KavilailhMuoul  serait  alors  de 
veiller  utilninont  h  ce  que  l;i  vmmiIo  on  fftt  faite, 
aux  prix  convenus,  à  ceux  ([ui  auraient  été  sus- 

•;;        ceptibles  de  recevoir  les  attributions.  . 

Notre  groupement  ne  saurait  admettre  aucune 
restriction  à  la  liberté  des  transports.  11  estime, 
contrairement  à  l'avis  des  Coopératives,  que  le 
^  fait  d'opérer  les  transports  |)ar  ordre  du  Ministère 
du  Ravitaillement,  ne  fera  i)as  circuler  plus-rapide- 
mentles  wagons- réservoirs  et  les  wagons  spéciaux 

"  indispensables  à  la  répartition.  Jl  est  facile  de 
prouver  que,  [tendant  la  guerre,  les  wagons- 
réservoirs  du  Tare  National  ont  fait  un  service 
beaucoup  moins  intensif  que  les  quelques  wagons 
qui  sont  restés  entre  les  mains  du  commerce. 
Cela  s'explique,  d'ailleurs.  Ces  wagons  étant 
attribués,  pour  un  seul  voyage,  aux  Coopératives 
favorisées,  ces   dernières  n'avaient  pas  l'organi- 

. .  ^w  sation  nécessaire  pour  en  assurer  le  chargement 


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LA  VIE  CHÈWE  'COMBATTUE 


229 


et  le  déchargement  immédiats.  Très  peu  nom- 
breuses sont,  en  effet,  les  Coopératives  qui  sont 
préparées  pour  un  service  semblable  et  qui  ont 
un  embrancbemcnt  pour  recevoir  les  wagons- 
réservoirs. 

Stabilhation  des  Cours.  —  Contrôle. 

Pour  les  produitK  aulrcs  que  ceux  provenant  de 
la  liquidation  des  stocks,  un  contrôb;  <levrait 
être  exercé  par  les  agents  du  Ministère  du  Ravi- 
taillement du  par  le  Service  des  l'^;iudes.  Notre 
groupement  est  tout  disposé  à  se  jdier  aux  ga- 
ranties qui  lui  seraient  demandées  à  ce  sujet.  Ses 
adhérents  enlenchuil.  n'cMn;  pas  conloiKhis  avec  les 
mercanl.ia,  <l<)nl.  les  c<ms(>nimalenrs  sont,,  eu  ce 
moment,  si  souvent,  les  victimes.  A  cet  effc^t,  il 
i)ITre,  pour  les  marchandises  de  première  néces- 
sité de  son  ressort,  que  les  prix  de  vente  soient 
lix^s  chaque  semaine  par  un  bureau  constitué 
d'accord  avec  le  Ministère  du  Ravitaillement.. 

Il  s'engage  à  pratiquer  les  prix  ainsi  établis, 
dans  les  20.000  magasins  de  vente  que  ses 
adhérents  possèdent  dans  la  France  entière. 

Et  il  rap|)clle,  à  ce  sujet,  <|ue  le  ron<-.tionnement 
des  Succursales  d'alimentation  donne,  au  point 
de  vue  du  prix  de  vente,  toutes  les  garanties  dé- 
sirables, puisque  les  marchandises  livrées  dans 
ces  Succursales  sont  facturées  aux  gérants  aux 
prix  auxquels  elles  doivent  être  vendues  au  public, 
-la  rémunération  consistant  seulement  en  une  re- 
mise variable  suivant  les  articles.  Le  service  de 


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II 


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LÉS  fîîïti^«pRWRfi(-iï0bTî!i\t«Bs  :ç:^:^^  • 

contro|o  et  d'iuspeciiQU  d^  chacïitt  dôS-adh^reniB  ;^ 
du-Sjrridiràt  des  Maisons  à  SncCursales  periïiOt  ^^^^ 
d'assurer  l'exécution  des  confiais,  interdisant  se--  -| 
vèreinent  aux  gérants  toute  niajorution  do  prix  et  ^  31 
'toute  altération  do  la  marchandise  au  préjudice  3,^ 
des  clients. 

La  création  des  restaurants  populaires  peut 
avoir  une  induence  [)0ur  réfi;l(Mnenter  le  coût  do 
la  vie,  en  certains  quartiers  ouvriers,  nuiis  la  fon- 
(lation  de  nouvelles  l)nra(|ues  est  iuulilo  partout  où 
il  existe  des  Co()|>oratives  et  des  Maisons  à  Suc- 
V  (Jursales  multiples,  |»ar<-e  (|ue  ces  organisations 
',  .fént)plisseut,  sans  frais  pour  TEtat,  le  même  rùle 
régulateur. 

l^ubliciU  des  prix. 


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.,   y.  Notre  grouj>euuMit  a  toujours  été  d'avis  qu'une 

"publicité  très  grande  doit  être  donnée  aux  prix  de 

vente  de  tous  les  produits  de  première  nécessité. 

.Ces  prix    <levraiont   ètrn  ariirhés   dans  toutes   les 

Maisons  de  vente. 

yX'est,  d'ailleurs,  sur  rinsistnîu',e  de  îu>s  Maisons, 

que  le  décret  imposant  rallicliage  des  prix  avait 

été  rendu. 

.,   ;  ..Non  seulement  les  i)rix  sontaflii^hés  dans  toutes 

*^iél  Maisons  de  vente  dépendant  de  notre   grou- 

('pemeut,    mais   encore    les    propriétaires    de    ces 

vJlftWns  publient  chaque  semaine,  dans  le  journal 

quotidien  de  leur  région,  les  courg  de  ces  denrées» 

en  portant  à  la  connaissance  du  public  les  prix 

^pratiqués  dann  leurs  Sucoursalos.  Les  Maisonàdui 

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LA    VIE   CHERE   COMBATTUE 


231 


ont  eu  cette  initiative,  alors  qu'elle  n'était  pas 
imposée,  ont  entendu,  non  pas  faire  de  la  réclame, 
—-  car  nul  n'ignore  qu'il  n'est  pas  besoin  de  ré- 
clame en  ce  moment  pour  vendre  les  denrées 
nécessaires  à  la  vie  —  mais  bien  remplir  un  rôle 
social  dont  l'utilité  ne  saurait  être  méconnue. 

Au  résumé,  le  Groupement  de  VUnion  des  En- 
treprises Modernes  et  le  Syndicat  des  Maisons 
d'Alimentation  à  Succursales,  pris  de  noble  ému- 
lation, entendent  apporter,  comme  les  Coopé- 
ratives, leur  concours  contre  la  vie  chère.  Elles 
peuvent  le  faire  par  des  moyens  dont  l'efticacité 
ne  peut  être  mise  en  doute,  étant  donnée  Timpor- 
laoce  considérable  que  les  Maisons  à  Succursales 
multiples  ont  conquise  dans  le  pays;  si  l'on  consi- 
dère que  le  chiffre  d'affaires  des  Coopératives  est 
très  éloigné  du  chiffre  total  des  transactions  inté- 
rieures, le  rôle  des  Maisons  Modernes  d'Alimen- 
tation est  autrement  opérant. 

Il  appartient  au  Gouvernement  de  dire  s'il 
entend  que  le  Groupement  parachève  son  œuvre. 

Malheureusement,  les  actes  les  plus  désinté- 
ressés n'ont  pas  toujours  l'accueil  qui  devrait  leur 
être  réservé,  —  à  cause  de  la  bureaucratie,  inapte 
à  les  comprendre.  La  Maison  Olida,  en  particulier, 
en  sait  quelque  chose,  elle  qui  mit,  mais  parfaite- 
ment en  vain,  tout  son  matériel  et  son  personnel  à 
la  disposition  du  Ravitaillement,  au  moment  où  ce 
concours  avait  le  moins  de  raisons  d'être  dédaigné. 

N'importe!  rien  n'empêche  qu'un  acte  néces- 
saire n'ait  été  accompli...  quand  il  a  été  accompli. 


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çonlro|o  et  d'iuspectiQU  do  chacun  dés  adhéroniH 
du  Syndicat  des  Maisons  à  Succursales  permet 
d'assurer  rex(5r.Ulion  des  confrals,  inlerdisanl  se- 
vôreineni,  iu\x  gt'u'anis  toule  inajoralion  de  prix  et 
toute  altérai  ion  do  la    inarchîmdise    au  pri\judice 

'     dos  clicrils. 

La  création  des  reslatiiauls  populaires  peut 
avoir  une  iri(lueiH*o  pour  r(*}^leniciiler  le  coiit  do 
la  vie,  en  cerinius  ([u.irlirrs  oiivriers,  mais  la  fon- 
dation de  nouvelles  har.Kju^^s  esl.  iînilih^  parloul.  où 
il  existe  des  (]o(>|)<'ralives  (M.  di^s  Maisons  à  Suo 

V  çursales  nnilliples,  |hirce  {\\n^  ees  oi-}^anisali(Uis 
reinpiissenl.,  sans  frais  pour  ri^^lat,  le  même  roie 
régulateur. 

I^ublicild  (les  p?'ix. 

Notre  {^rou|»einent  a  t(Mij(Mirs  l'té  «l'avis  ([u'une 
publicité  très  jurande  doit  être  rionnée  aux  jirix  de 
vente  de  Ions  les  proJuils  de  |M*emiri'e  nécessité. 
Ces  prix  devrai<Mit  rUr.  alli<li(''s  dans  toutes  Ics 
Maisons  de  vente. 

C'est,  (Tailleurs,  sur  Tinsislaru-e  de  nos  Maisons, 
que  le  dé<*ret  inip(»sant  ralliidia^c»  des  piix   avait 
été  rendu. 
..,    r.Non  seulemeni  les  prix  sontaffiehés  dans  toutes 
'  léâ   Maisons  de   vente  dépeiulant  de   notre   {grou- 
pement,   niais   encore    les    pro[)riétaires    de    ces 
M(iisons  publient  cha(|ue  semaine,  dans  le  journal 
^quotidien  de  leur  région,  les  cours  de  ces  denrées» 
en   portant  à  la  connaissance  du  public  les  prix 

'pratiqués  dan^  |eura  Succursales.  Les  Maisonàijui 


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LA   VIE   CHERE    COMBATTUE 


231 


ont  eu  cette  initiative,  alors  qu'elle  n'était  pas 
imposée,  ont  entendu,  non  pas  faire  de  la  réclame, 
—  car  nul  n'ignore  qu'il  n'est  pas  besoin  de  ré- 
clame en  ce  moment  pour  vendre  les  denrées 
nécessaires  à  la  vie  —  mais  bien  remplir  un  rôle 
social  dont  l'utilité  ne  saurait  être  méconnue. 

Au  résumé,  le  Gro  ipement  de  V Union  des  E?i- 
treprises  Modernes  et  le  Syndicat  des  Maisons 
d'Alimentation  à  Succursales,  pris  de  noble  ému- 
lation, entendent  apporter,  comme  les  Coopé- 
ratives, leur  concours  contre  la  vie  chère.  Elles 
peuvent  le  faire  par  des  moyens  dont  l'efficacité 
ne  peut  être  mise  en  doute,  étant  donnée  l'impor- 
tance considérable  que  les  Maisons  à  Succursales 
multiples  ont  conquise  dans  le  pays  ;  si  l'on  consi- 
dère que  le  chiffre  d'affaires  des  Coopératives  est 
très  éloigné  du  chiffre  total  des  transactions  inté- 
rieures, le  rôle  des  Maisons  Modernes  d'Alimen- 
tation est  autrement  opérant. 

Il  appartient  au  Gouvernement  de  dire  s'il 
entend  que  le  Groupement  parachève  son  œuvre. 

Malheureusement,  les  actes  les  plus  désinté- 
ressés n'ont  pas  toujours  l'accueil  qui  devrait  leur 
être  réservé,  —  à  cause  de  la  bureaucratie,  inapte 
aies  comprendre.  La  Maison  Olida,  en  particulier, 
en  sait  quelque  chose,  elle  qui  mit,  mais  parfaite- 
ment en  vain,  tout  son  matériel  et  son  personnel  à 
la  disposition  du  Ravitaillement,  au  moment  oii  ce 
concours  avait  le  moins  de  raisons  d'être  dédaigné. 

N'importe!  rien  n'empêche  qu'un  acte  néces- 
saire n'ait  été  accompli...  quand  il  a  été  accompli. 


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232 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Et  c'est  pourquoi  nous  ne  désespérons  pas  de  lire 
à  V Officiel,  à  une  date  qui  nous  est  inconnue,  le 
discours  d'un  ministre  qui,  épris  de  justice  autant 
que  de  vérité,  s'écriera  : 

«  Mais  je  manquerais  à  mon  devoir  si,  comme 
Ministre  du  Commerce  et  du  Ravitaillement,  je  ne 
venais  ici  rendre  un  hommage  complet,  absolu, 
à  l'aide  que,  pendant  la  guerre,  et  surtout  après, 
j'ai  trouvée  et  que  j'aurais  pu  trouver  davantage 
encore,  auprès  du  commerce  français  organisé. 

«  En  ce  moment,  on  jette  de  tous  côtés  de   la 
boue  au  commerce  français,  aux  commerçants  de 
gros,   aux  commerçants  de  détail,  aux  Maisons  à 
Succursales,  aux  magasins  les  plus  divers,   qu'il 
s'agisse  des   fruits,   des  viandes,  des  huiles,  des 
vins,  du  lait.  On  accuse  tous  les  jours  le  com- 
merce français  de  détourner  le  Pactole  à  son  pro- 
fit. Eh  bien!  je  sais  que,  dans  notre  situation  éco- 
nomique déséquilibrée,  le  commerce  moderne,  bien 
qu'il  n'ait  rien  à  vendre,  a  constitué  des  œuvres 
de  solidarité  que  vous  ignorez,  mais  que  je  connais. 
«  Nous  avons  favorisé  les  Coopératives;  nous 
les  avons  dotées  de  privilèges;  mais  je  considère 
que  ceux  qui  ont  vendu  les  denrées  de  première 
nécessité  aux  prix  des  Coopératives,  en  n'ayant  ni 
avantages,  ni  privilèges,  dépouillés  qu'ils  étaient 
souvent  de   leur  matériel  d'exploitation  réquisi- 
tionné pour  des  concurrents;  que  ceux-là,  dis-je, 
ont  autant  et  plus  de  mérite  que  les  Coopératives. 
<(  Je  dis  ce  que  je  pense  i>. 


/ 


XV 


Le  groupement  par  affinités. 


Les  Entreprises  Modernes,  hier,  s'ignoraient 
totalement  entre  elles.  Aujourd'hui,  elles  ne  se 
connaissent  encore  que  très  peu.  Elles  ne  savent 
donc  pas  tout  le  parti  qu'elles  pourraient  tirer  d'une 
solidarité  absente.  Celles  qui  se  connaissent  et 
commencent  à  se  sentir  les  coudes,  ce  sont  les 
Maisons  à  Succursales  de  tout  genre.  Les  Grands 
Magasins  et  les  Banques  ont  l'air  de  dire  pré- 
somptueusement  :  «  Nous  nous  suffisons  à  nous- 
mêmes  !  »  Et  puis,  ce  sont  des  potentats  ;  les 
autres,  à  leurs  yeux,  ne  sont  que  de  la  poussière 
de  grosses  affaires.  Ils  changeront  d'avis.  Le 
temps  se  chargera  de  leur  dessiller  les  yeux. 

En  attendant,  il  nous  plaît  de  reconnaître  ici 
que  les  Maisons  à  Succursales  se  sont  pliées 
docilement  à  l'exécution  de  toutes  les  lois  sociales, 
en  mettant  à  la  base  de  leur  fonctionnement  le 
principe  d'humanité.   Cependant,   force  nous  est 


A- 


^ 


234 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


LB   GROUPEMENT   PAR   AFFINITES 


235 


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de  reconnaître  que  ces  lois  sociales    entraînaient 
une  augmentation  de  frais  assez  considérable. 

La  loi  sur  les  accidents,  qui  s'applique  à  tous 
les  employés  et  ouvriers  de  la  Maison-Mère;  les 
lois  sur  le  repos  hebdomadaire,  sur  la  limitation 
des  heures  de  travail,  sur  les  retraites  ouvrières, 
avaient  occasionné  aux  Maisons  à  Succursales 
des  dépenses  supplémentaires  imprévues;  per- 
sonne n'avait,  d'ailleurs,  songé  à  en  critiquer 
l'application.  Tous  les  Etablissements  suivant  la 
voie  du  progrès,  se  refusaient  à  voir,  avec  un 
regret  quelconque,  les  avantages  accordés  à  leurs 
collaborateurs. 

Le  plus  grand  nombre  de  ces  Etablissements 
avait-il  attendu  l'apparition  de  ces  lois,  pour  en 
subir  les  obligations?...  Non!  La  majorité  d'entre  v 
eux,  même,  les  avait  dépassées.  En  beaucoup 
d'endroits,  le  personnel  participait  aux  bénéfices, 
comme  aux  Docks  Rémois,  aux  Comptoirs  français, 
chez  Olida.  Chez  les  uns,  un  pourcentage  des  béné- 
fices est  réservé  au  personnel;  chez  les  autres, 
sont  allouées  des  gratifications,  proportionnelles  à 
l'ancienneté  et  aux  services  rendus  ;  une  troisième 
catégorie,  enfin,  a  songé  à  accorder  de  véritables 
Actions  de  Travail.  Chaque  employé  ayant  un 
certain  nombre  d'années  de  présence,  touche, 
selon  sa  situation,  les  services  rendus  et  l'ancien- 
neté, un  revenu  égal  à  celui  d'un  certain  nombre 
d'actions  de  capital.  Si  le  dividende  baisse,  la 
)art  diminue;  s'il  augmente,  elle  augmente  dans 
.a  même  proportion. 

Nous  ne   saurions  trop  appeler  l'attention  sur 


ces  Actions  du  Travail.  Grâce  à  elles,  l'employé 
n'est  plus  un  étranger  dans  la  maison  ;  il  est  chez 
lui;  il  est  un  actionnaire,  c'est-à-dire  un  copro- 
3riétaire;  participer  aux  gains,  c'est-à-dire  à  la 
3onne  fortune;  participer  aux  diminutions  des 
mauvais  jours,  c'est  suffisant  pour  resserrer  des 
liens,  trop  lâches  auparavant.  Il  va  de  soi  que 
cette  situation  doit  se  traduire  par  un  supplément 
d'initiative  et  de  dévouement.  Un  des  Grands 
Magasins  de  Paris  qui,  lors  de  sa  mise  récente  en 
Société,  a  eu  la  pensée,  à  la  fois  ingénieuse  et 
habile,  d'attribuer  un  certain  nombre  d'actions  à 
ses  employés,  a  aussitôt  constaté  un  accroisse- 
ment dans  le  rendement  en  travail  de  ces  der- 
niers. En  Angleterre,  la  pratique  des  actions 
«  Defered  »,  qui  ne  sont  pas  données  gratuite- 
ment, mais  émises  à  très  bas  prix,  un  schelling, 
par  exemple,  est  susceptible  d'aboutir  au  même 
résultat.  Mais,  naturellement,  ces  systèmes  ne 
peuvent  être  employés  que  dans  des  Etablisse- 
ments constitués  en  Sociétés  par  actions.  Nous 
verrons  mieux  encore.  Nous  verrons  les  Entre- 
prises Modernes  devenir  des  entreprises  à  parti- 
cipation d'employés  et  d'ouvriers,  selon  l'esprit 
de  la  loi  votée  l'an  dernier  par  le  Sénat  et  magis- 
tralement rapportée  par  Charles  Deloncle. 

En  attendant,  nous  croyons  bon  de  proclamer 
que  là  ne  s'arrêtent  pas  les  œuvres  sociales  des 
Maisons  à  Succursales.  Il  en  est  d'autres.  Beau- 
coup accordent  une  allocation  spéciale  aux  pères 
de  familles  nombreuses.  Certaines  donnent  un 
supplément  trimestriel  pour  un  nombre  d'enfants 


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236 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


dépassant  deux;  d'autres,  une  allocation  pour 
tous  les  enfants,  lorsque  leur  nombre  atteint  trois. 
Quelques-unes  exigent  que  ces  allocations  soient 
employées  à  améliorer  les  logements,  et  ré- 
clament, en  échange  de  cette  subvention,  que  le 
nombre  des  pièces  du  logement  soit  proportionnel 
au  nombre  de  personnes  qui  l'habitent.  Toutes 
paient,  intégralement  ou  en  partie,  les  appointe- 
ments du  personnel  pendant  les  périodes  d'exer- 
cices militaires. 

Des  Caisses  de  Secours  ou  des  Sociétés  de  Se- 
cours mutuels  fonctionnent  avec  l'aide  des 
patrons;  elles  existent  presque  partout.  Des 
secours  ou  des  allocations  sont  accordés  aux 
femmes  en  couches.  Les  appointements,  un  mois 
avant,  un  mois  après  l'accouchement,  sont  payés 
presque  généralement;  les  services  médicaux  et 
)harmaceutiques  et  l'allaitement  maternel  sont 
argement  subventionnés.  D'autres,  enfin,  allouent 
une  somme  fixe,  à  titre  de  subvention,  lors  de 
l'accouchement.  C'est  un  acheminement  vers  le 
mieux. 

Une  dernière  remarque  s'impose  :  certaines 
Maisons,  qui  font  la  boulangerie,  ont  supprimé  le 
travail  des  bras  et  l'ont  remplacé  par  le  travail 
mécanique  ;  ce  travail  mécanique  est  ordinaire- 
ment un  travail  de  jour  et  non  un  travail  de  nuit. 
Le  petit  commerce,  on  le  sait,  a  toujours  été 
réfractaire,  d'une  façon  absolue,  à  cette  réforme, 
inspirée  parle  double  but  d'hygiène  et  d'humanité. 

Qui  donc  osera  nier  l'influence  décisive  des 
formes  caractéritisques  de  l'économie  moderne, 


LE   GROUPEMENT   PAR   AFFINITES 


237 


sur  l'élévation  du  niveau  moral  des  salariés  d'au- 
jourd'hui?... N'arriveront-ils  pas  à  dépasser  sen- 
siblement le  niveau  ordinaire  de  leur  propre 
classe?...  L'augmentation  du  bien-être  éloigne 
celui  qui  travaille,  des  stades  de  l'esclavage. 

Les  conquêtes  de  ce  monde,  qu'on  appelait  hier 
prolétarien,  sont  un  pas  en  avant  dans  les  voies 
civilisatrices;  elles  sont  les  suites  logiques  de 
l'évolution  capitaliste,  puisqu'on  les  signale  dès 
que  la  grande  industrie  ou  le  grand  commerce 
entrent  en  scène. 

La  tendance  à  augmenter  les  salaires  et  les 
divers  avantages  susceptibles  d'être  retirés  par 
l'ouvrier  ou  l'employé,  en  vue  de  l'obtention  d'un 
maximum  ;  la  tendance  à  diminuer  la  longueur  du 
travail  de  la  journée,  à  soulager  la  femme  et 
l'enfant  en  les  remplaçant,  dans  les  besognes 
pénibles,  par  l'homme  à  qui  l'on  supprime  le  tra- 
vail de  nuit,  ou  par  la  machine,  creusera  le 
tombeau  des  forces  de  discorde  qui,  sous  l'éti- 
quette révolutionnaire,  s'organisaient,  prenaient 
conscience  de  leurs  moyens,  en  constituant,  dans 
les  entrailles  de  la  société,  l'embryon  des  revendi- 
cations les  plus  outrancières  et  même  les  germes 
de  l'anarchie  la  plus  redoutable. 

D'ailleurs,  les  formes  caractéristiques  de  l'éco- 
nomie moderne,  c'est-à-dire  les  entreprises  de 
concentration,  auront  d'autant  plus  d'essor  et 
toucheront  d'autant  mieux  au  but,  qu'elles  seront 
secondées  par  ceux  qui  travaillent  pour  elles. 
L'homme  qui  les  aide,  qui  les  sert,  qui  se  dévoue 
pour  elles,  n'est  pas  qu'un  instrument  qu'on  paie 


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238 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LE   GROUPEMENT   PAR  AFFINITÉS 


239 


en  salaire  argent,  sans  s'inquiéter  davantage. 
C'est  un  être  sensible,  qui  pense  et  a  besoin  de  la 
sollicitude  des  autres,  plus  riches,  plus  puissants 
que  lui.  Qu'on  le  traite  en  homme,  et  Ton  éveille 
en  lui  tous  les  sentiments  de  solidarité  et  de 
dévouement. 

Ces  modalités  nouvelles,  nous  le  répétons, 
seront  le  fruit  de  révolution  économique,  pour  le 
plus  grand  profit  particulier,  dans  l'accroisse- 
ment de  la  fortune  générale  et  dans  Tharmonie 
qui,  demain,  régira  la  nation  tout  entière. 

Le  fonctionnement  des  Maisons  à  Succursales 
et  leur  immense  développement  ont  certainement 
amélioré  la  condition  des  travailleurs  occupés  à 
produire  les  articles  vendus,  parce  qu'elles  ont 
contribué  à  augmenter  la  consommation  d'un 
grand  nombre  d'articles  qui  étaient  précédem- 
ment cédés  chèrement  par  le  commerce  de  détail. 
Gela  est  vrai  surtout  pour  les  articles  de  mercerie, 
bonneterie  et  confection  de  travail. 

Ce  résultat  a  été  obtenu,  non  pas  tant  par  des 
réductions  sur  les  prix  de  vente  des  industriels 
producteurs,  que  par  la  suppression  d'un  inter- 
médiaire inutile,  comme  nous  l'avons  expliqué. 

Au  reste,  pour  le  détail  et  les  chiffres  qui 
pourraient  être  complétés,  nous  renvoyons  le 
lecteur  au  chapitre  spécial  et  documentaire  que 
nous  avons  consacré  à  ce  sujet,  dans  la  Guerre, 
le  Commerce  français  et  les  Consommateurs, 

Ceci  dit,  il  nous  plaît  également  de  constater 
que  les  Entreprises  Modernes  sont  susceptibles 
de   constituer  le    premier   des   groupements  par 


affinités,  capable,  dans  Tavenir,  d'avoir  l'ampleur 
d'un  autre  groupement  qui  naquit  aussi  et  se 
développa  par  affinités  :  la  Confédération  géné- 
rale du  Travail. 

Les  temps  s'y  prêtent.  Un  coup  d'œil,  sur  le 
présent  comme  sur  le  passé,  nous  le  fera  mieux 
comprendre. 

Les  groupements,  quels  qu'ils  soient,  ne 
naissent  que  sous  le  souffle  de  l'esprit  corporatif. 
L'esprit  corporatif  n'éclôt  que  sous  l'impulsion  des 
nécessités.  Où  les  nécessités,  en  premier  lieu,  se 
sont-elles  fait  sentir?...  Elles  se  sont  fait  sentir, 
non  point  parmi  les  classes  privilégiées  tout 
d'abord;  et  les  classes  moyennes  nous  appa- 
raissent comme  des  classes  hier  encore  privilé- 
giées r  elles  l'étaient  parce  qu'on  y  vivait,  parce 
qu'on  s'y  enrichissait,  qu'on  y  était  heureux  dans 
l'indépendance.  Pendant  ce  temps,  les  classes 
inférieures,  celles  de  la  main-d'œuvre  proprement 
dite,  du  labeur  plus  exactement,  souffraient 
autant  de  leur  assujettissement  que  de  la  médio- 
crité des  salaires.  Aussi  est-ce  chez  elles  que  se 
manifestèrent  les  premiers  actes  ou  les  premiers 
élans  de  la  solidarité. 

Les  Syndicats  étaient  nés.  La  C.  G.  T.  allaitvenir. 

Tous  les  Syndicats,  à  l'origine,  qu'ils  soient 
ouvriers  ou  qu'ils  soient  patronaux,  ne  sont  que 
des  associations  plus  ou  moins  fraternelles,  plus 
ou  moins  empreintes  de  mutualité,  et  pour  les- 
quelles l'Etat  représente  la  Providence  tangible, 
celle  qui,  dédaignant  les  sphères  éthérées,  élit 
domicile  sur  la  terre.  Et,  comme  il  est  d'usage  de 


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240 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


prier  la  Providence  pour  en  obtenir  quelque 
chose,  —  une  faveur  —  on  professe,  à  l'égard 
d'elle,  les  intentions  les  plus  pures  et  les  plus 
bienveillantes.  C'est  logique,  puisqu'on  en  attend 
la  manne.  Et  Ton  n'attend  pas  toujours  en  vain  ; 
on  arrache  à  Marianne  tout  ce  qu'on  peut  lui 
prendre  :  privilèges,  exemptions.  Certains  vont 
jusqu'à  solliciter  des  subventions,  sans  se  dou- 
ter que  l'argent  sorti  de  ses  coffres,  par  l'Etat, 
est  versé  par  eux-mêmes.  En  un  mot,  comme 
en  mille,  toute  la  politique  syndicale  consistait 
à  se  délivrer  d'une  part  d'impôts  pour  la  rejeter 
sur  les  épaules  du  voisin.  Les  petits  commerçants 
le  savent  bien. 

L'esprit  de  lutte  ne  vint  qu'ensuite.  Il  vint 
lorsque  les  éléments  plus  riches,  qui  professaient 
un  individualisme  plus  ou  moins  accentué,  cons- 
tatèrent qu'ils  payaient  le  tribut  imposé  par  une 
telle  action.  Naturellement,  ils  regimbèrent  et 
s'unirent  pareillement.  Mais  les  premières  orga- 
nisations avaient  de  l'avance  à  l'allumage  ;  elles 
possédaient  un  fonctionnement  perfectionné  par 
les  leçons  de  l'expérience;  les  dernières  con- 
sidérèrent qu'il  ne  fallait  pas  entamer  de  lutte 
avec  l'Etat;  elles  débutèrent  comme  avaient 
débuté  les  plus  anciennes  qui,  à  la  faveur  de  leur 
évolution,  prenaient  des  directions  plus  ou  moins 
diamétralement  opposées.  Et  c'est  ainsi  que, 
tandis  que  les  syndicats  ouvriers  exerçaient  une 
pression  continue  et  violente  sur  nos  dirigeants, 
les  syndicats  commerciaux  et  industriels  apparais- 
saient comme  les  boucliers  du  régime. 


>. 


LE   GROUPEMENT   PAR   AFFINITÉS  241 

L'esprit  corporatif,  dans  ses  manifestations 
rudimentaires,  n'atteint  pas  son  but;  il  empêche, 
ainsi  entendu,  l'évolution  de  l'individu  et  celle 
des  sociétés.  Oui,  nous  avons  besoin  d'entente, 
d'harmonie,  de  bonne  volonté,  d'association.  Mais 
nous  avons  besoin  de  l'entente  raisonnée  et 
généralisée;  de  l'harmonie  où  chaque  individu, 
en  souscrivant  à  tout  ce  qui  peut  engendrer  cette 
harmonie,  sera  lui-même  un  rouage  harmonieux- 
de  la  bonne  volonté  sans  cesse  agissante,  pour 
le  triomphe  des  grands  principes  qui  revêtent  un 
caractère  d'universahté  ;  d'association,  pour  l'avè- 
nement définitif  de  la  Liberté  et  de  la  Justice,  les 
deux  seuls  points  d'un  programme  susceptible  * 
d'être  admis  par  tous  les  hommes,  le  reste  n'étant 
que  des  mots  ronflants,  propres  à  endormir  les 
masses  ou  bien  à  les  induire  en  erreur. 

Il  est,  je    crois,  irréfutablement  admis  que  la 
naissance    du    syndicalisme   a    ses  racines  dans 
l'identité  du   besoin    matériel  et  moral.    Plus  le 
besoin    matériel  et  moral  sera  intense,    plus  le 
syndicalisme  apparaîtra  fort  à  ses  débuts;   c'est 
ce  besoin  matériel  et  moral  exacerbé  qui,  seul, 
fera  admettre  les  deux  grands   principes  dont  j'ai 
parlé,  dégageant  l'association  des  basses  convoi- 
tises individuelles  et  de  la  recherche  des  satisfac- 
tions particulières.  Seul,  ce  programme  pourtant 
restreint,  en  empêchant  la  perte  des  convictions 
personnelles,  les  fortifiera,  parce  que,  seul,  il  est 
à  même  de  développer  dans  un  sens  identique  la 
conscience  de  chacun,   au  détriment  de  la  cons- 
cience de  classe,  qui  se  développe  excellemment 

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LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LE   GROUPEMENT  PAR  AFFINITES 


243 


dans  le  privilège,  lequel,  en  tout  cas,  ne  peut 
jamais  être  que  temporaire. 

La  liberté  pour  tous,  pleine  et  entière;  la  jus- 
tice pour  tous,  pleine  et  entière,  élargissant  les 
horizons  que  rétrécit,  au  contraire,  Tidée  égali- 
taire,  la  plus  saugrenue  des  idées  que  nous  ayons 
professées,  et  qui  se  range  d'emblée  dans  le  do- 
maine, sinon  de  la  fadaise,  du  moins  de  Futopie. 
C'est  la  vision  nette  de  Texacte  signification  de  ces 
deux  vocables,  qui  empêchera  les  hommes  de 
vivre,  politiquement  et  économiquement,  avec 
l'application  funeste  de  mots  d'ordre  incompris  — 
et  d'autant  plus  pernicieux,  qu'ils  sont  incompris. 

Lorsque  les  petits  commerçants  et  les  petits 
industriels  s'unissaient  pour  handicaper  leurs  con- 
currents devenus  grands,  ils  ne  travaillaient  que 
pour  un  nivellement  impossible;  ils  enlevaient  à 
certains  d'entre  eux  la  faculté  de  prospérer  comme 
d'autres  avaient  prospéré;  ils  se  préparaient  à 
supporter  des  charges  nouvelles  qu'on  devait  créer 
pour  satisfaire  au  besoin  de  justice,  d'équihbre  fis- 
cal •  de  proportionnalité  fiscale,  pour  mieux  dire. 
Persévérant  dans  cette  voie,  ils  fussent  arrivés  à 
la  complète  négation  de  l'effort,  alors  qu'ils 
croyaient  faire  décréter  la  consécration  de  leur 
droit  de  vivre.  Avoir  le  droit  de  vivre,  ce  n'est 
point  avoir  le  pouvoir  d'atrophier  les  autres,  d'en- 
rayer la  concurrence,  de  «  tuer  ^  les  concurrents, 
selon  la  brutale  expression  de  Georges  Berry.  Le 
syndicat,  dans  ces  conditions,  pour  les  humbles 
du  monde  économique,  pouvait  ressembler  au 
vestibule  du  paradis  où  Ton  a  la  vie  douce,  facile, 


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éternelle  ;  il  n'était  cependant  que  la  pauvre  anti- 
chambre de  la  médiocrité. 

L'organisation  des  uns,  quand  elle  a  pour 
objectif  la  paralysie  de  l'énergie  des  autres,  la 
mort  de  leurs  initiatives,  est  la  chose  la  plus  mau- 
vaise qui  soit.  Elle  a  fait  le  jeu  de  politiciens  né- 
fastes, au  détriment  de  l'intérêt  général.  Elle  a 
développé  le  goût  du  bafouillage  dans  les  assem- 
blées parlementaires,  et  aussi  cet  amour  inné  que 
nous  avons  pour  les  enquêtes  stériles,  la  pape- 
rasserie inutile,  les  formulaires  oiseux,  les  ques- 
tionnaires tendancieux.  Que  de  temps  perdu,  que 
d'argent  dépensé  à  cause  de  ce  syndicalisme  nais- 
sant, gonflé  d'erreurs  naïves  et  de  sottes  préten- 
tions ! 

Si  le  rond-de-cuirisme  triomphe  ;  s'il  est  la 
plante  vénéneuse  qui  a  des  racines  pivotantes  au 
cœur  même  de  la  nation,  c'est  ce  syndicalisme 
étroit  qui  en  est  cause.  C'est  l'autre  qui  fera  éclore 
les  idées  généreuses  et  préparera  les  moissons 
d'enthousiasme,  parce  qu'il  a  pour  fondement 
l'idéal;  qu'il  contient  les  germes  de  l'émotion,  et 
que  la  Liberté  dont  on  nous  a  déshabitués,  la 
Justice  dont  nous  n'avons  vu  que  des  parodies, 
seules,  sont  les  signes  du  Progrès,  c'est-à-dire 
l'acheminement  vers  le  mieux. 

Le  bon  sens  commande  de  ne  pas  envisager  un 
autre  plan  de  campagne.  A  cette  condition  unique, 
l'esprit  syndicaliste  ne  se  confondra  pas  avec  l'es- 
prit de  r^^action. 

L'esprit  corporatif  étroit  n'est  pas  un  élément 
de  vigueur  morale  ;  il  se  manifeste,  à  bref  délai, 


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244 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


comme  un  élément  de  faiblesse.  Toutes  les  corpo- 
rations, groupées,  réunies  pour  Tavènement  défi- 
nitif de  la  liberté,  laisseraient  aux  individus  la  j| 
plénitude  de  leurs  aspirations,  objectif  précis,  avec, 
pour  pendant,  une  justice  certaine;  voilà  qui  crée- 
rait la  véritable  union,  dotée  de  la  véritable  force. 
Une  institution,  quelle  qu'elle  soit,  prouve  sa 
valeur  en  existant  par  elle-même.  L'Union  des 
Entreprises  Modernes  peut  être  pourvue  de  res- 
sources suffisantes  pour  étendre  son  action  avec 
toute  l'intensité  désirable.  Elle  se  fortifiera  de 
l'adhésion  de  tous  ceux  qui,  étant  commerçants 
ou  industriels,  se  sentent  véritablement  des  hom- 
mes. Elle  peut,  avec  de  la  persévérance,  devenir 

la  C.  G.  P. 

L'union  des  travailleurs  qu'est  la  C.  G.  T.,  s'est'' 
donné    comme    buts  ultimes,  la  suppression  du 
patronat  et  du  salariat. 

Comme  l'a  dit  excellemment  M.  Georges  Darien  : 
il  suffit  de  réfléchir  un  moment  pour  comprendre 
que  ce  sont  là  deux  objectifs  qui  resteront  toujours 
hors  d'atteinte.  Le  patronat  est  constitué  par  ce  . 
fait  qu'un  certain  individu,  prenant  la  direction 
d'une  certaine  entreprise,  demande  le  concours 
payé  d'autres  hommes  pour  l'aider  à  réaliser  son 
dessein.  A  moins  d'être  fou,  on  est  forcé  d'ad- 
mettre qu'un  pareil  fait,  qui  n'a  rien  que  de  très 
naturel,  se  reproduira  fatalement  tant  que  les 
hommes  resteront  des  êtres  à  intellects  différents 
et  à  des  aptitudes  variées.  Tout  ce  qu'on  peut  de- 
mander, et  très  justement,  c'est  que  le  patron  ne 
soit  pas  maître  d'imposer  ses  conditions,  et  que 


LE   GROUPEMENT  PAR   AFFINITES 


245 


l'employé  ne  soit  pas  obligé  d'accepter  une  occu- 
pation et  un  prix  qui  lui  déplaisent.  C'est  ici  la 
question  de  la  Liberté  du  Travail. 

Le  salariat  est  constitué  par  ce  fait  qu'un  indi- 
vidu reçoit  une  certaine  rémunération  pour  un 
certain  travail.  Tout  homme  sensé  reconnaîtra  qu'il 
n'existe  aucune  raison  pour  qu'un  pareil  fait  cesse 
de  se  produire.  Ce  qu'on  peut  exiger,  et  très  natu- 
rellement, c'est  que  le  travailleur  reçoive  tout  son 
salaire. 

Or,  avec  notre  système  fiscal  actuel,  le  travail- 
leur ne  peut  disposer  que  d'une  partie  de  son 
salaire.  Les  impôts  indirects  lui  en  prennent  la 
plus  grande  partie,  alors  que  l'impôt  proprement 
dit  pénalise  l'intelligence,  l'initiative,  le  labeur, 
Teffort. 

Le  premier  souci  d'une  C.  G.  P.  devrait  donc 
être  de  concevoir  un  système  d'impôt  plus  équi- 
lable  et  qui  ne  handicape  point  le  savoir-faire  indi- 
viduel et  collectif.  Nous  verrons  comment.  Cet 
impôt,  une  fois  établi,  il  apparaîtra  clairement  à 
l'ouvrier  que,  s'il  gagne  dix  francs,  ces  dix  francs- 
là  sont  bien  à  lui  et  que  nul  gabelou  ne  lui  en 
ravira  une  part  qu'il  ne  connaît  pas. 

La  C.  G.  P.  travaillant  dans  l'intérêt  général, 
rallierait  vite  toutes  les  sympathies.  Quand  on  veut 
réaliser  plus  de  liberté  et  plus  de  justice,  on  lutte 
pour  l'obtention  de  réalités  tangibles,  et  le  succès 
est  au  bout. 

L'organisation,  certes,  est  la  moitié  du  triomphe, 
mais  elle  n'est  le  triomphe  tout  entier  que  si  elle 
a  pour  devise  :  Liberté,  Justice. 


246 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LE   GROUPEMENT   PAR   AFFINITES 


247 


Liberté  de  produire,  de  vendre,  d'acheter. 

Justice  dans  Timpôt. 

La  question  sociale  est  là  tout  entière.  Elle  ne 
peut  être  ailleurs.  Tout  le  reste  n'est  que  diversion. 
C'est  au  groupement  par  aftinités  qu'il  appartien- 
dra de  le  démontrer. 

En  attendant,  les  timorés  et  les  esprits  plus  ou 
moins  chagrins  s'émeuvent  de  la  coordination 
qui  existe  dans  les  mouvements  des  syndicats 
ouvriers;  les  processionnaires  aussi  ont  de  la 
coordination  dans  leurs  mouvements  ;  ils  les  exé- 
cutent avec  ensemble.  Cela  n'appelle  point  le 
le  miracle.  Le  monde  reste  le  monde  et  l'erreur 
ne  devient  pas  la  vérité. 

Toutefois,  les  regrets  s^nt  quand  même  motivés. 
Les  classes  dites  moyennes  sont  incapables  d'ac- 
tion comme  les  groupements  de  la  C.  G.  T.  Elles 
s'ignorent;  leur  cohésion  reste  la  chimère;  les 
individualités  qui  les  composent,  ne  se  sont  pas 
encore  unies.  La  cellule  qui  s'appelle  le  groupe- 
ment, demeure  une  chose  vague  et  problématique. 

La  biologie  nous  apprend  que  la  vie,  sur  le 
globe,  a  commencé  par  la  cellule  ;  c'est  là  que, 
réellement,  elle  a  sa  source.  Les  cellules  s'agglo- 
mèrent, se  créent  des  liens  communs,  des  besoins 
communs,  des  moyens  communs.  Elles  forment 
des  êtres  plus  perfectionnés  que  l'amibe,  mais 
dont  l'existence  végétative  s'éternise.  Peu  à  peu, 
l'animal  apparaît,  dont  les  actions  sont  détermi- 
nées ;  le  plus  perfectionné,  c'est  l'homme,  composé 
de  36  trillions  de  cellules  qui  se  renouvellent  pé- 
riodiquement tous  les  trois  lustres. 


Notre  vie  morale  doit  être  l'image,  le  reflet  de 
notre  vie  physique.  Des  cellules  sociales  se  sont 
agglomérées  depuis  de  nombreuses  années  ;  ce 
sont  celles  chez  lesquelles  les  besoins  étaient  plus 
évidents,  et  les  nécessités,  plus  impérieuses. 
C'étaient  les  travailleurs.  Les  liens  communs  sont 
nés  ;  les  besoins  communs  furent  reconnus  ;  les 
moyens  communs  commencent  à  se  déterminer. 
L'agglomérat  de  cellules  fonctionne  à  la  Bourse 
du  Travail  ;  comme  la  pieuvre,  il  a  une  tête  ; 
comme  elle  encore,  il  a  des  tentacules.  C'est  par 
là  qu'il  ressemble  à  l'État,  dont  on  pourrait  étu- 
dier les  analogies  de  formation. 

Les  classes  moyennes,  elles,  pendant  ce  temps, 
cellules  indépendantes,  amibes  humaines,  ont 
continué  à  alimenter  leur  existence  propre  dans  le 
milieu  dans  lequel  elles  évoluaient,  et  qui  était 
riche  de  substances.  Le  besoin  ne  les  a  pas  rap- 
prochées ;  le  lien  commun  ne  s'est  pas  créé;  à 
présent,  elles  souffrent,  et  le  moyen  commun  d'ac- 
tion n'apparaît  pas.  Il  ne  s'improvise  guère.  Ce 
sont  les  décades  qui  s'écouleront,  qui  forgeront 
tout  ce  que  l'absence  de  nécessités  empêcha. 

Toutes  les  innovations  récentes  :  ligues  écono- 
miques, fédérations,  tentatives  de  C.  G.  P.  ou  de 
Confédération  générale  du  Commerce  et  de  l'In- 
dustrie, ne  sont  que  les  soubresauts  de  cellules 
menacées.  Il  n'y  a  rien  là  qui  soit  viable. 

Les  apeurés  se  rapprochent,  veulent  se  sentir 
les  coudes,  mais  le  frottement  est  imaginaire;  les 
cloisons  subsistent;  nul  protoplasme  ne  circule 
encore,  d'ici  à  là,  par  le  phénomène  d'endosmose 


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248 


LES   ENTREPRISES  MODERNES 


LE   GROUPEMENT  PAR  AFFINITES 


249 


OU  d'exosmose  sociale.  C'est  ainsi  qu'on  peut  dé- 
signer les  courants  qui  se  manifestent  dans  For- 
ganisation  ouvrière  ;  c'est  le  temps  seul  qui  les 
déterniine.  C'est  pourquoi  les  résultats  seront 
lom  d'égaler  les  espoirs  de  quelques  apôtres  ou  de 
quelques  promoteurs.  L'indifférence  n'est  pas  un 
mot  ;  c'est  une  chose  qui  ne  se  secoue  pas  aisé- 
ment. L'égoïsme  triomphe  ;  la  guerre  l'a  porté  à 
son  paroxysme  de  floraison.  Il  faut  le  temps  des 
épreuves  pour  faire  mûrir  les  aspirations  de  quel- 
ques précurseurs,  et  les  fruits  ne  sont  que  le  pro- 
duit des  saisons  écoulées. 

Mortes  avant  de  naître,  C.  G.  P.  ou  C.  G.  C.  I.  ?... 
Mon  Dieu,  oui!,..  Elles  n'écloront  point  via- 
blement  d'un  assemblage  spontané  d  éléments 
hybrides,  apeurés.  Une  masse  hétérogène  ne  peut 
se  doter  d'une  vie  parfaite,  mais  tout  au  plus 
d'une  vie  factice  et  provisoire.  Donc,  elles  dépéri- 
ront, sans  avoir  travaillé  d'une  façon  effective  et 
utile.  Ce  n'est  point  d'une  alliance  rapide  de  Com- 
pagnies d'Assurances,  de  Compagnies  Commer- 
ciales et  Industrielles,  de  boulangers,  de  bouchers, 
de  charcutiers  et  de  tailleurs,  qu'elles  surgiront! 
Elles  ne  peuvent  surgir,  l'une  à  l'exclusion  de 
l'autre,  que  du  groupement  par  affinités.  L'affinité 
crée  l'attraction;  1  absence  d'affinité  engendre 
l'inertie  ou  la  répulsion.  Des  circonstances  passa- 
gères peuvent  inciter  des  esprits  non  prévenus  à 
^croire  le  contraire  ;  il  n'en  est  rien.  Ma  proposition 
subsiste,  intégrale. 

Alors,    quoi?...    Faut-il,    calmes,    indifférents, 
résignés,  faisant  contre  fortune  bon  cœur,  tendre 


le  dos,  attendre  le  coup  fatal,  les  conséquences  de 
l'initiative  brutale  qui  menace  de  tuer  les  classes 
moyennes,  comme  une  goutte  de  vitriol  tuerait 
une  cellule  isolée?...  Non  point.  Toutes  les  tenta- 
tives sont  bonnes,  à  défaut  d'être  heureuses  ;  toutes, 
elles  méritent  d'être  encouragées,  parce  qu'elles 
démontreront  mieux  que  la  seule  façon  d'enfanter 
la  chose  qui  manque,  c'est  de  créer  le  grand  grou- 
pement par  affinités.  Si  le  mouvement  part  d'en 
3as,  les  affinités  ne  se  manifesteront  jamais. 
Quelles  affinités  pourraient  se  manifester  autour 
des  fabricants  de  poudre  insecticide,  par  exemple? 
Il  n'en  serait  point  de  même  autour  des  dro- 
guistes, qui  vendent  de  la  poudre  insecticide,  parce 
qu'ils  écoulent,  parallèlement,  en  même  temps, 
cent  autres  produits  que  fabriquent  cent  autres 
catégories  sociales.  Mon  raisonnement  serait  iden- 
tique si  je  l'appliquais,  soit  à  la  charcuterie,  soit 
à  la  boulangerie,  quoique  cette  dernière  puisse 
rallier  de  nombreux  éléments  de  la  production. 

Non.  Le  mouvement  doit  partir  d'en  haut,  de 
chez  ceux  qui  vendent,  non  pas  cent  produits, 
comme  le  droguiste,  mais  mille  produits  différents. 
Pour  être  plus  clair,  il  doit  partir  de  l'union  de 
tous  les  puissants  organismes  de  répartition.  Ils 
sont  trois  ou  quatre  :  grands  magasins,  maisons 
à  succursales,  bazars,  firmes  ayant  l'ambition  de 
réaliser,  dans  l'avenir,  une  forme  commerciale 
moderne.  L'affinité,  là,  existe  ;  elle  n'a  pas  besoin 
d'être  créée  ;  le  législateur  lui-même  l'a  provoquée 
par  les  lois  d'exception.  Cela  réunit  le  monde  de 
la  nouveauté,  celui    de  l'alimentation   solide  et 


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250 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


liquide,  celui  de  la  chaussure;  que  saîs-je?...  la 
plus  grande  partie  de  l'activité  nationale,  en  un 
mot. 

Prenons  un  seul  élément  :  la  nouveauté.  Que 
peut-il  rassembler?...  Il  peut  rassembler,  non 
seulement  les  gens  de  la  Chambre  syndicale  du 
même  nom,  mais  les  tisseurs,  mais  les  filateurs, 
mais  jusqu'aux  producteurs  de  lin,  de  chanvre,  de 
jute,  etc.;  mais  les  tailleurs,  qui  se  divisent  en 
tailleurs  pour  hommes  et  en  tailleurs  pour  dames  ; 
autour  des  uns  et  des  autres  viendraient  se  ranger 
la  passementerie,  l'industrie  du  bouton,  de  la  bre- 
telle, les  rubaniers,  la  mode,  la  plume,  les  indus- 
tries de  la  plume,  etc.  On  voit  d'ici  les  consé- 
quences. 

Le  grand  groupement,  cellule  viable,  serait  la 
base  de  tout.  Riche,  il  pourrait  faire  sa  propa- 
gande ;  composé  des  as  de  l'échange  et  de  la  fabri- 
cation, les  idées  pratiques  ne  lui  feraient  pas 
défaut.  Il  rayonnerait.  Il  serait  un  centre  de  mou- 
vement, donc  d'attraction.  Une  à  une,  toutes  les 
spécialités  pourraient  venir  se  fondre  en  lui.  L'or- 
ganisme, peu  à  peu,  pourrait  prétendre  à  devenir 
G.  G.  P.  Gela  demanderait  dix  ans,  vingt  ans; 
qu'importe?  La  chose  serait  en  route.  Et  c'est  bien 
là  l'essentiel. 

Oui,  mais  les  petits  n'aiment  pas  les  grands, 
il  est  vrai  que  les  grands  méprisent  les  petits.  Les 
grands  ne  s'aiment  pas  entre  eux  ;  ils  ne  s'estiment 
pas  toujours.  Ils  vivent  isolés.  La  tour  d'ivoire 
leur  suffit.  Quand  elle  sera  véritablement  assiégée, 
ils  pleureront  d'y  être  enfermés.  G'est  la  misère 


>■ 


LE   GROUPEMENT  PAR   AFFINITÉS  251 

commune  qui  créera  l'agglomération  tardive  des 
cellules  viables,  le  besoin  commun,  les  liens  com- 
muns, les  moyens  communs,  par  l'appHcation  rai- 
sonnée  du  phénomène  d'endosmose  et  d'exosmose 
sociale,  dont  j'ai  l'honneur  de  poser  le  principe. 


1^ 


XVI 


En  face  d'une  situation  nouvelle. 


Le  bouleversement  est  complet  dans  Torgani- 
sation  économique  et  sociale.  Il  y  a  des  gens 
intelligents  qui  s'en  effarent.  Il  y  en  a  qui  jouis- 
sent et  qui,  comme  Louis  XV,  se  disent  en  a 
parte  :  «  La  France  est  une  bonne  machine  ;  elle 
marche  toute  seule;  elle  marchera  bien  autant 
que  moi.  Après  moi,  le  déluge  !  )>  Ces  derniers 
semblent  être  la  majorité;  c'est  par  eux  que  nous 
souffrons.  C'est  leur  indifférence  qui  nous  accable; 
c'est  leur  apathie,  jointe  à  l'exacerbement  de  leur 
égoïsme,  qui  nous  fera  mourir,  si  nous  n'y  pre- 
nons garde. 

Secouons  l'apathie  !  Bannissons  l'indifférence  I 
Ecrasons  Tégoïsme  !  Ce  sont  nos  seules  entraves  • 
elles  sont  pires  que  celles  dressées  par  l'ancien 
régime.  L'industrie  et  le  commerce  ne  doivent 
avoir,  pour  objectif  et  pour  idéal,  que  les  seules 
lois  établies  par  le  régime  de  lalibre  concurrence  ; 


EN  FACE  D  UNE   SITUATION  NOUVELLE 


253 


jusqu'à  ce  jour,  ces  lois  furent  fictives.  Beaucoup 
de  concentration,  d'une  part  ;  trop  peu  de  concen- 
tration, de  l'autre;  les  rivalités  ont  surgi,  féroces 
quelquefois  ;  le  lien  de  solidarité  est  atrophié  entre 
les  gens  de  l'usine  et  ceux  du  magasin  ;  il  est 
rompu  entre  le  patron  et  l'ouvrier. 

La  rivalité  entre  les  grandes  entreprises  indus- 
trielles étrangères,  pour  la  conquête  des  débouchés 
mondiaux,  est  susceptible  de  déchaîner  des 
guerres  ;  la  lutte,  à  l'intérieur  du  pays,  n'en- 
gendre que  la  paralysie  ;  elle  n'est  pas  un  stimu- 
lant, comme  on  pourrait  le  croire  ;  c'est  du  conflit 
entre  grands  et  petits,  dans  le  monde  de  la  pro- 
duction et  de  la  répartition,  qu'est  né  le  conflit 
aigu  du  capital  et  du  travail.  On  se  groupe,  ai-je 
dit,  sous  l'empire  des  nécessités.  Les  ouvriers, 
les  employés,  souvent  sacrifiés  par  le  Code  civil 
qui  a  les  considérés  comme  quantités  négligeables, 
—  ce  en  quoi  il  eut  tort  —  pour  favoriser  le 
3atronat  sous  toutes  ses  formes,  sont  arrivés,  par 
'union,  par  la  communauté  de  la  revendication 
d'un  droit,  le  droit  d'association;  conforme  à  la 
liberté,  à  constituer  les  syndicats  professionnels 
qui  leur  étaient  interdits.  Ils  gagnèrent  cette  pre- 
mière manche,  pour  eux  la  plus  importante  de 
toutes.  11  ne  fallait  que  quelques  circonstances 
pour  qu'ils  se  sentissent  les  coudes  davantage  ;  la 
guerre,  qui  a  tout  bouleversé,  qui  a  surtout  dé- 
précié la  valeur  de  l'argent,  les  a  fait  naître.  C'est 
cette  dépréciation  qui  donna  au  mouvement  syndi- 
caliste la  recrudescence  que  nous  lui  constatons. 
Déplorons-en  l'excès,  tout  en  reconnaissant  qu'il 


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254 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


EN   FACE   D  UNE   SITUATION   NOUTELLE 


255 


repose  sur  des  besoins  sur  lesquels  repose,  à  son 
tour,  la  liaison  profonde  qui  existe  entre  les 
salariés  de  tous  ordres. 

La  G.  G.  T.   constitue  une  force  si  importante, 
Bon  pouvoir  peut  s'exercer  d'une  façon  si  arbi- 
traire, en  provoquant  Tarrêt  de  la  vie  nationale,  et 
même  celui  de  la  vie  internationale,  qu'on  se  de- 
mande en  vain  quel  contrepoids  lui  opposer.  En 
tout  cas,  ce  n'est  point  celui  de  l'État  qui,  en  face 
de  cette  force   si   considérable,    renonce  à  toute 
intervention  pour  maintenir  la  continuité  de  la  vie 
nationale.  Et  rien  ne  prouve  mieux  le  néant  des 
Syndicats  corporatifs,    des  Unions  corporatives, 
qui  n'avaient  et  qui  n'ont  encore  pour  but,   nous 
l'avons  vu,  que  l'intervention  de  l'Etat-Providence, 
en  tout  ce  qui  les  concerne.  L'Etat,  de  temps  en 
temps,  cédera,  comme  il  cède,  à  une  revendication 
ouvrière  qu'il  entérinera,  comme  il  l'entérine,  par 
une  loi.  Ge  sera  tout,  parce  que  l'Etat  n'a  qu'une 
pensée  :  s'abstenir,  enregistrer,  purement  et  sim- 
plement, les  accords  qu'il  désire  voir  se  produire 
entre  le  Gapital  et  le  Travail,  en  acceptant  à  peine 
le  rôle  de  médiateur  qui  lui  est  imposé. 

Triste  et  précaire  apparaît  donc  la  situation  des 
ligues  hybrides  que  fit  surgir  l'instinct  de  défense, 
en  ses  primitives  manifestations  !  Tristes  et  pré- 
caires apparaissent  aussi  les  groupements  corpo- 
ratifs en  révolte,  soit  contre  ces  revendications 
ouvrières,  soit  contre  les  impôts,  soit  contre  les 
empiétements  inéluctables  de  l'Etat.  Ge  sont  de 
faibles  barrages  qu'emporte  le  premier  flot.  Du 
moins,  si  le  premier  flot  ne  le»  emporte  pas,  il 


les  submerge.  Les  organisations  sont  parties  d'une 
erreur:  elles  ont  cru  à  la  puissance  du  nombre  de 
leurs  adhérents,  à  la  puissance  de  ces  adhérents 
basée  parfois  sur  leur  richesse  ;  elles  constatent 
douloureusement  la  vanité,  la  présomption  de 
leurs  efforts  ;  la  force  du  côté  politique,  en  effet, 
réside  dans  la  masse.  Et  ce  ne  sont  point  elles 
qui  l'incarnent.  Elles  s'agitent  en  des  velléités  qui 
perpétuent  leur  action  passée  ;  leur  programme, 
si  peu  modifié,  n'est  encore  qu'un  programme 
négatif;  elles  risquent  d'apparaître,  de  plus  en  plus, 
comme  des  nids  de  réaction.  Il  n'y  a  pas  d'autre 
moyen,  pour  assurer  le  progrès  qu'elles  rêvent, 
que  celui  de  constituer  la  Fédération  d'action, 
avec  un  programme  positif. 

Le  programme  ne  sera  positif  et  la  Fédération 
d'action  n'existera  que  lorsque  le  Patronat  ne  dira 
plus  aux  Pouvoirs  publics,  sur  le  ton  de  la  prière: 
«  Ne  faites  pas  cela  I  y>  Mais  quand  il  dira,  sur  le 
ton  du  commandement  :  «  Faites  cela  !  »  Mais, 
pour  donner  l'ordre,  il  faut  être  sûr  de  sa  maî- 
trise ;  il  faut  être  capable  de  proposer  des  solu- 
tions ;  pour  proposer  des  solutions,  il  convient 
d'avoir  étudié  les  questions  ;  pour  étudier  les 
questions,  il  faut  être  organisé  dans  Taccord. 
L'accord  nécessite  l'abnégation  de  l'intérêt  indi- 
viduel immédiat,  ou  celui  de  l'intérêt  corporatif, 
qui  relève  en  droite  ligne  de  l'intérêt  particulier, 
mauvais  pour  toute  œuvre  d'un  caractère  vraiment 
social.  G'est  l'abnégation  de  l'intérêt  individuel  et 
corporatif  qui,  seule,  permettrait  à  l'Etat  de  récu- 
pérer équitablement  les  impôts  dont  il  a  besoin,  et 


t! 


256 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


EN   FACE  d'une   SITUATION  NOUVELLE 


257 


dont  rinjuste  répartition  est  à  la  base  de  tout  mou- 
vement de  révolution,  chose  que  les  aveugles  et 
les  gens  de  mauvaise  foi  ne  voient  pas  ou  ne 
veulent  point  voir. 

C'est  là  que  commence  la  difficulté  de  s'en- 
tendre. Si  tous  les  hommes  avaient  été  à  Técole 
des  physiocrates,  ce  serait  plus  facile,  et  Thar- 
monie  ne  serait  pas  un  vain  mot.  Hélas!  ils  ne 
connaissent  ni  les  physiocrates  ni  leurs  doctrines. 
Et  c'est  pourquoi  le  travail  reste  pénalisé  par 
Timpôt  indirect,  qui  lui  ravit  clandestinement  le 
plus  clair  de  ses  produits  ;  c'est  pourquoi  Tintelli- 
gence,  l'initiative,  l'esprit  d'entreprise,  sont  ré- 
primés et  punis  par  les  charges  les  plus  variées, 
les  plus  illogiques,  les  plus  invraisemblables,  les 
plus  criminelles  même,  parce  qu'elles  atteignent 
les  moindres  manifestations  de  l'activité,  du  savoir- 
faire,  de  l'émulation,  de  la  noble  ambition;  elles 
vont  jusqu'à  s'attaquer  au  capital  en  formation; 
demain,  peut-être,  elles  taxerontl'idéeen  éclosion 
dans  un  cerveau. 

L'esprit  individualiste,  ou  l'esprit  corporatif  — 
—  c'est  la  même  chose,  —  en  s'évertuant  à  crier, 
dans  le  désarroi,  à  la  Providence-Etat-Percepteur  : 
((  Epargne-moi,  de  grâce,  et  frappe  le  voisin  I... 
Donne-moi  la  faveur,  le  privilège,  les  distinctions, 
le  soleil  qui  réchauffe,  la  lune  qui  m'hypnotise  !  » 
voilà  le  coupable,  on  ne  saurait  trop  le  répéter. 

Cet  esprit-là  a  fait  que  beaucoup  se  sont  consi- 
dérés comme  satisfaits  quand  la  patente  de  leur 
voisin  s'est  élevée,  alors  que  la  leur  demeurait 
momentanément  stationnaire  ;  cet  esprit-là  a  fait 


pou&ser  des  cris  de  joie  lorsqfie  quelques  Coopé- 
ratives devinrent  de  simples  contribuables;  cet 
esprit-là  a  fait  que  des  millions  de  citoyens  français 
se  sont  estimés  suffisamment  heureux  lorsqu'ils 
furent  admis  à  assister  au  lever  ou  au  coucher  des 
puissants  —  ne  fût-ce  que  de  leur  député;  —  on 
s'est  targué  des  faveurs  reçues;  on  s'e&t  gonflé  d'or- 
gueil pour  cent  puériles  raisons  ;  et  maintenant, 
toutes  les  mains  se  fatiguent  de  tenir  la  chandelle, 
car  la  Providence-Etat  n'est  plus  qu'un  monstre 
flasque  dressant  ses  tentacules  qui  s'ornent  de 
sébiles  comparables  au  tonneau  des  Danaïdes. 

Ce  caractère,  qui  fut  le  nôtre,  est  devenu  inad- 
missible, aujourd'hui  que  les  choses  elles-mêmes 
«  hurlent  la  nécessité  d'établir,  sur  une  base  indes- 
tructible, la  liberté,  la  justice,  la  conscience  et  la 
responsabilité  des  rouages  du  grand  organisme 
social  >.  Ce  caractère-là,  qui  a  dressé  chez  nous 
toutes  les  rivalités,  tous  les  appétits,  en  face 
d'autres  appétits  ;  qui  a  consolidé  les  corporations 
vieillies  et  néfastes,  doit  disparaître  pour  l'union 
avec  un  objectif  précis;  pour  l'union  qui  favori- 
serait les  énergies,  les  aptitudes,  les  audaces 
économiques,  au  détriment  de  l'accumulation  des 
paperasses,  des  formulaires^  des  questionnaires, 
des  grimoires,  des  répertoires,  des  étiquettes,  des 
visas,  sous-visas,  etc.,  etc.,  qui  constituent  tout 
l'arsenal  d'une  bureaucratie  inapte,  autant  qu'in- 
solente et  paresseuse. 

11  faudrait  avoir  pour  objectif  la  France  et  non 
soi-même  ;  il  faudrait  étouffer  l'éructation  des  re- 
Dus  et  les  borborygmes  de  la  faim,  dans  l'arrière- 

17 


il 


II 


h 


258  LES   ENTREPRISES^MODERNES 

garde  sociale.  Les  Entreprises  Modernes  ont  un 
immense  rôle  à  jouer.  Qu'elles  organisent  donc  le 
premier  des  groupements  par  affinités,  et  le  plus 
tôt  sera  le  mieux.  Ensuite  viendra  la  Fédération 
des  groupements  par  affinités,  car  l'exemple  sera 
suivi.  Cette  Fédération  aura  un  programme  positif, 
et  il   est  essentiel    qu'elle   ait    un    programme 

d'action. 

La  composition,  le  programme  et  le  rôle  de 
la  C.  G.  P.  :  tels  sont  les  objets  qu'il  importe  de 

définir. 

—  Mais,  va  s'écrier  quelque  bon  apôtre,  que 
parlez-vous  de  G.  G.  P.?...  A-t-elle  donc  besoin 
d'être  créée?  Le  ministère  du  Commerce,  avec 
M.  Clémentel  et  tous  les  grands  groupements 
patronaux,  ne  l'ont-ils  point  constituée  en  vingt- 
deux  sections? 

—  C'est  possible;  cependant,  comme  on  le 
verra,  la  Confédération  patronale  ne  peut  naître 
par  ordre.  En  outre,  les  Entreprises  Modernes,  à 
quelque  catégorie  qu'elles  appartiennent,  ne  peu- 
vent se  rattacher  à  la  Confédération  patronale  de 
la  production,  d'institution  gouvernementale.  Où 
se  rattacheraient  les  Grands  Magasins?...  A  la 
section  de  la  nouveauté?...  Oui,  mais  comme  ils 
vendent  de  tout,  ils  peuvent  aussi  bien  se  rattacher 
à  la  section  art  et  luxe  et  à  d'autres.  Il  n'y  a  rien 
là  de  parfaitement  défini. 

Et  les  Sociétés  d'Alimentation,  de  qui  vont- 
elles  relever?...  De  l'Epicerie,  c'est-à-dire  des 
grossistes,  intermédiaires  surannés,  et  des  détail- 
lants, leurs  vassaux  ou  feudataires?...  Il  y  aurait 


EN   FACE   D  UNE   SITUATION   NOUVELLE 


259 


: 


là  quelque  chose  d'absurde.  Et  puis,  leurs  ventes 
ne  se  restreignent  pas  à  T Alimentation  :  ne  font- 
elles  pas  la  Mercerie  ? 

En  une  ligne  comme  en  cent,  comme  en  mille, 
le  groupe  :  Union  des  Entreprises  Modernes,  c'est- 
à-dire  des  entreprises  ayant  des  intérêts  plus  ou 
moins  similaires,  doit  être  constitué.  Et,  nous  le 
répétons,  logique,  rationnelle,  nécessaire,  l'Union 
servira  de  pierre  angulaire,  parce  que  modèle,  aux 
groupements  par  affinités  qui  constitueront  la 
Fédération  de  l'Avenir,  laquelle  remplacera  la 
Fédération  existante  qui  n'est  qu'une  tentative,  un 
ballon  d'essai. 

A  la  base,  les  intérêts  communs  et  particuliers. 
Ils  iront  se  dégageant  à  chaque  échelon,  pour 
aboutir  au  sommet,  aux  intérêts  généraux  du  Com- 
merce et  de  l'Industrie  du  pays. 

Dans  la  G.  G.  P.  ne  doit  pas  exister  d'exclusion 
contre  telle  ou  telle  forme  de  commerce  ou  d'in- 
dustrie. Toutes  les  branches  doivent  être  repré- 
sentées, afin  d'éviter  les  luttes  qui  sont  toujours 
stériles  et  qui  ne  donnent  à  chacun  que  l'illusion 
d'un  succès  momentané,  transformé,  hélas  ! 
bientôt  en  victoire  à  la  Pyrrhus. 

Du  contact,  naissent  l'explication  et  la  connais- 
sance, desquelles  naît  l'entente,  qui  permet  de 
sauvegarder  les  intérêts  légitimes.  Et  ainsi  sera 
apaisée  l'âpreté  de  la  lutte  entre  le  grand  et  le 
petit  commerce,  entre  la  grande  et  la  petite  in- 
dustrie, dressés  depuis  si  longtemps  l'un  contre 
l'autre,  pour  leur  malheur  commun. 

A  ces  groupements  généraux,  factices  et  hété- 


II 


260 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


EN   FACE   d'une   SITUATION  NOUVELLE 


261 


redites,  il  faut  donc  substitueF  une  série  de 
groupements  par  affinités  reposant  chacun  sur  la 
cellule  de  base  dans  laquelle  la  vie  existe,  où  les^ 
besoins  s'expriment.  Et  ainsi,  de  groupements 
particuliers  en  groupements  plus  vastes,  mais 
toujours  par  affinités,  les  besoins  iront  s'expri- 
mant,  mais  s'élargissant  et  se  généralisant,  jusqu'à 
la  C.  G.  P.,  laquelle  ne  sera  que  Témanation  sim- 
plifiée des  besoins  généraux  qui  sont  nécessaires 
et  suffisants  pour  permettre  le  développement  et 
la  prospérité  du  eomm-erce  et  de  Tindustrie. 

Le  programme  de  la  C.  G.  P.,  il  serait,  à  l'heure 
actuelle,  puéril  de  le  définir;  car,  s'il  était  pos- 
sible de  l'établir  sans  cette  collaboration  com- 
mune que  nous  venons  d'exposer,  la  création  de 
la  G.  G.  P.  serait  parfaitement  inutile. 

Le  programme  que  l'on  dresserait  aujourd'hui, 
ne  serait  qu'une  conception  a  priori,  issue  d'un 
cerveau  isolé,  et  qui  ne  procéderait  que  par  hypo- 
thèses ou  par  déductions,  basées  sor  certaines 
observations  incomplètes. 

Mais,  ce  que  Ton  peut  déterminer,  ce  sont  les 
)rincipes  qui  doivent  présider  à  son  établissement  : 
'acceptation  des  conditions  économiques  et  so- 
ciales de  la  vie  actuelle,  en  s'inspirant  des  prin- 
cipes de  justice  et  de  hberté.  Il  est  nécessaire 
d'être  résolu  à  aller  dans  le  sens  de  l'évolution  et 
à  ne  pas  tenter  de  réagir  inutilement. 

Le  Capital  et  le  Travail  no  doivent  pas  être 
deux  forces  ennemies;  ce  sont  deux  forces  qui 
peuvent  avoir  des  intérêts  différents,  mais  qui 
sont  appelées  à  collaborer  ensemble,  et  qu'il  est 


indispeasable  de  concilier,  parce  que  tout  échec, 
pour  l'une  ou  pour  l'autre,  a,  en  définitive,  son 
contre-coup  sur  la  seconde.  La  suppression  de 
Tune  serait,  au  fond,  la  ruine  de  l'autre. 

La  lutte,  soit  contre  le  travail,  soit  contre  les 
Pouvoirs  publics,  serait  une  erreur  grossière. 

Il  faut,  au  contraire,  s'efforcer  de  créer  à  la 
base,  des  accords  entre  le  Capital  et  le  Travail.  Le 
lien  de  solidarité  qui  <^xistâit  autrefois  entre  le 
petit  patron  et  l'ouvrier,  doit  être  renoué,  afin  que 
l'ouvrier  se  rende  compte,  et  cela  par  une  mani- 
festation certaine  et  palpable,  qu'il  a  intérêt  à  la 
prospérité  de  l'industrie  et  du  commerce  auxquels 
il  appartient;  que  la  ruine  de  cette  industrie  est 
la  sienne  propre,  et  que  le  succès,  au  contraire, 
lui  apporte  une  amélioration  à  son  sort. 

Ainsi,  le  Travail  ne  sera  plus  l'ennemi,  mais 
l'auxiliaire  du  Capital. 

On  ne  doit  pas,  d'autre  part,  attendre  de  l'Etat 
ce  qu'il  ne  peut  donner.  Tenter  de  le  dominer  par 
de  petits  moyens,  par  une  lutte  politique,  est 
encore  une  solution  mauvaise  qui  ne  peut  pro- 
curer que  des  avantages  particuliers  et  passagers. 

Le  Travail  représentant  le  nombre,  en  l'état 
actuel,  les  Pouvoirs  publics,  dans  les  grandes 
questions  l'écouteront  toujours. 

Forte  d'avoir  derrière  elle  l'appui  de  tous  les 
groupements,  certaine  d'être  en  communion 
d'idées  avec  eux,  la  C.  G.  P.  ne  sera  pas  un  grou- 
pement factice  d'amitiés  ou  d'intérêts  particuliers, 
momentanément  réunis  contre  telle  ou  telle  ten- 
dance du  pouvoir  ou  telle  revendication  du  travail. 


It 


'1 


262 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Elle  pourra  avoir  une  ligne  d'action  continue  ; 
elle  sera  en  état  de  faire  preuve  d'une  initiative 
qui,  certainement,  ne  sera  pas  contrecarrée,  car 
elle  sera  l'émanation  de  tous.  Alors,  sa  force  sera 
toute-puissante,  et  elle  aura  une  direction.  Elle  ne 
sera  pas  un  contrepoids  inutile,  tendant  vaine- 
ment à  entraver  des  mouvements  contre  lesquels 
on  ne  peut  rien  lorsqu'ils  se  sont  produits. 

Connaissant  les  besoins  de  l'Etat,  les  besoins 
du  travail  et  les  besoins  de  l'industrie  et  du  com- 
merce, elle  proposera;  et  ses  projets,  inspirés  par 
Texpérience  et  l'intérêt  général,  seront  acceptés, 
car  ils  répondront  à  nos  besoins  et  à  la  justice.  La 
C.  G.  P.,  ainsi  conçue,  sera  réellement  apte  à 
constituer  ce  qu'il  faut  qu'elle  soit  :  une  organi- 
sation d'action  avec  un  programme  positif. 


XVII 


Un  obstacle  surgira-t-il  ? 


L'exemple  des  Entreprises  Modernes  du  grand 
commerce  de  détail  réunies  en  groupement  par 
affinités,  sera-t-il  suivi?  Et,  s'il  est  suivi,  la  Fédé- 
ration pourra-t-elle  naître?...  Voilà  toute  la  ques- 
tion. Hélas!  il  y  a  les  catégories  sociales  avec 
leurs  préjugés  et  leur  haine.   D'où   peut  surgir 

l'obstacle?... 

Les  classes  moyennes  ne  sont  pas  l'aristocratie  ; 
elles  voudraient,  sans  doute,  se  confondre  avec 
elle,  mais  elles  ne  le  peuvent  pas.  Les  classes 
movennes  ne  sont  pas  davantage  des  prolétaires  ; 
elles  voudraient  se  confondre  avec  eux,  mais  elles 
ne  le  peuvent  pas.  Et,  le  pourraient-elles,  qu'elles 
ne  le  voudraient  point.  Elles  constituent  le  prin- 
cipal obstacle  à  la  concentration  de  la  richesse  et 
des  entreprises;  elles  constituent,  en  outre,  le 
principal   barrage  à  l'avènement  du  socialisme. 


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V 


M' 


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264 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


Elles  sont  la  source,  le  pivot,  pour  mieux  dire, 
des  majorités  qui  ont  gouverné  la  France  depuis 
cinquante  ans;  c'est  en  elles  que  le  radicalisme 
eut  ses  racines.  Nous  ne  nous  en  portons  pas 
mieux.  Il  fut  l'obstacle  à  toute  novation,  donc  à 
tout  progrès  social.  Il  fit  la  guerre  à  la  religion, 
se  confondit  avec  Tanticléricalisme,  si  bien  que 
rien,  depuis  longtemps  déjà,  ne  tempère  l'envie 
que  les  classes  moyennes  portent  à  ceux  qui 
occupent  des  positions  plus  élevées  ;  elles  seraient 
condamnées  à  laisser  le  champ  libre  au  collec- 
tivisme, si  elles  ne  haïssaient  profondément  la 
coopération  et  les  coopérateurs,  qu'elles  rendent, 
en  grande  partie,  cause  de  leur  ruine.  Car  les 
classes  moyennes  étaient  surtout  représentées  par 
le  monde  petit  boutiquier,  petit  tisinier.  Georges 
Deherme  a  très  bien  défini  tout  cela  dans  son  beau 
livre  :  Les  Classes  Moyennes. 

Si  les  classes  moyennes  ont  fait,  moralement  et 
matériellement,  de  la  France  ee  qu'elle  est,  elles 
n'ont  pas  à  s'en  glorifier.  Nous  subissons,  de  mille 
façons,  les  conséquences  de  la  démagogie  bouti- 
quière,  laquelle  nous  fît  un  gouvernement  géné- 
ralement défectueux.  Ce  sont  elles  qui  ont  fait  dé- 
vier de  leur  application  les  conceptions  de  1789; 
ce  sont  elles  qui  firent  1830  et  qui  firent  massa- 
crer le  peuple  parisien  en  1848;  ce  sont  elles  qui 
culbutèrent  l'Empire  en  1870;  c'est  à  elles  que  l'on 
doit  les  hécatombes  de  la  Commune  ;  c'est  à  elles 
que  l'on  doit  toutes  les  lois  antiéconomîques  qui 
nous  appauvrissent,  qui  nous  ruinent.  Comme  le 
remar<}ue  Georges  Deherme,  la  fameuse  classe- 


UN  OBSTACLE   SCR<ÎIRA-T-IL  ? 


265 


tampon  des  conservateurs  ahuris,  oscille  entre 
l'anarchie,  qui  lui  est  indispensable  comme  l'air, 
et  l'implacable  répression. 

Les  classes  moyennes  ou  classes  stagnantes,  — 
à  part  la  minorité  intelligente  comprise  dans  leur 
sein  —  étalent  beaucoup  de  sottise  et  nous  font 
vivre  dans  le  gâchis.  Les  classes  supérieures  sont 
beaucoup  plus  près  du  monde  prolétariat  que  ne 
le  sont  les  classes  moyennes;  celles-là  ont  tou- 
jours, comme  le  prolétariat,  un  sentiment  social 
parce  que,  souvent,  commercialement  et  indus- 
triellement parlant,  elles  y  ont  leurs  racines  ;  le 
vseul  point  qui  divise  vraiment  les  classes  élevées 
et  le  prolétariat,  c'est  la  question  de  l'interna- 
tionalisme, et  encore!  Les  premières  rêvent  à 
l'internationale  de  l'argent,  de  l'effort,  du  la- 
beur; le  second  y  voit  la  fin  des  guerres  et  la 
fraternité  des  peuples.  Les  classes  stagnantes, 
pas  plus  en  cela  qu'en  autre  chose,  ne  distin- 
guent rien  de  net;  elles  représentent  les  crânes 
bourrés.  Elles  synthétisent  l'individualisme  pris 
en  mauvaise  part,  c'est-à-dire  l'hypertrophie  de 
l'égoïsme.  Leur  principale  vertu  réside  dans  le 
bas  de  laine;  ce  bas  de  laine  fameux  qui  nous  a 
fait  une  réputation  universelle,  parce  qu'il  ne 
s'est  jamais  vidé  qu'au  profit  de  l'étranger,  pour 
le  développement  de  ses  entreprises,  la  fabrication 
de  ses  canons,  au  détriment  des  entreprises  natio- 
nales et  même  de  notre  sécurité. 

Les  classes  stagnantes  sont  composées  de 
transfuges  de  la  plèbe  qui,  durant  décades  sur  dé- 
cades, ont  fait  de  leurs  fils4es  bacheliers,  pour  que 


H 
II 


il 


II 


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266 


LES   ENTREPRISES   MOtERNES 


CN  OBSTACLE   SURGIRA-T-IL  ? 


267 


la  terre  devienne  la  terre  classique  où  s'épanouit 
le  fonctionnarisme  à  outrance. 

Le  temps  est  passé,  durant  lequel  les  classes 
élevées  considérèrent  les  classes  stagnantes  comme 
le  tampon  nécessaire  à  leur  protection;  demain, 
celles-là  s'apercevront  que  celles-ci  ne  sont  que  des 
cadavres  ou  des  agonisants  qui  barrent  la  route 
du  progrès,  sur  laquelle  les  vivants  d'en  haut  et 
les  vivants  d'en  bas  prétendent  s'acheminer.  Au 
reste,  elles  auraient  déjà  dû  s'en  apercevoir  de- 
puis longtemps.  N'ayant  d'autre  souci  que  celui 
de  leur  consolidation,  elles  n'adhérèrent  pas,  dans 
le  passé,  aux  lois  sociales,  du  moins  de  bon  cœur. 
Comment  y  adhéreraient-elles  aujourd'hui  et  de- 
main?... Elles  sont  la  barrière  à  notre  américani- 
sation; ce  sont  elles  qui  fulminent  contre  la  plou- 
tocratie embryonnaire  ou,  plutôt,  en  perspective; 
ce  sont  elles,  en  attendant,  qui  assurent  le  règne 
de  l'argent,  puisque  le  bas  de  laine,  à  leur  sens, 
leur  constitue  des  droits  absolus  et  qu'elles 
empêchent  la  seule  idée  logique  de  se  répandre  : 
à  savoir  que  la  propriété  est  d'origine  sociale,  ce 
qui  assure  le  règne  de  l'impôt  indirect,  qui  sera 
cause  des  révolutions  prochaines,  en  maintenant 
l'ignorance  de  ce  que  serait  l'impôt  sur  la  valeur 
du  sol,  lequel  nous  délivrerait  de  tous  les  autres. 

Comment  ces  gens-là  feraient-ils  éventuelle- 
ment cause  commune  avec  ceux  des  Entreprises 
Modernes?  Grâce  à  eux,  la  jalousie,  l'envie,  les 
communes  rivalités,  resteront  les  seules  boussoles 
de  la  nef  française;  l'émulation  n'est  ni  dans  leur 
idéal,  ni  dans  leur  programme;  ils  continueront 


^■v 


à  représenter  le  cheval  ayant  voulu  se  venger  du 
cerf,  et  ne  seront  jamais  un  élément  d'ordre  et  de 
progrès. 

Ils  continueront  à  traiter  d'accapareurs  ceux 
qui  s(^nt  plus  habiles  qu'ils  ne  le  sont  eux-mêmes. 
Celui  qui  fait  des  millions  d'affaires  sera,  comme 
)ar  le  passé,  accusé  de  hâter  le  retour  du  régime 
•éodal.  Comme  le  comité  d'action  du  commerce 
de  détail  du  Havre,  ils  menaceront  de  faire  la 
grève  de  l'impôt,  si  l'on  ne  fait  droit  à  leurs  reven- 
dications particulières;  ils  n'iront  pas  jusqu'à  faire 
comme  «  les  vignerons  de  la  Champagne  »,  les- 
quels, on  s'en  souvient,  plantèrent  quelque  dra- 
peau allemand  sur  leur  mairie,  en  appelant  Guil- 
laume le  bandit  à  leur  secours. 

Cela  importe  peu  ;  les  événements  l'ont  démon- 
tré et  le  démontreront. 

Au  reste,  dans  les  classes  moyennes,  il  est 
des  éléments  pour  qui  les  conflits  matériels  appa- 
raissent comme  suffisamment  ridicules  pour  ne 
plus  exister.  Dans  une  société  en  progrès,  il  ne 
devrait  y  avoir  que  des  conflits  d'idéals.  L'idée  de 
justice  a  tout  de  même  pénétré  les  grandes  masses 
humaines.  Elle  deviendra  le  ressort  de  leur  exis- 
tence. Quant  à  l'idée  de  liberté,  elle  a  grandi,  puis 
on  l'a  détruite  ;  la  voici  qui  renaît.  Nous  nous  aper- 
cevons tous  de  ce  que,  de  tous  les  pays  civilisés,  la 
France,  comme  le  dit  Georges  Darien,  est  certai- 
nement la  moins  libre.  La  centralisation  y  a  été 
poussée  jusqu'à  l'insanité.  Le  despotisme  ano- 
nyme, installé  à  Paris,  domine  tout  le  territoire. 
L'autonomie  des  provinces  ou  des  communes  est 


il 

II 


I 


1'  il 


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268 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


inconnue.  La  liberté  individuelle  n'existe  pas.  O'n 
ignore,  sans  exception,  toutes  les  institutions 
démocratiques.  Le  citoyen  ne  possède  aucune 
garantie  contre  les  abus  de  l'administration  ou  du 
pouvoir  central.  Le  système  politique  remplace 
toute  responsabilité  par  Tarbitraire.  La  justice  a 
deux  mesures,  deux  poids,  des  balances  faussées. 
Le  privilège  triomphe  insolemment.  L'inégalité  la 
plus  atroce  règne  dans  la  taxation.  Les  tarifs 
douaniers  sont  absurdes.  L'impôt  frappe  impitoya- 
blement certaines  productions,  au  détriment 
d'autres  commerces  et  d'autres  industries.  Népo- 
tisme partout.  Les  charges  écrasent  les  malheu- 
reux. Le  protectionnisme,  qui  enrichit  des  coquins 
ou  des  paresseux,  en  est  la  cause.  Il  faut  que  cela 
change. 

L'agglomération  de  machines  humaines  que 
nous  sommes,  mises  en  mouvement  par  un 
rouage  central  au  pouvoir  mystérieux,  a  besoin 
d'un  lien.  L'absence  de.  liens  enfraîne  l'absence 
d'individus,  de  consciences,  de  personnalités;  elle 
ne  tarderait  pas  à  remplacer  par  du  néant,  avec  un 
peu  de  vide  autour,  un  peuple  qui  pourrait  être 
grand,  très  grand,  dans  l'avenir. 

Il  faut  vivre!  Pour  vivre,  il  faut  s'entendre,  il 
faut  de  l'harmonie.  Dans  le  monde  du  capital, 
c'est  la  G.  G.  P.,  issue  du  groupement  par  affi- 
nités, qui  la  donnera,  cette  harmonie,  parce  que 
ces  affinités  sont,  en  quelque  sorte,  l'émanation 
supérieure  des  classes  moyennes  en  progrès, 
malgré  tout.  G.  G.  T.,  d'une  part;  G.  G.  P.,  de 
l'autre  :  voilà  l'équilibre,  les  deux  roues  du  char 


UN   OBSTACLE   SURGIRA-T-IL  ?  269 

de  l'Etat.  Mais,  de  grâce,  si  nous  ne  voulons  pas 
mourir  encore,  qu'on  n'entrave  pas  notre  évolu- 
tion I  Elle  ne  demande  qu'à  s'accomplir  en  s'accen- 
tuant. 

Les  grandes  entreprises  n'ont  qu'à  se  soucier 
médiocrement  des  petites.  Si  les  petites,  par  la 
coopération,  ne  s'organisent  pas,  elles  auront 
bientôt  vécu.  Si  elles  s'organisent,  elles  devien- 
dront grandes.  Elles  auront,  du  moins,  l'intention 
de  le  devenir  ;  dans  un  cas  comme  dans  l'autre, 
celles  qui  sont  marquées  pour  subsister  vien- 
dront à  nous. 


H 


I  >]] 


I 


I 


XVIII 


Où  Ton  peut  voir  que  toutes  craintes  doivent  être 

écartées. 


Les  classes  supérieures  et  les  classes  ouvrières 
n'ont  pas  toujours  vécu  comme  chiens  et  chats, 
selon  une  expression  courante.  Au  moyen  âge, 
en  effet,  maîtres  et  compagnons  ne  faisaient 
qu'un.  C'est  l'ambition  des  maîtres  qui  a  rompu 
la  solidarité  ouvrière;  pour  la  faire  éclore  de  nou- 
veau, il  n'y  a,  vraisemblablement,  qu'à  aban- 
donner un  peu  de  cette  ambition.  Les  gens  avides 
d'argent  ne  sont  guère  susceptibles  d'avoir  des 
amis  dévoués  ;  les  gens  vaniteux  vivent  dans  une 
atmosphère  d'antipathie;  l'égoïsme,  quand  il  est 
trop  apparent,  révolte  ceux  qui  en  pâtissent. 
Moins  d'avidité,  moins  de  vanité,  moins  d'égoïsme  : 
voilà  ce  qu'il  faut  pour  que  soit  comblé  le  fossé 
qui  sépare  le  Capital  du  Travail.  Les  Entreprises 
Modernes  s'en  rendront  compte.  Et  la  scission  qui 
dure  depuis  tantôt  deux  siècles,  que  la  suppression 


TOUTES   CRAINTES   DOIVENT   ÊTRE    ÉCARTÉES         271 

des  corporations  avait  rendue  définitive,  grâce  à 
leur  initiative,   à  leur  saine  compréhension    des 
^   choses,  un  jour,  prendra  fin    sans    doute.    Pour 
qu'elle  prenne  fin,  il  n'y  a  qu'à  avoir,  de  part  et 
d'autre,  similitude  d'associations,   et  ces  associa- 
tions, tout  naturellement,  au  lieu  de  se  faire  la 
guerre,  une  guerre  incessante  et  préjudiciable  à 
la  nation,   collaboreront.  L'antagonisme  ne  s'est 
déclaré,  dans  la  violence  qu'on  lui  connaît,  qu'en 
raison  des  attentats  perpétrés  contre  la  liberté  indi- 
viduelle ;  cette  liberté  individuelle  étant  enfin  res- 
taurée, l'antagonisme   doit  cesser.  Il  ne  cesserait 
évidemment  jamais,  mais,  au  contraire,  il  prendrait 
de  plus  en  plus  d'acuité,  si  notre  organisation  éco- 
nomique ne  devait  pas  évoluer,  si  elle  devait  sta- 
gner, comme  l'empêcherait  d'évoluer  et  comme  la 
ferait  stagner  l'entretien  indéfini  de  la  puissance 
électorale  des  mauvais  éléments,  éléments  rétro- 
grades, des  classes  moyennes. 

Ces  éléments  étant  la  cause  directe  de  la 
guerre  sociale  qui  n'existe  plus  seulement  à  l'état 
latent,  ne  seraient  pas,  ne  pourraient  pas  être  des 
éléments  pacificateurs.  Les  classes  supérieures, 
commerciales  et  industrielles,  revenues  de  l'erreur 
qui  leur  fit  croire  à  l'efficacité  de  la  classe-tampon, 
pratiqueront  des  alliances  qui,  pour  n'être  point 
définies  encore  dans  l'esprit  des  masses,  n'en  sont 
pas  moins  inéluctables.  Ce  sont  les  classes 
moyennes  qui  en  feront  les  frais.  Il  n'y  aura  plus, 
dans  l'avenir,  que  les  grandes  entreprises.  Le  dé- 
lai de  cet  avènement  est  sans  doute  beaucoup 
plus  rapproché  qu'on  ne  le  croit  généralement. 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


Dans  une  société  industrielle  et  commerciale^ 
comme  les  Bécessités  nous  l'imposent,  %t  comme 
révolution  nous  la  prépare,  rien  n'est  plus  logique 
et  normal  que  la  grande  entreprise,  qui  multiplie 
ses  moyens  d'être  utile  à  la  masse  des  consomma- 
teurs comme  à  celle  de  ses  employés,  de  ses  ou- 
vriers. Nous  avons  dit  que  survivraient,  seuls, 
ceux  qui  sauront  pratiquer  l'association,  la  coopé- 
ration la  plus  large,  parce  que,  seuls,  pour  la 
production,  l'achat  ou  la  vente,  ils  se  mettront  au 
niveau  des  grandes  entreprises.  Ceux  qui  seront 
associés,  qui  coopéreront,  n'auront  cure  de  léser 
les  intérêts  des  isolés;  ils  ne  s'en  soucieront  pas 
plus  que  ne  s'en  soucient  les  grandes  entreprises 
auxquelles  ils  se  seront  assimilés.  Ils  finiront  par 
comprendre  et  proclamer  que  leurs  affaires  ne 
présentent  pas  un  intérêt  plus  spécial  que  les  af- 
faires des  autres.  C'est  fatal;  comment  pourrait-il 
en  être  autrement?  Encore,  convient-il  de  cons- 
tater qu'à  la  faveur  de  la  cherté  excessive  de  tout, 
la  coopération,  sous  toutes  ses  formes,  se  multi- 
pliera, et  qu'à  un  moment  donné,  tout  le  monde, 
dans  un  domaine  comme  dans  l'autre,  pourra  se 
dire  coopérateur.  Mais  toutes  les  associations  d'in- 
térêts, d'efforts,  d'intelligences,  de  capitaux^  ne 
sont  pa»  marquées  pour  le  triomphe.  Il  y  en  a  qui 
le  sont  pour  une  vie  très  courte,  pour  une  mort 
très  prompte.  La  nature,  là  comme  ailleurs,  opé- 
rera par  sélection.  Il  n'y  aura  que  ce  qui  sera  né 
viable,  qui  vivra. 

Il  me  faudrait  répéter  ici  ce  que  j'ai  écrit  dans 
le   chapitre    des   Grands  Magasins  de    Province, 


TOUTES   CRAINTES   DOIVENT    ÊTRE   ÉCARTÉES         273 

auquel  je  me  permettrai  de  renvoyer  le  lecteur. 
11  y  verra  que  les  grandes  entreprises  contempo- 
raines étant  le  fruit  de  l'association,  de  la  coopé- 
ration,  ont  une  vitesse  acquise;   que  leur  mode 
d  association    et    de    coopération    n'étant    point 
immuable,  il   sera   susceptible  de  s'étendre    par 
delà  les  frontières,  après  avoir  été  limité  primi- 
tivement au  point  déterminé  de  leur  naissance. 
Un   phénomène  bien  particulier  à  notre  époque 
troublée,  la  disparition  des  marchés  nationaux   en 
sera    a  déterminante  ;  en  effet,   présentement^  et 
pour  longtemps  encore,  il  n'existe  plus  pour  qui- 
conque  que   le  marché  mondial,   sur   lequel  se 
croisent  et  s'entrecroisent,  en  des  recherches  mul- 
^  tipliees,  les  acheteurs  de  l'univers  entier. 

Quelle  sera,  demain,  la  situation  de  ceux  qui  ne 
sont  point  prêts  à  la  grande  bataille  économique? 
Un  la  devine,  car  elle  s'esquisse  déjà.  Les  hausses 
subies  partout,  les  achats  au  jour  le  jour,  avec  des 
capitaux  restreints,  ne  permettent  plus  d'effectuer 
des  approvisionnements  qui  devaient  suffire  à  la 
consommation  durant  des  mois  ou  des  années  •  ils 
sont  à  peme  de  quelques  jours.  Tous   ceux  qui 
opéreront   en    tirailleurs,    en    indépendants,    en 
isoles,  rencontreront  sur  leur  route  des  diflicultés 
croissantes,  peut-être  insurmontables.  Ils  ne  pour- 
ront  tenir  tête  aux   coalitions  inéluctables   qui 
seules,  permettront  sans  doute  à  un  pays  de  vivre' 
11  faudra  bien,  de  gré  ou  de  force,   modifier  des 
habitudes  séculaires.  La  contemplation  béate  du 
passé  ne  sera  plus  de  mi«e;  les  haines,  les  riva- 
nWs,  ies  jalousies,  devront  muer,  et  coûte  que 

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274 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


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coûte,  en  sympathies   évidentes.  Cela  seulement 
permettra  à  ceux  qui  sont  vraiment  nés  pour  être 
des  commerçants,  de  triompher  des  obstacles  les 
plus  considérables,  en  réalisant  des  progrès  tech- 
niques que  le  présent  ne  connaît  peut-être  pas 
encore,  tout  en  augmentant  le  caractère  de  phil- 
anthropie qui,  au  cours  de  ces  dernières  année*, 
s'est  esquissé  dans  les  entreprises.  Les  firmes  les 
plus  modestes  comme  les  plus  importantes,  pour 
mieux  résister,  pour  faire  la  carapace  plus  éten- 
due, plus  solide,  plus  épaisse,  s'achemineront  vers 
la  fusion.  C'est  de  l'unité  que  jaillira  la  source  de 
puisance  née  de  la  transformation.  Les  cartels  et 
les  trusts   qui  n'étaient  chose  rare  ni  en  Alle- 
magne,  ni  en   Amérique,  deviendront  la  chose  ^ 
obligatoire  ;  ils  lutteront  entre  eux  sur  le  marché  ' 
mondial  ;  la  nation  qui  n'aura  pas  les  siens  sera 
la  moins  riche,  la  moins  pourvue,  donc  la  plus 
malheureuse.    Et    ce    besoin    de   rapprochement 
gagnera  les  Coopératives  elles-mêmes.  On  pourrait 
aftirmer,  sans  être  téméraire,  que  les  coalitions, 
les  alliances  qui  revêtaient  un  caractère  absolu- 
ment commercial  jusqu'à  ce  jour,  revêtiront  enfin 
leur  caractère  définitif  :  un  caratère  social. 

Nous  nous  féliciterons  alors  des  résultats  acquis. 
Entre  les  divers  genres  d'entreprises,  ni  l'envie,  ni 
le  mépris,  ni  les  rancœurs,  n'existeront  plus,  car 
il  n'y  aura  de  place  que  pour  l'émulation  qui, 
seule,  est  capable  d'entretenir  la  concurrence 
loyale,  de  provoquer  la  surexcitation  des  énergies, 
d'inciter  à  l'effort,  d'inspirer  les  initiatives,  en 
assurant,  mieux  qu'elle  ne  le  fit  dans  l'autre- 


TOUTES   CRAINTES  DOIVENT  ÊTRE   ÉCARTÉES        275 

fois,  le  progrès  que  nous  appelons  de  toutes  nos 
forces,  dans  notre  lassitude  des  restrictions  et  des 
plaintes. 

L'union  de  tout  le  commerce  apte  à  l'évolution, 
ce  sera  enfin  la  mise  en  pratique  de  la  solidarité! 
Quel  rêve  !  Ne  plus  voir  se  dresser,  comme  une 
armée  de  pygmées,  les  petites  maisons  contre  les 
grandes;  ne  plus  voir  le  bon  sens  du  législateur 
errer  et  naufrager   entre  les  diverses  catégories 
commerciales  debout  les  unes  contre  les  autres,  ou 
simplement  indifférentes  les  unes  aux  autres!  Plus 
de  récriminations,  plus  d'appel  à  l'Etat  —  au  Dieu- 
Etat  si  totalement  impuissant,  —  pour  forger  de 
l'injustice  et  fourbir  des  privilèges,  sans  que  nul 
n'ait  conscience  que  sa  conduite  est  à  la  fois  dan- 
gereuse et  maladroite,  tant  à  son  point  de  vue 
particulier  qu'au  point  de  vue  de  l'intérêt  général. 
^  Le  faisceau  de  nos  forces  productives,   ainsi, 
s'arrondira.  Les  rivaux  d'hier  et  d'aujourd'hui  ne 
demandant  plus  à  l'Etat  de  sacrifier  les  intérêts  et 
la  liberté  de  leurs  rivaux  à  leurs  profit,  ne  permet- 
tront plus   à   ce  même    Etat    de  sacrifier   leurs 
3ropres  intérêts  et  leur  propre  liberté,  quand  il 
lui  plaît,  simplement  par  voie  de  conséquence  et 
en  vertu  de  ce  qu'en  physique  on  appelle  le  choc 
en  retour. 

Dans  la  lutte  économique  qui  commence,  le 
succès  de  l'un  devra  profiter  à  tous.  Les  plus 
aptes  et  les  plus  forts  joueront,  à  l'égard  des  plus 
faibles  et  des  moins  aptes,  le  rôle  d'entraîneurs  et 
celui  d'initiateurs.  On  leur  laissera  trouver,  parce 
qu'ils  sont  les  plus  capables,  les  innovations;  ils 


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LES   ENTREPRISES   MODERNES 


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donneront  l'exemple  ;  ils  prendront  des  initiatives 
heureuses  qui  profiteront  à  tous,  et  on  les  imitera. 
Mieux  armés,  disposant  de  plus  d'autorité  et  de 
plus  d'influence,  ils  défendront  les  intérêts  com- 
muns avec  plus  de  clairvoyance,  de  force  et  de 
méthode,  que  ces  intérêts  ne  furent  défendus  jus- 
qu'à présent.  Le  commerce  s'en  félicitera.  La  pro- 
duction elle-même  n'y  sera  point  indifférente. 

En  avant  donc,  pour  l'association  partout  et 
pour  des  associations  de  plus  en  plus  grandes,  — 
pour  l'association  unique!...  Laissons  piétiner  sur 
place  les  grossistes  égoïstes,  les  fabricants  mal 
outillés,  incapables  de  s'adapter  au  mouvement; 
dans  notre  course  au  progrès,  négligeons  qui  ne 
se  perfectionne  point.  Ceux  qui  marquent  éter- 
nellement le  pas  ne  peuvent  songer  à  obliger  les 
autres  à  se  conformer  à  leur  allure  de  tortues, 
alourdies  par  d'épaisses  carapaces.  Expurgeons 
les  classes  moyennes  commerciales  de  leurs  élé- 
ments rétrogrades  ! 

Eh  quoi  !  les  chefs  intelligents  de  petites  mai- 
sons, qui  rêvent  d'installer  leur  magasin  d'une 
façon  moderne,  n'auraient  pas  à  cœur  d'unir  leurs 
efforts  à  ceux  des  hommes  laborieux,  entrepre- 
nants, actifs,  qui  éclairent  pour  eux  le  chemin 
de  la  réussite?  Et  ces  hommes  laborieux  dédaigne- 
raient le  contact  et  la  collaboration  de  ces  chefs 
inteUigents  de  petites  maisons?...  Allons  donc! 
Ce  serait  à  désespérer  de  tout.  Ce  serait  à  douter 
du  succès  que  notre  patrie  doit  connaître  sur  le 
champ  de  bataille  économique  mondial. 

Mais,  dira-t-on,  tout  d'abord,  il  faut  vivre,  Pour 


TOUTES   CRAINTES   DOIVENT  ÊTBE   ÉCARTÉES        277 

vivre,  il  faut  lutter.  Et  comment  ceux  qui  ne  dis- 
posent que  de  quelques  milliers  de  francs,  ose- 
raient-ils s'approcher  de  ceux  qui  disposent  de 
millions?...  La  réponse  est  simple;  réfléchissez, 
braves  gens  :  Pour  faire  un  million,  il  ne  faut  que 
cinquante  fois  vingt  mille  francs,  et  cinquante 
petits  négociants  qui  se  groupent  ne  tardent  pas  à 
constituer  eux-mêmes  une  société  puissante,  bien 
propre  àji'ivaliser  avec  les  autres  sociétés  puis- 
santes. Il  me  semble  l'avoir  sufflsamment  démon- 
tré. 

Et  puis,  il  n'en  faut  point  douter,  c'est  lorsque 
tout    le    commerce  français  et   toute  l'industrie 
française  seront  unis,  que  le  progrès,  lent  jus- 
qu'à ce  jour,  précipitera  sa  marche,  parce  qu'en 
regard  de  l'unité   ouvrière    qui   fait  pencher   le 
plateau   de   la  balance  en    sa   faveur,   il  y  aura 
l'unité  patronale  qui  rétablira  l'équihbre.  La  paix 
sociale  y  gagnera.  Bien  des  questions  se  trouve- 
ront résolues!...  Mais,  d'ici  là,  les  actions  de  tra- 
vail, dont  les  bénéficiaires  seront  les  ouvriers  ou  les 
employés,  seront  créées;  les  entreprises  fonction- 
neront mieux  qu'à  l'heure  présente  où  les  grèves 
occupent   de    trop    nombreuses  minutes,   car   le 
personnel  sera  intéressé  à  la  bonne  marche  des 
affaires.  Dans  le  même  ordre  d'idées,  les  Entre- 
prises Modernes,  alors,   auront  trouvé  le  moyen 
pratique  d'intéresser  les  chents  à  leurs  bénéfices... 
Mais   ne  voyons   pas   si    loin  pour   l'instant.   A 
chaque  jour  sufflt  sa  peine.  Si  le  commerce  de 
France  sait  s'unir,   il  faudra   envisager  l'avenir 
avec  la  plus  belle  sérénité. 


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278 


LES   ENTREPRISES    MODERNES 


Nous  verrons  bien  s'il  est  à  même,  le  commerce 
de  France,  de  profiter  des  suggestions  qui  lui 
sont  données  dans  son  intérêt  et  que  Theure 
commande  impérieusement  de  réaliser  sans  re- 
tard. 


XIX 


Le  Présent...  L'Avenir. 


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Le  monde  patronal  ne  se  désintéresse  plus  aussi 
complètement  qu'autrefois  de  ce  qui  se  passe  dans 
le  monde  du  travail;  et  il  a  raison.  Mais  Tintérèt 
qu'il  y  porte,  n'est  point  suffisant  encore. 

La  G.  G.  T.  s'organise  méthodiquement,  ration- 
nellement; ses  efforts  lui  assurent,  lentement 
peut-être,  mais  en  tout  cas  sûrement,  une  in- 
fluence dans  la  nation.  Elle  vient  de  fonder  l'atelier 
qui,  demain,  selon  l'expression  de  Jouhaux,  rem- 
placera le  Gouvernement. 

Que  le  remplacement  du  Gouvernement  par 
l'atelier  ne  soit  pas  immédiat,  c'est  indéniable. 
<  Demain  »,  dans  la  circonstance,  symbolise  un 
peu  celui  du  perruquier.  Mais  s'attarder  à  croire 
qu'il  le  symbolisera  toujours,  serait  commettre  une 
impardonnable  erreur.  S'il  est  dangereux  de  s'en- 
dormir sur  des  pétales  de  roses,  comme  autrefois 
les  gens  de  Gapoue,  il  est  encore  plus  pernicieux 


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280 


LES   ENTREPRISES  MODERNES 


LE  PRESENT,  L AVENIR 


281 


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de  s'endormir  sur  des  lauriers.  Gardons-nous  de 
fermer  les  yeux  sur  les  nôtres  ;  le  sommeil,  serait 
sûrement  mortel.  Heureusement,  nos  lauriers  ne 
vont  pas  sans  quelques  brins  d'épine  qui  y  sont 
mélangés.  Et,  puissent  les  brins  d'épine  nous  tenir 
suffisamment  éveillés,  pour  que  notre  repos  de- 
vienne énervement,  puis  souffrance  !  Alors,  nous 
nous  lèverons,  préférant  l'action  à  la  torpeur 
insupportable.  Mais,  ne  sera-t-il  pas  trop  tard?... 
Nous  l'avons  déjà  dit  :  la  G.  G.  T.  s'est  assuré 
le  concours  de  la  Fédération  des  Coopératives,  qui 
comprend  tout  de  même  un  nombre  imposant  de 
consommateurs;  de  la  Fédération  nationale  des 
fonctionnaires;  de  l'Union  syndicale  des  techni- 
ciens de  l'Industrie,  du  Commerce  et  de  l'Agri- 
culture, qui  sont  quelques  milliers  et  composeront, 
désormais,  la  partie  intellectuelle  de  l'organi- 
sation. Cette  partie  intellectuelle  aura-t-elle  une 
influence  décisive  sur  la  partie  manuelle?...  C'est 
possible.  Mais,  toutefois,  on  s'apercevra  claire- 
ment, à  un  moment  venu,  de  l'imperfection  de 
l'assemblage  auquel  les  administrateurs  des  So- 
ciétés capitalistes  n'ont  pas  encore  donné  leur 
adhésion.  L'imperfection  est  tout  entière  dans 
cette  abstention;  il  manque  à  la  charpente,  pour 
être  solide,  irréprochable,  un  chevron  —  et  non 
le  moindre.  Bien  hardis  seront  ceux  qui,  en  dépit 
de  l'absence  de  ce  chevron,  tenteront  de  cons- 
truire sur  cette  charpente.  Le  succès  sourit  par- 
fois aux  audacieux.  Mais  bien  peu  clairvoyants 
sont  ceux  qui  pensent  que,  faute  d'un  chevron, 
on  ne  tentera  point  de  construire. 


Que  se  propose  donc  le  Conseil  économique  du 
Travail?  Il  veut,  tout  d'abord,  exprimer  la  volonté 
des  producteurs  d'organiser  eux-mêmes,  en  de- 
hors des  tutelles  qu'il  qualifie  de  parasitaires,  une 
société  faite  d'ordre,  de  conséquence,  de  vérité. 
Pour  certaines  gens  d'esprit  positif  et  immédia- 
tement utilitaire,  cela  ne  dit  pas  grand'chose.  Ils 
ne  trouvent  là-dedans,  évidemment,  que  du  ver- 
biage. Or,  les  mots  ne  les  effraient  pas.  C'est 
peut-être  ce  en  quoi  ils  n'ont  pas  tout  à  fait  raison. 

D'autres  disent  :  les  principes  ne  sont  pas  nou- 
veaux. Ils  datent  de  Proudhon.  La  C,  G.  T.  en  a 
fait  son  décalogue  depuis  trente  ans.  Et  la  terre 
tourne  toujours. 

Oui,  parfaitement,  les  principes  sont  vieux. 
^  Cependant,  il  y  a  quelque  chose  de  neuf  :  c'est  la 
volonté  de  les  appliquer.  C'est  cette  volonté  qui 
s'attache  à  forger  l'arme  révolutionnaire.  Neuf  sec- 
tions d'études  correspondant,  somme  toute,  à 
toutes  les  branches  de  notre  activité  sociale,  com- 
posent les  cellules  du  nouvel  organisme  : 

l""  Outillage  national  (transports,  postes,  force 
motrice)  ; 

2^  Organisation  économique  (contrôle  et  ges- 
tion, économie  nationale  et  internationale); 

3®  Production  industrielle  et  matières  premières  ; 

4^  Production  agricole  et  organisation  agraire  ; 

S""  Finances  et  crédits; 

G""  Cadre  de  la  vie  sociale  (hygiène,  urbanisme, 
loisirs,  éducation  sociale  et  physique); 

7^  Enseignement  général  et  technique; 

S*'  Commerce  et  répartition  des  richesses  ; 


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III 


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282 


LES    ENTREPRISES    MODERNES 


9^  Régions  dévastées. 

Le  tout  est  sous  la  direction  d'un  Comité  de 
répartition  du  travail,  formé  par  la  réunion  de 
dix-huit  secrétaires  de  section  et  présidé  par  un 
membre  du  Comité-directeur,  lequel  Comité  est 
composé  du  Secrétaire  général  de  la  C.  G.  T.,  de 
trois  membres  de  la  C.  G.  T.,  de  trois  membres 
de  ru.  S.  T.  I.  C.  A.,  de  trois  membres  de  la  Fé- 
dération nationale  des  fonctionnaires  et  de  trois 
membres  de  la  Fédération  des  Coopératives,  flan- 
qués de  deux  secrétaires-adjoints,  d'un  trésorier 
et  d'un  archiviste  choisis  par  eux. 

Telle  est  l'essence  de  cette  végétation  naissante, 
et  qu'on  nous  présente  comme  un  arbre  déjà  vi- 
goureux dont  les  fonctions  chlorophylliennes  se- 
ront purificatrices  de  l'air  que  nous  respirons. 

Ce  n'est  pas,  assurément,  le  triomphe  de  la  C.  G. 
T.,  mais,  en  tout  cas,  c'est  un  pas  nouveau  qui 
est  fait;  c'est  un  obstacle  nouveau  qui  est  franchi. 
Nous  avons  dit  déjà  ce  que  nous  pensions  de  cette 
conception;  il  est  peut-être  bon  de  le  répéter  : 

La  société  de  demain,  par  ses  entreprises  gi- 
gantesques et  grouillantes,  n'aura  pas  besoin  que 
de  ces  chefs;  et,  s'il  n'y  avait  que  les  chefs  choisis 
par  la  C.  G.  T.,  ce  serait  perpétuellement  le  chaos. 
Car,  en  matière  commerciale  surtout,  les  techni- 
ciens de  ru.  S.  T.  L  C.  A.  ne  peuvent  être  des 
chefs  achevés,  parce  que,  si  bien  doués  qu'ils 
soient,  ils  n'ont  pas  tous  les  dons  :  celui  de  l'ex- 
périence, celui  de  la  science  et  celui  de  l'aptitude 
à  la  direction.  Ces  dons  ne  sont  pas  davantage 
Tapanage  des  gens  de  la  Fédération   des  Coopé- 


LE   PRESENT,   L  AVENIR 


283 


ratives,  plus  politiciens  que  disciples  attentifs, 
avisés,  de  Mercure.  11  est  un  peu  prétentieux,  de 
la  part  de  la  C.  G.  T.,  de  penser  trouver  là,  à  un 
moment  donné,  les  gens  qui  présideraient  aux 
destinées  des  grandes  affaires  qui  illustreront  la 
société  de  demain;  les  faveurs  gouvernementales, 
durant  la  guerre,  les  ont  empêchés  d'achever  leur 
apprentissage  commercial!  Force  sera  donc,  en 
attendant  le  triomphe  cégétiste,  d'avoir  recours  à 
d'autres  éléments  encore  considérés  comme  hos- 
tiles, encore  considérés  comme  ennemis,  ainsi 
qu'étaient,  hier,  les  techniciens  de  l'U.  S.  T.  L 
C.  A.  Ces  éléments-là  sont  ceux  que  le  monde  ca- 
pitaliste, tout  seul,  serait  capable  de  fournir.  Lé- 
nine pourrait  l'affirmer  à  M.  Jouhaux.  Je  crois 
qu'il  est  passé  par  là. 

Ce  qui  manque,  somme  toute,  au  Conseil  éco- 
nomique du  Travail,  ce  sont  les  administrateurs 
des  entreprises  modernes  de  toutes  sortes.  L'or- 
ganisation d'une  affaire  ne  va  pas  sans  son  admi- 
nistration. Les  deux  choses  n'en  font  pas  qu'une  ; 
elles  restent  séparées.  Et,  s'il  faut  de  l'envergure 
et  de  l'audace  pour  organiser,  il  faut  une  enver- 
gure différente  pour  bien  administrer! 

L'absence  des  administrateurs  de  l'industrie  et 
du  commerce  dans  la  C.  G.  T.  montre  bien  que, 
si  la  guerre  est  déclarée  au  capital,  le  capital,  du 
moins,  n'a  pas  encore  perdu  la  partie.  Son  rôle, 
même  si  une  révolution  se  produisait,  ne  serait 
pas  fini.  Le  capital,  ce  n'est  pas  seulement  l'argent 
—  l'argent  plus  ou  moins  discrédité,  —  c'est 
aussi  l'outillage,  le  savoir-faire,  l'initiative,  toutes 


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LES   ENTREPRISES    MODERNES 


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chose»  qui,  additionnées,  constitueront,  demain, 
une  valeur  autrement  supérieure  que  celle  de  ngs 
billets  de  banque. 

Le  capital  qui,  quoi  qu'on  dise  et  quoi  ^qu'on 
fasse,  est  en  train  de  subir  une  évolution,  consciept 
de  sa  force  et  de  sa  quasi-sécurité,  doit-il  assister, 
impassible,  aux  métamorphoses  qui  s'accom- 
plissent dans  les  couches  sociales? 

Non  pas. 

Les  gens  qui  président  aux  destinées  de  nos 
grandes  affaires  et  qui  possèdent  à  un  si  haut 
degré  Taptitude  aux  transactions  et  à  la  direction 
des  hommes,  sauront-ils  aviser,  en  temps  et  lieu, 
ce  qu'il  conviendrait  de  faire?...  Ces  gens  qui  ont, 
en  outre,  le  nerf  de  la  guerre,  qui  doit  être  en 
même  temps  celui  de  la  paix,  sauront-ila  l'utiliser 
au  moment  opportun,  dans  un  but  conforme  au 
progrès  qui  n'est  jamais  contraire  aux  entre- 
prises?... 

Si  la  société  de  demain  doit  être  modifiée,  ses 
cadres  doivent  être  souples  ;  ils  doivent  reposer 
sur  la  capacité  des  individus,  sur  leurs  moyens, 
sur  leur  science  individuelle,  sur  leur  puissance 
d'action  collective.  Si  nos  Entreprises  Moderne^i 
étaient  dotées  d'un  sens  politique  égal  au  sens  des 
affaires,  elles  joueraient  un  grand  rôle.  Le  tout 
serait,  en  tout  premier  lieu,  de  savoir  si,  ce  rôle, 
elles  voudront  le  jouer.  Elles  ne  le  joueront  évi- 
demment pas  si  la  vision  de  l'abîme  ne  se  dessine 
à  travers  tous  les  optimisme»  ;  si  l'indifférencei, 
consécutive  à  la  paresse  de  l'esprit,  ne  meurt  pas 
devant  la  néeejgsité  de  l'effort  et  du  sacrifice. 


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LE   PRESENT,    L  AVENIR 


iî85 


Tout  de  même,  en  évoquant  l'histoire,  on  se 
rappelle  qu'aux  temps  de  1789,  la  noblesse  et  le 
clergé  se  sauvèrent  par  un  geste  d'abnégation  que 
n'avait  assurément  pas  dicté  l'altruisme,  dans  un 
élan  de  sincérité... 

Qui  vivra,  verra!... 

—  Nous  avons  vu  et  nous  voyons  !  s'écrient  les 
optimistes. 

Que  voient-ils? 

Ils  voient  que  les  points  de  vue  que  nous  émet- 
tons, s'ils  avaient  hier  leur  raison  d'être,  ne  l'ont 
plus  aujourd'hui.  En  effet,  la  France  est  dotée  du 
ministère  Millerand,  qui  marque,  comme  le  disait 
à  un  journal  périodique,  un  observateur  attentif 
des  luttes  parlementaires  et  des  combinaisons 
occultes  de  la  politique  et  des  affaires;  qui  marque 
vraiment  quelque  chose  de  nouveau,  d'inattendu, 
de  quasi  révolutionnaire. 

L'observateur  en  question,  examinant  de  quelle 
façon  ce  Ministère  fut  constitué,  et  réfléchissant 
sur  sa  destinée,  disait  : 

«  D'habitude,  quand  il  s'agit  de  former  un  cabi- 
net, la  recette  est  simple  et  invariable. 

<(  La  règle  du  jeu,  c'est  que  le  nouveau  gou- 
vernement doit  être  constitué  à  l'aide  des  chefs 
ou  sous*-chefs  des  groupes  dont  la  coalition  a  ren*- 
versé  le  précédent.  Or,  regardez  le  cabinet  Mille- 
rand ;  vous  n'y  trouverez  rien  de  tout  cela.  C'est 
Briand,  Barthou,  de  Monzie  et  quelques  autres, 
qui  ont  jeté  bas  Clemenceau.  Ni  eux  ni  leurs  lieu- 
tenants ne  figurent  sur  la  liste  des  nouveaux 
gouvernants. 


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1 

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286 


LES    ENTREPRISES   MODERNES 


LE   PRÉSENT,    L'aVENIR 


287 


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«  Ce  ministère  n  a  pas  de  point  d'appui  dans  les 
€  groupes  y>.  Il  a  été  constitué  presque  entièrement 
en  dehors  des  coteries  parlementaires.  Ses  porte- 
feuilles ne  lui  assurent  point  de  voix,  ou  si  peu. 
C'est  ce  qui  fait  son  originalité.  C'est  pourquoi 
aussi  il  parut  si  fragile.  Les  politiciens  profes- 
sionnels, anciens  et  nouveaux,  ont  clamé  leur 
colère  contre  ce  défi  aux  traditions  les  mieux 
établies,  et  le  solennel  M.  Arago,  au  nom  des 
18o  membres  de  Tentente  républicaine,  a  lancé 
Fanathème. 

€  Mais  Millerand  n'est  pas  un  novice.  S'il  a  pris 
le  pouvoir,  c'est  assurément  pour  avoir  le  temps 
d'en  tirer  quelque  chose.  Si  donc  il  a  dédaigné  de 
prendre  son  point  d'appui  dans  les  groupes,  c'est 
qu'il  en  a  trouvé  un  autre  ailleurs...  en  dehors  du 
Parlement  !  C'est  là  où  se  révèle  toute  l'originalité 
de  sa  combinaison.  Ceci  demande  quelque  expli- 
cation : 

€  Le  trait  le  plus  caractéristique  de  révolution 
sociale  actuelle,  c'est  la  tendance  qui  se  manifeste 
dans  tous  les  milieux  sociaux  vers  les  groupements 
professionnels.  Déjà  bien  avant  la  guerre,  les 
grands  financiers,  les  grands  métallurgistes,  les 
armateurs,  s'étaient  constitués  en  Comités  formant 
une  oligarchie  puissante  qui  agissait  de  façon 
occulte,  mais  souveraine,  sur  les  Pouvoirs  publics. 
Au  cours  de  la  guerre,  le  mouvement  s'est  con- 
sidérablement développé.  Poussé  parles  nécessités 
de  la  Défense  nationale  et  le  besoin  de  concentrer 
toutes  les  forces  économiques,  l'Etat  a  créé  de 
nombreux  consortiums  pour  la  répartition  des  ma- 


tières premières,  des  métaux,  du  charbon,  du 
ravitaillement,  des  commandes.  Bon  gré  mal  gré, 
tous  les  industriels  ont  dû  entrer  dans  ces  orga- 
nismes nouveaux.  Autrefois  divisés  par  des  riva- 
lités farouches,  ils  ont  appris,  de  gré  ou  de  force, 
à  s'unir,  et  il  a  suffi  de  rapprocher  tous  ces  grou- 
pements pour  créer  un  embryon  de  Confédération 
générale  de  la  production. 

«  Le  même  mouvement  s'est  produit  dans  le 
monde  du  commerce.  Les  Chambres  de  Commerce 
ne  sont  plus  de  simples  prétextes  à  faire  décorer 
des  présidents  élus  à  l'ancienneté.  Au  cours  de  la 
guerre,  elles  sont  devenues  des  organismes  agis- 
sants de  répartition.  Investies  de  pouvoirs  exécu- 
tifs enlevés  à  la  bureaucratie  par  trop  incompé- 
tente, elles  ont  pris  ainsi  la  notion  de  leur  rôle 
dans  la  vie  économique  du  pays.  Elles  se  sont 
rapprochées  les  unes  des  autres,  elles  se  sont 
habituées  à  considérer  des  intérêts  qui  dépassent 
leurs  villes,  elles  ont  pris  conscience  de  l'exis- 
tence réelle  des  régions  économiques  de  la  France, 
si  bien  que  le  ministre  Clémentel  a  dû  consacrer 
ce  mouvement,  en  organisant  une  véritable  repré- 
sentation régionaliste  du  monde  des  affaires. 

«  Les  agriculteurs,  à  leur  tour,  sont  entrés  dans 
la  même  voie.  Jusqu'ici,  ils  s'étaient  contentés 
d'élire  des  députés  ou  des  sénateurs  pour  défendre 
leurs  intérêts  de  clochers  contre  l'administration. 
Leurs  syndicats,  leurs  mutuelles,  leurs  sociétés 
d'assurances,  s'ignoraient;  des  rivalités  ardentes, 
opposant  les  intérêts  des  divers  produits  et  des 
diverses  régions,  empêchaient  la  conception  claire 


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11*^ 


288 


LES    ENTBEPRISKB    MODERNES 


des  intérêts  généraux.  Cependant,  depuis  long- 
temps déjà,  ils  réclamaient  la  constitution  de 
Chambres  d'Agriculture  ayant  les  mêmes  pouvoirs 
que  les  Chambres  de  Commerce.  Las  d'être  ber- 
nés, ils  ont  tenu,  en  juin  dernier,  un  Congrès 
national,  dont  les  politiciens  de  toutes  nuances 
furent  exclus.  Ils  ont  constitué  une  Confédération 
générale  des  Associations  agricoles.  Cet  organisme 
est  encore  tout  nouveau  et  n'a  pu  arrêter  encore 
une  politique  d'ensemble,  mais  il  constitue  une 
force  considérable  avec  laquelle  il  faudra  désor- 
mais compter. 

«  Quant  aux  organisations  ouvrières,  vous  con- 
naissez, n'est-ce  pas,  le  prodigieux  développement 
de  la  C.  G.  T.  ?  Un  million  d'adhérents  nouveaux 
au  cours  de  la  guerre.  Le  mouvement  a  gagné  les 
fonctionnaires,  puis  les  techniciens.  La  vie  chère 
a  donné  aux  Coopératives  un  essor  inattendu,  et 
voici  que  ces  quatre  éléments  qui,  jusqu'ici,  vivaient 
dans  un  éloignement  obscur,  se  sont  rapprochés, 
constituant    le    Conseil   Economique  du   Travail 
(C.  E.  T.),  et,  voyant  l'impuissance  des  parlemen- 
taires à  résoudre  les  crises  de  ravitaillement,  de 
production,  de  transports  et  de  crédits,  suscitées 
3ar  la  guerre,  ils  ont  décidé  d'élaborer  eux-mêmes 
es  solutions  d'intérêt  général  et  de  les  imposer 
au  gouvernement  légal.  11  y  a   quatre  ans,  une 
telle  tentative  n'aurait   rencontré  que  des  scep- 
tiques. Annoncée  sans  forfanterie,  avec  sérieux, 
par  des  hommes  sérieux,  qui  se  proposent  d'étu- 
dier les  questions  avant  d'agir,  elle  a  été  accueillie 
par  le  public,  dans  tous  les  milieux,  sans  raillerie 


LE!   PRÉSENT,    l'avenir 


289 


ni  colère,  avec  une  gratitude  significative.  Le  dis- 
crédit du  parlementarisme  est  maintenant  si  pro- 
fond, qu'il  y  a  eu  partout  comme  une  sorte  de 
soulagement,  à  l'annonce  qu'il  existait  quelque 
part  un  centre  d'études  et  d'action  où  l'on  aborde 
avec  compétence  le  redoutable  problème  de  la  re- 
constitution d'une  nation  ruinée.  ' 

«  En  somme,  dans  tous  les  milieux,  capitalistes 
ou  prolétariens,  les  hommes  d'action  se  groupent 
par  profession;  la  profession  est  en  train  de  se 
substituer  au  parti. 

c  C'est  une  révolution,  et  j'ajoute  :  la  plus  im- 
portante qui  se  soit  produite  depuis  la  réunion  des 
Etats-Généraux,  en  1789.  Les  quelques  hommes 
qui,  dans  la  coulisse,  mènent  nos  politiciens.  Font 
parfaitement  compris.  Ils  ont  senti  que,  s'ils  vou- 
laient durer,  il  leur  fallait  s'appuyer  sur  ces  orga- 
nisations professionnelles,  prendre  contact  avec 
elles,  afin  de  les  diriger.  Regardez,  de  ce  point  de 
vue,  la  liste  des  membres  du  Cabinet  Millerand, 
et  vous  verrez  combien  certains  noms  inconnus, 
qui  ont  surpris  sur  la  liste  des  ministres,  sont 
significatifs. 

«  Aux  Finances,  on  a  mis  un  financier,  M.  Mar- 
sal...  11  s'appuie  sur  un  groupe  qui  subventionne 
la  presse  quotidienne  et  fait,  par  conséquent, 
l'opinion. 

«  La  Chambre  n'aura  plus  qu'à  suivre  le  mou- 
vement. 

((  Considérez  maintenant  M.  Isaac.  Il  est  prési- 
dent de  la  Chambre  de  Commerce  de  Lyon,  le  chef 
élu  de  ces   puissants  hommes  d'affaires  qui  ont 

19 


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290 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


fait  de  Lyon  une  véritable  capitale  industrielle.  Il 
jouit  d'une  grande  autorité  sur  tous  ses  collègues 
des  Chambres  de  Commerce  de  France.  C'est  en 
leur  nom  qu'il  parlera  à  la  Chambre,  et  les  déci- 
sions qu'il  aura  prises  seront  soutenues,  dans 
toute  la  province  française,  par  ces  Chambres  de 
Commerce  dont  je  viens  d'indiquer  l'activité  nou- 
velle et  la  récente  concentration. 

«  M.  Ricard  a  été  l'organisateur  et  est  le  secré- 
taire général  de  la  Confédération  des  Associations 
agricoles.  Quand  il  parlera,  les  députés  sauront 
qu'il  a  derrière  lui  l'état-major  des  Syndicats,  des 
Mutuelles  d'agriculteurs  et  riches  propriétaires, 
maintenant  unis  et  disciplinés.  Enfin,  pour  être 
complet,  M.  Millerand  a  voulu  avoir  dans  son 
ministère  un  ouvrier  connu  dans  les  Syndicats, 
M.  Coupin.  > 

L'ensemble,  faut-il  le  dire,  s'appuie  sur  le  grou- 
pement des  Intérêts  économiques,  alimenté  par  les 
Banques,  les  Compagnies  d'assurances,  avec,  pour 
façade,  la  Fédération  des  groupes  commerciaux  et 
industriels  de  France  de  M.  de  Palomera  ;  la  Fédé- 
ration descomnïerçants  détaillants,  de  M.  G.  Maus; 
le  Syndicat  général  de  l'Epicerie  française,  de 
M.  Fettu,  autant  de  choses  qui  seraient  inexis- 
tantes par  elles-mêmes,  puisque  les  membres  ne 
paient  qu'avec  peine  la  plus  minime  des  cotisations. 

L'Union  des  Intérêts  économiques  n'en  a  pas 
moins  dépensé  des  millions  et  des  millions  pour 
faire  élire  ses  candidats. 

Ma  conclusion  sera  courte  : 

Où  distingue-t-on,  dans  tout  ceci,  l'action  des 


LE    PRÉSENT,    l'aVENIR 


291 


Entreprises  Modernes  qui,  pourtant,à  elles  seules, 
représentent  plus  de  dix  milliards  d'affaires?...' 
Nulle  part.  Aussi,  en  dépit  de  leur  activité  ;  en 
dépit  du  rôle  capital  qu'elles  jouent  dans  la' vie 
économique  du  pays,  elles  n'ont  personne  au  Par- 
lement pour  y  défendre  leurs  intérêts  ;  à  plus  forte 
raison,  n'ont-elles  personne  au  Gouvernement. 
On  ne  peut  que  le  regretter,  tout  en  reconnaissant 
bien  haut,  qu'elles  seules  sont  responsables  de 
cette  lacune,  si  préjudiciable  à  l'ensemble  des  inté- 
rêts et  à  l'harmonie  nationale. 

Si,  pour  la  première  fois  depuis  l'avènement  de 
la  République,  le  Gouvernement  a  été  obligé  de 
chercher  un  point  d'appui  hors  du  Parlement,  ce 
r  point  d'appui  repose  sur  la  majorité  des  princi- 
paux éléments,  saut  sur  un  seul.  La  méthode  de 
classement  inaugurée,  et  qui  consiste  à  grouper 
ensemble  «  les  hommes  ayant  les  mêmes  intérêts 
professionnels  en  choisissant  parmi  eux  les  plus 
compétents  >,  est  donc  forcément  encore  impar- 
faite. Peut-elle  se  perfectionner?...  Oui,  quand  les 
Entreprises    Modernes,    solidaires,    entreront   en 
scène  à   leur  tour,  se  montrant  la  puissance  de 
l'affinité  qui  détermine  la  cohésion.  Si    elles  n'y 
entraient,    par   les   conflits    qui  existeront  forcé- 
ment, demain  comme  ils  existaient  hier  entre  les 
groupes    représentés,   seuls,   ces  groupes  bénéfi- 
cieraient d'un  peu  plus  de  clarté.  11  y  aurait  tou- 
jours des   bafoués,    des   méconnus,   des    écrasés 
par  les  charges  fiscales  inconsidérées,  et  ceux-ci 
seraient  les  Entreprises  modernes.  A  l'heure  où 
la  profession  entre  dans  le  pouvoir  et  se  prépare 


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292 


LES   ENTREPRISES   MODERNES 


à  le  prendre  ;  à  l'heure  où  «  Tatelier  va  supprimer 
le  Gouvernement  »,  ces  pages  méritaient  d'être 
écrites,  puisqu'elles  visent  uniquement  h  plus 
d'accord,  à  plus  d'entente,  à  plus  d'action  ration- 
nelle et  concertée,  toutes  choses  desquelles  la 
Patrie  a  besoin. 


FIN 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


N.-B,  —  La  lettre  s  placée 

signifie  :  et 


Aiglon  (Société   d'alimentation 

(!'),  p.  84. 
Alimentation   du  Centre,  p.  81- 

214  s. 

—  du  Forez,  p.  115  s,  130-136. 

—  Générale  Noga,  p.  69. 

—  Moderne  du  Midi,  p.   59-80- 

279. 
--  Stéphanoise,  p.  81-136. 
Aquitaine  (F),  p.  58-80. 
Arago,  p.  286. 
Association  des    Commerçants 

de  Toulouse,  p.  75. 


Bader,  p.  16-25-27. 
Banques,  p.  137  s.  290. 
Banque  de  France,  p.  144  s.  183- 
190. 


après  un  numéro  de  page 
suivantes. 

Baraques  Vilgrain,  p.  90. 
Barthou,  p.  285. 
Bazar  de  FHôtel-de-Villo,  p.  45, 
—  des  Terreaux,  Lyon,   p.  71. 
Berry  (Georges),  p.  74-242. 
Betoulle,  p.  214. 
Biard  et  C",  p.  87. 
Bon   Marché  (Au),   p.   28-36-43- 

70-112. 
Bouant  et  Mignot,  p.  72. 
Boucicaut,  p.  16-34  s. 
Bourse  de  Paris,  p.  146. 
Bourse  du  Travail,  p.  247. 
Boya,  p.  144. 
Briand,  p.  285. 
Brisset,  p.  58. 


Casino  (Magasins  du),  p.  79-81- 

107  s.  193-198. 
Castelnau  (Général  de),  p.  180. 


; 


I 


f 


294 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


295 


Chambres  de  Commerce,  p.  179- 
285  8.  289  s. 

Chambre  Syndicale  de  la  Nou- 
veauté, p.  250. 

Clemenceau,  p.  285. 

Clémentel,  p.  258-287. 

Cognacq  (M-),  p.  30. 

Cognacq,  p.  16-37. 

Collas  (Georges),  p.  124  s. 

Comestibles  Terminus,  p.  43. 

Comités  de  Répartition,  p.  189  s. 

—  de  Vigilance,  p.  223. 
Compagnies  d'Assurances,p.248- 

290. 
Compagnie  des   Etablissements 

Economiques,  p.  86 
Comptoir  Commercial  du  Nord, 

p.  124  s.  130-136. 
Comptoirs   Economiques   de 

Bourgogne,   p.   59-80-136- 

183. 
Comptoirs   Français,  p.  72-82  s. 

109-169-234. 

—  Normands,  p.  69-84. 
Confédération  Générale  des  As- 

8  0  c  i  a  t  i  0  n  s  Ag  r  i  co  le  s, 
p.  288. 

—  Générale  du  Commerce  et  de 

l'Industrie,  p.  247  s. 

—  du  Travail  p.  238  s.    254  s. 

279  s.  288  s. 

Confédérations  Ouvrières,  p.  53. 
Conseil  Economique  du  Travail, 

p.  288. 
Coopératives,  p.  12-14-92  s.  169- 

170  s.  211  s.  228  s.  256. 
Coupin,  p.  290. 
Coûté,  p.  45. 
Crédit  Lyonnais,  p.  148. 


Damoy,  p.  11-45-78. 

Darien  (Georges),  p.    8-244-267. 


Debray,  p.  107  s.  139. 
Deherme  (Georges),  p.  264. 
Delabarre,  p.  72. 
Doneux,  p.  125-169. 
Deux-Passages    (Aux),    Lyon, 

p.  71. 
Devun  (Th.),  p.  116  s. 
Docks  de  l'Alimentation,  Nancy, 

p.  82. 
Docks  Ardennais,  p.  79-104. 

—  de  l'Aube,  p.  73. 

—  dç  la  Brie,  p.  182 

--  du  Centre,  p.  59-81-108-217  s. 

—  Foréziensde  l'Alimentation, 

p.  81-190. 

—  Francs-Comtois,  p.  74-80. 

—  Lyonnais,    p.    59-71-83-197. 
-—  Méridionaux,  p.  81. 

—  de  Nevers,  p.  82. 

—  du  Nord,  p.  71-74-82-163  i5. 

—  de  rOuegt,  p.  58-81-108-144- 

190  s.  y 

—  Phocéens,  p.  80. 

—  de  Provence,  p.  84. 

—  Rémois,  p.  71-82-83-108-169  H. 

234. 

—  Saint-Georges,  Nancy,  p.  82- 

215. 

—  de  la  Sarthe  (Grands),  p.  83. 

—  du  Sud-Ouest,  p.  80. 

—  de  l'Union  Française,  p.  5^'- 

79. 
Dreux,  p.  176. 
Dufayel,  p.  44-50. 
Duniont,  p.  151-157  s. 


E 


Economats  du  Centre,  p.  83. 
Economats  parisiens  (Grands), 

p.  58-83-104. 
Economie  Bretonne,  p.  80. 
Entrepôts  de  Grenelle,  p.  83-87. 


Entrepôts   de  Paris  et   de  Pro- 
vince, p.  86. 
m    Epargne    de    l'Ouest,  p.   59-81- 
i  216  s.  225. 

—  de  Toulouse  p.  80. 

H  Kpiciers  Réunis,  Nancy,  p.  115. 
B    Esders,  p.  60. 

Essertel,  p.  190. 

Etablissements  Brisset,  p.  82- 
108-185  s.  225. 

—  Debray,  p.  106  s.  139. 

—  Dreux,  p.  74-82-175  S.-180 

—  Economiques  Bisontins, 
p.  74-80. 

—  Economiques  du  Printemps, 
Saint-Etienne,  p.  81. 

—  Economiques  de  Rennes, 
p.  74. 

—  Economiques  des  Sociétés 
de  Secours  Mutuels  de 
Reims,  p.  71-82-83-169-174. 

^  -  Economiques  Troyens,  p. 79. 
108. 

—  Faure  et  Bonjour,  p.  81. 

—  Fournier,  p.  81. 

—  E.  Géry,  p.  81. 

—  Goulet-Turpin,  p.  73-82-169. 

—  Guérin  Père  et   Fils,  p.  80. 

—  Lépine,  Suippes,  p.  79-82- 
185. 

—  Lucien  Lépine  et  C*',  p.  73. 

—  Ch.  Mauroy,  p.  73-82-185. 

—  B.  Miellé  et  C",  p.  73-82-185- 
225. 

—  G.  Miellé,  Cailloux  et  C% 
Metz,  p.  82. 

—  Nicolas,  p.  87. 

—  Rouennais    et  de  Norman- 
.die,  p.  84. 

—  deTouraine,  p.  81. 

—  Wibault,  p.  74-82. 

—  Zanzibar,  p.  81-190. 
Etoile  Blanche,  p.  81-190. 

—  du  Midi,  p.  79. 


Eyraud  (Rëmy),  p.  116  s. 


Familistère,  p.  71-73-108-169  s. 
Faret,  p.  32-33. 
Fayolle,  p.  190. 

Fédération   des    Commençants 
Détaillants,  p.  290. 

—  des  Coopératives,  p.  226  s.  280. 

—  des  Syndicats  Commerciaux 

du  Nord,  p.  124. 
Finot,  p.  218. 


Galeries  du  Havre,  p.  59-65. 

—  Lafayette,  p.  16-20  s. 

—  Lilloises,  p.  71. 

—  Nancéiennes,  p.  166. 
Gauloise  (La),  Versailles,  p.  83. 
George  (Henry),  p.  14. 
Georget,  p.  72. 

Gompel  etC*%  p.  49. 

Grand  Bazar  du  Havre,  p.  59-65. 

—  de  Lyon,  p.  71. 

—  d'Alimentation,   Le  Havre, 

p.  64-69. 

Grands    Magasins    d'Alimenta- 
tion, p.  62. 

Granetias,  p.  190. 

Griffon,  p.  72. 

Guichard-Perrachon,  p.  190. 

Guillaumat  (général),  p.  176-180. 

Guyot,  p.  190. 


H 


Hériot,  p.  32-33. 
Hyfrard,  p.  217. 


-m 


296 


INDEX  ALPHABETIQUE 


Incroyable,  p.  50. 

Intendance,  p.  95-180-190-212  s. 

Isaac,  p.  289. 


Jaurès,  p.  74. 
Jauriat,  p.  86. 
Jay  (M'>^*),  p.  28. 
Jouhaux,  p.  279 


Larabrechts,  p.  54-55. 
Lefebvre  (René),  p.  124. 
Loevi,  p.  86-97. 
Loucheur.  p.  91. 
Louvre  (Au),  p.  31-33-70-112. 
Louvre  (Hôtel  du),  p.  43. 
Lutetia,  p.  43. 

M 

Magasins  du   Casino,  p.  79-81- 
107  s.  193-198-204  s. 

—  des  Cordeliers,  Lyon,  p.  71. 

—  Modernes,  p.  43-49. 

—  Réunis,  p.  43-49-165. 
Maggi,  p.  105. 

Magny,  p.  17. 
Maisons  Rleues,  p.  59. 
Mallcval  (Cave),  p.  95. 
Manuf.ictures  de  l'Alimentation, 

p.  58. 
Marsal,  p.  289. 
Maus  (G.),  p.  290. 
Ménagère    Française,     (A    la) , 

p.  73-82-184. 
Menier  (Emile\  p.  35.  • 

Menier  (Gaston),  p.  27-35. 
Millerand,  p.  285-289  s. 
Monzie  (de),  p.  285. 


N 


Noulens,  p.  221,   s. 

Nouvelle    Coopérative ,    Paris, 

p.  83. 
Nouvelles   Epiceries  du    Nord, 

p.  74-151-153-157  s. 
Nouvelles  Galeries,   p.  43-47-49- 

51-72-129. 


O 


Offices    départementaux    d'Ali- 
mentation, p,  189  g. 

Office  pour   la  Lutte  contre  la 

Vie  Chère,  p.  217  s. 
—  Technique     du    Ravitaille- 
ment, p.  97-102. 

Olida.  p.  231-234. 


Palais  d'Orsay,  p.  43. 
Palomera  (De),  p.  290. 
Paris-France,  p.  43-49-70. 
Paris-Médoc,  p.  87. 
Pauvre  Diable  (Au),  p.  31. 
Péreire,  p.  33, 

Petit-Saint-Thomas  ("Au),  p.  112. 
Philbois,  p.  176. 
Place  Clichy  (A  la),  p.  44. 
Planteur  de  Caïfla  (Au),  p.  106  s. 
Potin,  p.  10-45-74-78. 
Printemps  (Au),  p.  64-112. 
Prix  normaux,  p.  222  s. 
Progrès  Commercial,  p.  66. 


Q 


Quentin,  p.  72. 


R 

Raoul,  p.  50. 
I  Raynaud,  p.  90-93. 


INDEX  ALPHABETIQUE 


297 


Rémoise  (La),  p.  115-169. 
Ricard,  p.  290. 
Ricker  et  Hegeman,  p.  62  s. 
Ruche  Lorraine,  Metz,  p.  82. 
Ruche  Méridionale,  Agen,  p.  81- 
108-197-213. 

—  du  Midi,  p.  81. 

—  Moderne,  p.  79. 

—  Picarde,  Amiens,  p.  84. 


S 


Samaritaine,  p.  27-37-39. 
Semeuse  du  Sud,  p.  81. 
Servan  iE.),  p.  62. 
Service  des  Fraudes,  p.  229. 
Siegel  Cooper  Company,  p.  38- 
V  •        39. 
Société   d'Alimentation    «  l'Ai- 
glon )),  p.  84. 

—  d'Alimentation   d'Alsace  et 

de  Lorraine,  p.  80. 

—  Bourguignonne  d'Alimenta- 

tion et   d'Approvisionne- 
ment, p.   80-108. 

—  Bourguignonne    et    Borde- 
laise, p.  87. 

—  Commerciale    d'Alimenta- 
tion du  Forez,  p.  115  s. 

—  Economique     d  Alimenta- 
tion, p.  71-83-204. 

—  Générale  (Banque),  p.  148  s 

—  des  Grands-Bazars  Réunis, 
p.  48-130. 

—  Guyenne  et  Gascogne,  p.  79. 

—  Moderne     d'Alimentation  , 
p.  83. 

—  Nancéienne  d'Alimentation, 
p.  59-178  s. 

—  Normande  d'Alimentation, 
p.  80-195. 


» 


—  Parisienne    et    Séquanaise 

d' Alimentati  on,  p.  83- 
104. 

—  Parisienne  des  Vins,  p.  87. 

—  Rémoise  de  l'Epicerie,  p.  73. 

—  des  Vins  Naturels,  p.  86. 
Syndicat    des  Chocolatiers, 

p.  226. 

—  de    l'Epicerie   Française, 

p.  17-57-74-126-290. 

—  Général  des  Maisons  à  Suc- 

cursales de  France,  p.  189- 
230  s. 

—  des    Négociants    en    Vins, 

p.  97. 


Thiéry  et  Sigrand,  p.  50. 
Tietz  iOscar),  p.  54-272. 


U 


Uni  on-A  pprovisionnement, 

p.  59-82. 
Union  Commerciale,    Me  aux, 

p.  83-182. 

—  Commerciale,    d'Alimenta- 

tion du  Forez,  p.  115  s. 

—  des   Epiciers  de  Boulogne, 

p.  125  s. 

—  Economique  de  Reims, 

p.  124. 

—  des   Entreprises  Modernes, 

p.  231-244  s. 

—  des  Intérêts  Economiques, 

p.  290. 

—  Nationale  du  Commerce  de 

Détail,  p.  128  s. 


/ 


H?  4 


298 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 


—  Nationale  des  Sociétés 
d'Achat  en  commun,  p.  51- 
126  s. 

U.  S.  T.  I.C.  A.,  p.  282  s. 

United  Cigar  Stores,  p.  63  s. 


Verband  Waren  und   Kaufhàu- 
ser,  p.  54. 


Vigneronne  (La\  p.   86-87-148' 
Vilgrain  (Baraques),  p.  90. 
Ville  de  Paris,  p.  32. 


W 


Warrants,  p.  147. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


£  ■  '9 


i 


1 


^fv    Préface vu 

I.  —  Pour  la  mort  de  la  routine  et  des  billeve- 
sées sociales | 

II.  —  Les  Grands  Magasins {Q 

III.  —  Les  Grands  Magasins  de  province  ....  46 

IV.  —  Les  Maisons  à  Succursales  d'Alimentation.  70 
V.  —  Les  Maisons  à  Succursales  de  Spécialités.  85 

VI.  —  Les  Roulottiers 104 

VII.  —  Les    Sociétés  d'achats  en  commun.  Mai- 
sons contrôlées 114 

VIII.   —  Résumé  de  ce  qui  précède 132 

IX.  —  Les    Banques  à   Succursales,   sœurs   des 

Entreprises  Modernes 138 

X.  —  Les  Entreprises   Modernes  aux  pays  en- 
vahis.   Le  Nord 150 

XI.  —  Par  la  vitalité  des  riniTti^prises  Modernes, 

ressusciteat  les  pays  libérés  ,    .....  165 
XII.  — -  Les  Entreprises  Modernes  de  la  zone  des 

armoes. -^5  ,.^  ^  ,"  ;  •  ,  .   .   .   .;  .  ♦,   .   .  175 


4 


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I 

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1 


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300  TABLE    DES    MATIERES 

XIII.  —  Les  Entreprises  Modernes  et  les  fantaisies 

administratives  .    .       186 

XIV.  —  Les  Entreprises   Modernes   ont  combattu 

la  vie  chère 202 

XV.  —  Le  Groupement  par  affinités 233 

XVI.   —  En  face  d'une  situation  nouvelle 252 

XVIÏ.    —  Un  obstacle  surgira-t-il  ? 263 

XVIU.  —  Où    l'on    peut   voir   que   toutes    craintes 

doivent  être  écartées  . 270 

XIX.  —  Le  Présent...  l'Avenir 279 

Index  alphabétique 293 


^' 


E.   GRiJVIN  —  IMPKIMEft^E   OE   LAGHY 


I 


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3 


COLUMBIA  UNIVERSITY  LIBRARY 

This  book  is  due  on  the  date  indicated  below,  or  at  the 
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